Intervention de Éric Diard

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 14h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Diard :

Je m'associe à ces félicitations tant pour la qualité des auditions et des travaux que pour la bonne ambiance qui a régné dans la commission, lors des auditions et des visites.

La prison est le dernier maillon de l'institution judiciaire, dont elle est aussi un élément central. Pas un seul texte législatif portant sur la justice ne l'a écartée. Pourtant, la prison est sans aucun doute le parent pauvre de notre système. C'est pour cette raison que le président de notre groupe a choisi de créer cette commission d'enquête. Celle-ci était nécessaire pour faire la lumière sur les besoins de la politique pénitentiaire et pour tracer des pistes d'amélioration.

Évidemment, nul n'est besoin d'un rapport pour pointer l'échec du Président de la République en la matière : en 2017, il avait clairement promis de créer 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2022. L'engagement a glissé jusqu'en 2027 et seules 2 000 places auront été créées au cours de la législature. Ce manque de places a pour conséquence directe des difficultés dans la gestion des détenus, notamment des détenus radicalisés.

Le covid-19 n'est pas vraiment en cause, puisque la plupart des entreprises de construction ont continué de travailler durant la crise sanitaire. En revanche, l'ancienne ministre de la justice, Mme Belloubet, a profité de la crise sanitaire pour vider les prisons, à tel point que nous avons atteint un niveau historiquement bas lors du premier confinement : le taux d'occupation est passé en dessous de 100 %.

La radicalisation en prison est un phénomène inquiétant. Ce n'est pas une lubie de ma part : François Molins a pointé récemment le risque que certaines personnes, loin de se repentir, sortent de prison endurcies. En décembre dernier, lors d'une audition de la mission d'information sur la résilience nationale, Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, disait lui aussi que les sortants de prison condamnés pour faits de terrorisme demeuraient un élément très préoccupant. Étant donné l'ampleur du problème, je regrette que le rapport de notre commission, en dépit de ses 350 pages, ne l'ait pas pris à bras-le-corps. Il y va de la sécurité de nos concitoyens.

« Cinq ans après le déploiement des quartiers d'évaluation de la radicalisation et des quartiers de prévention de la radicalisation par l'administration pénitentiaire », vous entendez « conduire une évaluation globale de la prise en charge de la radicalisation en milieu pénitentiaire », selon la proposition no 11 – la seule formulée par la commission en matière de radicalisation, sachant que l'administration pénitentiaire doit encore évaluer une quarantaine de détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR).

Autre point noir : la commission n'a quasiment pas parlé du renseignement pénitentiaire, auquel il faut pourtant donner plus de moyens. Dans le rapport de la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, corédigé avec Éric Poulliat, nous nous étions félicités de recrutements dans ce domaine. Or, quelle n'a pas été notre surprise d'apprendre par un syndicaliste qu'un agent du renseignement pénitentiaire gère en moyenne entre 50 et 70 dossiers ! Pour la cellule interrégionale de Strasbourg, qui regroupe 23 établissements pénitentiaires, il n'y a qu'un officier de renseignement. Selon cette source, il y a une différence entre la volonté politique et ce qui se passe sur le terrain : le personnel est souvent utilisé à des tâches administratives. En outre, le renseignement pénitentiaire se trouve dans l'impossibilité d'exploiter certains téléphones récents. Pourtant, la commission d'enquête n'a pas abordé la question de la circulation des objets en détention, notamment des téléphones portables.

D'ici à 2023, plus de 200 détenus radicalisés sortiront de prison. Ils doivent être la priorité de l'État car le risque de passage à l'acte est réel. En plus des moyens supplémentaires qu'il convient de donner aux services de renseignement pour les suivre, il est capital de renforcer l'arsenal législatif que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a commencé à constituer, à travers les fameuses mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Ces mesures sont intéressantes mais insuffisantes au regard de la dangerosité que représentent les anciens détenus radicalisés sortant de prison, notamment parce que leur durée ne peut excéder douze mois.

Il est regrettable que notre commission d'enquête n'ait pas suivi les recommandations de la délégation parlementaire au renseignement du Sénat. Celle-ci préconisait de déployer de véritables mesures de sécurité prises par un juge d'application des peines pour une durée d'un an, renouvelable, dans la limite de dix ans en matière correctionnelle et vingt ans en matière criminelle. Il n'y a aucun risque d'inconstitutionnalité : les auteurs de crimes sexuels particulièrement violents peuvent déjà faire l'objet d'une rétention de sûreté, sans que cette disposition n'ait été censurée par le Conseil constitutionnel.

En conclusion, je suis satisfait des auditions et des visites, mais la montagne a accouché d'une souris : on ne retrouve pas dans le rapport la puissance des auditions. Comme mes collègues, je regrette qu'il ne formule pas de propositions plus audacieuses et, surtout, à la hauteur du défi que représente la détention – notamment celle des détenus radicalisés – pour notre société.

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