Intervention de Michel Cadot

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 16h05
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Michel Cadot, préfet de police, préfet de la zone de défense de Paris du 20 juillet 2015 au 20 avril 2017 :

. À mon arrivée, le 20 juillet, les questions de radicalisation et de terrorisme étaient la priorité majeure. J'ai d'ailleurs reçu une lettre de mission du ministre, très détaillée, évoquant les évolutions qu'il attendait que j'engage dans le contexte de transformation de la menace à laquelle nous étions confrontés.

Concernant l'affaire que nous évoquons et le renseignement qui aurait circulé à cette date, je n'en ai eu aucune connaissance ; je n'ai reçu aucun message, aucune information, ni écrite ni orale, qui m'aurait bien entendu conduit à intervenir immédiatement.

Avant mon arrivée à la préfecture de police, j'étais préfet de région en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône. J'avais eu à connaître des débuts d'incidents très sérieux autour d'une raffinerie dans le département quelques semaines auparavant, très précisément le week-end de l'Ascension. J'étais parfaitement sensibilisé à ces sujets en tant que préfet de zone, je les traitais activement avec le préfet de police des Bouches-du-Rhône, même si l'organisation administrative était bien différente de celle de la préfecture de police de Paris.

En ce qui concerne l'arrivée de Mme Bilancini, je souhaite être très clair sur la lettre de mission. Elle a été signée tout juste après mon départ ; pour une grande partie, je l'avais préparée, c'est vrai, mais je n'ai pas eu connaissance de la version finale puisque je ne suis plus revenu à la préfecture de police et n'ai pas cherché à récupérer des documents correspondant au travail que j'avais effectué à ce moment-là, qui était aussi un travail de fond, pas uniquement de gestion de l'urgence. Si je n'ai pas connaissance du détail de la lettre, je puis toutefois vous indiquer l'esprit dans lequel j'avais entrepris sa rédaction car je l'avais assez fortement avancée, après en avoir discuté avec le directeur général de la sécurité intérieure de l'époque et le service du renseignement territorial central. Cette lettre avait pour objectif de poursuivre une collaboration dans un contexte évolutif de la menace terroriste, j'insiste sur ce point.

Entre 2015 et 2017, nous avons beaucoup progressé sur de nombreux sujets de défense de l'agglomération parisienne et de la région contre le risque de terrorisme et le développement de pratiques liées à la radicalisation d'une partie croissante, en tout cas d'une partie plus identifiée de la population. Je ne dispose pas de la date exacte de la prise de poste de Mme Bilancini, mais c'était quelques semaines, me semble-t-il, avant mon accident. Je n'ai pas travaillé avec elle pendant longtemps – un mois et demi, deux mois, guère plus.

J'avais évoqué l'hypothèse de renouveler un certain nombre des directeurs des services de la préfecture de police, qui étaient en fonction depuis le début du mandat présidentiel, voire depuis plus longtemps. On constatait une évolution assez forte de l'ordre public, la présence de plus en plus fréquente des « black blocs », une réflexion nouvelle sur l'ordre public. Il en allait de même de la sécurité publique ; en ce domaine, je voulais ouvrir davantage la conception et la mise en œuvre des politiques de sécurité aux préfets de département, avoir une relation un peu différente avec les collectivités pour répondre à l'urgence en matière de lutte contre la menace terroriste en insistant sur la prévention et la lutte contre la radicalisation.

Le temps passant, après deux ans en fonction, il me semblait utile d'envisager des changements que j'avais d'ailleurs demandés pour d'autres directeurs dans le simple souci de faire évoluer l'équipe autour d'un projet que j'avais commencé à bâtir sur différentes propositions, déjà débattues en interne, en lien avec les directeurs et les syndicats. J'avais réuni à trois reprises l'ensemble des commissaires ; j'avais engagé un travail significatif de transformation. Enfin, le ministre lui-même nous demandait de progresser avec l'insistance que vous lui connaissez, reflet de son souci de précision et de son attention constamment en alerte. Toutes les semaines, des réunions se tenaient dans son bureau avec les directeurs centraux et le préfet de police. Sur chaque sujet, il était très attentif à l'adaptation de chacun des outils dépendant du ministère de l'Intérieur – dont la préfecture de police – à ces évolutions des menaces.

Dans ce contexte, j'ai attendu le départ normal à la retraite du directeur des renseignements de la préfecture de police de l'époque, M. Bailly, avec lequel j'entretenais d'excellentes relations personnelles. C'était un homme qui avait une longue expérience de son métier, ayant effectué une grande partie de sa carrière à la préfecture de police. Je ne dispose pas des dates, mais il en était l'un des piliers ; il avait une très grande connaissance du terrain et de l'agglomération parisienne. C'était un homme en qui j'avais confiance, assez secret comme sa fonction l'y conduisait assez naturellement, mais avec lequel j'avais une relation que j'estimais très loyale et excellente. Le moment étant venu de son départ à la retraite, j'ai souhaité que soit retenu un candidat extérieur à la préfecture de police afin qu'il porte un regard neuf et extérieur et que soit instaurée une relation plus resserrée avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui était le référent au niveau national de la lutte contre le terrorisme, à un moment où cette dimension de la menace devenait centrale et durable, même si ses formes et la nature de la menace évoluent constamment. Je souhaitais donc trouver un directeur, issu de préférence de la DGSI. Tout cela a été validé par le ministre et par les directeurs concernés. Je m'en suis longuement entretenu avec M. Patrick Calvar, avec lequel j'avais travaillé à la préparation de cette transition et à la structuration renforcée des relations entre nos services face à une menace durable. Aussi ai-je choisi Mme Bilancini, alors sous-directrice à la DGSI, une femme de qualité, très réactive et qui remplissait toutes les conditions requises.

L'objectif de sa nomination et surtout de la lettre de mission qui lui a été confiée – comme moi-même, j'en avais reçu une à mon arrivée et comme j'en donnais une à chacun des chefs de service, ainsi que c'est la règle dans l'administration de l'État – était très simple. Des mesures d'adaptation avaient été prises progressivement afin de faire face à la menace en extérieur visant à protéger les lieux de rassemblement, les lieux de spectacle, les transports publics, les espaces publics, etc. La masse de travail était considérable, tant en externe qu'en interne : formation, sensibilisation, organisation de systèmes pour assurer la détection des signaux faibles et les traiter efficacement, sans oublier l'articulation avec les comités, les groupes d'évaluation départementale (GED), etc., tous aspects évoqués, je pense, par les différents préfets que vous avez auditionnés.

Sur le plan du renseignement, Mme Bilancini me paraissait être à même de mener une telle politique. Je pense que la lettre de mission peut être communiquée à votre commission, sous réserve qu'elle ne comporte pas de sujets classés « secret défense » ; elle portait davantage sur des questions de méthode et d'objectifs généraux, tels que la nécessité d'une bonne coordination des objectifs de travail avec la DGSI et le service central du renseignement territorial, la nécessité d'instaurer une plus grande fluidité dans la politique d'achat des outils techniques pour conduire une politique en profondeur de maîtrise du terrorisme, pour garantir et formaliser les commissions et les groupes de travail d'échange des informations, le rythme des réunions… De telles mesures consistaient à fixer une base et des lignes d'orientation pour un travail parfaitement coordonné, dans une vision que je considérais être celle de la durée et qui devait, ainsi, correspondre à ce que nous avions mis en œuvre, mais qu'il fallait poursuivre et consolider. J'ai été satisfait du travail de Mme Bilancini pendant notre période commune comme je l'avais été de celui de son prédécesseur.

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