Je commencerai par rappeler l'esprit dans lequel j'ai eu l'honneur, à la demande du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, de créer l'EMOPT. Celui-ci avait pour but de réunir en une seule structure des représentants des principaux services du ministère de l'intérieur concernés par le renseignement en matière de lutte contre la radicalisation : la préfecture de police de Paris, la police judiciaire, le service central du renseignement territorial (SCRT), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale.
L'idée, à l'époque, était de créer une « interconnexion neuronale » des fichiers, pour reprendre une expression qui n'est pas de moi. Tout en respectant scrupuleusement les prescriptions de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) interdisant la mise en commun et le croisement d'un certain nombre de bases de données numériques, il s'agissait de créer une petite unité très souple. Chacun des services cités était représenté par deux agents, qui avaient accès aux fichiers de renseignement relevant de leur service d'origine et qui pouvaient, à la demande du cabinet du ministre et en tant que de besoin, fournir des réponses rapides au sujet du caractère connu ou inconnu d'un individu par lesdits fichiers de renseignement. Telle était la première tâche qui nous a été confiée.
La deuxième tâche est sans doute celle qui nous a le plus occupés : constituer et alimenter, en lien avec l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), ce qui s'appelait déjà le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Puisque nous partions d'une page blanche, il fallait donc constituer ce fichier à partir des données qui nous étaient transmises par les différentes bases de données nationales utilisées par les services de renseignement, données qu'il nous revenait d'harmoniser.
Enfin, la troisième tâche qui nous a été confiée consistait à veiller à ce que ce fichier soit complété et actualisé par les préfets de département. En d'autres termes, nous devions accompagner la déconcentration du suivi de la radicalisation terroriste sur le territoire, dans le cadre des mesures qui avaient commencé à être instaurées, notamment à partir de 2014 avec la création des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CEPRAF), complétées à compter de 2015 par la création des groupes d'évaluation départementaux (GED), le pilotage de ces deux instances étant confié aux préfets, bien que la coprésidence en soit assurée par les préfets et les procureurs de la République.
La systématisation de cette déconcentration était consécutive aux attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et contre l'Hypercacher. Elle découlait également de l'attentat perpétré à Saint-Quentin-Fallavier le 26 juin 2015, qui avait mis en lumière le fait que son auteur, Yassin Salhi, avait été, comme beaucoup d'auteurs d'actes terroristes, repéré puis perdu à la suite d'un déménagement du Doubs vers l'Isère. La problématique qui était alors la nôtre et celle du ministre de l'Intérieur était la traçabilité sur l'ensemble du territoire national des individus repérés pour radicalisation violente et risque de passage à l'acte. Cela explique la création d'une base de données unique, le FSPRT, qui propose des modalités d'accès et de partage de fiches et d'informations entre services menants et services concourants. Ces derniers peuvent être répartis sur l'ensemble du territoire, afin de s'adapter au mode de vie des individus que nous devons surveiller, qui peuvent se déplacer d'un département à un autre et de ville en ville.
J'ai eu l'honneur d'être nommé préfet de police des Bouches-du-Rhône au mois de juin 2017 ; cette décision s'est traduite par une installation le 3 juillet 2017. Le préfet de police des Bouches-du-Rhône a sous son autorité l'ensemble des forces de sécurité publique – mais pas de sécurité civile –, c'est-à-dire l'intégralité des services de police et de gendarmerie, soit environ 8 000 agents, répartis entre la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône, qui est la plus importante de France avec plus de 4 000 agents, la direction interrégionale de la police judiciaire, la plus étoffée de France également, et d'autres services, à l'échelle de ce département, très peuplé et dont la ville centre, considérable, présente les difficultés que vous connaissez.
La gendarmerie a également une part importante dans ce département : il s'agit, en nombre, du quatrième groupement de gendarmerie en France métropolitaine. De manière symptomatique, il est le premier à être dirigé, depuis quelques mois, par un général de gendarmerie.
La préfecture de police, en tant qu'institution, est en revanche une petite structure qui compte moins de soixante équivalents temps plein (ETP) – cinquante-huit au moment où nous parlons. Elle est conçue comme une administration de mission et n'assume donc pas de tâches de gestion réglementaire ou administrative, telles que le contrôle de légalité, le droit des étrangers ou le suivi et la formation des écoles de conduite, autant de missions qui relèvent du préfet des Bouches-du-Rhône. En revanche, le préfet de police, outre la charge de toutes les missions de sécurité publique, a également des compétences importantes en matière de police administrative, notamment le bureau des armes et la suspension des permis de conduire.