Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ANSES
  • cancer
  • dédié
  • expertise
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La réunion

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L'audition débute à seize heures dix.

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Je vous propose de reprendre les travaux de la commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques en matière de santé environnementale, avec l'audition des représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).

La constitution de la présente commission d'enquête a été demandée par plus d'une trentaine de parlementaires. Elle a pour objectif de dresser un bilan des politiques publiques en matière de santé environnementale. Il s'agit ainsi :

– d'identifier les rôles des différents organismes avec, présentement, un éclairage sur la participation de l'ANSES au dispositif général de prise en compte des questions liées à la santé environnementale ;

– d'examiner la manière dont les services sont organisés ;

– de se pencher sur les ressources et sources de financement mobilisées ;

– de débattre des objectifs poursuivis et des moyens affectés en regard ;

– d'analyser les points faibles et points forts identifiés ;

– de recueillir toute suggestion d'amélioration de la gouvernance et de la performance des politiques publiques en matière de santé environnementale.

Pour rappel, les membres de l'ANSES, avant de s'exprimer, devront prêter serment. En effet, nos discussions vont intervenir au sein d'une commission d'enquête, et non d'une mission d'information.

Je suppose que vous allez être, M. Roger Genet, en votre qualité de directeur général de l'ANSES, le principal orateur. Quelles sont, parmi les cinq personnes qui vous accompagnent, celles qui vont prendre la parole ? Je n'imagine pas, en effet, que ces dernières s'expriment toutes. Enfin, je suppose que vous allez être le premier à vous exprimer.

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Absolument. M'accompagnent deux directeurs délégués, M. Gérard Lasfargues, professeur de médecine en santé au travail et directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise, Mme Caroline Semaille, directrice générale déléguée, pôle produits réglementés, directrice générale déléguée en charge du pôle produits réglementés (médicaments vétérinaires, produits phytosanitaires et produits biocides) et M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques. Je vous propose de leur céder la parole, si vous souhaitez obtenir des réponses très précises à des questions qui le seraient non moins.

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Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : je le jure.

(M. Roger Genet prête serment).

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Avant toute chose, pourriez-vous, en préambule, nous présenter le fonctionnement de l'ANSES et nous expliquer en quoi l'agence participe aux politiques publiques en matière de santé environnementale ? Enfin, quelle est votre définition de la santé environnementale ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie d'avoir organisé cette audition, qui nous permettra d'expliciter nos missions et notre rôle. En rejoignant la salle, nous avons croisé le représentant de Santé publique France, qui a précédemment été auditionné. Bien évidemment, nos deux agences sont pleinement impliquées dans le champ de la santé publique, avec une articulation très claire, qui avait été décrite à l'occasion des Assises des risques, organisées à Bordeaux, l'année dernière.

Santé publique France conduit des études populationnelles : en d'autres termes, elle examine les effets des mesures prises sur la santé de la population. L'ANSES, pour sa part, se concentre sur l'évaluation des risques. Agence d'expertise sanitaire, elle a célébré son dixième anniversaire en juillet. Elle a pour mission principale d'évaluer les risques inhérents à la vie quotidienne, à savoir :

– les risques liés à des expositions à des substances chimiques ;

– les risques biologiques ;

– les risques physiques (ondes, champs magnétiques).

L'ANSES évalue les risques, avérés ou potentiels, pour la santé et l'environnement. Elle a développé une vision de la qualité de l'environnement, du lien entre la qualité de l'environnement et la santé humaine et des impacts de l'environnement sur la santé. Ces différentes problématiques sont aujourd'hui pleinement plébiscitées, à travers le concept One Health : dans ce cadre, la santé animale, la santé végétale, l'alimentation, la qualité-environnement et la santé au travail sont totalement intégrées et interdépendantes.

Il y a un an, l'ANSES a été auditionnée par les missions d'inspection dédiées à la préparation du plan national santé-environnement IV, à partir d'un bilan du plan précédent. En pratique, l'agence consacre l'intégralité de son budget, qui s'établit à 160 millions d'euros, à la santé environnementale. Ainsi, ses différentes missions concourent-elles à la santé environnementale, qui recouvre de multiples dimensions : la crise sanitaire actuelle rappelle que ces dernières sont totalement interdépendantes.

L'ANSES, qui emploie 1 500 personnes, exerce une mission d'expertise. À ce titre, elle publie des synthèses de l'ensemble des travaux de recherche menés et des données disponibles, concernant les risques inhérents à l'ensemble de son domaine de compétence. Cette activité d'expertise, principalement portée par la direction de l'évaluation des risques, mobilise plus de 900 scientifiques, pour 80 % d'entre eux issus de la recherche publique académique française. Les comités d'experts ainsi constitués réalisent de 200 à 250 avis chaque année, en réponse à des saisines, pour 80 % d'entre elles en provenance des ministères de tutelle. Pour rappel, l'ANSES est placée sous la tutelle principale de cinq ministères, à savoir le ministère de l'agriculture, le ministère de l'environnement, le ministère de la santé, le ministère du travail et le ministère de l'économie (répression des fraudes). Son conseil d'administration réunit les cinq collèges du Grenelle de l'environnement, lesquels peuvent la saisir : les ONG, les interprofessions, les représentants de l'association des départements de France ou de l'association des régions de France, les grandes centrales syndicales.

Pour rendre des avis d'expertise scientifique, il convient de disposer de données scientifiques et de connaissances. Aussi l'ANSES a-t-elle, en son sein, la possibilité de produire de la recherche, et cela dans trois domaines principaux :

– la santé et le bien-être des animaux ;

– la sécurité des aliments ;

– la santé et la protection des végétaux.

Les laboratoires de l'ANSES, qui travaillent en collaboration avec les organismes de recherche et des universités français, portent des mandats de référence. Pour un certain nombre de pathologies-clés, ils constituent la référence sur le plan national ou européen. Par exemple, le laboratoire de Sofia Antipolis de l'ANSES est le laboratoire européen de référence, concernant la santé des abeilles : à ce titre, il est en charge de la coordination des laboratoires de référence des 27 états membres de l'Union Européenne, pour ce qui concerne les méthodes utilisées pour suivre la mortalité des abeilles, qu'il s'agisse des maladies virales, bactériennes, parasitaires ou de l'impact des produits chimiques sur la viabilité des abeilles.

Au total, les laboratoires de l'ANSES disposent de 105 mandats de référence. Ceux-ci portent principalement sur des maladies transmissibles à l'homme (rage par exemple) : il s'agit de maladies de catégorie 1, zoonotiques, qui nécessitent un suivi attentif. Ils fixent ainsi les méthodes d'analyse à utiliser et coordonnent l'effort des laboratoires départementaux, lesquels sont, par exemple, chargés de la réalisation des analyses en première intention (grippe aviaire, peste porcine africaine, par exemple).

Chaque année, l'ANSES réalise environ 400 publications scientifiques, de niveau international, ce qui lui permet de faire le lien entre l'expertise produite et les laboratoires de recherche académique. L'idée est ainsi d'orienter la recherche vers des données utiles à l'expertise, directement incorporables dans les avis.

L'ANSES est également en charge de l'évaluation des produits réglementés. Au niveau européen, ces derniers nécessitent l'obtention d'autorisations de mise sur le marché. Il s'agit notamment de médicaments humains ou vétérinaires, de produits phytosanitaires et de produits biocides. À l'exception des médicaments humains, qui dépendent de l'agence du médicament, les autres médicaments sont placés sous la responsabilité de l'ANSES : il est à noter qu'en 2015, le législateur lui a transféré le pouvoir de délivrer ou de retirer les AMM. À ce titre, elle a une mission d'évaluation et de gestion des risques, même si les ministères demeurent l'autorité de mise en œuvre de mesures transversales.

Aux fins de maximiser son efficacité dans ses trois missions et d'intégrer les volets de recherche, d'expertise et d'évaluation des produits réglementés, l'agence a mis en place une activité « chapeau » d'une double nature. L'idée est d'abord de récupérer des données de terrain. À cette fin, l'ANSES coordonne divers réseaux de vigilance. S'agissant de la toxicovigilance, par exemple, les centres anti-poisons, présents à l'hôpital, sont coordonnés par l'ANSES afin de permettre une remontée des signaux d'intoxications alimentaires, aux fins d'en analyser les causes. Les mêmes principes valent pour le réseau hospitalier national de vigilance dédié aux pathologies professionnelles, également coordonné par l'ANSES. En parallèle, un réseau de nutrivigilance, consacré aux compléments alimentaires, a été mis en place, de même qu'un réseau de phytopharmacovigilance, suite à la loi agricole de 2014. Une taxe assise sur le chiffre d'affaires des sociétés qui commercialisent des produits pesticides permet de financer des études ou des réseaux de collecte de données sur l'impact de ces produits phytosanitaires ou phytochimiques sur le vivant, sur les écosystèmes, sur les organismes cibles, dans l'environnement.

