La séance est ouverte à 15 heures 55.
Présidence de M. Éric Ciotti, président
Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure – que nous remercions très chaleureusement pour sa présence – accompagné de Mme Carine Henry, sa cheffe de cabinet, que nous remercions également. Cette audition se tient bien sûr à huis clos.
Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire, monsieur le directeur général, mais avant, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Nicolas Lerner et Mme Carine Henry prêtent serment.)
Je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer devant vous, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, un peu plus de deux mois après le drame qui a touché la préfecture de police et, plus particulièrement, le service partenaire, le service frère de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) avec lequel, vous le savez, nos liens sont très étroits et confiants. C'est pour moi une occasion d'exprimer à nouveau l'émotion de l'ensemble des fonctionnaires de la DGSI.
Avant d'en venir à l'affaire qui vous a conduits à constituer cette commission d'enquête et aux enjeux sécuritaires qu'elle me semble soulever, un mot rapide sur la DGSI et ses missions. Je passe sur ses missions historiques – contre-espionnage, lutte contre les subversions violentes, protection du patrimoine économique, industriel et scientifique de la France – pour me concentrer sur la mission la plus exposée, qui me sollicite le plus, ainsi que l'ensemble des 4 200 membres du personnel de la direction, à savoir la lutte contre le terrorisme, en insistant sur deux grandes caractéristiques ou tendances qui ont marqué ces cinq dernières années, depuis les attentats que nous avons connus.
Tout d'abord, l'accroissement significatif des moyens budgétaires, humains et juridiques dont dispose la DGSI : plus de 1 100 agents ont été recrutés depuis 2014 et, dans le cadre du plan de renfort quinquennal proposé par le Gouvernement et validé par votre assemblée, plus de 1 260 recrutements supplémentaires viendront conforter la direction générale. Vous me permettrez, monsieur le président, d'exprimer ma gratitude à la représentation nationale pour nous accorder ainsi les moyens nous permettant, je le crois, d'être plus efficaces qu'il y a quelques années.
La DGSI est un service à vocation de renseignement administratif et de police judiciaire. Dans ces deux champs, le législateur nous a également dotés de nouvelles armes dans le cadre notamment de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (dite SILT). Je ne m'y attarderai pas mais les équipes de la DGSI en usent quotidiennement. Depuis 2013, l'ensemble des services de police et de renseignement a ainsi pu collectivement déjouer la préparation de soixante attentats, la DGSI en ayant déjoué cinquante-deux.
Ensuite, il convient de mentionner la refonte de l'organisation de l'ensemble des services de renseignement depuis 2015 et, surtout, depuis l'été 2018 de façon à ce qu'ils soient plus efficaces, plus cohérents, et à garantir la fluidité de l'échange de renseignements. À l'été 2018, la DGSI s'est ainsi vu reconnaitre le rôle de chef de file en matière de lutte antiterroriste, ce qui a emporté de nombreuses conséquences sur lesquelles je ne m'appesantirai pas. Vous avez tous en tête la manière dont les services se coordonnent sur le plan territorial, départemental, avec les fameux GED, les groupes d'évaluation départementaux. Le Président de la République a également souhaité que ce même type de dispositif de coordination et de partage soit reproduit à l'échelon central sous le pilotage de la DGSI.
Depuis l'été 2018, mon prédécesseur et moi-même avons ainsi animé un certain nombre d'instances – réunions de chefs de services, du comité de pilotage opérationnel rassemblant tous les quinze jours l'ensemble des services compétents – et, depuis le 1er janvier dernier, un état-major permanent, H 24, sept jours sur sept, a été installé à Levallois-Perret réunissant quant à lui les treize services de renseignement et de police judiciaire qui contribuent à la lutte antiterroriste avec une seule finalité : garantir un fonctionnement parfaitement fluide et un échange d'informations optimal.
Le rôle de chef de file de la DGSI permettant à cette dernière de bénéficier d'un droit d'évocation en renseignement, elle peut se saisir et s'attribuer un dossier. Aujourd'hui, elle assure le suivi d'un peu moins de 3 200 individus sur le territoire national. Nous avons coutume de les désigner comme étant en « haut du spectre » même si cette formule est un peu trompeuse ou imparfaite. Je n'en tire aucune gloriole mais cela correspond à la réalité. Les attentats commis, tentés ou qui ont échoué depuis 2015 sont le fait d'individus ou connus ou inconnus des services de renseignement. Dans le premier cas, tous l'étaient de la DGSI, ce qui signifie donc que malgré le caractère un peu imparfait de la distinction entre haut et bas de spectre, ces 3 200 individus constituent un noyau de personnes susceptibles d'être des menaces.
J'en viens à l'affaire qui nous préoccupe tous, en commençant par une série de précisions méthodologiques. Je terminerai en évoquant quelques grands problèmes qu'elle me semble soulever.
Sur le plan méthodologique, je vais essayer d'être le plus exhaustif possible, non sans avoir formulé trois réserves. La DGSI étant un service de police judiciaire co-saisi de cette affaire avec deux autres services de police judiciaire, vous comprendrez que je respecte le secret de l'instruction. En outre, l'ensemble des agents de la DGSI étant habilité au secret de la défense nationale, j'y suis bien entendu astreint. Enfin, même si c'est moins formel, un travail gouvernemental demandé par le Premier ministre est en cours, avec deux rapports de l'inspection des services de renseignement, de même qu'un travail demandé par le ministre de l'Intérieur dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure.
Ce que l'on appelle désormais l'affaire Harpon soulève trois enjeux.
