Intervention de Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) :

Nous vous dirons ce que nous pensons des apports de la recherche sur le thème santé et environnement et comment les meilleures connaissances scientifiques peuvent éclairer la décision politique. Nous évoquerons le processus de recherche et ses retombées, les financements majeurs, les principaux résultats de ces dix à quinze dernières années, les difficultés auxquelles nous faisons face, les grandes questions que nous nous posons et les perspectives à venir.

Tout d'abord, il est intéressant d'illustrer le processus de recherche en rappelant comment les premières alertes sur l'existence d'une relation entre notre environnement et la santé ont été formulées. Dans les années 60, Rachel Carson, visionnaire américaine et auteure d' Un printemps silencieux, a attiré l'attention sur le déclin des oiseaux et démontré que le DDT était à l'origine de la fragilisation de la coquille de leurs œufs. Dans les années 80, c'est le déclin massif des alligators en Floride et des poissons dans la Tamise qui a alerté. Ces observations ont permis de comprendre que l'environnement contenait des substances qui agissaient sur l'écosystème de manière imprévue. Dans les années 2000, des altérations de comportements ont été observées, concernant aussi bien les abeilles que les poissons. Ces phénomènes nous ont alertés sur les impacts neurologiques potentiels des substances présentes dans l'environnement. Nous qualifions les molécules alors détectées de « polluants émergents », terme relativement ironique, puisque la seule chose à émerger, en réalité, est notre capacité à comprendre leurs effets.

Pour traiter ces sujets, la recherche s'est organisée autour de plusieurs programmes dédiés. Depuis 2005, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a financé, à hauteur de 150 millions d'euros, 386 programmes. Les thèmes étudiés sont très variés et portent sur la qualité de l'air, l'adaptation des pathogènes aux changements environnementaux ou les nanomatériaux. D'autres agences, plus spécialisées, financent la recherche en France. C'est le cas de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) qui, contrairement à l'ANR, n'est pas financée par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), mais par les ministères de l'agriculture et du travail. Ils financent, par exemple, le programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST) de l'Anses qui, depuis 2006, poursuit des recherches plus dirigées, où l'on demande aux chercheurs de s'attaquer aux impacts de catégories de molécules précises sur la santé humaine. L'Agence de la transition écologique (Ademe) dispose de plusieurs programmes : Aqacia intervient sur l'amélioration de la qualité de l'air, Impacts sur l'impact de molécules très ciblées en cocktail et GESIPOL sur la gestion des sols pollués. Les outils et les types de recherche varient donc en fonction des agences et de l'origine de leurs financements.

Au niveau européen, il existe quelques appels ciblés, en particulier au titre des initiatives de programmation conjointe (IPC) entre États. De telles initiatives permettent, par exemple, d'étudier l'écotoxicité des nanoplastiques dans l'océan. Il existe également des initiatives de plus grande ampleur. L'une d'entre elles rassemble des agences des différents États membres en mesure d'effectuer un suivi de la contamination des êtres humains par certaines molécules. Dans ce contexte, afin d'obtenir une cartographie précise et globale à l'échelle européenne, des molécules précises sont recherchées dans le sang et dans d'autres tissus. Il existe des programmes plus globaux. ERA est un consortium qui regroupe les États membres et définit un agenda stratégique de recherche pour l'environnement, le climat et la santé. Nos préoccupations ont leur place au niveau européen, ce qui est une bonne chose.

Grâce à ces différents outils, la recherche a pu avancer. Nous avons compris que nous sommes exposés, dans l'environnement, à des substances que nous ne pensions pas retrouver : c'est le grand progrès réalisé par la science ces quinze dernières années. En effet, quand on asperge d'un pesticide une parcelle agricole, on ne s'attend pas à le retrouver dans d'autres compartiments de l'environnement. Nous avons donc compris que la recherche de cette seule substance active n'était pas suffisante, mais qu'il fallait également rechercher ses dérivés, ses métabolites, parfois plus actifs que les molécules mères. Nous avons également compris que certaines pratiques apparemment anodines, en ce qu'elles n'étaient pas destinées à tuer un parasite ou un germe, pouvaient avoir des conséquences toxiques. C'est le cas des isolants ou de certains tissus synthétiques. C'est une révolution dans notre façon de penser l'environnement. Nous savons également que la présence d'une molécule n'implique pas sa toxicité, encore faut-il qu'elle soit biodisponible. Pendant longtemps, l'incompréhension de la notion de biodisponibilité nous a empêchés de tirer des conclusions : la molécule était présente, sans produire d'effets, parce qu'elle n'était pas biodisponible.

La communauté scientifique a aussi mis en évidence des modes d'action particuliers, notamment ceux des perturbateurs endocriniens, qui sont la grande affaire de ces quinze dernières années. Il s'agit de modes d'action singuliers, correspondant à des fenêtres de vulnérabilité spécifiques, notamment pendant la grossesse et le développement embryonnaire. Cela a permis de formuler des recommandations et de faire évoluer la réglementation désormais fondée sur le danger et non plus exclusivement sur le risque.

