Intervention de Roger Genet

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Au préalable, je précise que je ne serai pas en capacité de répondre à certaines de vos questions. Il en va ainsi de celles qui sont dédiées à la gouvernance régionale, laquelle n'entre pas dans les compétences de l'ANSES.

Le plan Cancer reste, pour moi, un modèle. Néanmoins, je n'ai pas dit qu'il s'agissait du modèle à suivre pour le PNSE : toutes ses dispositions ne sont pas transposables, en particulier concernant les volets régional et national.

Cela étant, le plan Cancer et l'INCa ont institué un « moyen » de gouvernance entre les cancéropôles, à la maille régionale, et l'INCa, financeur de ces derniers par le truchement d'un appel d'offres dédié. L'INCa a assuré le pilotage de nombreuses actions de prévention. Néanmoins, de nombreuses actions n'en dépendent également pas, étant du ressort d'autres acteurs. L'INCa, en étant responsable de la coordination globale, porte une responsabilité vis-à-vis de l'exécutif, en ce qui concerne l'exécution des actions du plan. Il me semble plus simple de dédier un acteur au pilotage d'un plan, pour le compte des ministères,

Pour rappel, l'INCa avait été créé, dans le cadre du plan Cancer, avec un budget de 35 millions d'euros en provenance de la recherche et de 35 millions d'euros venant de la santé : la cible était d'atteindre un total de 100 millions d'euros (50 millions d'euros pour les deux parties). Le financement de la recherche portée par l'INCa et du volet que ce dernier pilote dans l'alliance santé Aviesan, ne représente pas moins de 50 à 60 millions d'euros : cette somme ne concerne que la recherche liée au cancer. Elle est à comparer aux 20 millions d'euros dédiés à la thématique santé-environnement-travail. Pour information, l'INCa, sur la thématique cancer et environnement, recherche et finance des projets sélectionnés par l'ANSES : il est donc membre du comité de pilotage associé.

Par ailleurs, l'ANSES participe aux plans « silos ». Elle n'entretient pas de relations avec l'ensemble de ces derniers ou des plans nationaux. Néanmoins, ses actions peuvent s'inscrire dans ces derniers, lesquels donnent généralement lieu à des rapports et à des évaluations. Sur ce plan toutefois, la situation est hétérogène : en effet, leur gouvernance l'est également. Ainsi, ils peuvent :

– être pilotés par l'échelon interministériel ou un ministère ;

– être financés ou pas.

La Campagne Nationale d'Évaluation des Pesticides dans l'air (CNEP), exposée le 5 juillet, s'inscrit dans le pan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA). Bien qu'inscrite dans le PNSE, elle ne donne pas lieu à la production, par l'ANSES, d'un rapport : ce dernier est du ressort du ministère concerné.

L'ANSES intervient dans le cadre :

– du plan national nutrition-santé ;

– du plan nutrition-alimentation ;

– de la stratégie nationale perturbateurs endocriniens (SNPE) ;

– du plan santé-travail, où elle exerce un rôle de coordination et d'animation ;

– du plan chlordécone.

Elle est également très impliquée dans la gouvernance dédiée au sujet de l'antibio résistance.

Par ailleurs, le système national des données de santé, de mémoire, a été lancé en 2013. Il a encore changé de nom l'année dernière et sa gouvernance a évolué. Les porteurs de projets ont également évolué. Néanmoins, une impulsion a été donnée et les travaux ont débuté. Santé publique France peut directement, dans le cadre du Health Data Hub, procéder à des extractions de données.

L'ANSES, par son truchement ou par celui de l'INSERM, qui dispose également de l'habilitation requise, peut interroger le système pour récupérer des données. Les parties privées – industriels notamment – ont également la capacité de solliciter, auprès d'un opérateur habilité, des extractions de données.

Quoi qu'il en soit, l'impulsion a été donnée et la construction d'un observatoire des données environnementales constitue un travail de plusieurs années. La première question est d'identifier celles qui doivent être suivies à court, moyen et long termes. En pratique, l'idée est de disposer :

– des données liées à la contamination des milieux ;

– des données relatives à l'évolution de la biodiversité ;

– des données inhérentes aux surfaces.

Existent aujourd'hui de fantastiques outils d'observation, avec de très nombreuses données, en termes d'artificialisation des sols, d'évolution de la biodiversité, de « trame bleue/trame verte ». Celles-ci peuvent être sources de connaissances au moyen de leurs croisements.

Les différentes bases de données sont placées sous la responsabilité de différents acteurs : il est difficile, en conséquence, d'y accéder et de les mettre en relation. De ce fait, la construction du dispositif relève d'un travail de longue haleine, nécessitant de vrais moyens. Elle n'en demeure pas moins « incontournable » pour travailler sur l'environnement.