Depuis 12 ans, l'ANSES pilote, pour le compte des ministères de l'environnement et du travail, le programme national de recherche environnement-santé-travail, doté d'un budget qui oscille entre 6 et 8 millions d'euros. Dans ce cadre, un comité de pilotage, au sein duquel siègent les ministères et diverses agences (par exemple, l'Institut national du cancer ou l'ADEME), a été constitué. Des appels à candidatures sont régulièrement lancés, concernant des travaux de recherche sur trois ans, portant sur des sujets en phase avec les expertises de l'ANSES afin d'en compléter les données et les connaissances. Le programme précité a permis de financer de nombreuses équipes de recherche en France : pendant les quatorze années de mise en œuvre du plan, pas moins de 504 projets de recherche ont été financés, pour un total de 71,5 millions d'euros. 1 200 équipes de recherche ont été impliquées et 900 publications réalisées.

Le programme national de recherche environnement-santé-travail constitue le volet recherche, lancé en 2005, du plan santé-travail et du plan national santé-environnement, tous deux lancés en 2004. Il représente environ 50 % de l'effort national, ce qui est très faible. En effet, des colloques scientifiques dédiés à la restitution des travaux sont organisés avec d'autres agences de financement, comme l'agence nationale de la recherche. Celle-ci a ainsi mobilisé, sur le programme précité, une douzaine de millions d'euros, pour un budget total de 700 millions d'euros. À titre de comparaison, la recherche biomédicale représente 45 % du financement global des appels à projets en France.

Quoi qu'il en soit, le programme national de recherche environnement-santé-travail est loin d'être négligeable dans l'effort national de financement de la recherche sur appels à projets.

L'ANSES joue donc un rôle d'agence de financement, un rôle de laboratoire de recherche et un rôle d'expertise et de coordination des expertises. Bien évidemment, les structures l'ayant précédée, à savoir l'AFSSA (agence française de sécurité sanitaire des aliments) et l'AFSSET (agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail) ont été impliquées, dès 2009, dans le premier plan santé-environnement. L'ANSES est née de la fusion de ces deux structures en 2010.

Le plan national santé-environnement III, dont l'évaluation a été réalisée, intégrait de multiples actions, nuisant à la lisibilité globale de ces dernières. Cela étant, nombre d'entre elles ont avancé et produits des résultats. L'ANSES était le partenaire unique de trois actions et contribuait, avec d'autres acteurs, à 45 autres actions. Elle devait tout particulièrement, à la demande des ministères, s'impliquer dans une dizaine d'actions.

Aussi l'ANSES a-t-elle été amenée à travailler sur des thématiques très diverses, à travers :

– l'action n° 3 du plan précité, dédiée à l'évaluation et à la gestion des risques inhérents à des expositions à des fibres liées à des variétés d'amiante non exploitées : il s'agissait de fibres d'actinolite et de fragments de clivage. Dans ce cadre, l'ANSES a rendu, en 2017, un avis sur l'exposition à ces derniers, notamment en milieu professionnel ;

– une action dédiée à l'amélioration de la gestion des risques sanitaires impliquant la faune et la flore sauvages. L'ANSES a par exemple actualisé l'état des connaissances liées à la berce du Caucase, espèce envahissante ;

– une action d'analyse du rôle des facteurs environnementaux sur le développement des maladies métaboliques et de leur contribution aux gradients sociaux et territoriaux. L'ANSES a porté une enquête consacrée aux consommations et aux habitudes alimentaires des Français : baptisée INCA 3. Ses résultats avaient été publiés juste avant les états généraux de l'alimentation. Sur cette base, elle a conduit, en 2016, une enquête très détaillée sur l'exposition à des contaminants, par voie alimentaire, des enfants jusqu'à l'âge de trois ans afin d'en identifier les origines. L'heure est à la relance d'une enquête portant sur la population générale.

Dans le plan nutrition-santé, l'ANSES s'est penchée sur la transmission des repères nutritionnels, qui s'entendent des conseils alimentaires donnés à la population sans provoquer de maladie métabolique. Elle a également travaillé sur la pertinence des actions de surveillance sanitaire des populations, en se focalisant sur le mercure, le plomb et le cadmium. Le mois dernier, elle a rendu un avis sur le cadmium, déterminant des valeurs d'exposition de référence.

L'ANSES avait également été associée à l'action n° 26, dédiée à l'électro-hypersensibilité, c'est-à-dire aux populations qui ressentent des troubles liés à l'exposition à des champs magnétiques ou à des radiofréquences.

Le plan santé-environnement prévoyait la mise en œuvre d'une campagne nationale de surveillance des pesticides dans l'air. En 2017, l'ANSES a produit un premier rapport dit de méthode. Il s'agissait, dans ce cadre, de déterminer les modalités de mesure des pesticides dans l'air. L'ANSES a ensuite passé une convention avec l'INERIS et des associations dédiées à la qualité de l'air, ce qui a abouti au lancement, durant un an, d'une campagne pour mesurer ces polluants, qui a pris fin en juin 2019 : elle portait sur 50 sites français et 70 substances. Le rapport final a été présenté au Conseil national de l'air le 5 juillet dernier.

L'ANSES a travaillé sur la question des nanomatériaux présents dans l'alimentation et les produits cosmétiques. Elle a d'ores et déjà publié la première partie de son rapport, dédiée aux nanomatériaux présents dans l'alimentation. Le rapport final sera disponible au début de l'année 2021.

L'ANSES a beaucoup travaillé en ce qui concerne :

– le dioxyde de titane, dont la présence dans l'alimentation a été interdite par la loi EGA en 2017 ;

– les risques inhérents aux LED et à la lumière bleue, avec un premier avis publié en 2015 et révisé en 2019 (action 37 du plan) ;

– les risques liés aux ondes électromagnétiques (action 78 du plan).

Sur ce dernier point, une taxe s'ajoutant à la taxe IFER, collectée sur les antennes relais, avait été instituée à la suite du Grenelle de l'environnement : elle avait permis le financement d'actions de recherche en lien avec les effets, sur la santé, des radiofréquences. Si elle a été supprimée il y a deux ans, ce financement a été « rebasé » au sein du budget de l'agence qui continue donc à disposer du financement d'une grande étude internationale, menée par le centre international de recherche en cancérologie de Lyon, qui dépend de l'OMS, dédiée au lien entre le cancer et les radiofréquences, à partir de la cohorte française.

Au total, l'ANSES est impliquée dans une cinquantaine des actions du plan, s'agissant de thématiques très variées, en lien avec la santé animale, la protection des plantes, les résidus de produits chimiques, les expositions alimentaires et aériennes et la qualité de l'air. L'agence a publié plusieurs rapports à propos de la qualité de l'air intérieur et extérieur. Elle a publié l'étude Pesti'home, qui porte sur la présence de produits chimiques au domicile des individus. Nombre de ses travaux s'inscrivent dans les actions du plan national santé-environnement.

La question de la gouvernance de ce dernier et de la visibilité des actions menées peut se poser. Elle l'a été par les rapports d'évaluation des inspections. Le lien entre la qualité de l'environnement et la santé irrigue pratiquement tous les travaux de l'agence aujourd'hui : il est donc difficile de distinguer, dans l'organisation, ce qui relève de la santé environnementale et, par exemple, de la santé au travail, au regard de l'imbrication de ces deux problématiques.

Pour conclure, l'ANSES a été saisie par différents ministres de la question des micro-plastiques : j'ai eu l'honneur de présider un comité du G7-recherche qui y était consacré. Elle a été saisie de la question des impacts des cosmétiques sur la qualité des coraux et la santé, dans une perspective bénéfices/risques. Plus globalement, elle est destinataire de 250 à 300 saisines chaque année, nombre des actions afférentes entrant dans le champ de la santé environnementale.

Enfin, le plan national santé-environnement IV – Ma Santé-Mon Environnement – se doit d'intégrer les très nombreux plans nationaux préexistants. Il y a quelques années, chaque ministère lançait ses propres plans, alors qu'ils participaient, finalement, d'une même action au niveau national. Le plan national Ma Santé-Mon Environnement intégrera différentes « facettes », dont la stratégie nationale dédiée aux perturbateurs endocriniens, ce qui constituera un gage d'efficacité. Bien évidemment, il est indispensable, en la matière, d'arrêter des objectifs environnementaux qui « parlent aux citoyens ». En d'autres termes, le plan doit être porteur d'objectifs chiffrés et précis, exposant clairement les gains et évolutions attendus, ainsi que la situation de départ et la situation cible. C'est en effet sur ces points que le précédent plan avait pêché : faute d'intégrer des indicateurs de la qualité de l'environnement décrivant la situation de départ, il est très difficile de vouloir déterminer clairement la situation cible. En tout état de cause, il est indispensable, contrairement à ce qui a pu se passer au cours des dernières années, de trouver un consensus autour :

– d'indicateurs de qualité environnementale, permettant de décrire précisément la situation actuelle ;

– d'indicateurs cibles, aux fins de prendre la mesure de l'amélioration de la qualité environnementale.

