La séance est ouverte à 16 heures 05.
Présidence de M. Éric Ciotti, président.
Nous accueillons maintenant M. le préfet de la région Île-de-France, Michel Cadot, qui, avant d'occuper cette fonction, a été préfet de police de juillet 2015 à avril 2017.
Monsieur le préfet, avant de vous donner la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le préfet, à lever la main droite et à dire « je le jure »
(M. Michel Cadot prête serment.)
. J'introduirai par quelques mots très brefs cette audition en vous précisant les conditions de mon passage à la préfecture de police, du 20 juillet 2015 au 20 avril 2017, et de mon départ.
J'ai quitté à regret ce poste à la suite d'un accident imprévu qui m'a conduit à partir dans la minute, un problème de mobilité m'empêchant ensuite de poursuivre ma mission dans des conditions normales. Hospitalisé pendant quelques mois, je suis parti sans aucun document et, pour dire la vérité, sans emporter les éléments que, sans doute, j'aurais préparés si j'avais connu une mutation normale. Je suis sorti de l'hôpital en fauteuil roulant pour prendre le poste que le nouveau gouvernement m'avait confié et qui était sans doute plus approprié à mon état de santé que les fonctions de préfet de police dans une période très exigeante en termes de mobilité personnelle.
J'ai été très marqué par ce passage à la préfecture de police, qui est une institution que je découvrais. Je n'y avais jamais exercé et je m'y suis beaucoup attaché. Je trouvais son modèle intéressant. J'ai œuvré pour engager, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, une adaptation de ce modèle dans un contexte nouveau, celui d'une menace terroriste durable et très préoccupante pour notre pays et sa population.
De manière constante et en dehors des questions d'ordre public qui étaient également assez lourdes à cette époque, notamment en lien avec le projet de loi El Khomri ou le mouvement « Nuit debout », j'avais pour préoccupation majeure, sous l'autorité du ministre de l'époque, Bernard Cazeneuve, les questions de prévention de la radicalisation et du terrorisme ainsi que de la protection des personnes en externe, mais aussi la détection, le signalement et la vigilance dans l'organisation interne de la préfecture de police, pour en faire un outil efficace et correctement relié au système dans lequel il s'insérait sur la plaque de l'agglomération parisienne. La préfecture de police devait exercer la police d'agglomération en entretenant des relations étroites avec les services en charge de la mission de police au plan national.
Tels sont les deux points que je voulais évoquer en ouverture, monsieur le président.
. Monsieur le Préfet, merci d'avoir accepté le principe de cette audition.
Vous avez pris vos fonctions le 20 juillet 2015. La note adressée au préfet de police Didier Lallement par la directrice du renseignement à la préfecture de police de Paris souligne qu'un signalement informel de la situation de radicalisation de l'auteur de l'attentat est intervenu au mois de juillet 2015.
Auriez-vous eu connaissance directement ou indirectement de cette situation au mois de juillet 2015 ? Cette question doit vous être posée, vous l'imaginez bien.
Une seconde question, qui me paraît centrale dans l'analyse que nous menons de la direction du renseignement à la préfecture de police : Françoise Bilancini a déclaré qu'au moment de sa prise de fonctions, vous lui aviez adressé une lettre très claire sur ses missions en tant que nouvelle directrice, qui incluait en particulier l'objectif de professionnaliser cette direction. Pourriez-vous nous décrire le constat que vous dressiez du mode de fonctionnement de la direction du renseignement, voire des problèmes ou dysfonctionnements des processus de détection de la radicalisation, des questions d'habilitation qui vous ont conduit, dans cette lettre de mission, à lui fixer cet objectif ?
. À mon arrivée, le 20 juillet, les questions de radicalisation et de terrorisme étaient la priorité majeure. J'ai d'ailleurs reçu une lettre de mission du ministre, très détaillée, évoquant les évolutions qu'il attendait que j'engage dans le contexte de transformation de la menace à laquelle nous étions confrontés.
Concernant l'affaire que nous évoquons et le renseignement qui aurait circulé à cette date, je n'en ai eu aucune connaissance ; je n'ai reçu aucun message, aucune information, ni écrite ni orale, qui m'aurait bien entendu conduit à intervenir immédiatement.
Avant mon arrivée à la préfecture de police, j'étais préfet de région en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône. J'avais eu à connaître des débuts d'incidents très sérieux autour d'une raffinerie dans le département quelques semaines auparavant, très précisément le week-end de l'Ascension. J'étais parfaitement sensibilisé à ces sujets en tant que préfet de zone, je les traitais activement avec le préfet de police des Bouches-du-Rhône, même si l'organisation administrative était bien différente de celle de la préfecture de police de Paris.
En ce qui concerne l'arrivée de Mme Bilancini, je souhaite être très clair sur la lettre de mission. Elle a été signée tout juste après mon départ ; pour une grande partie, je l'avais préparée, c'est vrai, mais je n'ai pas eu connaissance de la version finale puisque je ne suis plus revenu à la préfecture de police et n'ai pas cherché à récupérer des documents correspondant au travail que j'avais effectué à ce moment-là, qui était aussi un travail de fond, pas uniquement de gestion de l'urgence. Si je n'ai pas connaissance du détail de la lettre, je puis toutefois vous indiquer l'esprit dans lequel j'avais entrepris sa rédaction car je l'avais assez fortement avancée, après en avoir discuté avec le directeur général de la sécurité intérieure de l'époque et le service du renseignement territorial central. Cette lettre avait pour objectif de poursuivre une collaboration dans un contexte évolutif de la menace terroriste, j'insiste sur ce point.
Entre 2015 et 2017, nous avons beaucoup progressé sur de nombreux sujets de défense de l'agglomération parisienne et de la région contre le risque de terrorisme et le développement de pratiques liées à la radicalisation d'une partie croissante, en tout cas d'une partie plus identifiée de la population. Je ne dispose pas de la date exacte de la prise de poste de Mme Bilancini, mais c'était quelques semaines, me semble-t-il, avant mon accident. Je n'ai pas travaillé avec elle pendant longtemps – un mois et demi, deux mois, guère plus.
