Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 14h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Sans passer sous silence les difficultés qui viennent d'être soulevées, je salue ce travail de longue haleine. Pour le dire de manière un peu triviale, la commission d'enquête s'est vraiment « décarcassée », se rendant un peu partout en France.

Les propositions sont d'intérêt variable, parfois même elles sont redondantes, mais personne ne peut les contester et aucune ne mériterait d'être écartée. Certaines, sans que cela ne leur confère une qualité supérieure, reprennent les conclusions que Yaël Braun-Pivet, Stéphane Mazars, Laurence Vichnievsky et moi-même avions formulées il y a quelques années dans un rapport intitulé « Repenser la prison pour mieux réinsérer ». La continuité est intéressante.

Le rapport pèche peut-être plus par ce qui n'y figure pas, ce qui y est passé sous silence, que par ce qu'il contient. L'objectif d'une commission d'enquête n'est pas de répéter ce que d'autres missions parlementaires avaient déjà souligné : elle doit aller plus loin. En l'occurrence, la nôtre visait à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire.

Le premier dysfonctionnement réside dans la surpopulation carcérale. Le problème a été masqué ces derniers temps : depuis mars 2020, pour gérer la crise sanitaire, on a libéré certains détenus, parfois dans des conditions compliquées. Ce faisant, l'illusion a été donnée que la surpopulation avait reculé. La surpopulation est particulièrement sensible dans les maisons d'arrêt, vieux établissements où les conditions de détention sont indignes – mon département en compte deux. Certes, les détenus ne sont pas des anges, mais ce n'est pas en les faisant tourner comme des lions en cage que l'on parviendra à limiter la récidive, à plus forte raison quand ces établissements ont encore des cellules collectives, conçues pour six ou huit personnes où l'on installe en plus des matelas au sol. On est bien loin de l'encellulement individuel, version 1875, pourtant considéré comme l'alpha et l'oméga de la politique carcérale. De telles situations ne sont pas acceptables.

La question méritait davantage que quelques lignes dans le rapport. Vous dites bien que l'effort doit porter sur les maisons d'arrêt, notamment dans le cadre des constructions. Le sujet est coché, mais il faut aller au-delà.

Du reste, les constructions annoncées relèvent elles aussi de l'illusion : par un tour de passe-passe, le bilan mêle des engagements présents et futurs, certains appels d'offres ne devant être lancés, à supposer qu'ils le soient, qu'à la fin de l'année 2022. Pour certains projets, les recours engagés par les associations de riverains, notamment, n'ont même pas encore été purgés. Il faut parfois tordre le bras de certains élus, tant les collectivités manquent d'empressement pour accueillir des établissements pénitentiaires. À cet égard, il est urgent de retisser des liens avec les collectivités et les élus locaux, qui sont des acteurs incontournables.

Au total, on est loin du compte. Il y a bien là un dysfonctionnement et des manquements.

En ce qui concerne la radicalisation, je m'étonne, comme mes collègues : on ne pouvait vraiment pas faire moins ! Pourtant, le sujet préoccupe nombre de nos concitoyens, les chefs d'établissement, les gardiens et une partie des juristes et spécialistes des établissements pénitentiaires et de la détention. Des dizaines voire des centaines d'individus ont un profil préoccupant. Certains se retrouveront bientôt dans la nature. Or, le rapport, avec la proposition n o 11, n'envisage que d'évaluer, autrement dit de rédiger un autre rapport. Avec cela, on ne va pas aller bien loin ! Il faut quelque chose de plus concret. Évidemment, il ne s'agit pas de déposer en conseil des ministres, à la fin du mois de mars, comme cela vient d'être annoncé à Nice sur un autre sujet, un projet de loi qui ne pourrait de toute façon pas être voté en raison de l'organisation de l'élection présidentielle puis des élections législatives. Quoi qu'il en soit, cette question majeure n'est pas traitée dans les propositions : c'est un manque important.

Je tiens à souligner également, après Éric Diard, qui a toute compétence pour le faire, le caractère limité des éléments concernant le renseignement pénitentiaire, voire une forme d'indigence sur le sujet, qui n'est pourtant pas neutre.

Pour conclure, la jument grise est morte et les écuries sont en feu, mais tout va très bien ! Radicalisation, surpopulation, insuffisance du renseignement pénitentiaire : cela commence pourtant à faire beaucoup. Ces manquements et dysfonctionnements, clairement identifiés, sont précisément ceux qui avaient justifié la demande de création de cette commission d'enquête. Ce qui est proposé va dans le bon sens, et tend vers un diagnostic de plus en plus partagé sur la prison, ce qui est une évolution positive. Ces cinquante-cinq nuances de propositions sont intéressantes, mais il y a des manques : il faudra creuser et formuler d'autres propositions.

Sans surprise, à ce stade, je ne peux ni voter le rapport, ni m'abstenir : je vote donc contre moi aussi, à regret.

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