Tout d'abord, le passage à l'acte terroriste – en l'état des investigations, le parquet national antiterroriste l'a en tout cas qualifié ainsi – est pour la première fois le fait d'un agent appartenant à un service de police et de renseignement. Un tel risque, au sein de professions sensibles, est parfaitement connu et documenté. Depuis au moins 2015, cela a entraîné comme vous le savez la mise en place d'un certain nombre de dispositifs particuliers pour les fonctionnaires de police, dont une cellule de suivi spécifique mais aussi un certain nombre d'évolutions législatives, notamment l'article L.114-1 du code de la sécurité intérieure, qui nous a permis de renforcer les contrôles sécuritaires, les criblages sur ce type de profils ou les professions à risque.
Le Gouvernement a par ailleurs souhaité l'instauration d'un service à compétence nationale, le SNEAS, le service national des enquêtes administratives de sécurité, dont la montée en puissance a été considérable ces dernières années et sans doute cela sera-t-il encore le cas à l'avenir. Vous savez également que, dans le cadre du suivi des services de renseignement, nous portons une attention particulière aux douze professions dites sensibles, au titre desquelles nous suivons tout de même près de 800 individus, ce qui est un nombre très important – au-delà des professions liées à l'exercice de la souveraineté, j'inclus le domaine des transports, qui forme les gros bataillons de ces 800 personnes.
Nous pourrons vous la faire parvenir sans difficulté.
Tout à fait. Cela doit représenter, de mémoire, 400 ou 500 personnes.
Ces individus sont donc inscrits dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT ?
Absolument, lequel en compte 800.
Ce suivi a été significativement renforcé ces dernières années grâce à des procédures de recrutement, d'habilitation et de suivi. Le nouveau cadre législatif permet également de tirer les conséquences de l'évolution d'un agent exerçant une profession à risque ou une fonction de souveraineté.
En outre, je ne crois pas violer le secret de l'instruction ou de la défense nationale en partageant certains éléments concernant le parcours de Mickaël Harpon – ils ont d'ailleurs été repris par le procureur national antiterroriste. Au moins depuis 2015, différents signaux plus ou moins faibles ont été perçus par l'environnement professionnel immédiat de Mickaël Harpon. La procédure judiciaire, les rapports d'inspection fourniront des éléments d'explication pour comprendre pourquoi ceux-ci n'ont pas donné lieu à un signalement formel. J'ai une idée de ces éléments et je crois que deux, parmi eux, sont essentiels.
Tout d'abord, comme les rapports de l'inspection des services de renseignement le précisent, les signaux émis par Mickaël Harpon étaient en fait assez contradictoires. On retient l'évolution de son comportement à l'endroit des femmes, mais elle n'était pas systématique. On retient également un certain nombre de propos, en particulier après les attentats de 2015, qui auraient suffi à entraîner un signalement mais, à ce stade, le rapport montre qu'il condamnait aussi les attentats assez fermement. Je retiens, enfin, la volonté de son proche environnement professionnel de tenir compte de ses nombreuses vulnérabilités et de faire en sorte que ces différents signaux soient traités dans un cadre interne.
Au final, suite à ce drame funeste, j'ai une conviction personnelle forte : face à ce type de signaux ou à un seul d'entre eux, rien n'est pire que de ne rien faire. Je suis convaincu que ce n'est pas à l'entourage proche, aux collègues de travail, d'apprécier s'ils sont ou non susceptibles de caractériser une menace : c'est le travail des services spécialisés. En conséquence, nous devons en permanence accroître notre niveau de vigilance et faire en sorte que le moindre signal, notamment au sein d'un service de renseignement ou, de manière plus générale, dans un service dépositaire de la souveraineté, soit rapporté ce qui implique, comme nous l'avons fait en interne, à la DGSI, de réfléchir aux modalités de son expression. Le signalement doit être nécessairement discret car il est compréhensible qu'un collègue de travail n'ait pas envie d'en signaler un autre. De plus, le signalement ne doit pas porter préjudice à celui qui l'effectue.
Nous devons donc travailler discrètement. C'est notamment la mission de l'inspection générale de la sécurité intérieure de la DGSI – nous pourrons évoquer les signalements que nous avions reçus avant l'affaire Harpon, ceux que nous avons reçus depuis – qui doit développer une méthode de travail discrète, sans appeler l'attention des collègues ni du principal intéressé.
Enfin, une certaine maturité de nos structures impose qu'au terme d'une enquête sérieuse menée par un service de renseignement interne et alors qu'aucune menace particulière n'a été mise en évidence, nous soyons capables de considérer que le doute est levé et d'en tirer tous les enseignements en poursuivant une relation de travail normale avec l'individu qui a fait l'objet de ces signalements.
Nous avons encore des progrès à réaliser dans ces différents champs, des procédures doivent peut-être être encore revues mais je suis bien sûr à votre disposition pour préciser tel ou tel point.
Je vous remercie vivement, monsieur le directeur général, pour ces éléments très utiles.
Deux questions, l'une sur ce que vous avez appelé vous-même l'affaire Harpon et l'autre, plus générale, sur l'organisation, celles-ci étant en quelque sorte les deux piliers de notre commission d'enquête puisque nous souhaitons avoir un éclairage – qui peut faire l'objet d'une confrontation avec l'enquête judiciaire – et formuler des propositions, notamment sur les questions d'organisation, d'anticipation et de protection.
Je vous remercie donc de votre analyse sur l'affaire Harpon. Comme le ministre de l'Intérieur l'a dit, elle résulte d'une faille, d'une défaillance dans les signalements. Selon vous, est-elle individuelle ou structurelle et, d'une certaine façon, organisationnelle ?
