Lorsque nous avons évalué le PNSE3, nous nous sommes posés la question de la recherche. J'y étais intéressé puisque, dans les travaux préparatoires au PNSE3, plusieurs rapports avaient été rédigés de façon à faire le point sur les besoins de recherche dans le domaine. À ce titre, j'avais coordonné, avec mon collègue Robert Barouki, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, un travail ayant abouti au rapport intitulé : Initiative française de recherche en environnement-santé (IFRES). Il s'agissait d'un véritable programme contenant dix-neuf actions, des pilotes d'action et des objectifs à atteindre. La ministre de la recherche, Geneviève Fioraso, avait exprimé auprès des grandes alliances scientifiques de différents secteurs – l'alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), l'alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) et l'alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna) – sa satisfaction d'un tel rapport et demandé sa mise en œuvre au titre du PNSE3. Le PNSE3 comporte une action 81, intitulée « coordonner et structurer la recherche en s'appuyant sur l'initiative française pour la recherche en santé-environnement ». Elle énonce que ce rapport sera mis en œuvre.
Quelques années plus tard, au moment de l'évaluation, nous avons rencontré le directeur général de la recherche et de l'innovation. Il nous a avoué qu'il n'était pas informé être pilote de cette action. Entre-temps, l'Agence nationale de recherche avait arrêté ses programmes de santé-environnement, au profit de programmes dits « Blanc », où les chercheurs font des propositions, sans être guidés vers des questions particulières. Or la recherche n'est pas un système unique, qui fonctionne d'une seule manière. La recherche fondamentale, motivée uniquement par l'envie de connaître, sur des sujets dont on ignore s'ils seront mis en application, est très importante. Le laser n'aurait pas été inventé si des physiciens ne s'étaient posé la question de ce qu'il était possible de faire avec des photons. Au-delà, la recherche finalisée, et non pas appliquée (elle n'est pas forcément l'application de la recherche fondamentale), est menée avec l'objectif d'obtenir certaines connaissances. Typiquement, dans le domaine de la santé-environnement, nous avons envie de connaître, non seulement pour savoir, mais pour agir.
Cette recherche se finance par des circuits spécifiques. À une certaine époque, j'ai été en charge de la recherche au ministère de l'écologie. Nous possédions des programmes de recherche et allions solliciter des chercheurs pour comprendre, par exemple, comment fonctionne une zone humide. Nous avons lancé le premier programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens. Nous constations des anomalies génitales et des baisses de fertilité. Nous soupçonnions des molécules car nous savions qu'elles se fixaient sur des récepteurs hormonaux avec des affinités totalement étrangères aux hormones naturelles. Nous avons donc décidé de lancer des recherches. Cela n'a pas été fait dans le cadre du PNSE, ce qui est vraiment dommage.
Dans le même temps, j'ai coordonné un rapport de l'AllEnvi intitulé « Perspectives scientifiques dans le domaine des risques ». Il traitait l'ensemble des risques, y compris les risques naturels. Je vais vous lire ce que nous avions écrit sur le problème des maladies émergentes, en 2013. Nous proposions de « développer une approche écosystémique pluridisciplinaire des maladies infectieuses émergentes, associant épidémiologistes, cliniciens, infectiologues, microbiologistes, écotoxicologues et spécialistes des sciences humaines et sociales ». Nous suggérions de « relier la santé humaine avec d'autres secteurs comme la santé animale, l'environnement, le commerce, l'agriculture et les services sociaux » mais également « d'examiner les interactions entre sécurité sanitaire, sécurité alimentaire et sécurité en général ». Il y a sept ans, les chercheurs se posaient donc des questions, auxquelles nous serions très heureux de disposer aujourd'hui des réponses pour traiter la pandémie en cours. Je ne dis pas que nous aurions pu tout trouver, très bien réagir et éviter les morts, mais nous en aurions su un peu plus et aurions peut-être été un peu plus prudents. Nous aurions ainsi éclairé, par la science, la vision prospective de ce que doit être une politique publique de santé-environnement. La science peut apporter aux politiques publiques beaucoup d'informations, en amont de la conception et de la décision. Nous avons un peu trop tendance à l'oublier.