Il y a une gendarmerie et une police nationales, pas deux polices. Mais c'est un clin d'œil. Bien évidemment, la remontée de l'information ne peut pas s'arrêter au N+1, qui lui-même d'ailleurs ne doit pas se sentir isolé. L'information doit remonter et remonter vite à la hiérarchie en charge de prendre des décisions, d'émettre des appréciations. Je crois d'ailleurs qu'aujourd'hui – les chiffres que je vous citais tout à l'heure le prouvent –, il y a une forte tendance à la remontée de l'information, ne serait-ce que par une sorte à la fois de principe de précaution et de principe de parapluie. Ce n'est pas grave, si ce n'est que cela risque d'engorger les services de renseignement : l'IGPN, qui est au carrefour du dispositif, ne manque pas d'activités par ailleurs… Mais il vaut mieux effectivement que rien ne nous échappe et que le tri soit fait par cette instance plutôt qu'à la base par le N+1 qui aura sans doute une appréciation très parcellaire.
On vient de loin. Je discutais récemment avec la cheffe de l'inspection générale de la police nationale, Mme Brigitte Jullien, qui évoquait une anecdote remontant à 2011, soit bien avant 2015, les grands attentats, l'affaire Mohammed Merah, etc. Un fonctionnaire de police de confession musulmane souhaitait faire ses prières dans un service et la réaction de ce service n'était pas de dire : « Mais enfin, nous devons respecter la laïcité ; chacun peut pratiquer la religion qu'il souhaite, mais dans les locaux du service public, ce n'est pas possible ! ». Non, la question était un peu inverse : « Comment devons-nous nous organiser pour que ce policier puisse exercer son droit imprescriptible à une liberté d'opinion, de philosophie, etc. Ne va-t-on pas parler d'une forme de brimade si nous le lui interdisons, y compris pendant le ramadan, qui est une période bien particulière pour les musulmans ? Ne va-t-on pas nous reprocher d'avoir en quelque sorte exercé une forme de discrimination en l'empêchant de pratiquer ? »… Je trouve cette anecdote tout à fait éclairante sur l'état d'esprit de l'époque et sur cette sorte de révolution qu'il a fallu instiller dans les esprits.
S'agissant de l'aide de la hiérarchie, vous avez parfaitement raison. Ce n'est pas le débat, mais vous avez évoqué les officiers ; on peut parler aussi des gradés, mais les officiers sont un bon exemple. Ce sont ces cadres de la police nationale qui sont au confluent à la fois des principes d'autorité et de proximité. Pour des raisons qui ont été assumées, mais que personnellement je n'assume pas vraiment, on recrute annuellement, depuis des années, soixante-dix officiers, alors que plusieurs centaines partent à la retraite… Bercy, dans une logique budgétaire tout à fait compréhensible, avait accepté de donner à chaque officier une rémunération et un statut meilleurs, à la condition que cela se fasse à enveloppe maîtrisée, donc en faisant diminuer le nombre d'officiers, d'où la limitation drastique des recrutements. L'École nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Écluse (77), largement surdimensionnée, ne recrutait plus que soixante-dix officiers. J'ai repris – y compris contre l'opinion des syndicats d'officiers dont l'un au moins m'en a beaucoup voulu – le recrutement massif d'officiers de police : trois cents dès cette année – deux cents sont arrivés en janvier et cent arriveront en septembre. On passera ensuite pour les années ultérieures, si cela est confirmé, à trois cent cinquante et quatre cents ce qui va un peu changer la donne : cette hiérarchie intermédiaire est tout à fait fondamentale.
Autre exemple de l'éloignement, cette fois des commissaires, par rapport à ce que j'appellerai, sans connotation péjorative, la troupe : aujourd'hui, les cycles horaires dans la police nationale – on en a beaucoup parlé en lien avec la prévention du suicide, à l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle – ont quasiment fait disparaitre des commissariats les séances d'appel. Les commissaires pouvaient y venir au front des troupes, si je puis dire, commenter ce qui allait se passer dans la journée, les évolutions de l'ambiance de la ville, les attentes du préfet, du maire, etc. Aujourd'hui, les commissaires ont du mal à rencontrer notamment les personnels qui travaillent la nuit, pour ne parler que d'eux. Dans l'expérimentation de nouveaux cycles horaires que nous conduisons actuellement, nous avons plusieurs objectifs : évidemment, organiser une meilleure harmonie entre vie professionnelle et vie personnelle en permettant d'avoir plus de week-ends en famille ; mais aussi faire en sorte que ces cycles rythment la vie du commissariat pour réhabiliter cette posture opérationnelle qui permet à la hiérarchie, y compris la haute hiérarchie du commissariat, de rencontrer l'ensemble des troupes. Aujourd'hui, c'est de moins en moins le cas, pas uniquement parce que des commissaires seraient devenus des sous-préfets, mais aussi parce que le rythme de travail des commissaires est complètement déphasé par rapport à celui de leurs troupes.