Intervention de Béatrice Buguet

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Béatrice Buguet, inspectrice générale des affaires sociales :

S'agissant du contexte de la saisine ayant présidé à l'élaboration du rapport, il s'agit d'une commande interministérielle, par les ministres chargés de la santé, de l'environnement et de la recherche. Il s'agit d'un mode de saisine classique : l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) reçoit des demandes de mission de la part d'un ou plusieurs ministres et y répond, autant que possible, dans les délais demandés, de façon à permettre l'étude de telle ou telle question et la préparation de décisions publiques.

S'agissant de la définition de la santé environnementale, je vous citerai d'abord celle donnée en 1989 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : les aspects de la santé humaine et du bien-être déterminés par des facteurs environnementaux. Cette définition est intervenue dans le contexte de l'émergence, depuis les années 80, dans le domaine de santé publique, d'une conception globale de la santé, qui insiste sur l'importance des déterminants de santé et de l'action, hors du système de soins, afin d'améliorer la santé de la population ou d'éviter qu'elle ne se détériore, parfois très gravement. La santé-environnement est, selon les termes du code de la santé publique, un enjeu majeur de santé publique. Elle identifie et vise à prévenir ou faire cesser les atteintes environnementales à la santé humaine, notamment les atteintes résultant d'expositions à des facteurs toxiques (pollution de l'air, de l'eau, des sols, etc.).

Les objectifs de cette politique ne peuvent être atteints qu'en agissant sur des déterminants environnementaux relevant de thématiques et d'intervenants très divers. Il s'agit fondamentalement d'une politique de santé, mais qui implique l'action de très nombreux intervenants, bien au-delà du champ sanitaire. En réalité, la santé-environnement n'est pas une politique publique spécifique. Elle est davantage une dimension essentielle qui doit primer, ou au moins être prise en compte, dans de très nombreuses décisions publiques.

La lettre de mission était tout à fait précise et engageait un travail de fond. Elle demandait une évaluation du PNSE sous des aspects multiples, comprenant la gouvernance et son articulation avec les autres plans de santé publique (PCB, chlordécone, micropolluants, Écophyto, etc.). Elle caractérisait donc ces plans comme des plans de santé publique. Elle se plaçait dans l'objectif d'une étude précise et globale du PNSE, afin de vérifier sa bonne articulation avec les autres outils de politique publique disponibles.

Le rapport est structuré en trois parties. Dans la première, il analyse, de façon factuelle, l'ensemble des actions du PNSE3, ses articulations avec les autres plans et ses modalités de pilotage. Dans la deuxième, il expose les enjeux du plan, sanitaires, d'une part, et financiers, d'autre part. Dans la troisième, il formule des propositions relatives aux différents volets.

J'évoquerai très rapidement les principaux constats et quelques propositions. L'analyse du PNSE3 montre qu'il ne répond pas à l'ensemble du champ dessiné par le code de la santé publique pour les plans nationaux de santé-environnement. Ce plan affiche un nombre d'actions très élevé, presque doublé par rapport au PNSE1. Celui-ci comprenait 45 actions, le PNSE3 en compte 110.

Les mesures du plan sont intitulées « actions ». En réalité, elles n'organisent pas véritablement l'action. En effet, très peu d'entre elles visent à diminuer l'exposition aux facteurs nocifs. Les actions, pour la plupart non quantifiées en termes d'enjeux ou d'objectifs, ne sont pas assorties d'objectifs de résultat. Les moyens d'agir ne sont pas définis. Le plan comporte très peu d'actions visant à instaurer une norme, à contractualiser tel ou tel aspect de politique publique ou à inciter tel ou tel acteur à agir. Le rapport propose une analyse action par action de ces différentes caractéristiques.

L'articulation du plan national avec les plans régionaux de santé environnement (PRSE) est prévue, mais elle n'est pas effective, pour différentes raisons. La principale est de chronologie. Il n'est en effet pas possible que les plans régionaux soient chronologiquement en phase avec le plan national. À partir du moment où les plans régionaux sont perçus comme une déclination du plan national, il importe que les régions attendent que le plan national soit déployé pour commencer à travailler. Pour un plan de cinq ans, le décalage est d'un an et demi à deux ans. Ce n'est pas le plus gênant. La déclinaison prévue entre le PNSE et les PRSE est exclusivement verticale et descendante. Horizontalement, aucun processus d'échange n'est prévu, même si des acteurs locaux en prennent parfois l'initiative. Aucune articulation n'est prévue entre les actions de différentes régions sur les mêmes thèmes, à des fins de mutualisation ou de partage de fiches-actions. Il n'y a pas davantage de remontées ou d'utilisation, au niveau national, des actions réussies au niveau régional ou infrarégional, afin d'enrichir l'action et d'améliorer l'efficacité du plan.