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Je vous remercie pour la concision et la qualité de votre présentation, qui nous a permis de prendre la mesure des nombreuses missions portées par l'ANSES. Cette dernière est entièrement dédiée à la santé environnementale. En outre, je vous remercie d'avoir esquissé de premières pistes d'amélioration et d'avoir exposé les espoirs que vous mettez dans le PNSE IV. Il reste bien évidemment à espérer que ce dernier sera à la hauteur des objectifs visés, en tenant notamment compte des échecs des plans nationaux précédents, tels qu'ils ont été mis en évidence dans les rapports d'évaluation des inspections.

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Pourriez-vous revenir sur le processus de décision mis en œuvre, pour fixer les priorités de l'ANSES ? Le fait que cette dernière soit impliquée dans plus de 45 actions ne nuit-il pas à son efficacité ? Enfin, quelles sont les nouveautés apportées par le concept One Health ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Au-delà des termes utilisés, le concept One Health n'apporte pas, en lui-même, de grandes nouveautés. À mon sens, ce sont avant tout les mentalités qui doivent changer. Pour rappel, la Covid-19 provient de réservoirs animaux. Or la gestion d'une maladie animale n'est pas sans rapport avec son transfert chez l'Homme. La prévention, sur ce plan, passe notamment par la médecine vétérinaire et la prévention au sein des élevages.

Malheureusement, dans les faits, les différents acteurs travaillent tous de manière isolée. À titre d'illustration, les laboratoires de référence dédiés à la santé animale et à la sécurité des aliments sont à l'ANSES. S'agissant des maladies humaines, comme la rage par exemple, l'Institut Pasteur joue le rôle de laboratoire de référence.

Chaque année, les laboratoires de référence dédiés aux maladies humaines et les laboratoires de référence dédiés à la santé animale et à la sécurité des aliments se réunissent. S'ils saisissent cette opportunité pour dialoguer, il n'en demeure pas moins qu'ils appartiennent à des communautés isolées. Il est donc primordial de rapprocher ces dernières. Dans la crise sanitaire actuelle, les laboratoires vétérinaires ont su se mobiliser pour produire des réactifs, ce qui ne tombait pas sous le sens jusqu'à présent. En effet, les laboratoires pharmaceutiques en santé humaine utilisent des référentiels différents, même si les compétences sont les mêmes.

Le concept One Health doit avant tout être porteur de changements à cet égard. L'agence européenne dédiée aux crises sanitaires (European Center for Disease Prevention and Control ECDC) a pour objectif de renforcer la dimension One Health, dans la gestion des crises. Il est primordial de veiller à ce qu'il y ait une articulation entre les agences d'expertise et d'évaluation des risques, en charge du traitement des crises, et les centres de recherche, articulation permettant de surmonter la séparation des communautés.

Par ailleurs, l'ANSES s'appuie sur 1 400 personnes et une trentaine de comités d'experts spécialisés (qualité de l'air, santé animale, etc.). Elle est soumise aux attentes extrêmement fortes de ses ministères de tutelle et de la société civile, en ce sens qu'elle a vocation à éclairer les politiques publiques et à protéger la population. Elle est organisée pour traiter des sujets très divers. Bien évidemment, cette démarche présente quelques limites, ses ressources financières, humaines et intellectuelles n'étant pas illimitées.

L'ANSES est l'une des quinze grandes agences mondiales qui produisent des expertises de référence. La priorisation des sujets constitue un exercice complexe. Si les nouvelles demandes sont nombreuses, aucune demande, en parallèle, ne s'éteint jamais. À titre d'exemple, l'ANSES a mené des travaux sur les LED et la lumière bleue : il n'en demeure pas moins que cette problématique demeure. Aussi les expertises doivent-elles être actualisées régulièrement.

La démarche de priorisation de l'ANSES repose d'abord sur la fixation de son programme de travail. Ce dernier est soumis à l'approbation du conseil d'administration chaque année. Dans ce cadre, des conseils d'orientation thématiques sont réunis : toutes les parties prenantes – ONG, associations, interprofessions – y participent. Ces instances sont l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée, d'exposer les priorités identifiées et de recueillir les attentes des parties prenantes. Le programme de travail est arrêté sur cette base, en vue de sa présentation, en novembre, aux parties prenantes et aux ministères de tutelle, et avant son vote en conseil d'administration.

En pratique, la programmation n'est jamais totalement respectée. Chaque année, elle ne prévoyait pas de 20 % à 30 % des saisines de l'ANSES. À titre d'exemple, l'incendie du site Lubrizol a suscité pas moins de dix saisines, auxquelles il a fallu répondre en urgence. Dans la crise Covid-19, l'ANSES a rendu plus de dix avis en urgence, portant, par exemple, sur le traitement des eaux usées, les masques ou la transmission par les animaux domestiques.

En complément, l'agence doit régulièrement composer avec de nouvelles missions. Citons, à titre d'exemple, l'élaboration des tableaux de maladie professionnelle, la surveillance des produits du tabac et du vapotage ou les biotechnologies.

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Plusieurs produits dangereux étaient utilisés par le passé. Ils ont parfois continué à l'être durant des années. Parfois, ils ont rapidement été bannis. Quelles ont été les conditions de ces succès et échecs ? Comment améliorer la prise en compte des travaux que vous menez en amont ? En France malheureusement, les réflexions menées en amont ne sont pas toujours prises en compte.

De quels pouvoirs d'investigation l'ANSES dispose-t-elle ? Exerce-t-elle un pouvoir de contrôle de l'application de ses recommandations et du respect des interdictions édictées par la loi, suite à ses préconisations ? Enfin, comment l'ANSES travaille-t-elle, le cas échéant, avec la DGCCRF ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

L'ANSES est avant tout une agence d'expertise scientifique. Elle a donc pour rôle d'éclairer les décideurs publics, sur la base d'éléments scientifiques, fondés sur les connaissances disponibles à l'instant T au niveau mondial. L'AFSSA avait été créée après la crise de la vache folle, en 1998 : à l'époque, elle était présidée par M. Martin Hirsch. L'idée était alors :

– de pouvoir s'appuyer sur une instance scientifique indépendante, destinée à éclairer les décideurs publics ;

– de bien distinguer le rôle d'évaluateur de celui du gestionnaire de risque.

Il arrive que le gestionnaire de risque ne suive pas les recommandations édictées par l'ANSES, puisqu'il doit également tenir compte d'autres considérations, comme des considérations économiques. Ainsi, l'agence n'intègre pas, dans ses évaluations, la question du coût/bénéfice. Elle délivre un avis et peut expertiser des scénarios de gestion : dans le cadre de la grippe aviaire, par exemple, s'était posée la question de la décontamination des camions de transport.

Au titre de l'éventuelle propagation de la peste porcine africaine de la Belgique vers la France, l'ANSES a fourni une évaluation statistique, tenant compte du niveau de protection. Elle peut donc évaluer, à l'aide d'une approche probabiliste, les risques à l'aune de différents scénarios de gestion. Bien évidemment, elle participe à un réseau européen, aux fins d'améliorer les modèles et les méthodes d'évaluation des risques.

L'ANSES est toujours saisie dans un domaine d'incertitudes. Dès lors qu'un risque est avéré, ce n'est généralement pas l'ANSES qui est interrogée, mais Santé publique France. À titre d'exemple, une fibre d'amiante unique peut entraîner, chez un sujet sensible, un cancer spécifique de la plèvre. Le risque est avéré. On se situe dans la prévention et la protection. Pour sa part, l'ANSES se penche sur des risques potentiels : les concernant, l'idée est de déterminer la probabilité qu'ils aient des effets sur la santé.

Dans le domaine de la santé environnementale, l'une des principales difficultés tient au fait qu'il n'est pas toujours possible d'établir, à partir de données scientifiques, un lien de causalité directe entre un facteur, une cause et un effet, entre une pathologie et la sensibilité individuelle.

Par ailleurs, l'ANSES s'appuie sur la littérature internationale, qu'elle en soit à l'origine ou pas. En revanche, elle n'a pas de pouvoir d'investigation sur le terrain. Santé publique France, pour sa part, dispose de centres d'investigation régionaux. L'ANSES produit plutôt des valeurs de référence toxicologiques, sur lesquelles les services de l'État s'appuient pour quantifier un risque et prendre, en regard, des décisions. L'ANSES est un référent scientifique.

