Intervention de Florent Boudié

Réunion du jeudi 5 mars 2020 à 11h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorent Boudié, rapporteur :

M. le président de la commission l'a rappelé, il était important que nous nous voyons dans un temps éloigné de l'événement, loin de l'émotion – toujours présente, toujours forte bien sûr – afin de pouvoir aborder ces questions avec le calme et la sérénité nécessaires au travail parlementaire et en tirer des leçons et des constats.

Nous avons conduit une quarantaine d'auditions rassemblant tout ce que comptent de responsables le monde du renseignement et le monde de la sécurité publique de façon générale.

Au fond, notre constat, après cinq mois de travail, est assez simple.

Quelques jours après le 7 janvier 2015, quelques jours après que les propos de l'auteur de l'attaque ont été prononcés, un signalement formel aurait dû immédiatement être transmis par la voie hiérarchique.

C'est le premier constat : ce signalement n'a pas eu lieu. Cela constitue, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, et je reprends vos mots, une faille majeure.

Le deuxième constat est le suivant : cette personne aurait dû se voir retirer immédiatement – à la suite au moins de ces propos, par conséquent plus de quatre ans avant son passage à l'acte – son habilitation à travailler dans un service de renseignement.

Ces constats sont préoccupants car il nous semble qu'ils traduisent des dysfonctionnements non seulement individuels, mais aussi organisationnels et structurels.

La culture de la vigilance à l'égard du risque de vulnérabilité interne – et non seulement du risque de radicalisation – des agents de renseignement était sans doute insuffisamment présente. La directrice actuelle de la DRPP a été d'ailleurs missionnée pour réintroduire de l'exigence là où, manifestement, il en manquait singulièrement. Et il nous semble que nos auditions ont permis de traduire cette réalité, au moins postérieure à 2017.

Il convient de relever aussi un état d'esprit interne à la DRPP ou à une partie de cette direction. Cet état d'esprit est très professionnel, très appliqué, très performant lorsqu'il s'agit de tâches de renseignement tournées vers l'extérieur, mais il est très insuffisant et fonctionne très mal lorsqu'il s'agit de vigilances à l'égard de risques internes.

Nous avons pu sentir une sorte d'état d'esprit quasi familial. Pardon de le qualifier de cette façon, peut-être un peu caricaturale. Une forme d'autoprotection, ou d'autocécité, s'appliquait néanmoins vis-à-vis de plusieurs risques de vulnérabilité interne sur lesquels une vigilance permanente aurait dû, nécessairement, s'exercer.

Notre constat est donc sévère, s'agissant des séries de dysfonctionnements et de failles qui ont permis de placer l'auteur de l'attaque dans une forme d'angle mort. Cet angle mort n'aurait jamais dû être aussi large, au sein d'un service de renseignement.

Voilà, en quelques mots, nos constats.

Vous avez eu raison, monsieur le président, de parler de consternation. En effet, je crois que, quels que soient nos sensibilités et notre niveau de connaissance des sujets liés au renseignement et à la sécurité publique, nous avons été tous consternés par un certain nombre d'éléments qui nous ont été communiqués.

Je voudrais revenir sur l'un des éléments que vous avez évoqués, monsieur le ministre, afin de pousser la réflexion un peu plus loin.

Au fond, deux options se présentent à nous pour guider nos recommandations.

La première serait de considérer que, partant des constats que j'ai indiqués et que vous partagez, me semble-t-il, une possibilité serait d'élever les standards de sécurité interne afin de les aligner sur les exigences existant dans d'autres services de renseignement, notamment du premier cercle – DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et DGSI.

L'autre possibilité serait d'apporter à ce qui nous semble être un dysfonctionnement structurel une réponse structurelle, au moyen d'une réforme organisationnelle.

Je voudrais que l'on revienne sur ce sujet. À votre sens, monsieur le ministre, quels sont les éléments susceptibles de justifier, ou au contraire, de s'opposer à une telle réforme ? Sur le plan opérationnel, et à l'aune de l'exigence de sécurité et de vigilance qu'il nous faut avoir en interne, quels éléments pourraient-ils nous conduire à écarter, ou au contraire, à encourager la piste d'une réforme profonde de la DRPP ?

Faut-il la faire disparaître ? La question peut être posée, et nous sommes ici pour poser des questions parfois ouvertes. Se justifie-t-elle encore ? Faut-il simplement clarifier certaines de ses missions, notamment en matière de lutte antiterroriste ? Ne faudrait-il pas faire passer cette dernière au sein de la DGSI ?

Il nous semble donc qu'à travers les failles que nous avons pu rencontrer au cours de nos cinq mois de travaux, il n'est pas impossible qu'il soit pertinent de soulever la question de réformes profondes, structurelles, interrogeant le devenir même de la DRPP.

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