Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 5 mars 2020 à 11h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Je reviens tout d'abord sur la dimension du dysfonctionnement individuel.

J'ai encore en tête les échanges que j'ai pu avoir le jour de l'attentat, mais aussi depuis lors, avec plusieurs collègues de Mickaël Harpon. Or il est étonnant de voir combien la dimension personnelle peut jouer face à des événements qui apparaissent aujourd'hui, je ne le conteste pas, comme devant justifier l'alerte, ou comme des éléments qui auraient dû conduire à l'engagement d'une procédure susceptible d'aboutir au retrait de l'habilitation de Mickaël Harpon, voire à d'autres formes d'évolutions ou de sanctions professionnelles. Une dimension liée à sa personnalité est en effet intervenue à l'époque.

Nous sommes à hauteur d'homme. Nous sommes dans des services qui travaillent ensemble. Dans des services qui ont aussi – et cela a été peu abordé – pris en compte la question du handicap de Mickaël Harpon. Cela m'a été dit et rapporté. Parce qu'il avait cette dimension de gêne et d'empêchement dans sa communication, cela a pu conduire certaines personnes à minorer des faits qu'ils n'auraient pas forcément pardonnés à d'autres. Tout cela relève d'une dimension humaine.

Cela montre qu'il nous faut un cadre formel susceptible d'empêcher que cette dimension humaine nous rende moins alertes sur le sujet.

Je l'évoque, non pour défendre qui que ce soit, mais parce que je sais que cette dimension est présente. Il faut effectivement, par la méthodologie et par l'approche structurelle, veiller à ce qu'il n'y ait jamais de faille dans le système parce que l'on aurait trop pris en compte cette dimension.

Mais notre système s'appuie sur des femmes et des hommes, qui ont, comme nous tous, des forces et des faiblesses. Cela vaut pour le ministre, cela vaut pour le parlementaire, cela vaut pour chacun de nos policiers ou de nos gendarmes. Il faut donc les protéger, à l'aide d'un dispositif de signalement qui doit être renforcé.

C'est ce que nous avons fait. Ainsi, les deux circulaires du 25 novembre 2019 – dont, je pense, vous avez connaissance mais que je peux si besoin vous communiquer – du préfet de police et du DGPN exigent que tous les indices de radicalisation fassent l'objet d'une transmission. Elles établissent également une grille de vigilance qui doit être transmise et remplie par la voie hiérarchique. Elles prévoient en outre que l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) soit saisie et puisse instruire de façon systématique tous les signalements, et que les signalements soient transmis à la DGSI et à l'état-major permanent (EMAP) que j'ai installé en janvier 2019 pour pouvoir agir sur ces sujets.

Depuis le 3 octobre 2019, l'EMAP – rassemblant l'ensemble des services travaillant sur les questions dont nous parlons – a été saisi de 287 signalements. Il est entré dans sa phase opérationnelle en janvier 2019, puis est monté en puissance en fin d'année.

Ce sont des mesures que nous avons prises pour protéger le système, mais aussi pour protéger l'individu, l'homme – j'insiste sur ce point – susceptible de commettre une erreur d'appréciation car il prend en compte une dimension personnelle, qu'il ne faut pas négliger.

La commission a raison de poser la question du contrôle interne. C'était d'ailleurs l'objet du travail conduit dans le cadre des deux rapports de l'ISR.

Les réformes organisationnelles prennent du temps, mais peuvent être aussi un risque. Et votre questionnement vise précisément à mesurer cela.

Toutes les questions doivent être posées, y compris les questions organisationnelles. Mais faut-il bouleverser l'organisation actuelle qui a connu des évolutions récentes au regard d'événements qui ont eu lieu il y a cinq ans ? Il faut faire attention à la proportionnalité de la réponse apportée, et aux risques de déstabilisation du service potentiellement contenus dans les propositions que nous allons faire – que vous ferez et que nous mettrons en œuvre, si nous les mettons en œuvre. Mais cela n'empêche pas l'exigence.

J'ai abordé la différence de niveau de travail qui s'observe entre la DGSI et la DRPP – entre le bas, le milieu et le haut du spectre.

Ce qui compte pour moi, c'est aussi l'avis des professionnels, c'est-à-dire de ceux qui exercent les responsabilités à la DGSI ou à la DRPP, qui portent le même niveau d'exigence que vous et qui le vivent au quotidien. Or ils ne souhaitent pas ce rapprochement, car ils ont le sentiment que cela affaiblirait le système.

Enfin, le préfet de police a besoin, dans son dispositif – comme tous les préfets dans les départements – de pouvoir s'appuyer sur un service de renseignement qui est utile pour d'autres sujets que la lutte contre le terrorisme. Il faut donc faire attention à ne pas affaiblir toute la dimension du travail des services de renseignement au motif qu'une faille évidente s'est produite dans un système en 2015, à partir de laquelle plusieurs corrections ont été apportées.

Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable au rattachement de la DRPP à la DGSI.

Le travail de la DRPP n'est pas le cœur de métier de la DGSI. Nous perdrions une expérience sur le bas du spectre, qui ne relève pas de la fonction de la DGSI. Et nous fragiliserions le travail de la DGSI sur le haut du spectre en raison d'un nombre de dossiers trop élevé et d'une potentielle absence de filtres.

C'est sur cet équilibre qu'il faut travailler.

Nous serons évidemment à l'écoute de vos préconisations. Si vous émettez cette préconisation, je testerai formellement les services. Et je serai prêt à revenir devant la commission des Lois sur ce sujet, pour poursuivre votre réflexion. Car cette évaluation doit être conduite à mon sens de façon permanente.

Une très forte élévation des standards de sécurité interne a donc été opérée. Il est nécessaire qu'elle soit plus forte encore – même s'il ne s'agit pas du premier cercle, mais dès lors que l'on touche à la question de l'habilitation SD et que l'on fait face à un accès à un niveau d'information susceptible de faire courir un risque à la sécurité nationale.

S'agissant de la réforme structurelle, je vous ai dit ce que j'en pensais. Non que je sois contre les réformes structurelles. Nous en proposerons d'ailleurs probablement dans le Livre blanc pour l'ensemble de la police, y compris pour la préfecture de police. J'en ai proposé deux qui sont significatives, il y a quelque temps, au Premier ministre – l'une sur la question du renseignement, l'autre sur celle de la gestion du pôle migratoire en Île-de-France. Je ne suis donc pas du tout réservé sur la nécessité de faire bouger les choses.

À l'inverse, je ne souhaite pas considérer qu'au motif que la préfecture de police constituerait un État dans l'État et que, depuis des années, tous les ministres de l'Intérieur ont rêvé un jour de clouer au pilori cette institution, il y aurait une victoire à l'affaiblir. Je n'en tirerais aucune gloriole et ce ne serait pas une victoire si cela revenait à faire baisser le niveau des standards de sécurité que nous devons aux Français.

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