J'avais évoqué l'hypothèse de renouveler un certain nombre des directeurs des services de la préfecture de police, qui étaient en fonction depuis le début du mandat présidentiel, voire depuis plus longtemps. On constatait une évolution assez forte de l'ordre public, la présence de plus en plus fréquente des « black blocs », une réflexion nouvelle sur l'ordre public. Il en allait de même de la sécurité publique ; en ce domaine, je voulais ouvrir davantage la conception et la mise en œuvre des politiques de sécurité aux préfets de département, avoir une relation un peu différente avec les collectivités pour répondre à l'urgence en matière de lutte contre la menace terroriste en insistant sur la prévention et la lutte contre la radicalisation.
Le temps passant, après deux ans en fonction, il me semblait utile d'envisager des changements que j'avais d'ailleurs demandés pour d'autres directeurs dans le simple souci de faire évoluer l'équipe autour d'un projet que j'avais commencé à bâtir sur différentes propositions, déjà débattues en interne, en lien avec les directeurs et les syndicats. J'avais réuni à trois reprises l'ensemble des commissaires ; j'avais engagé un travail significatif de transformation. Enfin, le ministre lui-même nous demandait de progresser avec l'insistance que vous lui connaissez, reflet de son souci de précision et de son attention constamment en alerte. Toutes les semaines, des réunions se tenaient dans son bureau avec les directeurs centraux et le préfet de police. Sur chaque sujet, il était très attentif à l'adaptation de chacun des outils dépendant du ministère de l'Intérieur – dont la préfecture de police – à ces évolutions des menaces.
Dans ce contexte, j'ai attendu le départ normal à la retraite du directeur des renseignements de la préfecture de police de l'époque, M. Bailly, avec lequel j'entretenais d'excellentes relations personnelles. C'était un homme qui avait une longue expérience de son métier, ayant effectué une grande partie de sa carrière à la préfecture de police. Je ne dispose pas des dates, mais il en était l'un des piliers ; il avait une très grande connaissance du terrain et de l'agglomération parisienne. C'était un homme en qui j'avais confiance, assez secret comme sa fonction l'y conduisait assez naturellement, mais avec lequel j'avais une relation que j'estimais très loyale et excellente. Le moment étant venu de son départ à la retraite, j'ai souhaité que soit retenu un candidat extérieur à la préfecture de police afin qu'il porte un regard neuf et extérieur et que soit instaurée une relation plus resserrée avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui était le référent au niveau national de la lutte contre le terrorisme, à un moment où cette dimension de la menace devenait centrale et durable, même si ses formes et la nature de la menace évoluent constamment. Je souhaitais donc trouver un directeur, issu de préférence de la DGSI. Tout cela a été validé par le ministre et par les directeurs concernés. Je m'en suis longuement entretenu avec M. Patrick Calvar, avec lequel j'avais travaillé à la préparation de cette transition et à la structuration renforcée des relations entre nos services face à une menace durable. Aussi ai-je choisi Mme Bilancini, alors sous-directrice à la DGSI, une femme de qualité, très réactive et qui remplissait toutes les conditions requises.
L'objectif de sa nomination et surtout de la lettre de mission qui lui a été confiée – comme moi-même, j'en avais reçu une à mon arrivée et comme j'en donnais une à chacun des chefs de service, ainsi que c'est la règle dans l'administration de l'État – était très simple. Des mesures d'adaptation avaient été prises progressivement afin de faire face à la menace en extérieur visant à protéger les lieux de rassemblement, les lieux de spectacle, les transports publics, les espaces publics, etc. La masse de travail était considérable, tant en externe qu'en interne : formation, sensibilisation, organisation de systèmes pour assurer la détection des signaux faibles et les traiter efficacement, sans oublier l'articulation avec les comités, les groupes d'évaluation départementale (GED), etc., tous aspects évoqués, je pense, par les différents préfets que vous avez auditionnés.
Sur le plan du renseignement, Mme Bilancini me paraissait être à même de mener une telle politique. Je pense que la lettre de mission peut être communiquée à votre commission, sous réserve qu'elle ne comporte pas de sujets classés « secret défense » ; elle portait davantage sur des questions de méthode et d'objectifs généraux, tels que la nécessité d'une bonne coordination des objectifs de travail avec la DGSI et le service central du renseignement territorial, la nécessité d'instaurer une plus grande fluidité dans la politique d'achat des outils techniques pour conduire une politique en profondeur de maîtrise du terrorisme, pour garantir et formaliser les commissions et les groupes de travail d'échange des informations, le rythme des réunions… De telles mesures consistaient à fixer une base et des lignes d'orientation pour un travail parfaitement coordonné, dans une vision que je considérais être celle de la durée et qui devait, ainsi, correspondre à ce que nous avions mis en œuvre, mais qu'il fallait poursuivre et consolider. J'ai été satisfait du travail de Mme Bilancini pendant notre période commune comme je l'avais été de celui de son prédécesseur.
. Malgré les précautions de langage que vous utilisez à l'égard du précédent directeur du renseignement de la préfecture de police de Paris, nous percevons dans votre propos des éléments qui suggèrent que tout n'était pas optimal dans le fonctionnement de la DRPP. C'est un sentiment que nous avons déjà ressenti dans plusieurs auditions et ce sont des éléments que d'autres commissions d'enquête avaient déjà relevés.
Monsieur le préfet, vous indiquez que la lettre de mission confiée à Mme Bilancini insistait sur l'amélioration de la coordination avec la DGSI. Le point est important puisque nous auditionnerons M. Bailly dans quelques instants. Au moment des attentats qui ont frappé Paris en 2015, un élément non négligeable était déjà apparu dans la coordination du suivi d'un des frères Kouachi entre la DRPP et la DGSI. En conscience, pouvez-vous nous dire que la DRPP fonctionnait bien lors de votre arrivée à la préfecture de police ? Existait-il des failles, des fautes, des dysfonctionnements, que vous aviez perçus ? Nous attendons de vous une analyse très précise sur ce point.