Nous avons mis en évidence des effets cascades. Dans l'environnement, par exemple, un animal peut devenir très vulnérable à son parasite qui, lui, prospère dans la mesure où son prédateur est attaqué par un pesticide. Une telle chaîne de causalité est complexe à démêler. Cela nous apprend à chercher le coup de billard à trois bandes et non pas uniquement un effet direct. Nous connaissons également le coût de l'adaptation : un individu qui a survécu à un épisode de canicule exceptionnel sera plus fragile vis-à-vis d'autres pathologies. La pollution de l'air est un domaine dans lequel des progrès significatifs ont été réalisés cette dernière décade, ce qui a conduit à une évolution concrète des réglementations.

De nombreuses questions demeurent cependant. C'est le cas de la multi‑exposition, le fameux « cocktail », aussi bien dans le temps que dans les molécules. L'exposition à différentes substances modifie nos organismes par des processus d'épigénétique, l'adaptation génétique étant sans doute plus rapide que ce que nous imaginions. Pour l'instant, nous ne savons pas très bien comprendre les conséquences de ces phénomènes. Nous avons également des difficultés avec le changement d'échelle. Nous savons observer et comprendre des choses dans des modèles expérimentaux et des expériences en laboratoire sur des cellules, mais il demeure difficile d'extrapoler et d'envisager la réponse d'un organisme dans toute sa complexité. La détection des effets précoces est également importante. Heureusement, notre environnement n'est pas infecté par des doses létales de contaminants. Ce sont donc des effets subtils, des petites modifications des comportements que nous cherchons à détecter.

À présent, je souhaiterais évoquer avec vous la façon dont les scientifiques abordent l'exposome, qu'il soit humain ou environnemental. Il s'agit d'une vision complète. Elle permet de considérer l'ensemble des perturbations et des agresseurs auxquels des personnes ont été exposées dans le temps. On va donc considérer l'histoire de vie des individus depuis leur gestation, ce qui nous conduit à mobiliser des disciplines très différentes, avec un renforcement en sciences humaines et sociales. Cela implique de mettre en perspective les niveaux d'exposition avec les contextes de vie, de santé, dans un esprit de médecine personnalisée, en considérant les spécificités de chaque personne. Nous partageons les grandes lignes de notre génome, mais nous savons aujourd'hui que chaque personne réagit différemment. Pour parvenir à cette vision complète de l'exposition, nous devrons fortement interagir avec tous les acteurs de la surveillance humaine ou environnementale et avec les agences.

Concernant les perspectives, le secrétariat général pour les investissements d'avenir finance la recherche grâce à des programmes prioritaires de recherche (PPR). Il s'agit de programmes très ambitieux, dans lesquels l'État investit environ 30 millions d'euros pour chacun d'entre eux, pour une durée de cinq à dix ans, sur des sujets de société majeurs. Actuellement, il existe un programme prioritaire de recherche sur le thème « Cultiver et protéger autrement ». Ce programme vise à construire une agronomie sans pesticide. Il existe également un programme prioritaire de recherche sur l'antibiorésistance ; un autre sur l'exposome démarrera dans les prochaines années. Certains sujets de recherche seront soutenus par le plan de relance du Gouvernement. Cela concerne plusieurs thématiques : l'alimentation saine et durable, où sera traitée la question de la réponse du microbiome intestinal, mais aussi les agroéquipements pour la transition écologique, vers une agriculture utilisant moins de pesticides.

Enfin, je voudrais élargir la notion de santé environnementale, en allant jusqu'à l'idée de la contribution de la nature aux populations. Ce concept, qui est apparu dans le contexte de négociations onusiennes, permet d'évaluer l'état de biodiversité et de la nature, comme nous le faisons pour le climat avec le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Je parle ici de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Ces contributions de la nature sont décrites très précisément. Certaines sont matérielles, comme la nourriture, l'énergie, les matériaux ou des remèdes, quand d'autres sont immatérielles. Ainsi, l'inspiration, le biomimétisme, ce que nous comprenons des êtres vivants ou encore l'apaisement procuré par un paysage sont des contributions immatérielles de la nature qui favorisent la santé mentale. Or il est établi que certains polluants altèrent directement notre santé, mais aussi celle de la nature et de ses contributions aux populations. Il y a donc un double effet : si la nature nous fournit une nourriture contaminée, si elle régule moins bien les effets du changement climatique, cela a des répercussions sur notre santé. L'IPBES, grâce à un groupe de travail international, a par exemple établi que la recrudescence des maladies infectieuses avait sa source dans les activités humaines, comme l'agriculture intensive, ou la perte de biodiversité.

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