De plus, pourriez-vous évoquer les procédures préalables aux habilitations au secret de la défense nationale dont vous avez la charge, en particulier pour la direction du renseignement de la préfecture de police ? Le degré d'exigence de cette dernière est-il comparable à celui de votre direction générale ?
En effet, le ministre de l'Intérieur a évoqué une faille et le secrétaire d'État un dysfonctionnement. Je ne me permets pas de reprendre à mon compte ces formules des autorités ministérielles mais pourquoi en est-on arrivé là ?
Il est absolument nécessaire que, dans le cadre de l'acculturation permanente – qui doit être aussi bien celle des agents des services de police –, nous puissions nous appuyer sur des procédures, des inspections générales propres à chaque structure dont le métier consiste précisément à évaluer la menace.
Je me demande si ces procédures, ces portes d'entrée, ces bons interlocuteurs étaient connus de l'ensemble des agents de la DRPP. Seul point de comparaison dont je dispose : la DGSI, où l'inspection générale propre à cette maison est clairement identifiée, a l'habitude d'être saisie et de travailler discrètement. Nous considérons à la DGSI qu'un signalement oral vaut signalement et nous n'attendons pas nécessairement un rapport écrit pour commencer des investigations. Nous disposons d'une série de canaux de saisine interne garantissant l'anonymat des personnels. Je ne connais pas suffisamment la DRPP pour savoir si l'ensemble de ses agents connait ces procédures mais je pose la question. Il est très important que l'ensemble des agents d'une structure ait en tête les circuits de signalement qui peuvent les amener à porter une information à la connaissance de l'instance d'inspection et que ces circuits, de plus, puissent garantir parfaitement l'anonymat du signalement. C'est donc le cas à la DGSI et je ne sais pas s'il en était de même à la DRPP mais il est très important qu'il en soit ainsi dans l'ensemble des structures et services de renseignement.
En matière d'instruction des dossiers d'habilitation, la DGSI dispose d'une double compétence.
Tout d'abord, l'inspection générale de la sécurité intérieure a pour mission de traiter des procédures d'habilitation de l'ensemble des agents de la DGSI. Une autre structure de la direction générale est quant à elle chargée de l'instruction des dossiers de l'ensemble des agents de l'État qui ont vocation à être habilités à un titre ou à un autre – secret, très secret ou confidentiel défense. Les sphères « agents de la DGSI » d'un côté, et « autres personnels civils », de l'autre, sont respectivement prises en compte par des structures différentes au sein de la DGSI. Une seule exception pour la sphère « autres personnels civils », à laquelle vous avez fait allusion : les agents fonctionnaires de la préfecture de police, en application d'un protocole que j'ai moi-même signé en février 2019, quelques mois après ma prise de fonction.
Au terme d'une réflexion qui avait commencé plusieurs mois avant, pourquoi l'ai-je fait ? C'est notre conviction, ma conviction – qui demeure –, selon quoi les modalités de traitement d'instructions de ces procédures d'habilitation par la DRPP pour le compte de ses personnels ou celui de la préfecture de police ont atteint un standard équivalent à celui de la DGSI. Cette conviction repose sur un travail qui a duré quasiment deux ans, postérieur à la nomination de Françoise Bilancini, dont vous savez qu'elle est issue de la DGSI où elle était sous-directrice chargée des moyens. Elle dispose donc d'une parfaite culture et connaissance de ses standards. Elle s'est astreinte à reproduire ces procédures, à renforcer la structure chargée des habilitations, à systématiser les entretiens préalables – ce n'était pas le cas alors que cela semble un minimum lors de l'habilitation d'un agent du renseignement, et c'est au regard de ces standards et de ces appréciations que j'ai été amené à signer ce protocole.
En l'occurrence, la question se pose de sa pérennité, de même que celle de cette organisation. L'une des questions posées à l'inspection des services de renseignement concernait précisément ce protocole mais peut-être est-il encore trop tôt pour tirer des enseignements formels ou vous annoncer une décision. Je suis en tout cas convaincu, à titre personnel, que nous devrons revenir sur ce protocole et c'est la proposition que je formulerai à l'autorité administrative. Je ne remets pas en cause la qualité du travail effectué par la préfecture de police mais pour des raisons juridiques et en raison de ce précédent, je suis convaincu qu'il faut le revoir et ré-internaliser le traitement de ces procédures au sein de la DGSI.
Pourriez-vous préciser les termes de ce protocole car nous en avons eu des versions un peu différentes, y compris lors de l'audition précédente ?
Datant de février 2019, il est donc très récent. Est-il prévu que la DGSI exerce un contrôle ou la DRPP dispose-t-elle d'une totale liberté, puisque nous parlons de l'habilitation de ses agents ?
L'habilitation en soi est prise par le haut fonctionnaire de défense du ministère. Nous parlons donc de l'avis préalable à l'habilitation
Exactement, cet avis étant instruit par la DRPP.
Le protocole acte ce que je viens d'évoquer, soit, la montée en puissance du service chargé des habilitations. Il prévoit que l'ensemble des agents chargé de ces dernières, à la DRPP, bénéficie d'une formation, d'une période d'immersion au sein du service des habilitations de la DGSI, ce qui était effectif pour l'ensemble des agents chargé de l'instruction de ces avis. Enfin, le protocole prévoit que l'ensemble des avis rendus par la DRPP soit communiqué mensuellement à la DGSI.