. J'avais beaucoup d'estime pour M. René Bailly et j'entretenais avec lui une relation de grande confiance – pour être parfaitement clair et pour que ne subsiste pas la moindre ambiguïté !
Concernant le service dans son ensemble, son fonctionnement, la menace terroriste se sont transformés et développés, les événements se sont accélérés entre 2015 et 2017. J'insiste car il s'agit d'un élément majeur. Des lois ont été votées, des textes ont donné de nouveaux pouvoirs et ont clarifié le partage entre le judiciaire et l'administratif, des moyens technologiques beaucoup plus importants ont été mobilisés, des fichiers ont été constitués, qui ont justifié des changements d'organisation pour précisément s'adapter à cette évolution continue de notre optimum de sécurité. Vous avez raison, l'optimum n'est jamais définitivement atteint ; il s'adapte à une menace, qui est, elle-même, évolutive. Ce fut une période au cours de laquelle, objectivement, des évolutions très profondes du système sont intervenues, tout simplement parce qu'il était devenu une composante permanente et centrale, à certains égards, de l'action de police et de sécurité des Français et, pour ce qui concerne la préfecture de police, de la sécurité de la population de l'agglomération parisienne et d'une bonne relation sur la plaque de vie que constitue la région Île-de-France, autrement dit la zone au sens « sécurité ».
Ne me faites pas dire qu'il y avait des failles. Je n'étais pas un expert de ces questions : je les ai étudiées, j'y ai travaillé jour et nuit, j'y passais mes week-ends, je me suis entièrement consacré à cette tâche qui m'honorait, dont j'étais fier et que j'ai quittée à mon corps défendant, au sens propre comme au sens figuré. La DRPP que j'ai trouvée en 2015 était un outil parfaitement au point. Je ne peux pas dire s'il fallait ou aurait fallu plus précisément telle ou telle évolution entre janvier et juillet. En tout cas, le travail a été conduit et piloté avec mes collègues de l'administration centrale. Un travail en commun existait déjà : toutes les informations étaient transférées. Mais il s'agissait de passer à un stade de traitement systématique de cas et de signalements qui, sans doute, à une autre époque, n'étaient pas aussi nombreux et ne justifiaient pas une telle vigilance et un tel dispositif d'organisation. Tel est, de mon point de vue, l'esprit de cette lettre de mission sur ce volet précis. Bien sûr, il y avait également d'autres éléments. Par exemple, une gestion des ressources humaines qui doit toujours s'adapter par de nouveaux recrutements, la formation au sein même de la maison « préfecture de police » que devait assurer la DRPP en matière de radicalisation, de risques et de menaces terroristes.
. Comment qualifieriez-vous la relation entre la DGSI et la DRPP ? Deux éléments de contexte ont été livrés à notre commission avec de grandes précautions oratoires. Mme Bilancini notamment nous a dit avoir été nommée parce qu'elle était de la DGSI, dans l'idée d'améliorer la relation entre la DGSI et la DRPP. S'ajoute un élément factuel qui est au cœur des travaux de notre commission : si le suivi de Mickaël Harpon par la direction du renseignement territorial dans le département du Val-d'Oise a été communiqué, il n'a pas forcément été analysé et interprété par la DRPP.
. Comme je l'ai indiqué brièvement, j'ai retenu Mme Bilancini parce que je souhaitais quelqu'un de la DGSI ; j'avais, bien sûr, l'accord du ministre et des directeurs.
Vous me demandez si j'ai souhaité retenir quelqu'un issu de la DGSI parce que la nomination précédente n'aurait pas convenu. Ce n'est pas cela. La préfecture de police est une maison qui a une certaine tradition et des habitudes de travail. C'est ainsi que le regard de chefs de service, de responsables qui ont connu d'autres approches est toujours le bienvenu si on veut une organisation optimale et une relation avec l'ensemble des directions tout aussi optimale. Le moment me semblait propice dans la mesure où nous avions développé depuis quelques années avec la DGSI des outils nouveaux et un mode de travail qui s'était renforcé. Nous l'avons fait de la même façon s'agissant de l'intervention en cas de menace terroriste entre la brigade de recherche et d'intervention (BRI), le RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) et le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), dans un tout autre domaine. J'étais désireux que l'on fasse un peu respirer l'encadrement supérieur de cette grande organisation de l'État et, pour tout vous dire, c'est ce que je pratique encore dans ma responsabilité actuelle de préfet de Paris et de la région Île-de-France.
. Monsieur le préfet, vous avez exercé durant les années où la menace terroriste s'est largement intensifiée et même concrétisée dans la vie et dans la chair des Français. Nous pouvons supposer que cela a entraîné le besoin urgent, en tout cas un besoin prégnant, d'une évolution de la culture policière dans le traitement de la prévention et de la détection de ce qu'on appelle aujourd'hui « radicalisation » mais que l'on appelait différemment il y a quelques années.
Ma question porte sur la menace endogène, la menace ne venant pas forcément de l'extérieur mais de la préfecture elle-même. Avez-vous sollicité les services pour instaurer une remontée du renseignement clairement identifiée et désigné des personnes en charge de la lutte antiterroriste aptes à recevoir l'information afin d'éviter toute perte en ligne sur le plan du renseignement ?
Au-delà, avez-vous sollicité des sanctions disciplinaires ou administratives à l'encontre de personnes ou d'agents qui pouvaient poser un problème dans la lutte et la détection de la radicalisation ?
. Quelques semaines après mon arrivée, j'ai formalisé des instructions à chacun des directeurs, notamment des services actifs. Ensuite, j'ai renouvelé assez fréquemment, tous les six ou neuf mois, ces instructions écrites afin d'adopter un système de remontée de signalements de comportements susceptibles de constituer des signaux faibles ou avérés d'atteinte au principe de laïcité, voire de radicalisation.