Le PNSE ne définit pas son pilotage institutionnel. En annexe du rapport, figure une mise en regard entre le PNSE1, le PNSE2 et le PNSE3. Les deux premiers PNSE avaient exposé leur propre gouvernance, ce qui n'est plus le cas du PNSE3. En l'occurrence, la gouvernance repose, d'une part, sur deux administrations centrales, la direction générale de la santé et la direction générale de la prévention des risques, qui travaillent bien ensemble, mais avec des moyens ténus et, d'autre part, sur un foisonnement de pilotes, copilotes, partenaires, dont les rôles respectifs ne sont pas définis. Nous avons même rencontré des personnes qui ignoraient être pilotes ou copilotes d'actions. Pour citer un autre exemple, le plan comprend quatre actions relatives à la prévention du bruit, qui relèvent toutes de modalités de pilotage différentes. Le pilotage est peu organisé au niveau national.

Quant au pilotage des plans régionaux, il repose en principe sur un trinôme, composé de l'agence régionale de santé (ARS), de la préfecture de région et du conseil régional. Ce trinôme est en réalité plutôt virtuel. D'une part, l'ARS possède un rôle très partiel. D'autre part, les conseils régionaux ne sont pas incités à intervenir réellement dans ces plans qui sont, par la manière dont ils sont conduits et les moyens très faibles dont ils sont dotés, des outils tout à fait périphériques de contractualisation entre l'État et les conseils régionaux. Il nous est arrivé de rencontrer des acteurs étatiques qui s'étonnaient de la participation réduite des conseils régionaux, mais au regard de l'articulation prévue, il est tout à fait naturel que ceux-ci s'engagent peu dans ce type de contractualisation. Certains le font car ils sont d'extrême bonne volonté. Pour ne citer qu'un exemple, beaucoup d'acteurs ont souligné la disproportion entre les enjeux et le budget alloué aux PRSE. Un membre du corps préfectoral a illustré ce propos en indiquant que, dans sa région, le budget total du PRSE équivalait à la construction de dix mètres de route.

Au-delà des enjeux sanitaires, les enjeux financiers sont réellement importants. Toutes les actions de prévention en santé et de prise en charge du risque sanitaire sont perçues comme des dépenses, alors qu'en réalité la non-action engendre des coûts colossaux. Par exemple, dans le cas de l'amiante, considérable déterminant environnemental de pathologies lourdes, une étude a calculé qu'aux Pays-Bas, si l'amiante avait été interdit en 1965 au lieu de l'être en 1993, il en serait résulté 30 000 morts de moins et une économie de 19 milliards d'euros. Les ordres de grandeur sont gigantesques. Le rapport n'a pas pu fournir de coût précis et total, sachant qu'aucune étude globale n'existe. Des études sectorielles, menées par des organismes très divers, notamment étatiques, ont été publiées. Je pense notamment au rapport du Sénat en 2015 sur le coût économique de la pollution de l'air.

Dans ce rapport, j'ai choisi d'agréger les coûts de trois facteurs de pollution connus pour leurs effets sur la santé humaine : l'air, le bruit, les perturbateurs endocriniens. Nous avons considéré les coûts identifiés par le rapport du Sénat pour la pollution de l'air, l'évaluation publiée en 2016 par le Conseil national du bruit et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) pour le coût social du bruit, qui s'élève, selon cette étude, à 57 milliards d'euros par an. En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, une étude de 2015 estime les effets sur la santé de l'exposition de la population à un coût représentant 1,23 % du produit intérieur brut (PIB) européen. Nous avons réalisé une règle de trois, de façon assez grossière. En effet, nous avons divisé cette donnée par le nombre de pays. Comme le PIB français est plus élevé que la moyenne du PIB des pays européens, le chiffre qui en résulte est sous-estimé. L'addition de ces trois ordres de grandeur aboutit en France à un coût minimal de 180 milliards d'euros, soit 7,8 points de PIB par an pour trois types de pollution, sans aucune exhaustivité quant aux atteintes environnementales autres sur la santé humaine. Les coûts sont donc colossaux. Si le rapport a choisi d'exposer, même de façon nécessairement incomplète, les enjeux sanitaires et financiers, c'est parce que les propositions qui paraissaient pertinentes sont assez ambitieuses. Il paraissait utile, dans ces conditions, de rappeler les enjeux en question, d'autant que les enjeux financiers sont très peu pris en compte.

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