Nous n'avons pas à proprement parler un rôle de contrôle puisque notre conviction demeure que les standards de la DRPP sont les mêmes que les nôtres. J'ajoute que nous échangeons mensuellement entre équipes chargées des habilitations et je répète que l'ensemble des avis émis nous est communiqué.
Je m'attarde sur ce point mais il est très important car des améliorations devront être apportées.
Vous dites qu'il faudra revenir sur ce protocole et que la DGSI devra reprendre les procédures d'instruction préalables à l'habilitation. Or, vous considérez en même temps que les standards sont identiques. Le sont-ils donc absolument ? À titre personnel, je considère que l'auto-contrôle d'un service n'est peut-être pas la meilleure façon de faire preuve d'efficacité mais, hors l'affaire Harpon, pourquoi considérez-vous qu'il faudra revenir sur ce protocole – ce qui signifierait que la situation antérieure était préférable ?
Non. Antérieurement, la DRPP traitait les habilitations sans aucun cadre juridique – si tant est qu'un protocole en constitue un – mais ce dernier a visé, précisément, à encadrer, à renforcer les standards de la pratique antérieure. Ce n'est pas depuis le 2 février 2019 que la DRPP effectue ce type de traitement puisqu'elle suivait depuis plusieurs années le dossier Harpon. Le protocole est donc un progrès par rapport à la situation antérieure.
Je prône une harmonisation des procédures en raison de l'affaire Harpon, certes, mais surtout en raison de la fragilité juridique pointée par l'inspection des services de renseignement, dont l'analyse me paraît suffisamment solide pour être prise en compte.
Monsieur le préfet, ma question s'inscrit dans le prolongement de celles du président.
Pierre de Bousquet, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, semble avoir une appréciation de la situation un peu différente de la vôtre en jugeant que les contrôles d'habilitation n'étaient ou ne sont peut-être pas aussi drastiques à la DRPP qu'ils le sont à la DGSI ou à la DGSE – je reprends ses propres termes. Si je comprends bien, vous ne partagez pas son point de vue.
En outre, j'ai cru comprendre que vous plaidiez pour qu'un système équivalent à celui de la DGSI, soit une inspection indépendante, qui ne reçoit pas d'instruction de la direction, puisse a minima, de manière interne à la DRPP, contrôler les procédures d'habilitation.
Encore une fois, s'agissant du premier point, je maintiens mes propos. Si, au terme d'un travail de plusieurs mois commencé avant que je ne prenne mes fonctions, j'ai été amené à signer ce protocole en février 2019, c'est que j'avais la conviction, qui demeure, que le service chargé des habilitations à la DRPP a acquis un standard similaire à celui de la DGSI. Je maintiens ce point de vue.
Je ne plaide pas forcément en faveur de la création d'une inspection générale. La DRPP est un service rattaché à la police nationale, même s'il fait partie de la préfecture de police, et la police nationale dispose d'une inspection générale, avec une antenne parisienne. Il me semble important de s'assurer que l'activation de ces circuits de contrôle interne soit parfaitement intégrée par l'ensemble des agents.
J'insiste à nouveau sur un point qui me semble fondamental, y compris dans les affaires que traite la DGSI : les signalements doivent pouvoir s'effectuer par tout biais, signalement formel, oral, et dans l'anonymat.
Vous avez travaillé à la préfecture de police, monsieur le directeur. Ma question est donc simple : avez-vous connu Mickaël Harpon ?
En outre, il me semble que la DGSI dispose d'un outil permettant d'analyser le profil des personnes inscrites sur le FSPRT, de vérifier leur évolution – signaux faibles, etc. – à travers les réseaux sociaux et de les « hiter ». Pouvez-vous confirmer que vous travaillez, si vous me permettez l'expression, sur un tel « logiciel » ?
La réponse à votre première question est simple : à ma connaissance, je n'ai jamais rencontré Mickaël Harpon et je n'en avais jamais entendu parler avant la commission des faits.
La DGSI dispose de plusieurs outils pour traiter des données dites hétérogènes, soit de nature et de statut très différents. Certains facilitent nos recherches en sources ouvertes, si c'est à cela que vous faites référence, mais nous disposons aussi d'un outil que la presse présente parfois comme américain alors que ce n'est pas le cas – il est développé par la direction avec l'appui d'une société américaine particulièrement performante. Je vous confirme également que la DGSI, en tant que chef de file, est engagée pour faire émerger un outil souverain de traitement des données hétérogènes ayant vocation à bénéficier à l'ensemble de la communauté du renseignement, donc, potentiellement, aussi aux services du deuxième cercle, au renseignement territorial (RT) ou à la DRPP.
Palantir Technologies est la société américaine qui nous aide à développer un outil interne maison.
La société américaine Palantir Technologies, avec laquelle nous avons un marché, nous appuie et nous aide ; pour ce faire, elle est présente dans nos locaux. Elle nous aide à développer nos propres outils et à gérer nos données, qui sont hébergées dans des serveurs clos habilités confidentiel défense. Ce point est important car, vous le savez sans doute, nous avons une mission d'assistance auprès de la DRPP pour l'aider à développer un outil informatique qui soit également habilité confidentiel défense. Pour le dire plus clairement : nos équipes informatiques développent nos outils, avec l'appui extérieur d'une société américaine.