Ces instructions ont pris la forme de notes de service signées par le préfet de police lui-même et adressées à chacun des directeurs, leur demandant d'organiser ce circuit dans leur service. C'est au sein de chaque état-major qu'étaient centralisées les remontées émanant de chacune des directions, notamment des directions actives, les plus au contact avec la population. C'est d'autant plus vrai à la préfecture de police que, pour l'essentiel, nos jeunes recrues sortent tout juste des écoles de police. Ce ne sont pas des personnes qui ont poursuivi une carrière longue, ce qui permettrait de les évaluer sur la durée (ce n'est d'ailleurs pas le cas de la personne qui a commis ces assassinats). Généralement, ils sont entrés à la préfecture de police à leur sortie d'école, souvent faute de pouvoir aller en province. Voilà pour le premier point : un système organisé de remontées, qui a été structuré et qui donnait lieu à des remontées assez fréquentes.
Je me souviens de signalements légers, de signaux faibles, de comportements un peu curieux d'agents de police, par exemple de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) qui gère l'ensemble des commissariats. Les agents y sont nombreux et on y trouve donc des comportements qui ne relèvent pas nécessairement de la radicalisation. Ils étaient signalés à l'état-major qui procédait alors à une analyse et à des enquêtes ; tous les cas avérés remontaient ensuite au cabinet du préfet de police.
Je ne dispose pas des chiffres mais j'ai vu qu'un tableau avait été établi sur la période, lequel recense une dizaine de cas avérés, c'est-à-dire des cas qui ont été remontés au niveau le plus élevé, celui du préfet de police et de son directeur de cabinet. Tous ont donné lieu à des mesures disciplinaires, à des mesures immédiates, s'il y avait lieu, à des retraits de port d'arme et autres mesures de ce type. En tout cas, tous ont fait l'objet d'une instruction administrative selon la procédure en vigueur à l'époque, les dispositions permettant à l'autorité hiérarchique de procéder directement à une sanction immédiate n'existant pas encore.
Ce système reposait parallèlement sur un travail continu de sensibilisation de chaque policier de la préfecture de police et un travail de formation destiné à identifier un certain nombre de comportements, en extérieur, mais aussi chez leurs collègues. Il convenait qu'ils acquièrent des réflexes afin de faciliter cette détection. S'ajoutait, bien entendu, l'obligation du signalement à la hiérarchie de proximité, celle de la direction concernée.
Ce travail me semble avoir été effectué très sérieusement. Il reposait sur un dispositif organisé de remontée au sein de chaque direction des éléments identifiés et une remontée systématique des éléments constituant des marques de radicalisation auprès de la hiérarchie, c'est-à-dire du préfet de police, puis de la direction des ressources humaines (DRH) qui en était saisie. Cela a représenté une dizaine de cas sur la période de moins de deux ans qui me concerne directement. Dans ce contexte, l'inspection générale de la police nationale était saisie et menait de son côté une enquête. Par ailleurs, il était possible de prendre des mesures de vérification, de criblage des fichiers mais aussi de surveillance afin de vérifier et de nourrir le dossier avant de le faire remonter. Le dispositif n'a pas été suffisamment efficace, cela va sans dire – et c'est bien malheureux – dans l'affaire que nous déplorons, mais le dispositif était en place, structuré, et faisait régulièrement l'objet de rappels. Quand on regarde dans le temps, on constate qu'il y a eu une progression continue du nombre des dossiers signalés. Notamment après l'attentat du Bataclan, je garde le souvenir de remontées bien plus nombreuses de signalements. Nous avons assisté à une prise de conscience dans les commissariats. Les agents ont compris que des comportements qui pouvaient être perçus dans le quotidien comme des erreurs vénielles méritaient d'être suivis avec beaucoup de soin. Nous avons constaté une mobilisation réelle autour de cette politique de surveillance et de détection. Bien évidemment, des mesures ont été prises dans les différents cas : changements de poste, non-titularisations, fins de stage.
. Vous avez parlé de marques de radicalisation ; les avez-vous nommées ou précisées aux agents ? À l'instar du préfet Lallement, avez-vous précisé par une note en quoi consistaient les marques de radicalisation ?
. Nous avons rappelé, de manière générale, qu'il fallait être attentifs aux changements de comportement, aux actes de violence dans la vie familiale ou amicale, aux difficultés relationnelles avec les femmes, à l'isolement dans une équipe. Par ailleurs, des formations ont été dispensées pour précisément identifier les facteurs de risque, les signaux potentiels faibles ou élevés. Cela s'est fait dès le départ, en organisant une formation qui a été diffusée progressivement dès 2016 et que la DRPP a menée dans tous les commissariats.
Je serai bref car la question a été largement abordée. Je reviendrai sur la lettre de mission intitulée « Professionnalisation du renseignement de la préfecture de police », car nous avons établi des comparaisons et avons eu connaissance d'éléments accablants. On a parlé d'ambiance familiale et même de cooptation familiale.
Je poserai une brève question subsidiaire. Vous avez dit que vous étiez préfet de la région PACA lors d'un événement relatif à une raffinerie. S'agit-il de l'incendie d'une cuve dont on n'a pas encore établi s'il s'agissait d'un accident ou d'un acte intentionnel ?
. Permettez-moi de dire que la professionnalisation de chaque service est une exigence qui doit animer tout préfet et tout responsable d'une entité. C'est en ce sens que je me suis exprimé. Cela ne signifiait pas que le système précédent ou le système dont cette lettre de mission visait à assurer la suite n'était pas professionnalisé. On se professionnalise en fonction d'un contexte. Le contexte s'étant transformé, il était normal que des adaptations soient apportées à une époque qui n'était plus tout à fait la même. Je ne connais pas le détail de cette lettre, puisque je ne l'ai pas signée moi-même ; elle l'a été par mon successeur, quelques semaines ou quelques mois après sa prise de poste.
. Les précédentes auditions de la commission ont donné à certains d'entre nous le sentiment que la préfecture de police se sentait immunisée contre le risque d'entrisme ou de recrutement d'agents déjà en poste par des organisations terroristes. Or le nombre de fondamentalistes islamistes augmentant chaque année et presque chaque mois, le risque d'entrisme ou de recrutement direct, qui semble être le cas de Mickaël Harpon, à moins que l'enquête judiciaire ne démontre le contraire, est de plus en plus grand. C'est le cas au sein de la police, de la préfecture de police et de structures susceptibles de véhiculer un très grave danger terroriste, comme la RATP, la SNCF, voire d'autres. Estimez-vous les procédures aujourd'hui mises en œuvre – qui nous apparaissent assez proches de l'amateurisme –, suffisamment rigoureuses et sérieuses face à l'aggravation du risque d'entrisme ou de recrutement dans des secteurs extrêmement sensibles ?
