C'est la question essentielle de ce dossier. Encore une fois, je m'exprimerai avec prudence sur ce qui m'a été rapporté, car j'ignore ce qui a été déclaré lors des auditions judiciaires comme lors des auditions que vous avez menées à huis clos. Il y a eu des signaux faibles, dont certains sont d'ailleurs contestés. Il y a effectivement une conversion religieuse, ce qui, dans un service de renseignement, doit forcément appeler l'attention – je dis bien « appeler l'attention », car ce n'est pas en soi un élément suffisant. Au lendemain de l'attentat commis contre Charlie Hebdo, des propos semblant apologétiques sont tenus, dit-on, à un collègue de travail, mais d'autres les démentent, ou disent qu'il s'en est excusé ; peu importe, selon certains témoignages, il les a tenus. Sur son attitude et son comportement, nous avons aussi entendu parler d'une forme de repli, ce que d'autres contestent, et d'une pratique assidue de la religion. L'ensemble de ces signaux aurait évidemment dû faire l'objet d'un signalement, ne serait-ce que parce que cet homme travaillait dans un service de renseignement ; ces éléments auraient dû justifier une enquête pour déterminer si l'habilitation devait être retirée. Il fallait d'autre part savoir si l'on avait affaire à une personne radicalisée ou non ; les deux volets se recoupent assez largement.
La faille est-elle structurelle ou individuelle ? On comprend que dans le service concerné prévalait une ambiance assez protectrice vis-à-vis de cette personne, ce qui peut expliquer que les signalements n'aient pas été matérialisés – à ma connaissance, il n'y a pas de matérialisation écrite de ces signalements. Mais il y a eu des échanges verbaux, et l'on comprend mal qu'informée de cette situation, la hiérarchie n'ait pas fait remonter ces renseignements afin que soit enclenchée une enquête post-habilitation ou une enquête visant à vérifier l'hypothèse de la radicalisation de cet individu. Je le comprends d'autant plus mal que lorsque j'ai quitté mes fonctions à la préfecture de police de Paris, en mars 2015, alors que les procédures de signalement en étaient à leur début, d'autres types de signalements nous étaient remontés, que nous avons traités.
Le ministre a évoqué une faille, moi-même un dysfonctionnement, ce qui est assez proche. De fait, ce signalement aurait dû remonter, le cas de cet individu être porté à la connaissance de la directrice de la DRPP et de son prédécesseur, des enquêtes auraient dû être diligentées – évidemment ! A-t-on voulu protéger cet agent en minimisant l'importance de sa radicalisation ? En tout état de cause, sans préjuger de l'importance des signaux que vous avez rappelés, des investigations auraient dû être menées pour vérifier leur réalité et décider des conséquences nécessaires.