Toutefois, s'agissant des produits réglementés, l'État a confié à l'agence une responsabilité de gestionnaire de risque : celle-ci a désormais le pouvoir de validation ou de retrait d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). S'agissant des médicaments vétérinaires, tel a toujours été le cas. Ainsi, l'agence du médicament vétérinaire, intégrée à l'ANSES, a toujours eu une mission d'évaluation, de décision et de contrôle : pour cela, elle s'appuie sur des inspecteurs qui diligentent des contrôles dans les usines de production de médicaments vétérinaires.

En complément, l'État nous a transféré, en 2015 puis en 2016, le pouvoir d'autoriser ou de retirer les produits phytosanitaires et biocides : en revanche, il a conservé le pouvoir de contrôle. À titre d'illustration, plus de six services de l'État, comme par exemple la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ont pour rôle de vérifier que les conditions d'utilisation des produits phytosanitaires sont conformes aux autorisations de mise sur le marché.

Les activités d'investigation et de contrôle de l'ANSES – qui ne mobilisent que 90 personnes sur 1 400 – sont extrêmement limitées, puisque circonscrites aux médicaments vétérinaires. Les concernant, elle joue, de fait, le même rôle que l'agence du médicament, s'agissant du médicament humain.

Enfin, la DGCCRF est l'une des cinq autorités de tutelle de l'ANSES. Sa proximité avec ses autorités de tutelle est beaucoup plus forte que peut l'être celle des établissements publics « standards ». En effet, les tutelles n'ont pas simplement un rôle de financeurs : elles sont également des donneurs d'ordres. Des réunions régulières sont organisées avec les cinq directeurs généraux de la direction générale de l'alimentation, de la direction générale de la prévention des risques, de la direction générale de la santé, de la direction générale du travail et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Cette dernière saisit régulièrement l'ANSES, concernant, par exemple, les aliments destinés à des fins médicales spéciales. La réglementation prévoit la prise d'un certain nombre de décisions après avis de l'ANSES. L'an passé, l'agence avait publié un avis sur les risques liés aux couches-culottes, sujet qui n'avait jamais été étudié dans le monde. Puisque deux articles de presse avaient pointé la présence de pesticides dans les couches, l'ANSES avait été saisie par les ministres concernés, aux fins :

– de mesurer et caractériser les résidus trouvés ;

– de quantifier le degré d'exposition ;

– de conclure sur l'existence, ou non, d'un risque pour les enfants.

La DGCCRF, in fine, a réuni les grands producteurs de couches pour leur demander de prendre, en urgence, des mesures correctives. En pratique, ce ne sont pas tant les résidus de pesticides qui posaient problème, car en quantité infime, que les produits de collage ou de blanchissement utilisés, à des concentrations pouvant poser des problèmes sanitaires.

L'agence a également beaucoup travaillé avec la DGCCRF sur les contenants alimentaires, qui peuvent contaminer l'alimentation.

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Pour résumer, l'ANSES effectue un travail scientifique en amont et édicte des recommandations : si j'ai bien compris, l'application – ou non – de ces dernières n'est plus de sa responsabilité. Force est de constater que certaines des formulations employées sont trompeuses. Vous avez ainsi indiqué que l'ANSES était chargée du suivi de l'exposition alimentaire de la population, ce qui est quelque peu ambigu.

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Je n'ai pas répondu à la première partie de la question posée par Mme Marine Le Pen. En tout état de cause, les décideurs publics doivent naturellement intégrer d'autres considérations dans l'exercice de leurs responsabilités.

Par exemple, l'ANSES, dans un avis de 2017, avait recommandé l'interdiction des cabines de bronzage. À l'occasion de discussions avec d'autres États européens, il est apparu que certains d'entre eux, nordiques en particulier, ne pouvaient pas, du fait de leur faible ensoleillement, se passer des cabines de bronzage. Ils étaient donc opposés à leur interdiction au niveau européen. Une telle question est très politique. Sur ce plan, la question est donc de savoir si les mesures d'encadrement proposées sont productives ou non. L'interdiction de l'alcool, par le passé, avait favorisé la contrebande : était-elle, de ce fait, la meilleure solution ? Quoi qu'il en soit, l'agence s'efforce de laisser les décideurs publics libres d'exercer leurs responsabilités, sur la base d'un état des lieux des risques, mais de façon telle que d'autres paramètres puissent être pris en considération.

Par ailleurs, l'histoire a montré la gestion défaillante de l'amiante : l'état des connaissances scientifiques était, in fine, suffisamment clair pour prononcer l'interdiction totale de l'amiante. Malheureusement, cette décision est intervenue beaucoup trop tardivement.

Les perturbateurs endocriniens ou les nanomatériaux sont régulièrement débattus. Les concernant, les décideurs ont opté pour la réglementation, alors que les débats scientifiques, complexes et approfondis, sont très loin d'être conclusifs. Néanmoins, la demande de la société est telle que la décision a été prise de réglementer d'ores et déjà. Distincte de la situation d'excès de risque, l'appréciation du coût bénéfice/risque de chaque action doit être le fait des décideurs publics, sans que nous puissions y procéder à sa place. Pourquoi un produit est-il interdit aujourd'hui et ne l'était pas hier ? Parce que les données accumulées du fait de l'évolution des connaissances montrent que le risque – une substance représente un risque par nature – au regard de tous les éléments dont on peut disposer est devenu inacceptable.

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Au préalable, je tenais à vous remercier pour votre intervention, qui est réellement passionnante. Vous avez été auditionné à l'occasion de l'examen du projet de loi dédié aux néonicotinoïdes. En 2016, vous aviez préconisé de ne pas les utiliser pour les semences. La littérature scientifique associée a-t-elle évolué ? Disposez-vous de nouvelles données ? Comment analysez-vous la décision politique prise, à l'aune de votre expertise scientifique ?

En complément, vous avez précédemment indiqué que l'ANSES ne tenait pas compte du ratio coût/bénéfice. Cependant, vos différentes analyses scientifiques mettent parfois en lumière les coûts sociétaux ou économiques de tel ou tel produit. Par exemple, la diminution de la population des abeilles ne sera pas sans conséquences sur la pollinisation ou la biodiversité.

Je suppose que l'ANSES est en capacité de donner un avis scientifiquement motivé sur les déséquilibres résultant de la non-application de ses préconisations. Le fait-elle ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

La prise en compte, dans les enjeux environnementaux, des approches de type bénéfice/risque renvoie au fait qu'il n'existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique harmonisée. Ainsi, le poids des externalités et son acceptation par toutes les parties représente une question en soi.

Schématiquement, le bénéfice apporté par les médicaments est pris en compte, tant sur le plan médical que sur le plan de la santé. L'autorisation de mise sur le marché des médicaments se fonde sur une évaluation socioéconomique, qui tient compte des bénéfices apportés aux patients. Lorsque je travaillais au ministère de la recherche, j'avais été amené à travailler sur différentes techniques de traitement des tumeurs, et notamment sur des techniques de rayonnement par des ions lourds (hadronthérapie), qui permettent d'atteindre les tumeurs radio-résistantes, de façon extrêmement efficace. Néanmoins, il est apparu que ces techniques n'augmentent pas l'espérance de vie des patients. En conséquence, apportent-elles, ou non, un véritable bénéfice ?

S'agissant d'un pesticide, la problématique est autrement plus complexe. Il est difficile d'en mesurer les impacts sur la santé des abeilles, l'environnement, la filière agricole et le bien des consommateurs et de mettre en relations ces différents aspects pour le décideur public. Depuis 2016, cette responsabilité a été transférée à l'ANSES, avant tout dans un souci de protection de la santé des populations. Dès lors qu'un produit crée un risque sur ce plan, pour l'agriculteur ou le consommateur, il n'est pas autorisé.

En dix ans en Europe, le nombre de substances actives phytosanitaires autorisées est passé de 3 300 à 1 800, soit une diminution de 40 %. De ce fait, la résistance des végétaux progresse et l'on retrouve, dans l'environnement, des quantités de métabolites plus importantes, mais sur un nombre réduit de substances.

Encore une fois, l'évaluation bénéfice/risque intervient pour chaque cas spécifique et demeure complexe : elle l'est d'autant plus qu'il n'existe pas, sur ce plan, de méthode scientifique. À l'inverse, l'évaluation des risques toxicologiques, par exemple, s'appuie sur des méthodes harmonisées, depuis des décennies, au niveau international. S'agissant de l'approche socioéconomique, il n'y a pas de méthodologie standardisée faisant consensus.

L'ANSES, conformément à son contrat d'objectifs, a produit un rapport qu'elle a remis aux ministères en décembre dernier : elle propose de se doter d'un comité d'experts en analyse socioéconomique, qui essaiera de développer une méthodologie, laquelle pourrait être partagée au niveau européen. Cela ne signifie pas pour autant que l'agence n'a jamais essayé d'éclairer les décideurs publics sur les impacts socioéconomiques de certaines problématiques (la qualité de l'air, par exemple).