Un de nos collègues vous disait que l'on avait le sentiment d'une ambiance familiale, si bien qu'on aurait pu vouloir traiter un cas d'apologie du terrorisme impliquant un agent chargé de l'entretien du matériel informatique, lié non seulement au renseignement de la préfecture de police mais aussi à une lutte plus vaste contre le fondamentalisme islamique, sans dépasser la hiérarchie immédiate sur le mode : « on va régler cela entre nous ». Considérez-vous les procédures suffisantes aujourd'hui? Une institution extérieure ne devrait-elle pas être chargée de la surveillance, de la vérification et du criblage des risques potentiels de radicalisation, sachant que, dans toute structure humaine, il est difficile de compter sur l'un ou sur l'autre pour faire le signalement d'un collègue, de peur de dénoncer quelqu'un ou des agissements qui ne se révéleraient pas coupables ? Le sentiment d'appartenance à un espace privilégié, un entre-soi où on ne se dénonce pas les uns les autres, semble être particulièrement fort à la préfecture de police. Selon vous, quelle forme cette structure extérieure devrait-elle prendre et qui devrait en être chargé ?
. Aucune structure, au fonctionnement aussi optimal soit-il, n'est totalement immunisée. Nous ne sommes jamais à l'abri d'un risque ou d'une faute, même si je crois pouvoir affirmer, pour la période que je connais et dont j'assume la pleine responsabilité, que le risque que vous qualifiez d'entrisme et d'apparition de situations au sein même de l'institution avait été pris en compte. Il avait donné lieu à des instructions claires et à un système de remontées organisé, à des prises de responsabilité dans les états-majors de chacune des directions, puis au niveau adéquat de prise de décision. Ce dispositif était évalué par un organisme extérieur, l'inspection générale de la police nationale, qui traitait les dossiers signalés – j'y reviendrai en réponse à votre deuxième question. Enfin, il conduisait à des sanctions, qui ont été prises dans chacun des cas. Je considère que ce dispositif avait été sérieusement mis en place et fonctionnait correctement. Malheureusement, et nous l'avons vu, cela n'offre pas une garantie à 100 %.
Pourrait-on trouver des modalités qui apportent une sécurité supplémentaire ? Il s'agit de la préfecture de police, mais on pourrait fournir des chiffres pour d'autres grandes directions du ministère de l'Intérieur. Ceux qui sont chargés de la police sont très nombreux, puisque, par définition, répartis sur le territoire ; et comme le risque, vous le relevez vous-même, est de plus en plus multiforme, ceux qui traitent ces informations sont en assez grand nombre. Il faut donc des dispositifs fondés sur l'éducation des fonctionnaires et une bonne formation au départ – ce n'était pas le cas de Mickaël Harpon qui était présent depuis longtemps –, donc sur la capacité à détecter des comportements déviants de personnes présentes depuis un certain temps ou nouvellement entrées et à déterminer rapidement si elles ne répondent pas à l'éthique du métier de police, aux exigences très particulières du renseignement et à ses contraintes juridiques. Les procédures de détection doivent partir de l'environnement de proximité, d'un système de remontées hiérarchiques contrôlées par la hiérarchie, en interne.
Faut-il prévoir, en dehors du service lui-même, une forme de contrôle extérieur, une sorte d'audit pour réaliser de temps à autre des vérifications, voire, dans un environnement très sensible, ouvrir des armoires en cas de signalement ? Je ne le sais pas. Il est possible qu'à un moment donné, on juge utile, dans tel service sensible, d'aller un peu plus loin. Vous le savez, prévalait, à la DRPP, une obligation d'habilitation au secret défense impliquant des enquêtes extérieures assez poussées conduites par d'autres directions, selon le domicile des personnes. En outre, il existait une sorte de jury d'entrée. On n'accédait pas uniquement sur concours d'entrée dans la police, il fallait être admis dans cette direction particulière. Le biais que vous craignez n'était pas exclu, mais c'était aussi un moyen d'obtenir des garanties par un questionnement plus précis et un entretien. Parler avec des personnes dans le cadre d'une audition permet d'aller plus loin, ce qui était le cas.
Enfin, je le répète, l'IGPN jouait un rôle et de conseil et de formation. Tous les dossiers lui étaient transmis. Faut-il envisager qu'une petite structure interne à la préfecture de police procède de temps en temps à des vérifications, à l'instar de l'inspection des finances qui vérifie parfois certaines pratiques dans les institutions chargées de gérer des fonds publics ? Je n'ai pas d'opinion personnelle sur ce point. Je n'en ressentais pas le besoin quand j'étais en place – mais je n'avais pas connu cette crise dramatique – car je sentais les équipes très mobilisées par la prévention de la radicalisation. C'était leur vie. Ils y croyaient. À mes yeux, ils ne pouvaient pas laisser passer des faits qu'ils auraient identifiés. En ce sens, ce drame est particulièrement douloureux pour toutes les équipes.
. Au regard de votre expérience et des derniers événements, estimez-vous pertinent de maintenir, d'un côté, la DGSI et, de l'autre, la DRPP ? Ne pensez-vous pas que ces deux entités devraient fusionner ?
. Je ne l'ai jamais pensé et je ne le pense toujours pas. Dans une agglomération parisienne comptant 7 à 8 millions d'habitants, dont certains territoires connaissent une situation très difficile nécessitant une reconquête républicaine, zone qui comporte les grands aéroports, principales portes d'entrée du pays, qui accueille toutes les grandes institutions nationales, internationales et diplomatiques, le modèle de la préfecture de police, quand il fonctionne bien – et c'est le rôle des préfets et des ministres d'y veiller – me semble efficace en matière de lutte contre la radicalisation et de renseignement, dès lors qu'il est bien articulé avec les directions centrales.
