Intervention de Nicolas Lerner

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 15h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure :

Je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer devant vous, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, un peu plus de deux mois après le drame qui a touché la préfecture de police et, plus particulièrement, le service partenaire, le service frère de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) avec lequel, vous le savez, nos liens sont très étroits et confiants. C'est pour moi une occasion d'exprimer à nouveau l'émotion de l'ensemble des fonctionnaires de la DGSI.

Avant d'en venir à l'affaire qui vous a conduits à constituer cette commission d'enquête et aux enjeux sécuritaires qu'elle me semble soulever, un mot rapide sur la DGSI et ses missions. Je passe sur ses missions historiques – contre-espionnage, lutte contre les subversions violentes, protection du patrimoine économique, industriel et scientifique de la France – pour me concentrer sur la mission la plus exposée, qui me sollicite le plus, ainsi que l'ensemble des 4 200 membres du personnel de la direction, à savoir la lutte contre le terrorisme, en insistant sur deux grandes caractéristiques ou tendances qui ont marqué ces cinq dernières années, depuis les attentats que nous avons connus.

Tout d'abord, l'accroissement significatif des moyens budgétaires, humains et juridiques dont dispose la DGSI : plus de 1 100 agents ont été recrutés depuis 2014 et, dans le cadre du plan de renfort quinquennal proposé par le Gouvernement et validé par votre assemblée, plus de 1 260 recrutements supplémentaires viendront conforter la direction générale. Vous me permettrez, monsieur le président, d'exprimer ma gratitude à la représentation nationale pour nous accorder ainsi les moyens nous permettant, je le crois, d'être plus efficaces qu'il y a quelques années.

La DGSI est un service à vocation de renseignement administratif et de police judiciaire. Dans ces deux champs, le législateur nous a également dotés de nouvelles armes dans le cadre notamment de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (dite SILT). Je ne m'y attarderai pas mais les équipes de la DGSI en usent quotidiennement. Depuis 2013, l'ensemble des services de police et de renseignement a ainsi pu collectivement déjouer la préparation de soixante attentats, la DGSI en ayant déjoué cinquante-deux.

Ensuite, il convient de mentionner la refonte de l'organisation de l'ensemble des services de renseignement depuis 2015 et, surtout, depuis l'été 2018 de façon à ce qu'ils soient plus efficaces, plus cohérents, et à garantir la fluidité de l'échange de renseignements. À l'été 2018, la DGSI s'est ainsi vu reconnaitre le rôle de chef de file en matière de lutte antiterroriste, ce qui a emporté de nombreuses conséquences sur lesquelles je ne m'appesantirai pas. Vous avez tous en tête la manière dont les services se coordonnent sur le plan territorial, départemental, avec les fameux GED, les groupes d'évaluation départementaux. Le Président de la République a également souhaité que ce même type de dispositif de coordination et de partage soit reproduit à l'échelon central sous le pilotage de la DGSI.

Depuis l'été 2018, mon prédécesseur et moi-même avons ainsi animé un certain nombre d'instances – réunions de chefs de services, du comité de pilotage opérationnel rassemblant tous les quinze jours l'ensemble des services compétents – et, depuis le 1er janvier dernier, un état-major permanent, H 24, sept jours sur sept, a été installé à Levallois-Perret réunissant quant à lui les treize services de renseignement et de police judiciaire qui contribuent à la lutte antiterroriste avec une seule finalité : garantir un fonctionnement parfaitement fluide et un échange d'informations optimal.

Le rôle de chef de file de la DGSI permettant à cette dernière de bénéficier d'un droit d'évocation en renseignement, elle peut se saisir et s'attribuer un dossier. Aujourd'hui, elle assure le suivi d'un peu moins de 3 200 individus sur le territoire national. Nous avons coutume de les désigner comme étant en « haut du spectre » même si cette formule est un peu trompeuse ou imparfaite. Je n'en tire aucune gloriole mais cela correspond à la réalité. Les attentats commis, tentés ou qui ont échoué depuis 2015 sont le fait d'individus ou connus ou inconnus des services de renseignement. Dans le premier cas, tous l'étaient de la DGSI, ce qui signifie donc que malgré le caractère un peu imparfait de la distinction entre haut et bas de spectre, ces 3 200 individus constituent un noyau de personnes susceptibles d'être des menaces.

J'en viens à l'affaire qui nous préoccupe tous, en commençant par une série de précisions méthodologiques. Je terminerai en évoquant quelques grands problèmes qu'elle me semble soulever.

Sur le plan méthodologique, je vais essayer d'être le plus exhaustif possible, non sans avoir formulé trois réserves. La DGSI étant un service de police judiciaire co-saisi de cette affaire avec deux autres services de police judiciaire, vous comprendrez que je respecte le secret de l'instruction. En outre, l'ensemble des agents de la DGSI étant habilité au secret de la défense nationale, j'y suis bien entendu astreint. Enfin, même si c'est moins formel, un travail gouvernemental demandé par le Premier ministre est en cours, avec deux rapports de l'inspection des services de renseignement, de même qu'un travail demandé par le ministre de l'Intérieur dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure.

Ce que l'on appelle désormais l'affaire Harpon soulève trois enjeux.

Tout d'abord, le passage à l'acte terroriste – en l'état des investigations, le parquet national antiterroriste l'a en tout cas qualifié ainsi – est pour la première fois le fait d'un agent appartenant à un service de police et de renseignement. Un tel risque, au sein de professions sensibles, est parfaitement connu et documenté. Depuis au moins 2015, cela a entraîné comme vous le savez la mise en place d'un certain nombre de dispositifs particuliers pour les fonctionnaires de police, dont une cellule de suivi spécifique mais aussi un certain nombre d'évolutions législatives, notamment l'article L.114-1 du code de la sécurité intérieure, qui nous a permis de renforcer les contrôles sécuritaires, les criblages sur ce type de profils ou les professions à risque.

Le Gouvernement a par ailleurs souhaité l'instauration d'un service à compétence nationale, le SNEAS, le service national des enquêtes administratives de sécurité, dont la montée en puissance a été considérable ces dernières années et sans doute cela sera-t-il encore le cas à l'avenir. Vous savez également que, dans le cadre du suivi des services de renseignement, nous portons une attention particulière aux douze professions dites sensibles, au titre desquelles nous suivons tout de même près de 800 individus, ce qui est un nombre très important – au-delà des professions liées à l'exercice de la souveraineté, j'inclus le domaine des transports, qui forme les gros bataillons de ces 800 personnes.

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