Intervention de Éric Ciotti

Réunion du jeudi 5 mars 2020 à 11h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti, président :

Monsieur le ministre, merci beaucoup pour votre présence devant notre commission d'enquête. Nous avons décalé la présente audition, initialement prévue le 4 mars, compte tenu des obligations qui étaient les vôtres – notamment la réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » de l'Union européenne à Bruxelles.

C'est avec plaisir que nous vous entendons ce jour au terme des travaux de notre commission. Celle-ci a en effet une durée de vie qui la conduira jusqu'au 15 avril 2020, M. le rapporteur devant remettre son rapport au président de l'Assemblée nationale début avril.

Votre audition constitue ainsi la dernière à laquelle nous procédons.

Nous avons souhaité conduire nos travaux essentiellement à huis clos. Nous avons également tenu à les mener loin de toutes considérations politiciennes. Cela a été rappelé le 4 mars au cours d'un échange de vues avec tous les membres de la commission. À cette occasion, les groupes qui se sont exprimés ont souligné à l'unanimité l'état d'esprit qui a présidé à la conduite des travaux de notre commission. Ces travaux se sont faits dans la sérénité, avec la volonté de déboucher sur des propositions concrètes ayant pour seul objectif – au-delà des débats – l'élévation de notre degré de sécurité à l'intérieur des services de renseignement mais aussi, plus généralement, au sein des forces de sécurité et pour tous les emplois concourant à la sécurité nationale.

Avant de vous céder la parole, monsieur le ministre, pour notre quarante et unième audition, je souhaiterais revenir sur quelques constats dressés par notre commission et sur lesquels vous pourrez réagir.

Tout d'abord, je crois pouvoir exprimer une position unanime en disant qu'au gré de nos auditions nous avons eu un sentiment de sidération. Il tenait bien sûr à la gravité des faits. Nous avons auditionné des collègues à la fois de l'auteur et des victimes – puisqu'ils travaillaient dans le même bureau. Nous avons mesuré le traumatisme qui a frappé la préfecture de police. Et nous rappelons aujourd'hui devant vous le respect, la considération, la reconnaissance et l'émotion que nous portons aux personnels qui ont été directement victimes de cet attentat.

Ce sentiment de sidération était également lié au fait que cette situation ait été possible malgré l'addition répétée dans le temps, plusieurs années avant la commission de cet attentat, de signaux pouvant individuellement être qualifiés de faibles mais qui ont convergé et qui auraient justifié, presque chacun d'entre eux, que Mickaël Harpon ne se trouve plus physiquement dans un service aussi sensible. Nous l'avons d'ailleurs souligné avec M. le rapporteur lors d'un point d'étape qui s'est tenu il y a quelques semaines. Car il s'agissait certes d'un service de renseignement du second cercle, mais d'un service engagé de façon très importante dans la lutte contre le terrorisme.

Ces signaux n'ont pas été pris en compte. Le premier de ces éléments est sans doute la conversion de Mickaël Harpon à l'islam à la suite de son mariage il y a une dizaine d'années – mariage religieux, avant un mariage civil.

Le deuxième élément est l'évolution de son comportement, qui traduit une pratique plus rigoriste de sa religion : certaines personnes auditionnées nous ont indiqué qu'il ne faisait plus la bise aux femmes.

Il s'est surtout produit un incident qui nous a été relaté, qui a presque eu une traduction physique avec l'un de ses collègues, après l'attentat contre Charlie Hebdo. Nous pouvons situer cet événement au cours du mois de janvier 2015, quelques jours après les attentats qui ont terriblement frappé notre pays.

Il faut aussi citer la fréquentation par Mickaël Harpon d'une mosquée accueillant des personnes inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR) et fichées S à ce titre – notamment un imam qui faisait par ailleurs l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Une phrase, prononcée par l'un des collègues de Mickaël Harpon, traduit cette sidération : « Nous ne nourrissions pas de craintes physiques par rapport à Mickaël Harpon. Mais, c'est vrai, nous avions une inquiétude sur le fait qu'il puisse être l'objet de manipulations pouvant le conduire à capter des données extrêmement sensibles auxquelles il avait accès compte tenu de son habilitation. »

Ces éléments nous ont conduits à dresser un constat. Je le dis avec objectivité, monsieur le ministre. Ces faits précèdent votre arrivée en responsabilité et sont quelquefois très anciens. Or ils traduisent, je le crois, une défaillance collective d'une structure qui n'a pas su s'autoprotéger.

Ces signes n'auraient dû en aucun cas rester sans suite dans un service aussi sensible. C'est en tout cas notre constat.

Ce constat amènera M. le rapporteur à formuler des propositions. Nous y reviendrons. Mais, au-delà des failles individuelles, il s'associe selon nous structurellement à une faille collective dans l'organisation de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) au sein de nos services de sécurité et de renseignement.

Nous avons aussi des questions sur le parcours de l'imam de la mosquée de Gonesse que fréquentait Mickaël Harpon. En effet, lui aussi – c'est sans doute une autre faille, là encore assez ancienne – s'est maintenu sur le territoire national alors qu'il n'aurait plus rien eu à y faire si avait été exécutée l'OQTF dont il a fait l'objet.

Notre constat est donc le suivant : compte tenu des signes cités plus haut, Mickaël Harpon n'avait rien à faire dans un service aussi sensible. Et l'imam de Gonesse qui a fréquenté Mickaël Harpon n'aurait plus rien eu à faire sur le territoire national – charge à l'enquête judiciaire d'évaluer le degré ou l'absence d'influence de l'un vers l'autre.

Nous voyons là deux failles majeures, qui sont sans doute à la source de cette tragédie qui a frappé en son sein une institution majeure de la République.

Nous aurons ensuite des propositions et des questions, relatives notamment à la façon dont nous pouvons élever le degré de protection de nos services de renseignement et de sécurité.

Une question est également souvent revenue devant notre commission : celle des modalités de prise en compte des signalements. Où placer le curseur entre le risque d'une dénonciation illégitime pouvant conduire à de la délation, et un indispensable principe de précaution ?

Parallèlement se pose aussi la question de la difficulté de nourrir des contentieux administratifs lorsque des mesures disciplinaires sont contestées. Vous savez combien ces contentieux peuvent être fragiles devant les juridictions. Comment faire pour que la charge de la preuve relève aussi du niveau de l'intérêt général et non plus du seul intérêt individuel ? Cela revient sans doute à visiter un peu différemment nos principes actuels. Mais il s'agit pour nous d'un vrai sujet.

Voilà l'état du constat que nous dressons, des failles que nous avons pointées, et des propositions que nous voulons formuler. C'est pour cela que nous voulions vous auditionner dans la « dernière ligne droite » de nos travaux. Nous n'avons pas voulu organiser une messe médiatique qui aurait pu tourner, dans l'émotion, à un procès politique. Vous êtes venu, peu de temps après les faits, devant la commission des Lois. Des questions ont été posées. J'en ai posé, notamment sur la rapidité, après l'attaque, de votre prise de parole concernant la situation administrative de Mickaël Harpon.

Nous avons des questions de fond. Comment, ensemble – car je crois que nous poursuivons tous le même objectif – arriverons-nous à élever notre degré de protection ? Des mesures ont été prises. L'Inspection des services de renseignement (ISR) a formulé des propositions. Le Premier ministre a annoncé des mesures dans un communiqué publié le jour même où nous recevions le secrétaire général de l'ISR. Nous y avons vu d'ailleurs un lien positif.

Avant de vous laisser la parole, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui régit l'organisation des commissions d'enquête, je vous invite à lever la main droite et à jurer de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

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