Votre propos liminaire était clair : vous avez parlé de failles, de dysfonctionnements, de procédures, d'anonymat – à plusieurs reprises – et d'entretiens préalables. Vous avez également parlé du « haut du spectre », soit 3 200 personnes suivies, et du « bas du spectre ». Nous avons évalué un peu plus tôt le nombre de fréristes et de salafistes à 100 000 environ en France. Ne pensez-vous pas qu'il est urgentissime de trouver un moyen d'élargir le spectre, même s'il est facile de dire « il faut, y'à qu'à » ? Vous l'avez dit précédemment, les personnes ayant commis des attentats étaient soit dans le spectre, soit en dehors, inconnus des services. Qu'est-ce que cela signifie ? Elles sont soit dans le spectre, soit en dehors : je n'ai pas très bien compris à quoi correspond la troisième possibilité. La question est de savoir comment faire pour augmenter la grandeur du spectre, puisque nous n'avons pas le choix : il y a forcément des failles. Je rappelle que nous comptons plus de 263 victimes de djihadistes en France.
Je partage très largement votre analyse et certains chiffres que vous avez rappelés, notamment s'agissant des fréristes et des salafistes, qui sont environ 100 000. Ce sont les ordres de grandeur dont nous disposons.
L'enjeu, au contraire, consiste peut-être à resserrer le spectre et à concentrer nos capteurs sur ceux qui, parmi ces 100 000 individus, sont susceptibles de passer à l'acte. Fort heureusement, même s'ils peuvent avoir une pratique rigoriste de nature à heurter à certains égards, tous ne sont pas susceptibles de le faire. L'enjeu des services de renseignements intérieurs est d'arriver à concentrer leur attention, parmi ces 100 000 individus et, ensuite, parmi les presque 10 000 inscrits au FSPRT, sur ceux dont on pense qu'ils risquent de passer à l'acte. Pour ce faire, nous conduisons depuis dix-huit mois, en lien avec les services partenaires, un travail sur les déterminants du passage à l'acte. Ce n'est pas simple, certains pays étrangers s'y sont essayés avant nous sans nécessairement trouver les bonnes clés. Ce travail a pour but d'aider les enquêteurs et les services à identifier les facteurs d'ordre psychologique liés au passé, au comportement ou au relationnel, susceptibles de déterminer les critères du passage à l'acte.
Face à une masse déjà très importante d'individus inscrits au FSPRT – 9 000 –, l'enjeu est d'arriver à nous concentrer sur ceux qui sont les plus susceptibles de passer à l'acte.
Vous avez évoqué un élément fondamental : la question du signalement oral. Les médias ont d'ailleurs souligné que Mickaël Harpon n'avait pas fait l'objet d'un signalement écrit. À la DGSI, le signalement oral et le signalement anonyme valent signalement n'est-ce pas ? Il conviendrait de généraliser cette pratique puisque, manifestement, elle n'existait pas à la DRPP, comme l'a confirmé la hiérarchie. Sur ce point, la différence est importante.
Après l'affaire Harpon, un certain nombre de signalements nous sont remontés, y compris au sein de la DGSI, ce qui est assez sain.
Ils se comptent sur les doigts d'une main.
La DGSI est héritière de la direction de la surveillance du territoire (DST) ; elle est particulièrement sensible et attachée à sa propre sécurité, avant même l'émergence des enjeux de radicalisation. La principale menace, pour la DGSI, est la pénétration par un service de renseignement adverse. C'est pourquoi, historiquement, nous avons bâti des procédures pour répondre et parer à ce type de risque, qui n'est pas théorique. Ainsi, le parquet de Paris vient de requérir le renvoi devant la cour d'assise militaire de deux agents de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) convaincus de trahison au profit d'une puissance étrangère ; les faits remontent à trois ans à peine. Ce risque demeure très important pour nous, en tant que service de renseignement. Cette culture et ces procédures aboutissent chaque année au retrait de dix à quinze habilitations ; ce processus est assez largement rôdé. Depuis 2015, nous avons été conduits à procéder au retrait de six habilitations dans un contexte de radicalisation réelle ou supposée ; ils ont fait suite à la mise au jour de relations qui nous semblaient incompatibles avec un maintien au sein du service.
(Sourires)
Les deux catégories sont concernées. Le retrait de l'habilitation se fonde sur la mise au jour d'une vulnérabilité qui nous semble incompatible avec le maintien en fonction, mais pas nécessairement sur la caractérisation de la dangerosité de l'individu. Néanmoins, il s'agit d'un risque qu'on ne souhaite pas courir.
Depuis l'affaire Harpon, quelques signalements nous ont été transmis. Pour répondre à votre question, un signalement anonyme sera bien sûr examiné. Je voulais surtout dire par là que nous garantissons l'anonymat d'un signalement.
Un fonctionnaire qui procède à un signalement voit son anonymat garanti, notamment vis-à-vis de ses collègues.
Je vous remercie pour vos propos très clairs. Je vais vous poser la question que j'adresse à tous les chefs de service de renseignement que nous auditionnons : si, au sein de votre service, vous apprenez qu'un agent se convertit, diligentez-vous une enquête au sujet de l'imam qu'il fréquente ?
Au sein de la DGSI, une conversion est un élément qui justifie qu'on s'intéresse à cet agent.
Nous n'avons pas reçu la même réponse de la part d'autres services. Nous voyons bien qu'il existe une différence de standard de sécurité qui nous paraît très importante et très appréciable.
J'insiste sur un point très important : il s'agit d'un élément qui justifie qu'on y porte une attention, mais cela ne signifie évidemment pas que toute personne qui se convertit n'a plus sa place à la DGSI. Je tiens à être extrêmement clair à ce sujet.
Un signal d'attention plus exactement.
