La périodicité des habilitations est fixée par la réglementation : elle est de cinq ans pour les habilitations très secret défense, de sept ans pour les habilitations secret défense et de dix ans pour les habilitations confidentiel défense. Néanmoins, à tout moment, l'administration peut prendre l'initiative de les revoir et de procéder à nouveau à une enquête, de même qu'à chaque instant et en temps réel, l'agent est dans l'obligation de signaler tout élément nouveau susceptible de conduire à une nouvelle appréciation de sa situation. À la DGSI, nous appliquons cette réglementation ; j'ai évoqué précédemment la quinzaine d'habilitations retirées chaque année. Il est assez rare que ces retraits interviennent à échéance ; il s'agit généralement d'initiatives que nous engageons.
J'entends ceux qui considèrent qu'il serait opportun d'abaisser la périodicité mais ne partage pas leur proposition ; la priorité est en effet de garantir que les services disposent des moyens nécessaires, notamment humains. Depuis 2015, le nombre d'habilitations, notamment confidentiel défense, s'est considérablement accru au sein des administrations. L'essentiel des renforts dont nous avons bénéficié n'a pas nécessairement profité aux équipes chargées des habilitations ; nous avions anticipé cette question dès avant l'affaire Harpon. Ces équipes, au sein de la DGSI, ont commencé à être renforcées il y a deux ans mais ce renforcement n'est pas encore plénier. Il est très important que ces équipes bénéficient du plan de renfort que nous appliquons. La DGSI a actuellement près de 5 800 procédures d'habilitation en attente de traitement, ce qui est énorme. Si l'on veut traiter ces procédures correctement, des moyens sont indispensables. Bien avant l'affaire Harpon, nous avions anticipé la nécessité de monter en puissance en termes de moyens.
Abaisser la périodicité des habilitations n'apporterait pas grand-chose ou nécessiterait des moyens supplémentaires de manière à traiter sérieusement les révisions à échéance. Plutôt que d'abaisser la périodicité, je pense préférable de continuer à renforcer les équipes en charge du traitement et de l'instruction de ces dossiers.
Quant à l'organisation – peut-être penserez-vous que j'use un peu de la langue de bois – ma conviction profonde est la suivante : disposer d'une multiplicité de services compétents chargés de la lutte antiterroriste est plutôt une force, mais à deux conditions.
Premièrement, l'action de ces services doit être pilotée, guidée et orientée. Il me semble que depuis le plus haut niveau de l'État jusqu'à ma modeste personne et grâce à l'instauration du chef de file, il y a aujourd'hui un chef, un guide opérationnel. En outre, j'ai évoqué précédemment les instances garantissant que le cap est clairement fixé.
Deuxièmement, il est nécessaire que les services se parlent et que les informations circulent. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a conduit à la création de l'état-major permanent (EMAP), à savoir l'affaire de Saint-Étienne-du-Rouvray, au sujet de laquelle chacun a sa propre perception. Dans le cadre de cet EMAP, depuis janvier dernier, 800 signalements ont été opérés par un service. Pour que l'EMAP soit saisi, il est nécessaire qu'un service ait la conviction qu'un dossier qu'il traite est susceptible de constituer une menace. Dans ce cas, le dossier est systématiquement porté à la connaissance de l'ensemble des partenaires. Cette fluidité me semble aujourd'hui garantie.
Dès lors que ces deux conditions sont remplies, je fais partie de ceux qui pensent qu'avoir trois services au plan intérieur – le RT, la DGSI et la DRPP –, qui travaillent parfois avec des méthodes et des sensibilités différentes, est plutôt une force. Je mets à part les services extérieurs au ministère de l'Intérieur, DGSE, DRM, Tracfin, DNRED, qui sont néanmoins contributeurs.
Je souhaite, un peu solennellement, rendre hommage au travail de la DRPP. Je la vois fonctionner depuis quatorze mois et je la connais bien, comme M. Habib l'a rappelé. Ce service de renseignement est très performant du point de vue de ses méthodes, de ses outils et de son état d'esprit. Je tiens à saluer son travail, ainsi que l'impulsion donnée par son actuelle directrice pour inscrire pleinement la DRPP dans le cadre du dispositif de chef de filat ; les dispositifs en vigueur garantissent une totale fluidité dans l'échange d'informations entre nos services. Il s'agit d'une préoccupation forte pour moi depuis quatorze mois ; l'ensemble des agents de ma direction, du directeur et des sous-directeurs jusqu'aux officiers chargés de ces questions, me confirme la parfaite fluidité et la totale confiance qui caractérisent leurs relations avec la DRPP.
Un point important qu'il convient de rappeler : le doute portant parfois sur la coexistence de la DRPP et de la DGSI peut naître de la conviction, chez certains, que ces deux services font la même chose à Paris et dans la petite couronne, que la DRPP exerce des compétences qui seraient celles de la DGSI. Je m'inscris en faux contre cette conviction. À Paris, dans la petite couronne ou sur le reste du territoire national, tous les individus que nous considérons appartenir au « haut du spectre » – liés à la mouvance radicale, en lien avec des organisations terroristes, velléitaires ou porteurs d'un projet violent – sont suivis par la DGSI. Ainsi dans la petite couronne certains de mes services suivent des individus qui relèvent du même spectre qu'ailleurs sur le territoire. S'agissant de ces profils les plus dangereux, il n'y a pas de concurrence à Paris et dans la petite couronne.
Vous m'avez demandé s'il fallait toucher aux structures. Dans mon propos liminaire, j'évoquais les réflexions en cours, notamment dans le cadre du Livre blanc sur la sécurité intérieure. J'aurais l'occasion de faire part de ma vision et d'éventuelles propositions ; je ne les livrerai pas ici. Vous me permettrez toutefois de partager avec vous une forme de scepticisme quant au fait de considérer que l'efficacité collective sortirait nécessairement grandie d'une réforme de structure. À l'inverse, je considère que le monde du renseignement a subi, au sens strict du terme, une série de réformes d'envergure, en 2008 et en 2014. Je considère les procédures désormais instaurées comme très performantes, notamment au titre du chef de filat ; en outre, l'UCLAT nous sera rattachée en début d'année prochaine. Je suis convaincu qu'il faut maintenant faire vivre ces procédures et ce rôle de chef de file plutôt que de se focaliser sur des questions de structure.