La population avec laquelle nous travaillons présente aujourd'hui des risques de radicalisation, pour reprendre le terme employé depuis le début de l'audition, sous des formes très diverses mais à des fréquences élevées. Des signaux faibles ne peuvent donc être recensés que par le système territorial des commissariats et identifiés dans les territoires au moyen d'une relation de proximité qui est celle de la police de sécurité publique et du renseignement territorial. Elle voit un certain nombre de choses, identifie ce qui se passe. C'est le cas si les systèmes d'une entité comme la préfecture de police sont bien reliés entre les directions opérationnelles, le judiciaire et le renseignement, bien articulés autour de chacune des directions centrales correspondantes, d'où l'esprit de la lettre de mission pour Mme Bilancini. Avec les quatre départements de la grande couronne qui ne sont pas dans la police d'agglomération, il n'y a pas de frontière étanche. C'est l'occasion de revenir sur la question du Val-d'Oise où l'information doit remonter du renseignement territorial, placé dans le département sous l'autorité de son préfet, au service central du renseignement territorial. Si l'information relève de l'autorité judiciaire ou si un renseignement le justifie, le service central le signale à la DGSI et, si la préfecture de police est concernée, alerte le préfet de police.
Le schéma de la grande couronne et de son articulation avec Paris et la petite couronne est un peu compliqué, mais cela n'est pas propre à l'agglomération parisienne, cela concerne l'ensemble de la France. On ne peut pas tout faire au niveau central. Des risques relèvent du « haut du spectre », d'autres du spectre normal, dont la détection doit être assurée à partir des territoires. En ce sens, s'agissant des objectifs d'une lettre de mission, les outils de détection et les habilitations judiciaires sont différenciés. Il est légitime que cette répartition soit bien structurée, dans la mesure où elle ne porte pas sur quelques dossiers mais sur un nombre très élevé de dossiers, compte tenu de l'accroissement du nombre de personnes figurant dans un fichier.
Ce modèle est toujours perfectible. Il ne doit pas se refermer sur un entre-soi. Je partage entièrement l'analyse selon laquelle il doit être ouvert à la mobilité des cadres entre les centrales et avec la préfecture de police. Le système doit être entièrement relié aux administrations centrales. Il doit être placé sous la seule autorité judiciaire ou administrative contrôlée par les deux ministres, mais il doit pleinement fonctionner de manière transversale dans un système géré sous la responsabilité de chacun des directeurs opérationnels et être coordonné par le préfet de police et son cabinet.
. Ma première question porte sur les éventuels dysfonctionnements au sein de la préfecture. Avant de la développer, dites-moi si, selon vous, il y a eu, oui ou non, dysfonctionnement ?
. Il y a eu, en tout cas, un drame qui ne doit évidemment pas être considéré comme résultant d'un fonctionnement normal.
. Il y a deux semaines, Bernard Boucault et Michel Delpuech ont défendu la DRPP, ce que vous faites aussi très normalement. Ils ont parlé d'« un service sans dysfonctionnement ». Or Mickaël Harpon s'est réjoui de l'attentat contre Charlie Hebdo. Si Mme Françoise Bilancini, patronne du renseignement à la préfecture de police de Paris, que nous avons auditionnée à huis clos, nous a dit que ces faits avaient été signalés, il semblerait, aux dires de l'actuel préfet, M. Lallement, qu'aucune note claire, écrite, ne soit remontée. Cela me semble déjà être un dysfonctionnement, sans même parler de son habilitation secret défense.
. Le mot « dysfonctionnement » est ambigu. C'est le dysfonctionnement soit d'un service, soit de quelques personnes. On ne peut pas dire, pour autant, que la DRPP a dysfonctionné. Sinon, on pourrait dire que la préfecture de police tout entière a dysfonctionné, que le ministère de l'Intérieur a dysfonctionné et que l'État a dysfonctionné. Soit ! Ce peut être un discours politique. Mais du point de vue humain et administratif, s'agissant d'enjeux aussi lourds, c'est d'abord une question de proximité. On doit à la vérité de le dire. Vous savez tous que c'est à ce niveau que l'on peut opérer des détections, dans la famille, dans le voisinage, en observant l'attitude de la personne que l'on croise dans la rue ou qui ne salue plus. En ce cas, le service, la section étaient en cause. Les collègues de Mickaël Harpon ont-ils fait remonter l'information à leur hiérarchie ? Je ne sais pas s'ils ont procédé à un signalement écrit, mais je peux vous affirmer qu'à mon arrivée en juillet, je n'en ai jamais eu connaissance et que si je l'avais su, je m'en serais occupé.
. Manifestement, les protocoles et les procédures ont changé. Qu'après un fait aussi grave commis postérieurement à l'attentat contre Charlie Hebdo, un fonctionnaire de police continue à travailler sans qu'une note écrite ne remonte, c'est pour moi et pour nous un dysfonctionnement majeur.
. De la part de l'agent qui n'a pas transmis l'information à sa hiérarchie ?
. Oui bien sûr, mais si des personnes ne respectent pas le feu rouge, cela ne veut pas dire que le système des feux rouges est mauvais.
. Pour motiver mon inquiétude, j'évoquerai la procédure des suspensions et des auditions de profils radicalisés. De 2012 à aujourd'hui, 66 signalements pour radicalisation ont été relevés à la préfecture de police et entre l'affaire et aujourd'hui, nous avons appris tout à l'heure qu'il y en avait eu 36. Sur 66, on en compte 36 en un mois et demi et 30 en l'espace de sept ans ! N'y a-t-il pas, là aussi, un dysfonctionnement majeur, sauf à penser qu'en un mois et demi, 36 fonctionnaires se seraient soudainement radicalisés ?
. Je vous répondrai très précisément, en dépit de l'inconvénient de ne pas disposer des documents qui me permettraient, dans un souci de transparence envers votre commission, de citer des chiffres plus précis.