Je complète ma question : un agent, ayant des difficultés personnelles, se convertit ; vous diligentez une enquête. Vous vous rendez compte qu'il fréquente une mosquée, matin et soir, en plus de la grande prière du vendredi, et notamment un imam salafiste signalé par les services du renseignement territorial. Que se passe-t-il alors ?
Il est difficile de répondre sur un cas d'école. Les moyens d'enquête ne se résument pas à des constats sur la fréquentation de tel ou tel lieu de culte. Ils sont beaucoup plus intrusifs et mobilisent l'ensemble de nos capteurs techniques : avec qui est-il en relation ? Que dit-il au téléphone ? Par ailleurs, les capteurs humains constituent la force du service que je dirige et sont absolument essentiels, en particulier dans un monde où les capteurs techniques s'amenuisent de mois en mois avec le développement d'outils de chiffrement – mais c'est un autre sujet.
Le simple fait de fréquenter une mosquée n'est pas nécessairement un élément suffisant pour fonder une décision ; un ensemble d'éléments, issus des capteurs humains et des capteurs techniques, entrera en ligne de compte.
Je vous remercie pour la clarté de vos réponses.
Il m'arrive souvent de visiter des prisons. Plusieurs centaines de détenus sortiront dans les mois et les années à venir, or, nous l'avons vu à Londres, le bracelet électronique n'est pas la panacée. Êtes-vous conscient de cette problématique et êtes-vous prêts à y faire face ? On parle beaucoup de détention administrative ; vos confrères du Shabak, le service de sécurité intérieure israélien, en sont friands. Nous avons beaucoup plus de réticences en France et j'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Par ailleurs, vous vous adressez aujourd'hui au législateur : vous manque-t-il des choses pour mieux travailler ? J'ai l'impression que tout sera chapeauté par votre service, ce qui n'est pas plus mal, à mon avis, pour la sécurité des Français.
Bien évidemment, nous sommes conscients de ce risque. Sur le plan de la menace endogène, c'est sans doute le risque le plus important, auquel nous avons commencé à être confrontés et auquel nous serons confrontés dans les années à venir. Vous connaissez les chiffres : un peu plus de 520 détenus condamnés ou mis en cause pour des faits de terrorisme, auxquels s'ajoutent 900 autres, incarcérés pour d'autres faits que des faits de terrorisme mais présentant des éléments laissant supposer une radicalisation. Ce sont donc au total 1 400 individus, ce qui est un nombre très important.
Ce problème commence à se poser car depuis le début de l'année, la DGSI a pris en compte 120 sorties de prison : un peu moins de soixante détenus dits TIS – terroristes islamistes –, condamnés ou mis en cause pour des faits de terrorisme, et un peu plus de soixante condamnés ou mis en cause pour des faits de droit commun, que nous avons souhaité prendre en compte directement.
La répartition de compétences est la suivante : tous les détenus sortants condamnés pour des faits de terrorisme sont suivis par la DGSI ; les détenus sortants condamnés pour des faits de droit commun sont suivis par un autre service, sauf évocation par la DGSI.
Oui, tous les TIS sortants sont par principe suivis par la DGSI. De plus, nous avons un droit d'évocation concernant les détenus de droit commun présentant des signes de radicalisation.
La question se pose déjà aujourd'hui mais cette commission n'est sans doute pas le lieu opportun pour évoquer tous les dispositifs existants, notamment le partenariat que nous avons noué avec le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), qui garantit une fluidité dans l'échange d'informations, ou encore le dispositif instauré à l'été 2018 sous l'égide de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) – celle-ci rejoindra la DGSI le 2 janvier 2020 –, qui permet de garantir que chaque individu sortant de prison fait l'objet d'un suivi.
La question se posera avec encore plus d'acuité dans les années à venir. Parmi les individus incarcérés entre 2015 et 2017 porteurs des plus graves menaces – soit velléitaires, soit mis en cause dans des projets d'attentats déjoués, ou encore des individus qui se caractérisaient alors par des propos apologétiques les plus graves –, certains ont commencé à sortir de prison. Toutefois, les profils les plus durs sortiront dans les années à venir, notamment à compter de 2021 et 2022. Nous avons donc un problème important devant nous, ce qui justifie – et je salue à nouveau l'effort de la représentation nationale en ce domaine – qu'une grande partie des moyens que j'ai évoqués tout à l'heure soit spécifiquement dédiée au suivi de ces sortants de prison.
Je n'ai pas mandat aujourd'hui pour évoquer les propositions que j'ai pu faire concernant les outils. Nous aurons l'occasion en 2020 de revenir sur ceux qui figurent dans la loi SILT, en particulier les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Il existe soixante-cinq MICAS actives ; c'est le plus haut niveau atteint historiquement. L'essentiel concerne des sortants de prison. Nous débattrons sans doute de la durée des MICAS, même si j'ai en tête le cadre constitutionnel contraignant en la matière. Cet outil nous est utile, il facilite le suivi effectué par les services.
Je vous remercie pour vos réponses très claires.
Ma première question a déjà été posée : elle portait sur le signal faible que constitue une conversion, qui peut par la suite devenir un signal fort. Quant aux sortants de prison, ils constituent certainement la question majeure des mois et des années à venir.
S'agissant des agents dont vous pouvez avoir la responsabilité, j'ai deux questions à vous poser : quelle est la périodicité des habilitations secret défense ? Revenez-vous sur ces procédures d'habilitation ? Les réévaluez-vous ?
