Intervention de Gilles Pipien

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Gilles Pipien, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) :

J'ajouterai que lorsque j'étais à la Banque Mondiale, nous abordions ces questions avec nos collègues économistes, qui menaient continuellement des analyses coûts/bénéfices. Le rôle de la Banque Mondiale est d'octroyer des prêts, pour permettre le développement. L'enjeu était d'octroyer ces prêts avec la meilleure rentabilité en termes de développement. Je me rappelle d'une discussion à Aman en Jordanie, à propos de l'eau qui coûtait cher, d'autant que les réseaux étaient vieux et engendraient d'importantes fuites. En conséquence, des quartiers étaient insuffisamment pourvus en eau, avec beaucoup de maladies. Nous avons réalisé une analyse du coût de la remise en état des réseaux. Au regard de différents indicateurs et études dans le monde, nous avons mené une analyse coûts/bénéfices ayant montré que pour un dollar investi dans la remise en état des réseaux d'eau, nous en retirerions quatre en termes de développement, un dans l'économie de perte d'eau, un autre en termes de santé publique et les deux autres en termes de meilleur développement économique.

Nous manquons d'une approche coûts/bénéfices. Si nous mettons en place un observatoire dans le domaine de la santé-environnement, il nous faut également, en lien avec le comité d'analyse stratégique et des économistes – comme nous le faisons au niveau international avec l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) –, des analyses coûts/bénéfices. Nous nous rendrons compte qu'il s'agit d'un élément de priorisation. L'OMS se focalise sur la pollution de l'air car il s'agit d'une priorité en termes de santé, mais également en raison d'un rapport coûts/bénéfices très intéressant. À partir du moment où la pollution de l'air diminue, les retours économiques sont conséquents. Il suffit de considérer la disparition du smog à Londres et le meilleur développement économique et social qui en a résulté.

La formation est importante. Aujourd'hui, des spécialistes se trouvent « dans leur silo » et ne perçoivent pas les aspects croisés des politiques. J'ai dû moi-même faire des cours sur les plans de déplacements urbains à des médecins de l'association Santé environnement France, qui rencontraient les problèmes d'asthme des enfants en centre-ville, mais ignoraient l'outil. Nous avons besoin de formations dans ce domaine, des formations communes sur le vivant et son fonctionnement one health entre les médecins, les vétérinaires et les écologues. Il faut former les ingénieurs à ces questions de santé-environnement. J'en discute actuellement avec l'École nationale des travaux publics de l'État. Il en est de même pour l'École nationale de l'administration et le Centre national de la fonction publique territoriale. Je suis en lien avec une association de dirigeants de collectivités territoriales parfaitement conscients des enjeux dans ce domaine. Les élus doivent également être formés. Je pense donc que la formation constitue un enjeu fondamental.

Enfin, j'insiste sur l'importance d'une seule santé. L'être humain est un être vivant. Nous fonctionnons comme le vivant. Par conséquent, il nous faut comprendre le lien entre les deux. Le microbiote est une première étape mais il n'est pas suffisant. Je souhaiterais terminer en évoquant l'arrivée de la rage par l'Est de la France dans les années 70. La réaction a été immédiate. Les préfets ont décidé de tuer les renards mais la rage a continué à avancer. Pourquoi ? Il faut comprendre l'éthologie des renards. Le renard est un animal territorial. Si vous réussissez à tuer un renard, tous les autres vont venir essayer de prendre le pouvoir et vont se battre entre eux. Si l'un a la rage, tous les autres vont l'attraper. Ils vont vérifier que le renard est bien mort et vont le mordre. Par cette politique, la rage s'est généralisée, d'autant que les chiens errants et les lynx n'ont pas été abattus. La solution est venue des Suisses, qui se sont rappelé que Pasteur avait inventé le vaccin contre la rage. Ces derniers ont fabriqué des boulettes de viande avec des vaccins, qu'ils ont larguées par hélicoptère. Ils ont vacciné les renards, les lynx, les chiens errants, etc. La rage s'est arrêtée de cette manière en Suisse. Nous nous y sommes mis quelques années plus tard en France et avons stoppé la rage. Je vous rappelle que la rage est mortelle pour l'être humain. Vous percevez ainsi l'enjeu de la compréhension et de l'aller-retour entre le savoir-faire, les médecins (Pasteur et la vaccination) et la compréhension du fonctionnement écologique. J'ajouterai que pendant que les renards étaient tués, les rats, les mulots et les campagnols « dansaient ». Avec les ravageurs, on a assisté à l'effondrement des rendements dans les plaines agricoles de l'Est, mais aussi à la diffusion de la maladie de Lyme. Avant d'agir, mettons tout le monde autour de la table. Écoutons les interactions et pesons les décisions. Cette petite histoire n'est qu'une illustration des enjeux évoqués.

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