Dans la loi sur la biodiversité de 2016, il avait été demandé à l'ANSES de produire un rapport sur :

– les alternatives aux néonicotinoïdes ;

– le développement d'indicateurs destinés à en évaluer l'efficacité ;

– les impacts économiques et environnementaux de l'utilisation desdites alternatives.

L'une des difficultés a tenu au fait que :

– la loi avait été votée en 2016 ;

– les substances étaient interdites à partir de 2018 ;

– les dérogations s'arrêtaient en 2020.

In fine, l'ANSES a pris deux ans pour produire son rapport, pour un délai d'utilisation très court. Dans les faits, ont été recensés 3 600 cas particuliers à traiter pour un produit ciblant une culture et un « ravageur » donnés : il aurait été illusoire de vouloir conduire, sur chacun de ces cas, une étude bénéfice/risque, encore aurait-il fallu disposer de données.

Prenons l'exemple d'une culture traitée depuis des décennies avec un produit de lutte contre les pucerons. Suite à l'arrêt dudit produit, la pression de ces ravageurs variera selon les conditions climatiques : elle n'est toutefois pas modélisable, faute de données relatives à la pression de ces ravageurs en fonction des conditions climatiques.

Dans son troisième volet, le rapport de l'ANSES de 2018 précisait qu'il était impossible de faire une analyse des impacts, filière par filière, de l'utilisation des alternatives identifiées. À titre d'illustration, dans le cas de la betterave, en raison de maladies comme la jaunisse provoquée par le puceron, des alternatives chimiques et non chimiques avaient été identifiées : en dehors des néonicotinoïdes, un seul produit alternatif, disponible sur le marché, avait été identifié.

In fine, il est apparu que les alternatives, en règle générale, avaient :

– des effets plus néfastes – bien qu'acceptables – sur la santé humaine que les néonicotinoïdes ;

– des effets plus positifs que les néonicotinoïdes sur les écosystèmes, exception faite des espèces aquatiques.

En revanche, il est impossible de se prononcer sur l'efficacité et la pertinence économique d'une alternative sans qu'elle ait été utilisée. Plusieurs types d'alternatives avaient été identifiés, à savoir :

– des alternatives en cours de développement, ciblant des variétés résistantes à la jaunisse ;

– le recours à des pratiques agronomiques existant au sein d'autres pays, mais ayant besoin d'être adaptées à situation propre à la France ;

– la lutte biologique, sans disposer de moyens aujourd'hui réellement utilisables.

De fait, aucune des alternatives identifiées n'était directement utilisable pour lutter contre la jaunisse. L'an passé, elles ont été utilisées, permettant une production normale. Cette année, elles ont souffert de conditions climatiques défavorables. L'ANSES est dans l'incapacité, faute de données, d'évaluer leur efficacité et de la modéliser. D'autres acteurs, les centres techniques et l'INRAE peuvent apporter des données complémentaires.

Le règlement européen donne la possibilité aux États membres, dans des situations exceptionnelles et d'urgence, de déroger à la réglementation : il autorise ainsi la délivrance d'agréments à des produits sans AMM ou interdits, afin de gérer, à défaut d'alternative, tel ou tel « ravageur ». En l'espèce, c'est l'analyse bénéfice/risque qui prévaut : l'impact potentiel sur l'environnement et sur les abeilles, au regard des conséquences sur les plans économique et sanitaire.

L'objectif est de minimiser l'exposition des populations aux risques. Même s'ils respectent les conditions d'utilisation fixées, les produits pesticides s'accompagnent d'un risque, certes acceptable. Comment garantir l'activité économique et la pérennité des filières, tout en préservant l'environnement et la santé ?

Par ailleurs, certains produits génèrent des résistances, lesquelles remettent en cause leur efficacité : ils ne sont pas autorisés, même s'ils ne posent aucun problème sanitaire. De fait, l'ANSES intègre, dans ses évaluations, les notions de risque et d'efficacité. Selon la réglementation européenne, il convient, enfin, d'identifier a minima trois alternatives pour chaque usage : face à un risque donné toutefois, il est de moins en moins possible de répondre à cette exigence.

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En tant que femme d'agriculteur producteur de betteraves, je me sens directement concernée par les propos de M. Roger Genet. En matière phytosanitaire, les débats se focalisent sur les produits, et pas sur leurs usages, ce qui est incompréhensible. Quelles sont les causes de cette situation ? Les médecins, par exemple, n'ont de cesse, eux, d'utiliser des produits toxiques dangereux : ils le font toutefois pour répondre à une situation donnée et en respectant une posologie précise.

Je tenais à donner lecture de la question que se pose l'une de nos collègues, Mme Claire Pitollat. « Le plan de relance finance la rénovation des bâtiments et la lutte contre la précarité. Aujourd'hui, rendre un bâtiment de plus en plus étanche est une solution énergétique largement développée, mais elle se fait malheureusement au détriment d'une bonne et nécessaire aération ou ventilation. Comme vous le soulignez vous-même, la mauvaise qualité des environnements contribue à 13 % des décès en Europe. Or les populations les plus précaires sont aussi les plus exposées aux risques sanitaires. Nous le savons aussi : pour que la rénovation énergétique soit accélérée, il faut avoir une action conjointe conseiller énergétique et travailleurs sociaux ou encore conseillers médicaux et conseillers en environnement intérieur.

Vos travaux l'ont souligné eux-mêmes – et je vous cite : « Il est ainsi important, dans le cadre de projets de construction et de réhabilitation de bâtiments ou d'aménagement du territoire, de considérer ces aspects au cas par cas, avec une vision large et intégrative ». Comment s'assurer que les budgets harmonisent enjeux environnementaux et sanitaires, pour permettre à tous d'accéder à un environnement sain ? Comment pouvez-vous permettre une utilisation rapide de ces budgets ? Quelles méthodes opérationnelles de mise en œuvre et d'accompagnement » ?

Je tenais également à vous soumettre des questions complémentaires, que j'ai également posées aux représentants de Santé publique France. Vous nous avez indiqué que l'ANSES était destinataire de très nombreuses demandes et sollicitations : comme le dit l'adage, toutefois, « qui trop embrasse mal étreint ». En conséquence, comment priorisez-vous vos études ? Quels sont les critères d'éligibilité, d'intérêt ou de faisabilité retenus ? A contrario, vous efforcez-vous de répondre à toutes les demandes ?

Par ailleurs, vous avez pointé un problème d'indicateurs permettant de mesurer la situation de départ et la situation d'arrivée. Aussi avez-vous plaidé pour qu'un consensus émerge, autour d'une harmonisation des indicateurs de suivi. Cela me semble constituer une problématique majeure. Selon vous, comment trouver un consensus ? Par où faudrait-il commencer ?

Depuis que je suis députée, j'entends sans cesse évoquer des problèmes de coordination, ce qui soulève la question du pilotage et de la gouvernance. Avez-vous des propositions concrètes sur ce plan, aux fins de faciliter votre travail et celui de vos pairs ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

J'ai précédemment eu l'occasion de m'exprimer sur la question de la priorisation. En la matière, l'agence s'attache à débattre des demandes qui lui sont soumises, ainsi que des sujets sur lesquels elle s'est autosaisie, avec ses cinq ministères de tutelle, aux fins d'éviter les demandes de même nature, se caractérisant simplement par des angles de vue différents. D'une certaine manière, elle est donc un facteur de promotion de l'interministérialité, en veillant à ce que les préoccupations exprimées puissent répondre aux besoins des différents ministères, voire des parties prenantes.

Par exemple, l'ANSES reçoit plusieurs saisines d'organisations syndicales, qui rejoignent, sous certains aspects, des demandes émanant d'autres donneurs d'ordres. Il s'agit donc de veiller à ce que le contrat de saisine cible des questions permettant de répondre aux différentes préoccupations, quitte à les reformuler, le cas échéant. Ce travail, qui évite les redondances, est effectué en permanence.

Il est toutefois très difficile de refuser une demande émanant d'un ministère ou d'une partie prenante : l'agence, d'ailleurs, n'a pas réellement le choix en la matière. Très souvent en effet, les demandes sont portées par l'actualité politique, l'action politique ou l'urgence sanitaire. De ce fait, l'ANSES doit surtout réfléchir à la manière dont elle doit s'organiser pour y répondre, dans un contexte marqué par une diminution, depuis plusieurs années, des moyens humains.

À l'évidence, l'ANSES peut être amenée à se pencher sur un champ infini de sujets : elle se doit de les reformuler, par souci de cohérence, et de hiérarchiser les différentes saisines. La plupart du temps, la principale difficulté est liée à la disponibilité des données : des connaissances sont-elles disponibles pour répondre à la question posée ? Le PNSE peut, en la matière, renforcer la structuration de la démarche.