Ma seconde question concerne la complexité de l'organisation de nos services de police, judiciaires ou de sécurité publique – c'est une question de principe que nous posons à nombre de « grands chefs » que nous auditionnons et que nous remercions d'ailleurs de leur disponibilité. La jugez-vous performante avec le maintien, la coexistence – je ne veux pas dire la concurrence – de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police ? Ces deux entités ont en leur sein des services de renseignement qui travaillent heureusement ensemble, d'après ce que nous avons compris. Cette organisation est-elle toujours justifiée ? Est-elle la plus adéquate ?
La périodicité des habilitations est fixée par la réglementation : elle est de cinq ans pour les habilitations très secret défense, de sept ans pour les habilitations secret défense et de dix ans pour les habilitations confidentiel défense. Néanmoins, à tout moment, l'administration peut prendre l'initiative de les revoir et de procéder à nouveau à une enquête, de même qu'à chaque instant et en temps réel, l'agent est dans l'obligation de signaler tout élément nouveau susceptible de conduire à une nouvelle appréciation de sa situation. À la DGSI, nous appliquons cette réglementation ; j'ai évoqué précédemment la quinzaine d'habilitations retirées chaque année. Il est assez rare que ces retraits interviennent à échéance ; il s'agit généralement d'initiatives que nous engageons.
J'entends ceux qui considèrent qu'il serait opportun d'abaisser la périodicité mais ne partage pas leur proposition ; la priorité est en effet de garantir que les services disposent des moyens nécessaires, notamment humains. Depuis 2015, le nombre d'habilitations, notamment confidentiel défense, s'est considérablement accru au sein des administrations. L'essentiel des renforts dont nous avons bénéficié n'a pas nécessairement profité aux équipes chargées des habilitations ; nous avions anticipé cette question dès avant l'affaire Harpon. Ces équipes, au sein de la DGSI, ont commencé à être renforcées il y a deux ans mais ce renforcement n'est pas encore plénier. Il est très important que ces équipes bénéficient du plan de renfort que nous appliquons. La DGSI a actuellement près de 5 800 procédures d'habilitation en attente de traitement, ce qui est énorme. Si l'on veut traiter ces procédures correctement, des moyens sont indispensables. Bien avant l'affaire Harpon, nous avions anticipé la nécessité de monter en puissance en termes de moyens.
Abaisser la périodicité des habilitations n'apporterait pas grand-chose ou nécessiterait des moyens supplémentaires de manière à traiter sérieusement les révisions à échéance. Plutôt que d'abaisser la périodicité, je pense préférable de continuer à renforcer les équipes en charge du traitement et de l'instruction de ces dossiers.
Quant à l'organisation – peut-être penserez-vous que j'use un peu de la langue de bois – ma conviction profonde est la suivante : disposer d'une multiplicité de services compétents chargés de la lutte antiterroriste est plutôt une force, mais à deux conditions.
Premièrement, l'action de ces services doit être pilotée, guidée et orientée. Il me semble que depuis le plus haut niveau de l'État jusqu'à ma modeste personne et grâce à l'instauration du chef de file, il y a aujourd'hui un chef, un guide opérationnel. En outre, j'ai évoqué précédemment les instances garantissant que le cap est clairement fixé.
Deuxièmement, il est nécessaire que les services se parlent et que les informations circulent. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a conduit à la création de l'état-major permanent (EMAP), à savoir l'affaire de Saint-Étienne-du-Rouvray, au sujet de laquelle chacun a sa propre perception. Dans le cadre de cet EMAP, depuis janvier dernier, 800 signalements ont été opérés par un service. Pour que l'EMAP soit saisi, il est nécessaire qu'un service ait la conviction qu'un dossier qu'il traite est susceptible de constituer une menace. Dans ce cas, le dossier est systématiquement porté à la connaissance de l'ensemble des partenaires. Cette fluidité me semble aujourd'hui garantie.
Dès lors que ces deux conditions sont remplies, je fais partie de ceux qui pensent qu'avoir trois services au plan intérieur – le RT, la DGSI et la DRPP –, qui travaillent parfois avec des méthodes et des sensibilités différentes, est plutôt une force. Je mets à part les services extérieurs au ministère de l'Intérieur, DGSE, DRM, Tracfin, DNRED, qui sont néanmoins contributeurs.
Je souhaite, un peu solennellement, rendre hommage au travail de la DRPP. Je la vois fonctionner depuis quatorze mois et je la connais bien, comme M. Habib l'a rappelé. Ce service de renseignement est très performant du point de vue de ses méthodes, de ses outils et de son état d'esprit. Je tiens à saluer son travail, ainsi que l'impulsion donnée par son actuelle directrice pour inscrire pleinement la DRPP dans le cadre du dispositif de chef de filat ; les dispositifs en vigueur garantissent une totale fluidité dans l'échange d'informations entre nos services. Il s'agit d'une préoccupation forte pour moi depuis quatorze mois ; l'ensemble des agents de ma direction, du directeur et des sous-directeurs jusqu'aux officiers chargés de ces questions, me confirme la parfaite fluidité et la totale confiance qui caractérisent leurs relations avec la DRPP.
Un point important qu'il convient de rappeler : le doute portant parfois sur la coexistence de la DRPP et de la DGSI peut naître de la conviction, chez certains, que ces deux services font la même chose à Paris et dans la petite couronne, que la DRPP exerce des compétences qui seraient celles de la DGSI. Je m'inscris en faux contre cette conviction. À Paris, dans la petite couronne ou sur le reste du territoire national, tous les individus que nous considérons appartenir au « haut du spectre » – liés à la mouvance radicale, en lien avec des organisations terroristes, velléitaires ou porteurs d'un projet violent – sont suivis par la DGSI. Ainsi dans la petite couronne certains de mes services suivent des individus qui relèvent du même spectre qu'ailleurs sur le territoire. S'agissant de ces profils les plus dangereux, il n'y a pas de concurrence à Paris et dans la petite couronne.
