Intervention de Bernard Squarcini

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 17h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Bernard Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur :

C'est un sujet qui, pendant longtemps, n'a pas préoccupé, d'abord pour des raisons politiques, de clientélisme électoral – je le dis très clairement ; d'autres, d'ailleurs, l'ont écrit. Nous avons mis en garde, dès les années 1990, contre certaines dérives. Un service de renseignement est fait pour apporter du renseignement revu, qualifié et à propos duquel le doute est levé, pour que d'autres prennent des décisions : nous sommes là pour éclairer la prise de décision. Cela ne veut pas dire que nos recommandations sont suivies mais, au moins, nous avons écrit, tel jour à telle heure, qu'il y avait un problème. D'autres, après, décident – notamment vous, qui êtes la représentation nationale.

La radicalisation est apparue progressivement. En 1995, nous procédons à des arrestations en lien avec les attentats qui endeuillent le territoire national. Nous devons également donner un coup de main aux services algériens, qui sont débordés, car le terrorisme prend des proportions énormes, dans tous les sens. En l'espace de cinq ans, beaucoup de choses nous ont occupés – y compris la Coupe du monde de 1998 –, tous services confondus. Nous en arrivons, au total, à 450 détenus, tous en région parisienne, pour les besoins de l'instruction, car les cabinets des juges doivent respecter des délais, sous peine de nullité de la procédure. Ces individus commencent à contaminer la population pénale de droit commun, mais aussi quelques surveillants. L'islamisme fait également quelques touches au sein de l'armée, alors en cours de professionnalisation – à cette époque, le service militaire a déjà été supprimé.

Par ailleurs, les aéroports sont situés dans des bassins d'emploi qui posent problème. Nous observons certaines initiatives, à travers des enquêtes, en surveillant des réseaux : untel est copain avec un bagagiste, autrement dit quelqu'un qui charge des valises dans les soutes des avions. Or, à cette époque, les Britanniques avaient déclaré que le péril viendrait d'explosifs liquides embarqués dans des avions par des voyageurs. Si le risque vient en réalité des bagagistes, vous voyez le genre de problèmes que cela pose.

Quoi qu'il en soit, c'était du cas par cas, des initiatives observées dans certains secteurs, et que nous traitions au fur à mesure. Il était assez rare que cela se produise dans le secteur de la sécurité. Les cas étaient détectés à travers l'enquête, après l'oral, par l'observation des comportements à l'école, ou lors des stages pratiques – car il y avait tout un suivi. Dès cette époque, nous étions parfois ennuyés : certaines personnes étaient soupçonnées parce qu'elles étaient en liaison avec des gens pas très clairs, placés sur écoute. Si le suspect était contrôleur aérien, que faire ? Vous êtes obligé d'en parler, mais s'il se voit retirer son habilitation pour accéder à la zone aéroportuaire, qui est une zone protégée, il risque d'aller au contentieux. Or la note blanche, produite par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), ne va pas très loin : vous ne pouvez pas révéler tous les éléments en votre possession, sous peine de saboter l'enquête et de vous rendre passible du délit de compromission. On est donc un peu – passez-moi l'expression – le cul entre deux chaises. Le suspect est débarqué de sa tour de contrôle et n'a plus accès à la zone, tout en étant toujours rémunéré par Aéroports de Paris.

Ce n'étaient là que les balbutiements. Ensuite, le phénomène a explosé avec le développement d'internet, qui sert à la fois de réseau crypté, de messagerie clandestine pour les opérationnels, mais également de canal de revendication et de conversion. Ce furent alors les départs pour rejoindre l'EI en famille – 2 000 familles en ce qui concerne la France, mais l'ensemble du bassin méditerranéen est touché. Pour faire face à cela, nous avions toujours nos habilitations secret défense, mais aucune formation, monsieur Diard, je vous rassure. J'en profite tout de même pour vous dire que votre mission d'information sur la radicalisation a fait du très bon travail. Il y aurait de quoi en mener une autre.

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