Je vais présenter de manière succincte l'Inspection des services de renseignement, qui est un objet administratif relativement neuf.
Elle existe depuis juin 2013 et ne constitue pas un nouveau corps d'inspection, puisqu'elle repose sur les grands corps d'inspection ministériels existants – l'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'administration, le contrôle général des armées, auquel j'appartiens, et l'inspection générale de la justice, qui a rejoint très récemment le vivier des inspecteurs de l'ISR. Elle est formée de membres de ces inspections, dûment habilités au secret de la défense nationale, et qui sont choisis au cas par cas en fonction des missions.
Depuis sa création, cette inspection a conduit une douzaine de missions, toutes confiées par le Premier ministre ; elle dépend directement de lui, comme l'indique le décret de création, mais elle s'appuie aussi très largement sur la force de travail du coordonnateur national du renseignement à la Présidence de la République, qui assure son secrétariat.
L'inspection dispose depuis juillet 2016 d'un secrétaire général qui en est le seul point fixe ; j'occupe cette fonction depuis sa création. Ce n'est pas uniquement une fonction d'organisation, puisque je participe aussi à un certain nombre de missions. J'ai ainsi dirigé la seconde des missions mentionnées par M. le président Ciotti et créées à la suite des attentats ayant frappé la préfecture de police de Paris – celle dont le périmètre, plus large que celui de la première, porte sur l'ensemble des services de renseignement impliqués dans la lutte contre le terrorisme.
Cette mission a débuté à la fin du mois d'octobre et a rendu ses conclusions juste avant Noël au directeur de cabinet du Premier ministre. Celui-ci a validé la totalité de ses recommandations.
J'évoquerai d'abord la méthode que nous avons suivie. Il s'agit d'un événement brutal et malheureux. Pour enquêter sur la manière dont les services de renseignement s'organisent pour pouvoir éventuellement réagir à un tel événement, il faut réaliser une analyse des risques, c'est-à-dire étudier comment sont pris en compte les risques, pour un service de renseignement, qu'existe en son sein un individu radicalisé ou, plus généralement, présentant des fragilités et des défaillances. Ce travail a été facilité par le fait que les membres de la première mission, focalisée sur la préfecture de police, étaient les mêmes que ceux de la seconde mission. Les deux missions se sont nourries mutuellement, et ce que nous avons observé au sein de la préfecture de police a servi notre enquête sur l'ensemble du spectre des services de renseignement.
Il faut aussi préciser que les services de renseignement disposent d'ores et déjà d'un certain nombre d'outils opérationnels permettant de faire face à ce type de menaces, mais que des bonnes pratiques, relevées dans certains services, ne sont pas présentes partout. Notre démarche se veut une démarche de bon sens : nous avons sélectionné les bonnes pratiques observées ici et là, et nos recommandations visent à les mettre en avant et à les généraliser. Le système de défense immunitaire des services de renseignement est plutôt robuste, mais il est assez hétérogène.
Sur le plan méthodologique, nous avons suivi la vie d'un agent d'un service de renseignement, depuis son recrutement jusqu'à son éventuel départ – ou son éventuelle éviction – du service. À chaque étape, il s'agit d'analyser les mesures que les services doivent prendre ou ont déjà pris pour améliorer leur dispositif de sécurité interne.
La première phase est celle du recrutement. À ce sujet, un certain nombre de bonnes pratiques ne sont pas généralisées, et nous souhaitons y remédier. Nous proposons par exemple au Premier ministre et à l'ensemble des services de systématiser une grille d'entretien – qui n'existe pas toujours, certains services l'utilisant de manière très formalisée et organisée, d'autres moins –, et de conduire systématiquement cet entretien en présence d'un psychologue et d'un ou plusieurs officiers de sécurité.
Au moment du recrutement, nous avons aussi observé que l'habilitation des agents au secret de la défense nationale prend beaucoup – certainement trop – de temps, et que certains agents prennent leurs fonctions alors qu'ils ne sont pas encore habilités, car le processus d'habilitation n'a pas encore été conduit à son terme. Nous recommandons de ne pas mettre en poste un agent dans un service de renseignement avant qu'il ait été habilité.
La deuxième phase est celle de l'habilitation au secret de la défense nationale. Celle-ci n'est pas propre aux services de renseignement, mais tous les agents qui y travaillent doivent être – à des degrés divers – habilités. C'est un moment privilégié pour détecter des vulnérabilités chez un agent et, le cas échéant, l'écarter. Ce processus est pour l'instant trop long ; surtout, les agents des services de renseignement ne font pas l'objet – excepté dans certains services qui disposent de leur propre service enquêteur – d'un traitement prioritaire. Nous faisons donc la recommandation suivante : en la matière, les agents des services de renseignement doivent bénéficier d'un traitement particulier par rapport à ceux des autres administrations.
Par ailleurs, les processus d'habilitation au secret de la défense nationale témoignent d'une certaine hétérogénéité, notamment au sein du ministère de l'Intérieur. Nous avons proposé de regrouper l'ensemble des services enquêteurs en un seul grand service, sous l'égide de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Concrètement, le service enquêteur de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) serait désormais placé totalement sous l'autorité de la DGSI, qui serait compétente sur l'ensemble du spectre du ministère de l'Intérieur, et au-delà.