Vous m'avez demandé s'il fallait toucher aux structures. Dans mon propos liminaire, j'évoquais les réflexions en cours, notamment dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure. J'aurais l'occasion de faire part de ma vision et d'éventuelles propositions ; je ne les livrerai pas ici. Vous me permettrez toutefois de partager avec vous une forme de scepticisme quant au fait de considérer que l'efficacité collective sortirait nécessairement grandie d'une réforme de structure. À l'inverse, je considère que le monde du renseignement a subi, au sens strict du terme, une série de réformes d'envergure, en 2008 et en 2014. Je considère les procédures désormais instaurées comme très performantes, notamment au titre du chef de filat ; en outre, l'UCLAT nous sera rattachée en début d'année prochaine. Je suis convaincu qu'il faut maintenant faire vivre ces procédures et ce rôle de chef de file plutôt que de se focaliser sur des questions de structure.
Je souhaite aborder avec vous une question que nous avons évoquée un peu plus tôt avec Mme Lucile Rolland, celle des individus atteints de troubles psychiatriques, qui sont une source de préoccupation. Vous y êtes confronté : comment voyez-vous les choses ? Du point de vue quantitatif, nous avons évalué à 20 % le nombre de personnes suivies par le renseignement territorial qui sont atteintes de troubles psychiatriques. Quels progrès peuvent être effectués dans leur prise en charge ? Convient-il d'adopter une procédure de rupture du secret médical et de signalement par la communauté médicale ? Dans l'affirmative, selon quelles modalités : au travers des agences régionales de santé (ARS) ? Quel placement envisager pour ces individus : en milieu ouvert, en milieu fermé ou en rétention ?
Cette question est particulièrement sensible et complexe.
En termes de répartition des compétences, en tant que chef de file, j'estime avoir l'obligation de la traiter. La DGSI suit des individus atteints de troubles psychiatriques ou psychologiques entretenant des relations avec des individus inscrits dans un islam radical, violent ou pré-terroriste. En nombre, nous en suivons moins que le seul renseignement territorial ; notre suivi est, si j'ose dire, facilité parce que ces individus évoluent dans un environnement nous permettant d'avoir des angles d'attaque et de suivi que n'a pas nécessairement le RT. Les individus dont il assure le suivi se caractérisent en effet par une dangerosité qui résulte uniquement de leur état psychiatrique ou psychologique. La question est sans doute beaucoup plus compliquée lorsque l'on s'intéresse à cette catégorie de personnes.
Nous avons beaucoup progressé depuis 2015, notamment par le biais de partenariats avec les ARS et d'un fichier en cours d'élaboration, qui permettra d'établir automatiquement un lien entre un individu qui ferait l'objet d'une mesure de soins sans consentement et une inscription au FSPRT.
Il a été examiné par le Conseil d'État à l'automne ; une sortie du décret est envisageable au début de l'année 2020. L'enjeu est de générer un « hit » lorsqu'un individu inscrit au FSPRT a fait l'objet de soins sans consentement, ou l'inverse. En outre, chaque ARS est dotée d'un référent radicalisation. Néanmoins, nous restons sans doute encore trop dépendants de la bénévolence d'acteurs locaux. J'ai en tête une série d'initiatives prises par des préfets, des médecins ou des ARS, parfois même par des médecins en dehors du canal des ARS – des psychiatres hospitaliers, des directeurs d'établissements, des chefs de service psychiatrique –, qui sont parvenus à nouer des partenariats en s'affranchissant parfois d'un certain nombre de règles légales ou législatives. Cependant, ils l'ont fait à la satisfaction de tous. D'autres acteurs, s'estimant liés par ce cadre, ce qui est bien évidemment respectable, sont plus réservés.
L'enjeu, et nous nous y étions attelés lorsque j'étais au cabinet du ministère de l'intérieur, consiste, sans doute par la pédagogie, à montrer que certaines expériences peuvent fonctionner et à les multiplier.
Je voudrais évoquer un cas pratique survenu dans une ville du sud de la France : le RT était confronté à un individu clairement dangereux et pratiquant. Il s'interrogeait sur l'opportunité de poursuivre un suivi par un service de renseignement alors qu'il n'était pas nécessairement le mieux placé pour ce faire. Dans le cadre d'un partenariat très étroit avec le préfet du département et l'ARS – il est donc possible d'instaurer des modalités innovantes –, le préfet a obtenu de cette dernière une forme de contractualisation portant sur le suivi spécifique de cet individu. L'ARS s'est engagée à informer la préfecture de toute évolution négative de cet individu, ce qui a constitué un véritable soulagement pour le service de renseignement. À partir de ce cas pratique, nous avons décidé en début d'année, dans le cadre du comité de pilotage opérationnel, de déterminer dans quelle mesure ce type de partenariat très individualisé pourrait être généralisé à l'ensemble du territoire.
C'est un point important.
Monsieur le directeur général, nous vous remercions pour les éléments que vous nous avez communiqués tout comme nous vous remercions, ainsi que l'ensemble de vos services, pour l'action accomplie quotidiennement au service de notre nation.
La séance est levée à 16 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Michel Mis, Mme George Pau-Langevin, M. François Pupponi, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - M. David Habib, M. Stéphane Trompille, M. Guillaume Vuilletet