Je ne suis pas en mesure de répondre à la question posée par Mme Claire Pitollat, qui porte sur les moyens d'actions. Cette question est davantage du ressort d'agences comme l'ADEME, qui ont un rôle d'intervention, ou des ministères. En tout état de cause, l'ANSES n'intervient pas dans la mise en œuvre de ces politiques.

Les problématiques liées au pilotage, à la coordination et aux indicateurs ont été évoquées avec les missions d'inspection, dans leur évaluation du PNSE III et dans les discussions préparatoires au PNSE IV. Je ne doute pas que la présente commission d'enquête auditionnera les inspecteurs.

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Trois préoccupations rejoignent pleinement les propositions de l'agence. Elles portent sur la recherche, le pilotage et les indicateurs.

S'agissant des indicateurs de qualité, la réalisation d'un état des lieux constitue la principale difficulté : en effet, nous avons essayé de le faire au sein du Groupe Santé-Environnement (GSE), en faisant dialoguer les parties prenantes, c'est-à-dire des scientifiques issus de la recherche académique et des scientifiques portant des enjeux associatifs ou interprofessionnels, par exemple. Or ils ont beaucoup de mal à s'accorder les uns avec les autres, car ils portent des enjeux qu'il n'est pas forcément facile de réconcilier.

Pour essayer de lever cette difficulté, il serait pertinent de constituer un comité d'experts indépendants, en charge de la formulation d'une proposition purement scientifique, soumise ensuite à des discussions avec tous les porteurs d'enjeux. En effet, il est très difficile d'obtenir de personnes qui portent des visions politiques, au sens noble du terme, parfois diamétralement opposées, qu'elles s'accordent sur la nature des indicateurs « de départ » et « d'arrivée ». En pratique, la préconisation qui vient d'être exposée rejoint un peu ce qui a été fait sur le sujet climatique, avec la constitution du GIEC. Les fruits des travaux doivent in fine être soumis à la société civile, pour discussion.

Sur le plan de la gouvernance, le plan national dédié au cancer me semble être le modèle à privilégier, avec :

– la réalisation d'un état des lieux de départ ;

– la fixation d'objectifs d'amélioration explicites et compréhensibles par la population, sur les plans de la prévention, de la prise en compte des familles, des avancées scientifiques, des traitements.

La mise en œuvre des actions inhérentes au plan de lutte contre le cancer a mobilisé de très nombreux acteurs (opérateurs privés, opérateurs publics, ministères). Néanmoins, elle a été supervisée par un maître d'œuvre, à savoir l'INCa : ce dernier devait, chaque année, remettre un rapport au Président de la République. La gouvernance, de ce fait, intervenait au plus haut niveau de l'État.

La visibilité de cette démarche, tant dans la définition des objectifs que dans son portage, a permis au plan de lutte contre le cancer d'être le plan ayant joui du plus fort écho dans les quinze dernières années.

À l'inverse, j'ai été confronté à de multiples plans nationaux qui s'appuyaient sur des schémas de gouvernance très particuliers, reposant, par exemple, sur une double présidence confiée à deux professeurs des universités praticiens hospitaliers (PUPH) ou à un délégué interministériel. Cette manière de procéder soulevait différentes interrogations. À qui fait-on rapport ? Qui pilote et aura-t-il les moyens de piloter ? Quid de la coordination ?

L'INCa n'était bien évidemment pas responsable de la mise en œuvre des 150 actions du plan de lutte contre le cancer. En revanche, il devait assurer le reporting des différentes actions, veiller à leur mise en œuvre et produire un rapport final, tout en se conformant au budget défini. Les ministères font leur maximum dans le pilotage des plans. Aujourd'hui toutefois, la question des moyens des administrations centrales et les priorités des différents ministères font qu'il est très difficile de lancer des actions de long terme, sous le pilotage d'une administration centrale. Par conséquent, le fait de s'appuyer sur un opérateur central, comme l'INCa, a été absolument majeur dans la réussite du plan dédié au cancer.

Par ailleurs, pour alimenter des indicateurs, il convient de disposer de données. Bien évidemment, les différents acteurs en détiennent tous, qu'elles portent sur la toxicité des produits chimiques, l'épidémiologie, l'environnement ou la biodiversité. J'ai compté parmi les fondateurs de l'alliance de recherche pour l'environnement AllEnvi, qui regroupe l'ensemble des organismes qui œuvrent dans le champ de la recherche environnementale. Au moment de sa création, il y a dix ans, la difficulté principale tenait au nombre pléthorique d'acteurs, présents, avec, par exemple :

– l'INRA, dédié à l'agronomie ;

– le Museum, dédié à la biodiversité ;

– le CNRS, œuvrant sur l'ensemble des domaines ;

– les Universités ;

– l'IFREMER, pour ce qui concerne la mer ;

– l'IRSTEA.

De fait, plus de 25 organismes étaient en charge d'une partie de la recherche environnementale. Tous disposaient de leurs propres données et de leurs propres études.

J'ai présidé le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques (AQUAREF) : ce dernier était alimenté par pas moins de cinq organismes. Le laboratoire dédié à la qualité de l'air dispose également de ses propres données, de même que l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA).

Malheureusement, les différentes données disponibles, bien que pléthoriques, ne se « parlent » pas. Elles ne sont pas interopérables. De fait, aucun acteur ne dispose d'un état de synthèse des différentes données.

Dans le domaine de la santé, le Système National des Données de Santé (SNDS) a représenté, au cours des dernières années, un progrès fondamental : il est désormais porté par le successeur de l'Institut national des Données de Santé (Health Data Hub), qui a été réformé cette année. L'idée était de réunir, ou en tout cas de rendre interopérables, les données de la Sécurité Sociale. La mise en œuvre de ce schéma a pris du temps, nécessitant l'aval de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : celle-ci devait accepter que les données nominatives de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) puissent être réunies avec celles, par exemple, de Santé publique France.

À titre d'illustration, comment les premiers cas de sida avaient-ils été détectés ? Ils l'avaient été par le Center for Disease Control and Prevention, le CDC américain, en 1984 : sur la base d'analyses statistiques, ce dernier avait observé, à New York, une surconsommation de médicaments immuno-stimulateurs au sein, en particulier, de la communauté jeune homosexuelle. Trente ans après, la France reste dans l'incapacité d'en faire autant, puisqu'elle ne peut pas accéder aux données qui le lui permettraient.

L'objectif du SNDS était de pouvoir disposer de ce type d'informations. Les travaux, difficiles, sont en cours. Il est à noter que les données environnementales témoignent d'un degré de complexité encore plus élevé que les autres, du fait de la nature des bases de données. Quoi qu'il en soit, la création d'un observatoire ou d'une structure, jouant, pour les données environnementales, le même rôle que le Health Data Hub pour les données de santé, est un enjeu essentiel. En effet, cela permettra d'interroger les différentes bases de données, pour établir des corrélations. À ce moment-là seulement, des indicateurs de qualité environnementale pourront être renseignés.

Enfin, le secteur de la recherche souffre d'un éclatement de ses acteurs et de financements qui demeurent, au regard de ce qu'ils sont dans d'autres champs disciplinaires, très modestes. Aujourd'hui, le financement sur projet de la recherche biomédicale représente 45 % de l'ensemble des financements disponibles. Le programme national de recherche environnement-santé-travail dispose d'un budget de six à huit millions d'euros. L'agence nationale de la recherche (ANR), pour sa part, apporte une dizaine de millions d'euros, alors que son budget atteindra prochainement 1,5 milliard d'euros. Globalement, le programme précité dispose de seulement une vingtaine de millions d'euros par an.

De fait, le financement de la recherche reste très faible. Aujourd'hui, le taux de sélection de l'agence, concernant les réponses aux appels à projets, s'établit à 10 % : il se situe au niveau du taux qu'affichait l'ANR, lorsqu'il était au plus bas pour elle. Au sein de cette dernière, il est aujourd'hui compris entre 20 et 25 %. Ainsi, l'ANSES ne sélectionne qu'un projet sur dix, ne pouvant pas financer des projets notés A+.

En conséquence, je souhaite qu'il soit possible, à travers le plan de relance et le partenariat avec l'ANR, de refinancer et de « redoter » le volet « recherche » du plan national santé-environnement : en quatorze ans, ce dernier n'a jamais été « rebudgétisé ». En parallèle, de nouveaux mots-clés émergent (glyphosate, vecteurs, perturbateurs endocriniens, antibio résistance dans l'environnement), sans possibilité, en regard, de financement de projets.

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Sur le plan des financements, quels seraient vos besoins ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Le nombre de lettres de sélection actuellement recensées oscille, suivant les années, entre 250 et 300. En parallèle, le taux de sélection s'établit à 10 %. L'idéal serait de le porter au niveau de celui de l'ANR, à 20 % : pour cela, il faudrait multiplier par deux le budget de financement.

