Intervention de Roger Genet

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

La prise en compte, dans les enjeux environnementaux, des approches de type bénéfice/risque renvoie au fait qu'il n'existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique harmonisée. Ainsi, le poids des externalités et son acceptation par toutes les parties représente une question en soi.

Schématiquement, le bénéfice apporté par les médicaments est pris en compte, tant sur le plan médical que sur le plan de la santé. L'autorisation de mise sur le marché des médicaments se fonde sur une évaluation socioéconomique, qui tient compte des bénéfices apportés aux patients. Lorsque je travaillais au ministère de la recherche, j'avais été amené à travailler sur différentes techniques de traitement des tumeurs, et notamment sur des techniques de rayonnement par des ions lourds (hadronthérapie), qui permettent d'atteindre les tumeurs radio-résistantes, de façon extrêmement efficace. Néanmoins, il est apparu que ces techniques n'augmentent pas l'espérance de vie des patients. En conséquence, apportent-elles, ou non, un véritable bénéfice ?

S'agissant d'un pesticide, la problématique est autrement plus complexe. Il est difficile d'en mesurer les impacts sur la santé des abeilles, l'environnement, la filière agricole et le bien des consommateurs et de mettre en relations ces différents aspects pour le décideur public. Depuis 2016, cette responsabilité a été transférée à l'ANSES, avant tout dans un souci de protection de la santé des populations. Dès lors qu'un produit crée un risque sur ce plan, pour l'agriculteur ou le consommateur, il n'est pas autorisé.

En dix ans en Europe, le nombre de substances actives phytosanitaires autorisées est passé de 3 300 à 1 800, soit une diminution de 40 %. De ce fait, la résistance des végétaux progresse et l'on retrouve, dans l'environnement, des quantités de métabolites plus importantes, mais sur un nombre réduit de substances.

Encore une fois, l'évaluation bénéfice/risque intervient pour chaque cas spécifique et demeure complexe : elle l'est d'autant plus qu'il n'existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique. À l'inverse, l'évaluation des risques toxicologiques, par exemple, s'appuie sur des méthodes harmonisées, depuis des décennies, au niveau international. S'agissant de l'approche socioéconomique, il n'y a pas de méthodologie standardisée faisant consensus.

L'ANSES, conformément à son contrat d'objectifs, a produit un rapport qu'elle a remis aux ministères en décembre dernier : elle propose de se doter d'un comité d'experts en analyse socioéconomique, qui essaiera de développer une méthodologie, laquelle pourrait être partagée au niveau européen. Cela ne signifie pas pour autant que l'agence n'a jamais essayé d'éclairer les décideurs publics sur les impacts socioéconomiques de certaines problématiques (la qualité de l'air, par exemple).

Dans la loi sur la biodiversité de 2016, il avait été demandé à l'ANSES de produire un rapport sur :

– les alternatives aux néonicotinoïdes ;

– le développement d'indicateurs destinés à en évaluer l'efficacité ;

– les impacts économiques et environnementaux de l'utilisation desdites alternatives.

L'une des difficultés a tenu au fait que :

– la loi avait été votée en 2016 ;

– les substances étaient interdites à partir de 2018 ;

– les dérogations s'arrêtaient en 2020.

In fine, l'ANSES a pris deux ans pour produire son rapport, pour un délai d'utilisation très court. Dans les faits, ont été recensés 3 600 cas particuliers à traiter pour un produit ciblant une culture et un « ravageur » donnés : il aurait été illusoire de vouloir conduire, sur chacun de ces cas, une étude bénéfice/risque, encore aurait-il fallu disposer de données.

Prenons l'exemple d'une culture traitée depuis des décennies avec un produit de lutte contre les pucerons. Suite à l'arrêt dudit produit, la pression de ces ravageurs variera selon les conditions climatiques : elle n'est toutefois pas modélisable, faute de données relatives à la pression de ces ravageurs en fonction des conditions climatiques.

Dans son troisième volet, le rapport de l'ANSES de 2018 précisait qu'il était impossible de faire une analyse des impacts, filière par filière, de l'utilisation des alternatives identifiées. À titre d'illustration, dans le cas de la betterave, en raison de maladies comme la jaunisse provoquée par le puceron, des alternatives chimiques et non chimiques avaient été identifiées : en dehors des néonicotinoïdes, un seul produit alternatif, disponible sur le marché, avait été identifié.

In fine, il est apparu que les alternatives, en règle générale, avaient :

– des effets plus néfastes – bien qu'acceptables – sur la santé humaine que les néonicotinoïdes ;

– des effets plus positifs que les néonicotinoïdes sur les écosystèmes, exception faite des espèces aquatiques.

En revanche, il est impossible de se prononcer sur l'efficacité et la pertinence économique d'une alternative sans qu'elle ait été utilisée. Plusieurs types d'alternatives avaient été identifiés, à savoir :

– des alternatives en cours de développement, ciblant des variétés résistantes à la jaunisse ;

– le recours à des pratiques agronomiques existant au sein d'autres pays, mais ayant besoin d'être adaptées à situation propre à la France ;

– la lutte biologique, sans disposer de moyens aujourd'hui réellement utilisables.

De fait, aucune des alternatives identifiées n'était directement utilisable pour lutter contre la jaunisse. L'an passé, elles ont été utilisées, permettant une production normale. Cette année, elles ont souffert de conditions climatiques défavorables. L'ANSES est dans l'incapacité, faute de données, d'évaluer leur efficacité et de la modéliser. D'autres acteurs, les centres techniques et l'INRAE peuvent apporter des données complémentaires.

Le règlement européen donne la possibilité aux États membres, dans des situations exceptionnelles et d'urgence, de déroger à la réglementation : il autorise ainsi la délivrance d'agréments à des produits sans AMM ou interdits, afin de gérer, à défaut d'alternative, tel ou tel « ravageur ». En l'espèce, c'est l'analyse bénéfice/risque qui prévaut : l'impact potentiel sur l'environnement et sur les abeilles, au regard des conséquences sur les plans économique et sanitaire.

L'objectif est de minimiser l'exposition des populations aux risques. Même s'ils respectent les conditions d'utilisation fixées, les produits pesticides s'accompagnent d'un risque, certes acceptable. Comment garantir l'activité économique et la pérennité des filières, tout en préservant l'environnement et la santé ?

Par ailleurs, certains produits génèrent des résistances, lesquelles remettent en cause leur efficacité : ils ne sont pas autorisés, même s'ils ne posent aucun problème sanitaire. De fait, l'ANSES intègre, dans ses évaluations, les notions de risque et d'efficacité. Selon la réglementation européenne, il convient, enfin, d'identifier a minima trois alternatives pour chaque usage : face à un risque donné toutefois, il est de moins en moins possible de répondre à cette exigence.

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