Tout dépend de ce qu'on appelle « signalement ». Pendant que j'étais en fonction, une dizaine de signalements avérés ont été relevés, qui ont donné lieu à des suites. Les trente ou quarante depuis le 5 octobre que vous évoquez ont-ils tous fait l'objet d'une décision ou d'une sanction et d'une remontée au niveau du préfet de police lui-même ? Je l'ignore. Quant aux remontées d'information au niveau des hiérarchies, elles ont été bien supérieures à dix. Je n'ai pas les documents. J'ai demandé à mon directeur de cabinet s'il en avait conservé. Il a retrouvé une note du 9 décembre 2015 relative au recensement des comportements de transgression du principe de laïcité par les effectifs de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), qui en liste une quarantaine qui ont tous fait l'objet d'un examen. Ce n'est pas parce que quelqu'un demande à ses collègues d'être prénommé Adam que l'on peut considérer qu'il présente un risque de radicalisation et de dangerosité justifiant son licenciement ou le retrait de l'autorisation de port d'arme. Des personnes changent de prénom, certains comportements évoluent et appellent à la vigilance. Ce travail fin est conduit dans chaque service. Je pourrais citer des dizaines d'exemples, parce que notre société est ainsi faite : les gens changent, se laissent pousser la barbe, s'habillent autrement. L'important est d'assurer une vigilance de proximité afin que chaque cas qui le justifie soit signalé, ce qui, évidemment, aurait dû être fait au niveau de la section, de l'équipe, au vu de l'évolution psychologique sans doute compliquée de Mickaël Harpon, qui était tout de même là depuis quinze ou vingt ans.
. Vous avez dit que les fonctionnaires sortant des écoles allaient à la préfecture de police faute d'aller ailleurs. Dois-je comprendre que l'affectation à la préfecture de police serait la moins demandée par les jeunes policiers ?
. J'ai simplement voulu dire qu'une personne originaire de Toulouse ou de Morlaix préfère être nommée en Occitanie ou en Bretagne. Dès lors, ceux qui viennent à Paris, où les logements sont chers, les transports fatigants et le métier plus exigeant, sont les plus jeunes qui, n'ayant pas pourvu les postes ouverts dans les différents départements, passent le concours à Paris pour entrer quand même dans la police. Ils y restent sept ou huit ans avant d'être mutés ailleurs. Nous le vivons actuellement en Île-de-France pour tous les postes de la fonction publique. À la préfecture de région, on enregistre un taux de rotation des agents de dix-huit mois. Le foncier coûte une fortune et un jeune fonctionnaire ne peut pas se loger à moins d'accepter de faire deux heures de trajet le matin et deux heures de trajet le soir, dans un RER qui fonctionne à un taux de régularité de 90 %.
. Le directeur de cabinet de l'actuel préfet nous a indiqué qu'à sa connaissance, il n'y avait eu aucune instruction écrite interne à la préfecture de police, si ce n'est une note de la DGPN datant d'octobre 2015, sur la prévention de la radicalisation. Vous venez, au contraire, d'évoquer une note du 9 décembre 2015. Par conséquent, vous confirmez qu'il y avait bien une instruction écrite. Pourrions-nous, pour les besoins de nos travaux, en avoir communication ?
. Vous pouvez avoir communication, si vous le demandez, de toutes les notes produites. Je ne dispose que de la note que mon directeur de cabinet, qui a changé de fonctions depuis, avait emportée ou a fait photocopier et m'a transmise. J'ai ici cette note que j'avais signée le 29 septembre 2016, mais il y en a eu d'autres, rappelant les règles à tous les directeurs de la préfecture le police et demandant la transmission de tous les éléments d'information portés à leur connaissance à la cellule compétente de la direction du renseignement, par l'intermédiaire de leurs états-majors. Nous l'avons fait très souvent. Par ailleurs, nous avons mis en place des formations dès 2016, immédiatement après les attentats, d'abord en interne, pour nos propres agents, puis pour former les policiers sur le terrain, dans les commissariats, ainsi que d'autres fonctionnaires extérieurs, ceux qui reçoivent du public, afin qu'ils sachent comment se comporter dans certaines situations. C'était vraiment une préoccupation interne et externe qui prenait aussi en compte, et dans l'urgence de la nécessité, l'exogène. Notre priorité et notre obsession étaient d'éviter autant que possible le renouvellement d'attentats organisés comme ceux que nous avions connus le 13 novembre.
. Je vous poserai une question en toute humilité, compte tenu de ce que nous avons vécu ensemble. Vous avez indiqué à une de mes collègues en quoi il était intéressant pour un préfet de police d'avoir un service de renseignement « à lui » ou à la préfecture de police. À l'inverse, en quoi un service national travaillant en local, une antenne de la DGSI ou du service central du renseignement territorial (SCRT), serait-il handicapant ? Ne peut-on prévoir un tel schéma, qui nous semble, à nous, représentants de la nation, mais je pense aussi à tous les préfets appelés à représenter l'État partout en France, constituer de moindres coûts humains et financiers. Surtout, cela nous semble intéressant pour lutter contre la perte d'informations générée par la multiplication des canaux. C'est de cela qu'il est question avec le rassemblement de ces services importants, en particulier à la préfecture de police.
. Je vous remercie pour la clarté de votre question. Ce modèle est imaginable mais je ne crois pas, au travers de mon expérience de préfet de police, qu'il serait plus efficace. Il suppose le regroupement du service central du renseignement territorial, de la DGSI, de la DGPN, des sources d'information et de renseignement de la gendarmerie nationale, de la direction centrale de la police judiciaire dans un même service de renseignement. Cela ferait remonter la totalité des informations, les signaux faibles comme les signaux lourds présentant un risque élevé et justifiant une confidentialité et un suivi plus importants vers un même centre de renseignement. En France, nous considérons parfois l'unité comme un gage d'efficacité, mais la vérité oblige à constater que pour coordonner ces différentes sources de renseignement au niveau central, les ministres, en particulier dès 2015, ont été amenés à créer des structures, comme la coordination nationale du renseignement, avec un préfet nommé à sa tête, en plus d'une autre qui existait antérieurement. Une réunion hebdomadaire présidée par le ministre est destinée à faire remonter les informations de toutes ces directions sur les dossiers les plus sensibles, ce qui était très utile et très bienvenu. Ce travail est réalisé, dans une zone à très forts enjeux sécuritaires, au sein de la préfecture de police, sous le contrôle d'un préfet de police, de son cabinet et des directeurs dans un système intégré à l'intérieur duquel la communication horizontale est facilitée.