Ce ne serait toutefois pas suffisant. Comme indiqué dans un communiqué de presse en date du 8 juillet, l'ANSES a été à l'initiative d'un grand projet de partenariat européen – Horizon Europe –, destiné à améliorer l'évaluation des risques liés aux substances chimiques. L'ANSES assurerait la coordination dudit projet, avec un volet dédié au biomonitoring et un volet dédié à la toxicologie.

Si le budget européen est maintenu, l'appel à projets sera lancé au 1er janvier 2021, en vue d'un démarrage, dès 2022, du projet retenu, et cela pour une durée de sept ans. Ce dernier, qui devrait réunir plusieurs dizaines de partenaires, devrait mobiliser un budget de 400 millions d'euros : son lancement nous permettrait de démultiplier les moyens européens de recherche en lien avec l'évaluation des risques chimiques.

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Selon vous, le plan Cancer a été un modèle de gestion, de gouvernance et de volonté politique. Il bénéficie de financements très importants, mais également d'une mobilisation scientifique et « émotionnelle ». En complément, j'observe :

– que les interventions ne sont engagées qu'une fois la pathologie déclarée ;

– que la prévention des cancers demeure insuffisamment financée.

Il en va ainsi des cancers pédiatriques, mais également des cancers qui frappent les adultes, qui sont tous exposés à des risques induits par les produits chimiques et les perturbateurs endocriniens.

Cette situation me laisse perplexe. Avec de la volonté en effet, il est toujours possible de trouver des financements. En outre, existent, pour les laboratoires, de forts enjeux de recherche en la matière.

Vous estimez que le plan Cancer est un modèle à suivre, ce qui me semble, excusez-moi pour le terme, un peu « simpliste ». En effet, les problématiques liées à la santé environnementale sont pluri-thématiques et plurifactorielles : aussi je m'interroge sur la manière dont le modèle précité pourrait être décliné, en vue d'aboutir à un modèle méthodologique applicable à la santé environnementale.

Le plan Cancer a bénéficié d'une forte volonté politique, et cela au plus haut niveau de l'État : c'est peut-être cela qui manque aujourd'hui. Le discours politique a évolué : les nouveaux ministres de la santé et de l'écologie sont tous deux très sensibles à la santé environnementale. Dès leur prise de fonction, ils en ont fait l'une de leurs priorités. J'y vois une raison d'espérer. Néanmoins, il est indispensable que des moyens financiers soient débloqués en parallèle.

Au cours de votre intervention, vous êtes revenu sur les nombreuses thématiques sur lesquelles l'ANSES est appelée à travailler. Elle est ainsi saisie de très nombreux sujets, se doit d'actualiser ses travaux sur les sujets anciens et d'appréhender de nouvelles thématiques, résultant de l'actualité et de crises successives.

Votre présentation nous a permis de prendre la mesure du nombre de sujets appréhendés. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que vous participiez à un nombre important de plans « silos ». À titre d'exemple, je suppose que les questions de nutrition sont en relation avec le plan nutrition-santé. Il en va de même de tous les sujets que vous avez cités.

À ma connaissance, il existerait aujourd'hui 34 plans « silos » qui, de près ou de loin, concernent la santé environnementale. Pouvez-vous me confirmer que vous êtes en relation avec les gestionnaires de ces derniers ? Qui bénéficie d'un droit de regard sur les travaux qu'ils mènent ? Qui en porte officiellement la responsabilité ? En effet, je suppose qu'ils s'accompagnent de financements : il serait utile que les parlementaires disposent d'un « retour » sur l'efficacité des moyens financiers mobilisés. Dans les faits, il serait utile d'obtenir des précisions sur l'efficacité des plans eux-mêmes : à ce stade en effet, jamais aucune évaluation ne nous a été présentée. Or les sommes mobilisées, additionnées les unes aux autres, sont considérables. Le plan Cancer, à lui seul, représente plusieurs millions d'euros.

Il serait donc utile de se pencher sur l'efficacité et l'utilisation de ces sommes, dans l'idée, le cas échéant, d'engager une démarche de redistribution de nature à financer les autres thématiques. Le plan national santé-environnement, d'ailleurs, ne dispose pas, à ma connaissance, d'un budget attitré. Il vient pourtant concrétiser la politique officielle de la France en matière de santé-environnement. Il en va de même de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens, qui ne dispose d'aucun budget attitré.

En parallèle encore une fois, 34 plans « silos » bénéficient de financement : les concernant, aucun retour ne nous est proposé. Le plan national santé-environnement, qui peine à s'imposer en tant qu'outil de gouvernance, n'en a aucun.

Le PNSE IV porte l'ambition extraordinaire de vouloir « chapeauter » les plans « silos » : quelle serait, pour cela, la méthodologie que vous pourriez nous proposer ? Comment assurer la coordination qui s'impose, pour avoir une vision globale de la situation en matière de santé environnementale ? En définitive, qui est aujourd'hui en mesure d'affirmer qu'il a connaissance de l'ensemble des actions lancées, par l'une ou l'autre des agences ?

Pour l'heure, le PNSE IV peine à émerger. Cela étant, j'ai noté la volonté affichée de disposer d'une plateforme de données. En témoigne la position de l'ancienne ministre de l'écologie, Mme Élisabeth Borne. Celle-ci avait indiqué y être très favorable. Néanmoins, j'ai ouï dire que sa mise en œuvre allait prendre beaucoup de temps. Or il est urgent de coordonner les différentes actions, aujourd'hui lancées sans que nous disposions du moindre retour. Selon vous, sur quelles grandes thématiques convient-il d'assurer, en priorité, le « chapeautage des données » ? Quelles sont, à votre sens, les données essentielles ?

Par ailleurs, ma deuxième série de questions porte sur le fonctionnement interne de l'ANSES. Quelles garanties pourriez-vous nous apporter, aux fins d'éviter les conflits d'intérêts ? Avez-vous déjà subi, en ce domaine, des accusations ? En effet, l'ANSES porte la parole scientifique : aussi ses positions déterminent-elles les actions politiques. Comment l'ANSES s'est-elle emparée de cette problématique ? Quelles sont les modalités de fonctionnement de son comité éthique ? Comment garantit-elle son indépendance intellectuelle ?

Vous avez précisé que l'ANSES travaillait sur de très nombreux sujets, parfois extrêmement ciblés. Comment ces informations pourraient-elles être portées à la connaissance de la population ? J'entends que l'ANSES accueille des experts scientifiques, qui font face à des décideurs. Elle souhaite que les responsabilités des uns et des autres soient bien différenciées. Cependant, dès lors qu'une agence étatique détient des informations pouvant intéresser les citoyens de base, se pose la question de la démocratisation de l'accès à ces dernières. Il est en effet désolant que ces multiples informations, qui permettraient aux citoyens de prendre leurs responsabilités, ne soient pas toujours disponibles. Il s'agit, pour moi, d'une frustration et d'une interrogation.

Enfin, vous avez évoqué la question de la gouvernance, à l'échelle nationale et à l'échelle internationale : je vous remercie pour les pistes d'amélioration que vous avez, en quelques phrases, esquissées. Quid de la gouvernance à l'échelle régionale ? À qui la coordination régionale pourrait-elle échoir ? À cette échelle en effet, nous faisons face à de multiples interlocuteurs, presque aussi nombreux qu'au plan national. Aussi les difficultés rencontrées à Paris se posent-elles, de la même manière, dans les territoires. Qui pourrait, selon vous, piloter cela à l'échelle nationale et qui pourrait le faire à l'échelle régionale ?

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Roger Genet, directeur général de l'ANSES

Au préalable, je précise que je ne serai pas en capacité de répondre à certaines de vos questions. Il en va ainsi de celles qui sont dédiées à la gouvernance régionale, laquelle n'entre pas dans les compétences de l'ANSES.

Le plan Cancer reste, pour moi, un modèle. Néanmoins, je n'ai pas dit qu'il s'agissait du modèle à suivre pour le PNSE : toutes ses dispositions ne sont pas transposables, en particulier concernant les volets régional et national.

Cela étant, le plan Cancer et l'INCa ont institué un « moyen » de gouvernance entre les cancéropôles, à la maille régionale, et l'INCa, financeur de ces derniers par le truchement d'un appel d'offres dédié. L'INCa a assuré le pilotage de nombreuses actions de prévention. Néanmoins, de nombreuses actions n'en dépendent également pas, étant du ressort d'autres acteurs. L'INCa, en étant responsable de la coordination globale, porte une responsabilité vis-à-vis de l'exécutif, en ce qui concerne l'exécution des actions du plan. Il me semble plus simple de dédier un acteur au pilotage d'un plan, pour le compte des ministères,

Pour rappel, l'INCa avait été créé, dans le cadre du plan Cancer, avec un budget de 35 millions d'euros en provenance de la recherche et de 35 millions d'euros venant de la santé : la cible était d'atteindre un total de 100 millions d'euros (50 millions d'euros pour les deux parties). Le financement de la recherche portée par l'INCa et du volet que ce dernier pilote dans l'alliance santé Aviesan, ne représente pas moins de 50 à 60 millions d'euros : cette somme ne concerne que la recherche liée au cancer. Elle est à comparer aux 20 millions d'euros dédiés à la thématique santé-environnement-travail. Pour information, l'INCa, sur la thématique cancer et environnement, recherche et finance des projets sélectionnés par l'ANSES : il est donc membre du comité de pilotage associé.

