. Quelques semaines après mon arrivée, j'ai formalisé des instructions à chacun des directeurs, notamment des services actifs. Ensuite, j'ai renouvelé assez fréquemment, tous les six ou neuf mois, ces instructions écrites afin d'adopter un système de remontée de signalements de comportements susceptibles de constituer des signaux faibles ou avérés d'atteinte au principe de laïcité, voire de radicalisation.
Ces instructions ont pris la forme de notes de service signées par le préfet de police lui-même et adressées à chacun des directeurs, leur demandant d'organiser ce circuit dans leur service. C'est au sein de chaque état-major qu'étaient centralisées les remontées émanant de chacune des directions, notamment des directions actives, les plus au contact avec la population. C'est d'autant plus vrai à la préfecture de police que, pour l'essentiel, nos jeunes recrues sortent tout juste des écoles de police. Ce ne sont pas des personnes qui ont poursuivi une carrière longue, ce qui permettrait de les évaluer sur la durée (ce n'est d'ailleurs pas le cas de la personne qui a commis ces assassinats). Généralement, ils sont entrés à la préfecture de police à leur sortie d'école, souvent faute de pouvoir aller en province. Voilà pour le premier point : un système organisé de remontées, qui a été structuré et qui donnait lieu à des remontées assez fréquentes.
Je me souviens de signalements légers, de signaux faibles, de comportements un peu curieux d'agents de police, par exemple de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) qui gère l'ensemble des commissariats. Les agents y sont nombreux et on y trouve donc des comportements qui ne relèvent pas nécessairement de la radicalisation. Ils étaient signalés à l'état-major qui procédait alors à une analyse et à des enquêtes ; tous les cas avérés remontaient ensuite au cabinet du préfet de police.
Je ne dispose pas des chiffres mais j'ai vu qu'un tableau avait été établi sur la période, lequel recense une dizaine de cas avérés, c'est-à-dire des cas qui ont été remontés au niveau le plus élevé, celui du préfet de police et de son directeur de cabinet. Tous ont donné lieu à des mesures disciplinaires, à des mesures immédiates, s'il y avait lieu, à des retraits de port d'arme et autres mesures de ce type. En tout cas, tous ont fait l'objet d'une instruction administrative selon la procédure en vigueur à l'époque, les dispositions permettant à l'autorité hiérarchique de procéder directement à une sanction immédiate n'existant pas encore.
Ce système reposait parallèlement sur un travail continu de sensibilisation de chaque policier de la préfecture de police et un travail de formation destiné à identifier un certain nombre de comportements, en extérieur, mais aussi chez leurs collègues. Il convenait qu'ils acquièrent des réflexes afin de faciliter cette détection. S'ajoutait, bien entendu, l'obligation du signalement à la hiérarchie de proximité, celle de la direction concernée.
Ce travail me semble avoir été effectué très sérieusement. Il reposait sur un dispositif organisé de remontée au sein de chaque direction des éléments identifiés et une remontée systématique des éléments constituant des marques de radicalisation auprès de la hiérarchie, c'est-à-dire du préfet de police, puis de la direction des ressources humaines (DRH) qui en était saisie. Cela a représenté une dizaine de cas sur la période de moins de deux ans qui me concerne directement. Dans ce contexte, l'inspection générale de la police nationale était saisie et menait de son côté une enquête. Par ailleurs, il était possible de prendre des mesures de vérification, de criblage des fichiers mais aussi de surveillance afin de vérifier et de nourrir le dossier avant de le faire remonter. Le dispositif n'a pas été suffisamment efficace, cela va sans dire – et c'est bien malheureux – dans l'affaire que nous déplorons, mais le dispositif était en place, structuré, et faisait régulièrement l'objet de rappels. Quand on regarde dans le temps, on constate qu'il y a eu une progression continue du nombre des dossiers signalés. Notamment après l'attentat du Bataclan, je garde le souvenir de remontées bien plus nombreuses de signalements. Nous avons assisté à une prise de conscience dans les commissariats. Les agents ont compris que des comportements qui pouvaient être perçus dans le quotidien comme des erreurs vénielles méritaient d'être suivis avec beaucoup de soin. Nous avons constaté une mobilisation réelle autour de cette politique de surveillance et de détection. Bien évidemment, des mesures ont été prises dans les différents cas : changements de poste, non-titularisations, fins de stage.