Le risque de créer un esprit maison, évoqué par l'un de vos collègues, est indéniable. Il faut donc y parer par le choix des recrutements, la formation et une mobilité régulière, qui est d'ailleurs souhaitée par les agents eux-mêmes, qui n'ont aucune envie de faire toute leur carrière à la préfecture de police, s'ils peuvent effectuer des alternances ailleurs. Encore faut-il offrir des postes de nature à rendre le déroulement de carrière utile et attractif. Mais cette mise en commun est, à mon sens, un système optimal, compte tenu de l'importance du territoire et de sa particularité, sous réserve de la garantie et du contrôle d'un réel partage interne à la préfecture de police entre les différentes directions territoriales chargées du renseignement et de la police judiciaire et les niveaux centraux, qui doivent recevoir la totalité des informations. En outre, des règles claires de partage des dossiers doivent être établies, entre ceux relevant du niveau central et ceux qu'il délègue puisque, vous le savez, la DRPP n'est pas du tout indépendante. Elle ne l'était pas en 2015, elle ne l'était pas avant non plus, mais elle s'inscrivait dans un schéma de partage hebdomadaire des dossiers lors de réunions à la DGSI, lesquelles ont été densifiées. Il y avait aussi des réunions à la préfecture de police, autour du préfet de police, chaque semaine.
Le schéma que vous suggérez est possible mais je ne suis pas persuadé qu'il serait le mieux adapté à une agglomération dense, à l'urbanisation continue, constituant un bassin unique de vie, de logement et d'emploi. Les personnes ne peuvent pas être traitées à l'échelle du seul département, parce que, vous l'avez relevé, il faut obtenir des renseignements aussi bien sur les lieux de logement ou de travail que de culte, de sport ou autres… Les renseignements émanant des bailleurs sociaux et d'autres acteurs territoriaux méritent d'être mis en commun, puis triés pour faire remonter vers la DGSI les cas relevant réellement d'une action lourde et pour confier à la DRPP ce qui relève d'une action pilotée en bonne harmonie, traiter enfin sur le plan territorial ce qui constitue des signaux plus faibles et demande une surveillance continue et régulière. À cet égard, je précise que nous avons organisé, dès après les attentats du Bataclan, une réunion tous les quinze jours avec l'ensemble des services, y compris la DGSI et le parquet, afin d'examiner tous les cas signalés et recensés dans les quatre départements de Paris et de la petite couronne. Ce travail de coordination du renseignement avec la DRPP, la DGSI, le SCRT était fait auparavant, mais son suivi est désormais plus efficace car plus proche de la réalité complexe du phénomène de radicalisation qui n'est pas uniforme.
. Merci infiniment pour les explications que vous nous apportez sur le sujet central de la réorganisation éventuelle des services de police, en particulier des services de renseignement. Moins experte que vous en la matière, je garde toutefois le souvenir du service judiciaire et du contexte historique dans lequel la préfecture de police de Paris a été créée. Je pense qu'une telle réorganisation ne serait peut-être pas plus performante, mais qu'elle ne le serait certainement pas moins, parce qu'une unité de commandement est intéressante en termes de responsabilité. J'entends bien l'argument de la proximité, mais s'agissant de Paris et des départements limitrophes, cette proximité est particulière. On travaille à Paris mais on n'y dort pas forcément et inversement. On peut imaginer une déclinaison régionale répondant au besoin de proximité sans nuire au commandement ou à la communication. On peut imaginer les mêmes réunions que celles que vous évoquiez à un niveau régional présentant une unité de structure. Magistrate, j'ai un peu souffert de la complexité de la préfecture de police de Paris dont il était difficile de comprendre ne serait-ce que l'organigramme. Or la saisine d'un service compte beaucoup dans la résolution d'une enquête. C'est pourquoi, s'agissant du renseignement, l'unité de commandement me paraît de nature à éviter la confusion des genres. Mais ce n'est là qu'une observation.
. C'est plus qu'une observation. Vous n'avez pas tort de nous inviter à nous interroger sur la pertinence du modèle à l'échelle territoriale. Je pense que ce modèle d'organisation est pertinent. Il a été positionné sur une agglomération dense et continue, qui dépasse les quatre départements de Paris et de la petite couronne. Une unité de commandement coordonnée s'impose et il convient de s'interroger sur les zones où un important déploiement a été réalisé ces dernières années. Dans ces zones qui se sont urbanisées en deuxième couronne, nous avons connu quelques cas d'attaques contre des policiers, par exemple, à Magnanville. La question se posera sans doute un jour, mais le modèle doit d'abord être bien relié au niveau central et non être centralisé en étant dirigé par l'administration centrale, à moins de fusionner toutes les directions, ce qui ne serait pas raisonnable.
Ensuite, nous avons commencé à le faire en élargissant le périmètre aux aéroports, qui constituent une source non négligeable de risques potentiels. Enfin, nous avons coordonné la transmission des informations par les collègues des départements de la grande couronne au moyen de systèmes intégrés et de réunions assez régulières qui pourraient être formalisées plus fortement. Mais nous n'en sommes pas au point d'intégrer une structure nouvelle, qui serait en quelque sorte une préfecture de police à l'échelle régionale. Il faut bien une échelle de travail pertinente pour un territoire de 12 millions d'habitants, avec des milliers de personnes suivies, soit dix fois plus que dans n'importe quelle autre région, ce qui rend l'extension peu raisonnable à court terme. Une sécurisation des règles de partage des informations et une surveillance de leur bon fonctionnement permettront davantage de faire encore progresser le système à l'échelle régionale.
La séance est levée à 17 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, Mme Marine Le Pen, Mme George Pau-Langevin, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - Mme Isabelle Florennes, M. David Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Michel Mis, M. Guy Teissier