La question de la communication est récurrente. Parfois, d'aucuns souhaiteraient de l'ANSES joue un rôle de « juge de paix », en édictant la vérité scientifique à un instant T. En pratique, la stratégie de communication de l'agence a été débattue au sein de ses différentes instances, parmi lesquelles le conseil d'administration. Elle se doit de faire connaître les avis rendus et de formuler des recommandations à la population. Cela passe par les réseaux sociaux ou la presse par exemple. Chaque semaine à la radio, il est fait référence à des avis de l'ANSES, dont le nom est souvent raccourci en « agence sanitaire ». De fait, l'ANSES doit renforcer sa visibilité et sa notoriété, afin de lui permettre de « passer des messages » sur les résultats de ses travaux. Chaque réunion du conseil d'administration est l'occasion de revenir sur des indicateurs, par exemple dédiés à la présence sur les réseaux sociaux ou dans la presse. L'ANSES s'appuie sur un service de presse très dynamique, qui vient « nourrir » les journalistes : dès lors qu'un sujet sanitaire fait l'actualité, elle est contactée par les grands médias, qui sont a minima demandeurs d'informations de fond.

Lorsque les comités d'experts de l'ANSES travaillent, celle-ci ne s'exprime pas, afin de ne pas interférer avec les expertises en cours. L'ANSES doit communiquer sur ses avis une fois qu'ils sont prêts. Après trois ans, ils sont généralement dépassés, ce qui crée une difficulté. Elle n'est pas un organe de communication sur les risques chimiques ou autres. Santé publique France a mis en place un site dédié aux bébés et aux risques chimiques : si l'ANSES y a contribué, elle n'a pas pour rôle de communiquer sur le sujet.

La crédibilité de l'agence est liée à la prévention des conflits d'intérêts. Bien évidemment, elle a subi des attaques à cet égard. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la radio, elle travaille sur des sujets de société qui suscitent des débats et des affrontements. Certaines parties prenantes ont pour objectif – et je le dis sans jugement de valeur – d'interdire les pesticides en France, ce qui est un combat honorable. Cela étant, l'agence a pour mission d'évaluer les risques associés, et non d'en prôner l'interdiction.

Aujourd'hui, l'ANSES a la responsabilité de délivrer les AMM : elle est donc devenue la cible d'un certain nombre d'enjeux politiques. Elle est ainsi exposée à des pressions, lesquelles passent parfois par des attaques ad hominem, que je déplore. Elle ne peut parfois pas y répondre, sauf à entrer dans la polémique. Elle est, de même que ses experts, victime de diffamation. À titre personnel, il m'est arrivé, en personne, de porter un certain nombre de courriers à des directeurs d'organismes : en effet, les attaques tendent à démobiliser nos experts scientifiques, ce qui en complique le recrutement.

L'ANSES dispose d'un système de prévention des conflits d'intérêts et d'analyse des liens d'intérêts, qui repose sur une grille, qui est probablement la plus exigeante au monde. Elle se compose de critères dédiés aux liens d'intérêts, économiques ou intellectuels. Les comités d'experts constitués sont les plus indépendants possible.

Il n'en demeure pas moins qu'il existe une vraie confusion entre les liens d'intérêts et les conflits d'intérêts. Ainsi, il est courant que le laboratoire de rattachement d'un expert soit en partie financé par des acteurs économiques : en effet, c'est la recherche « Public-Privé » qui est aujourd'hui privilégiée. Néanmoins, l'agence a déployé des critères venant limiter le poids des financements des laboratoires émanant de structures privées : il ne doit pas excéder de 5 à 10 %, ce qui est extrêmement contraignant et beaucoup plus rigoureux qu'à l'agence européenne de sécurité des aliments. Il existe donc des liens d'intérêts naturels, mais ils sont tracés et analysés.

Chaque réunion des comités d'expert débute par un rappel de ces exigences. En fonction des sujets à évaluer, des experts peuvent être « déportés », si cela s'impose.

Quoi qu'il en soit, l'ANSES applique des règles très exigeantes, lesquelles sont bien antérieures à la loi Marisol Touraine dédiée à la modernisation du système de santé. L'agence a joué, avec son comité de déontologie, un rôle de précurseur dans ce domaine.

Les enjeux liés aux pesticides créent des tensions dans la société, ce qui expose l'agence à des pressions. Cela étant, quel intérêt aurait-elle à répondre à des pressions du monde économique pour délivrer ou retirer une AMM ? Elle est probablement, de tous les décideurs publics, celui qui aurait le moins d'intérêts à céder à des pressions. Elle est une instance scientifique neutre. Aujourd'hui, je ressens plus fortement des pressions médiatiques et associatives que des pressions industrielles pour influencer les décisions de l'agence.

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