Par ailleurs, l'ANSES participe aux plans « silos ». Elle n'entretient pas de relations avec l'ensemble de ces derniers ou des plans nationaux. Néanmoins, ses actions peuvent s'inscrire dans ces derniers, lesquels donnent généralement lieu à des rapports et à des évaluations. Sur ce plan toutefois, la situation est hétérogène : en effet, leur gouvernance l'est également. Ainsi, ils peuvent :

– être pilotés par l'échelon interministériel ou un ministère ;

– être financés ou pas.

La Campagne Nationale d'Évaluation des Pesticides dans l'air (CNEP), exposée le 5 juillet, s'inscrit dans le pan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA). Bien qu'inscrite dans le PNSE, elle ne donne pas lieu à la production, par l'ANSES, d'un rapport : ce dernier est du ressort du ministère concerné.

L'ANSES intervient dans le cadre :

– du plan national nutrition-santé ;

– du plan nutrition-alimentation ;

– de la stratégie nationale perturbateurs endocriniens (SNPE) ;

– du plan santé-travail, où elle exerce un rôle de coordination et d'animation ;

– du plan chlordécone.

Elle est également très impliquée dans la gouvernance dédiée au sujet de l'antibio résistance.

Par ailleurs, le système national des données de santé, de mémoire, a été lancé en 2013. Il a encore changé de nom l'année dernière et sa gouvernance a évolué. Les porteurs de projets ont également évolué. Néanmoins, une impulsion a été donnée et les travaux ont débuté. Santé publique France peut directement, dans le cadre du Health Data Hub, procéder à des extractions de données.

L'ANSES, par son truchement ou par celui de l'INSERM, qui dispose également de l'habilitation requise, peut interroger le système pour récupérer des données. Les parties privées – industriels notamment – ont également la capacité de solliciter, auprès d'un opérateur habilité, des extractions de données.

Quoi qu'il en soit, l'impulsion a été donnée et la construction d'un observatoire des données environnementales constitue un travail de plusieurs années. La première question est d'identifier celles qui doivent être suivies à court, moyen et long termes. En pratique, l'idée est de disposer :

– des données liées à la contamination des milieux ;

– des données relatives à l'évolution de la biodiversité ;

– des données inhérentes aux surfaces.

Existent aujourd'hui de fantastiques outils d'observation, avec de très nombreuses données, en termes d'artificialisation des sols, d'évolution de la biodiversité, de « trame bleue/trame verte ». Celles-ci peuvent être sources de connaissances au moyen de leurs croisements.

Les différentes bases de données sont placées sous la responsabilité de différents acteurs : il est difficile, en conséquence, d'y accéder et de les mettre en relation. De ce fait, la construction du dispositif relève d'un travail de longue haleine, nécessitant de vrais moyens. Elle n'en demeure pas moins « incontournable » pour travailler sur l'environnement.

La question de la communication est récurrente. Parfois, d'aucuns souhaiteraient de l'ANSES joue un rôle de « juge de paix », en édictant la vérité scientifique à un instant T. En pratique, la stratégie de communication de l'agence a été débattue au sein de ses différentes instances, parmi lesquelles le conseil d'administration. Elle se doit de faire connaître les avis rendus et de formuler des recommandations à la population. Cela passe par les réseaux sociaux ou la presse par exemple. Chaque semaine à la radio, il est fait référence à des avis de l'ANSES, dont le nom est souvent raccourci en « agence sanitaire ». De fait, l'ANSES doit renforcer sa visibilité et sa notoriété, afin de lui permettre de « passer des messages » sur les résultats de ses travaux. Chaque réunion du conseil d'administration est l'occasion de revenir sur des indicateurs, par exemple dédiés à la présence sur les réseaux sociaux ou dans la presse. L'ANSES s'appuie sur un service de presse très dynamique, qui vient « nourrir » les journalistes : dès lors qu'un sujet sanitaire fait l'actualité, elle est contactée par les grands médias, qui sont a minima demandeurs d'informations de fond.

Lorsque les comités d'experts de l'ANSES travaillent, celle-ci ne s'exprime pas, afin de ne pas interférer avec les expertises en cours. L'ANSES doit communiquer sur ses avis une fois qu'ils sont prêts. Après trois ans, ils sont généralement dépassés, ce qui crée une difficulté. Elle n'est pas un organe de communication sur les risques chimiques ou autres. Santé publique France a mis en place un site dédié aux bébés et aux risques chimiques : si l'ANSES y a contribué, elle n'a pas pour rôle de communiquer sur le sujet.

La crédibilité de l'agence est liée à la prévention des conflits d'intérêts. Bien évidemment, elle a subi des attaques à cet égard. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la radio, elle travaille sur des sujets de société qui suscitent des débats et des affrontements. Certaines parties prenantes ont pour objectif – et je le dis sans jugement de valeur – d'interdire les pesticides en France, ce qui est un combat honorable. Cela étant, l'agence a pour mission d'évaluer les risques associés, et non d'en prôner l'interdiction.

Aujourd'hui, l'ANSES a la responsabilité de délivrer les AMM : elle est donc devenue la cible d'un certain nombre d'enjeux politiques. Elle est ainsi exposée à des pressions, lesquelles passent parfois par des attaques ad hominem, que je déplore. Elle ne peut parfois pas y répondre, sauf à entrer dans la polémique. Elle est, de même que ses experts, victime de diffamation. À titre personnel, il m'est arrivé, en personne, de porter un certain nombre de courriers à des directeurs d'organismes : en effet, les attaques tendent à démobiliser nos experts scientifiques, ce qui en complique le recrutement.

L'ANSES dispose d'un système de prévention des conflits d'intérêts et d'analyse des liens d'intérêts, qui repose sur une grille, qui est probablement la plus exigeante au monde. Elle se compose de critères dédiés aux liens d'intérêts, économiques ou intellectuels. Les comités d'experts constitués sont les plus indépendants possible.

Il n'en demeure pas moins qu'il existe une vraie confusion entre les liens d'intérêts et les conflits d'intérêts. Ainsi, il est courant que le laboratoire de rattachement d'un expert soit en partie financé par des acteurs économiques : en effet, c'est la recherche « Public-Privé » qui est aujourd'hui privilégiée. Néanmoins, l'agence a déployé des critères venant limiter le poids des financements des laboratoires émanant de structures privées : il ne doit pas excéder de 5 à 10 %, ce qui est extrêmement contraignant et beaucoup plus rigoureux qu'à l'agence européenne de sécurité des aliments. Il existe donc des liens d'intérêts naturels, mais ils sont tracés et analysés.

Chaque réunion des comités d'expert débute par un rappel de ces exigences. En fonction des sujets à évaluer, des experts peuvent être « déportés », si cela s'impose.

Quoi qu'il en soit, l'ANSES applique des règles très exigeantes, lesquelles sont bien antérieures à la loi Marisol Touraine dédiée à la modernisation du système de santé. L'agence a joué, avec son comité de déontologie, un rôle de précurseur dans ce domaine.

Les enjeux liés aux pesticides créent des tensions dans la société, ce qui expose l'agence à des pressions. Cela étant, quel intérêt aurait-elle à répondre à des pressions du monde économique pour délivrer ou retirer une AMM ? Elle est probablement, de tous les décideurs publics, celui qui aurait le moins d'intérêts à céder à des pressions. Elle est une instance scientifique neutre. Aujourd'hui, je ressens plus fortement des pressions médiatiques et associatives que des pressions industrielles pour influencer les décisions de l'agence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au nom des membres de la commission d'enquête, je vous remercie d'avoir répondu aussi précisément à l'ensemble des questions posées et de nous avoir proposé des pistes de réflexion, lesquelles, j'espère, nous permettront de formuler des propositions d'amélioration de la gouvernance et de l'efficacité des politiques publiques en matière de santé environnementale.

L'audition s'achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16 heures

Présents. - Mme Annie Chapelier, Mme Sandrine Josso, Mme Marine Le Pen, Mme Valérie Petit, Mme Claire Pitollat, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Élisabeth Toutut-Picard

Excusés. - Mme Nadia Essayan, M. Jean-Luc Fugit, M. Yannick Haury, M. Jean-Louis Touraine, M. Stéphane Viry