Intervention de Roger Genet

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Trois préoccupations rejoignent pleinement les propositions de l'agence. Elles portent sur la recherche, le pilotage et les indicateurs.

S'agissant des indicateurs de qualité, la réalisation d'un état des lieux constitue la principale difficulté : en effet, nous avons essayé de le faire au sein du Groupe Santé-Environnement (GSE), en faisant dialoguer les parties prenantes, c'est-à-dire des scientifiques issus de la recherche académique et des scientifiques portant des enjeux associatifs ou interprofessionnels, par exemple. Or ils ont beaucoup de mal à s'accorder les uns avec les autres, car ils portent des enjeux qu'il n'est pas forcément facile de réconcilier.

Pour essayer de lever cette difficulté, il serait pertinent de constituer un comité d'experts indépendants, en charge de la formulation d'une proposition purement scientifique, soumise ensuite à des discussions avec tous les porteurs d'enjeux. En effet, il est très difficile d'obtenir de personnes qui portent des visions politiques, au sens noble du terme, parfois diamétralement opposées, qu'elles s'accordent sur la nature des indicateurs « de départ » et « d'arrivée ». En pratique, la préconisation qui vient d'être exposée rejoint un peu ce qui a été fait sur le sujet climatique, avec la constitution du GIEC. Les fruits des travaux doivent in fine être soumis à la société civile, pour discussion.

Sur le plan de la gouvernance, le plan national dédié au cancer me semble être le modèle à privilégier, avec :

– la réalisation d'un état des lieux de départ ;

– la fixation d'objectifs d'amélioration explicites et compréhensibles par la population, sur les plans de la prévention, de la prise en compte des familles, des avancées scientifiques, des traitements.

La mise en œuvre des actions inhérentes au plan de lutte contre le cancer a mobilisé de très nombreux acteurs (opérateurs privés, opérateurs publics, ministères). Néanmoins, elle a été supervisée par un maître d'œuvre, à savoir l'INCa : ce dernier devait, chaque année, remettre un rapport au Président de la République. La gouvernance, de ce fait, intervenait au plus haut niveau de l'État.

La visibilité de cette démarche, tant dans la définition des objectifs que dans son portage, a permis au plan de lutte contre le cancer d'être le plan ayant joui du plus fort écho dans les quinze dernières années.

À l'inverse, j'ai été confronté à de multiples plans nationaux qui s'appuyaient sur des schémas de gouvernance très particuliers, reposant, par exemple, sur une double présidence confiée à deux professeurs des universités praticiens hospitaliers (PUPH) ou à un délégué interministériel. Cette manière de procéder soulevait différentes interrogations. À qui fait-on rapport ? Qui pilote et aura-t-il les moyens de piloter ? Quid de la coordination ?

L'INCa n'était bien évidemment pas responsable de la mise en œuvre des 150 actions du plan de lutte contre le cancer. En revanche, il devait assurer le reporting des différentes actions, veiller à leur mise en œuvre et produire un rapport final, tout en se conformant au budget défini. Les ministères font leur maximum dans le pilotage des plans. Aujourd'hui toutefois, la question des moyens des administrations centrales et les priorités des différents ministères font qu'il est très difficile de lancer des actions de long terme, sous le pilotage d'une administration centrale. Par conséquent, le fait de s'appuyer sur un opérateur central, comme l'INCa, a été absolument majeur dans la réussite du plan dédié au cancer.

Par ailleurs, pour alimenter des indicateurs, il convient de disposer de données. Bien évidemment, les différents acteurs en détiennent tous, qu'elles portent sur la toxicité des produits chimiques, l'épidémiologie, l'environnement ou la biodiversité. J'ai compté parmi les fondateurs de l'alliance de recherche pour l'environnement AllEnvi, qui regroupe l'ensemble des organismes qui œuvrent dans le champ de la recherche environnementale. Au moment de sa création, il y a dix ans, la difficulté principale tenait au nombre pléthorique d'acteurs, présents, avec, par exemple :

– l'INRA, dédié à l'agronomie ;

– le Museum, dédié à la biodiversité ;

– le CNRS, œuvrant sur l'ensemble des domaines ;

– les Universités ;

– l'IFREMER, pour ce qui concerne la mer ;

– l'IRSTEA.

