Intervention de Élisabeth Toutut-Picard

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Toutut-Picard, présidente :

Selon vous, le plan Cancer a été un modèle de gestion, de gouvernance et de volonté politique. Il bénéficie de financements très importants, mais également d'une mobilisation scientifique et « émotionnelle ». En complément, j'observe :

– que les interventions ne sont engagées qu'une fois la pathologie déclarée ;

– que la prévention des cancers demeure insuffisamment financée.

Il en va ainsi des cancers pédiatriques, mais également des cancers qui frappent les adultes, qui sont tous exposés à des risques induits par les produits chimiques et les perturbateurs endocriniens.

Cette situation me laisse perplexe. Avec de la volonté en effet, il est toujours possible de trouver des financements. En outre, existent, pour les laboratoires, de forts enjeux de recherche en la matière.

Vous estimez que le plan Cancer est un modèle à suivre, ce qui me semble, excusez-moi pour le terme, un peu « simpliste ». En effet, les problématiques liées à la santé environnementale sont pluri-thématiques et plurifactorielles : aussi je m'interroge sur la manière dont le modèle précité pourrait être décliné, en vue d'aboutir à un modèle méthodologique applicable à la santé environnementale.

Le plan Cancer a bénéficié d'une forte volonté politique, et cela au plus haut niveau de l'État : c'est peut-être cela qui manque aujourd'hui. Le discours politique a évolué : les nouveaux ministres de la santé et de l'écologie sont tous deux très sensibles à la santé environnementale. Dès leur prise de fonction, ils en ont fait l'une de leurs priorités. J'y vois une raison d'espérer. Néanmoins, il est indispensable que des moyens financiers soient débloqués en parallèle.

Au cours de votre intervention, vous êtes revenu sur les nombreuses thématiques sur lesquelles l'ANSES est appelée à travailler. Elle est ainsi saisie de très nombreux sujets, se doit d'actualiser ses travaux sur les sujets anciens et d'appréhender de nouvelles thématiques, résultant de l'actualité et de crises successives.

Votre présentation nous a permis de prendre la mesure du nombre de sujets appréhendés. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que vous participiez à un nombre important de plans « silos ». À titre d'exemple, je suppose que les questions de nutrition sont en relation avec le plan nutrition-santé. Il en va de même de tous les sujets que vous avez cités.

À ma connaissance, il existerait aujourd'hui 34 plans « silos » qui, de près ou de loin, concernent la santé environnementale. Pouvez-vous me confirmer que vous êtes en relation avec les gestionnaires de ces derniers ? Qui bénéficie d'un droit de regard sur les travaux qu'ils mènent ? Qui en porte officiellement la responsabilité ? En effet, je suppose qu'ils s'accompagnent de financements : il serait utile que les parlementaires disposent d'un « retour » sur l'efficacité des moyens financiers mobilisés. Dans les faits, il serait utile d'obtenir des précisions sur l'efficacité des plans eux-mêmes : à ce stade en effet, jamais aucune évaluation ne nous a été présentée. Or les sommes mobilisées, additionnées les unes aux autres, sont considérables. Le plan Cancer, à lui seul, représente plusieurs millions d'euros.

Il serait donc utile de se pencher sur l'efficacité et l'utilisation de ces sommes, dans l'idée, le cas échéant, d'engager une démarche de redistribution de nature à financer les autres thématiques. Le plan national santé-environnement, d'ailleurs, ne dispose pas, à ma connaissance, d'un budget attitré. Il vient pourtant concrétiser la politique officielle de la France en matière de santé-environnement. Il en va de même de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens, qui ne dispose d'aucun budget attitré.

En parallèle encore une fois, 34 plans « silos » bénéficient de financement : les concernant, aucun retour ne nous est proposé. Le plan national santé-environnement, qui peine à s'imposer en tant qu'outil de gouvernance, n'en a aucun.

Le PNSE IV porte l'ambition extraordinaire de vouloir « chapeauter » les plans « silos » : quelle serait, pour cela, la méthodologie que vous pourriez nous proposer ? Comment assurer la coordination qui s'impose, pour avoir une vision globale de la situation en matière de santé environnementale ? En définitive, qui est aujourd'hui en mesure d'affirmer qu'il a connaissance de l'ensemble des actions lancées, par l'une ou l'autre des agences ?

Pour l'heure, le PNSE IV peine à émerger. Cela étant, j'ai noté la volonté affichée de disposer d'une plateforme de données. En témoigne la position de l'ancienne ministre de l'écologie, Mme Élisabeth Borne. Celle-ci avait indiqué y être très favorable. Néanmoins, j'ai ouï dire que sa mise en œuvre allait prendre beaucoup de temps. Or il est urgent de coordonner les différentes actions, aujourd'hui lancées sans que nous disposions du moindre retour. Selon vous, sur quelles grandes thématiques convient-il d'assurer, en priorité, le « chapeautage des données » ? Quelles sont, à votre sens, les données essentielles ?

Par ailleurs, ma deuxième série de questions porte sur le fonctionnement interne de l'ANSES. Quelles garanties pourriez-vous nous apporter, aux fins d'éviter les conflits d'intérêts ? Avez-vous déjà subi, en ce domaine, des accusations ? En effet, l'ANSES porte la parole scientifique : aussi ses positions déterminent-elles les actions politiques. Comment l'ANSES s'est-elle emparée de cette problématique ? Quelles sont les modalités de fonctionnement de son comité éthique ? Comment garantit-elle son indépendance intellectuelle ?

Vous avez précisé que l'ANSES travaillait sur de très nombreux sujets, parfois extrêmement ciblés. Comment ces informations pourraient-elles être portées à la connaissance de la population ? J'entends que l'ANSES accueille des experts scientifiques, qui font face à des décideurs. Elle souhaite que les responsabilités des uns et des autres soient bien différenciées. Cependant, dès lors qu'une agence étatique détient des informations pouvant intéresser les citoyens de base, se pose la question de la démocratisation de l'accès à ces dernières. Il est en effet désolant que ces multiples informations, qui permettraient aux citoyens de prendre leurs responsabilités, ne soient pas toujours disponibles. Il s'agit, pour moi, d'une frustration et d'une interrogation.

Enfin, vous avez évoqué la question de la gouvernance, à l'échelle nationale et à l'échelle internationale : je vous remercie pour les pistes d'amélioration que vous avez, en quelques phrases, esquissées. Quid de la gouvernance à l'échelle régionale ? À qui la coordination régionale pourrait-elle échoir ? À cette échelle en effet, nous faisons face à de multiples interlocuteurs, presque aussi nombreux qu'au plan national. Aussi les difficultés rencontrées à Paris se posent-elles, de la même manière, dans les territoires. Qui pourrait, selon vous, piloter cela à l'échelle nationale et qui pourrait le faire à l'échelle régionale ?

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