De fait, plus de 25 organismes étaient en charge d'une partie de la recherche environnementale. Tous disposaient de leurs propres données et de leurs propres études.

J'ai présidé le laboratoire national de référence pour la surveillance des milieux aquatiques (AQUAREF) : ce dernier était alimenté par pas moins de cinq organismes. Le laboratoire dédié à la qualité de l'air dispose également de ses propres données, de même que l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA).

Malheureusement, les différentes données disponibles, bien que pléthoriques, ne se « parlent » pas. Elles ne sont pas interopérables. De fait, aucun acteur ne dispose d'un état de synthèse des différentes données.

Dans le domaine de la santé, le Système National des Données de Santé (SNDS) a représenté, au cours des dernières années, un progrès fondamental : il est désormais porté par le successeur de l'Institut national des Données de Santé (Health Data Hub), qui a été réformé cette année. L'idée était de réunir, ou en tout cas de rendre interopérables, les données de la Sécurité Sociale. La mise en œuvre de ce schéma a pris du temps, nécessitant l'aval de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : celle-ci devait accepter que les données nominatives de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) puissent être réunies avec celles, par exemple, de Santé publique France.

À titre d'illustration, comment les premiers cas de sida avaient-ils été détectés ? Ils l'avaient été par le Center for Disease Control and Prevention, le CDC américain, en 1984 : sur la base d'analyses statistiques, ce dernier avait observé, à New York, une surconsommation de médicaments immuno-stimulateurs au sein, en particulier, de la communauté jeune homosexuelle. Trente ans après, la France reste dans l'incapacité d'en faire autant, puisqu'elle ne peut pas accéder aux données qui le lui permettraient.

L'objectif du SNDS était de pouvoir disposer de ce type d'informations. Les travaux, difficiles, sont en cours. Il est à noter que les données environnementales témoignent d'un degré de complexité encore plus élevé que les autres, du fait de la nature des bases de données. Quoi qu'il en soit, la création d'un observatoire ou d'une structure, jouant, pour les données environnementales, le même rôle que le Health Data Hub pour les données de santé, est un enjeu essentiel. En effet, cela permettra d'interroger les différentes bases de données, pour établir des corrélations. À ce moment-là seulement, des indicateurs de qualité environnementale pourront être renseignés.

Enfin, le secteur de la recherche souffre d'un éclatement de ses acteurs et de financements qui demeurent, au regard de ce qu'ils sont dans d'autres champs disciplinaires, très modestes. Aujourd'hui, le financement sur projet de la recherche biomédicale représente 45 % de l'ensemble des financements disponibles. Le programme national de recherche environnement-santé-travail dispose d'un budget de six à huit millions d'euros. L'agence nationale de la recherche (ANR), pour sa part, apporte une dizaine de millions d'euros, alors que son budget atteindra prochainement 1,5 milliard d'euros. Globalement, le programme précité dispose de seulement une vingtaine de millions d'euros par an.

De fait, le financement de la recherche reste très faible. Aujourd'hui, le taux de sélection de l'agence, concernant les réponses aux appels à projets, s'établit à 10 % : il se situe au niveau du taux qu'affichait l'ANR, lorsqu'il était au plus bas pour elle. Au sein de cette dernière, il est aujourd'hui compris entre 20 et 25 %. Ainsi, l'ANSES ne sélectionne qu'un projet sur dix, ne pouvant pas financer des projets notés A+.

En conséquence, je souhaite qu'il soit possible, à travers le plan de relance et le partenariat avec l'ANR, de refinancer et de « redoter » le volet « recherche » du plan national santé-environnement : en quatorze ans, ce dernier n'a jamais été « rebudgétisé ». En parallèle, de nouveaux mots-clés émergent (glyphosate, vecteurs, perturbateurs endocriniens, antibio résistance dans l'environnement), sans possibilité, en regard, de financement de projets.

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