Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 16h00

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La réunion

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L'audition débute à seize heures cinq.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions des administrations centrales et des ministères qui, de près ou de loin, sont parties prenantes dans l'élaboration des politiques publiques en matière de santé environnementale. Nous recevons aujourd'hui Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, ingénieure des eaux et forêts, directrice scientifique du secteur environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers, à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), et M. Bertrand Schwartz vétérinaire de formation et adjoint à la directrice scientifique du secteur biologie et santé, du service de la stratégie et de la recherche et de l'innovation à la DGRI.

(Mme Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin et M. Bertrand Schwartz prêtent serment.)

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Nous vous dirons ce que nous pensons des apports de la recherche sur le thème santé et environnement et comment les meilleures connaissances scientifiques peuvent éclairer la décision politique. Nous évoquerons le processus de recherche et ses retombées, les financements majeurs, les principaux résultats de ces dix à quinze dernières années, les difficultés auxquelles nous faisons face, les grandes questions que nous nous posons et les perspectives à venir.

Tout d'abord, il est intéressant d'illustrer le processus de recherche en rappelant comment les premières alertes sur l'existence d'une relation entre notre environnement et la santé ont été formulées. Dans les années 60, Rachel Carson, visionnaire américaine et auteure d' Un printemps silencieux, a attiré l'attention sur le déclin des oiseaux et démontré que le DDT était à l'origine de la fragilisation de la coquille de leurs œufs. Dans les années 80, c'est le déclin massif des alligators en Floride et des poissons dans la Tamise qui a alerté. Ces observations ont permis de comprendre que l'environnement contenait des substances qui agissaient sur l'écosystème de manière imprévue. Dans les années 2000, des altérations de comportements ont été observées, concernant aussi bien les abeilles que les poissons. Ces phénomènes nous ont alertés sur les impacts neurologiques potentiels des substances présentes dans l'environnement. Nous qualifions les molécules alors détectées de « polluants émergents », terme relativement ironique, puisque la seule chose à émerger, en réalité, est notre capacité à comprendre leurs effets.

Pour traiter ces sujets, la recherche s'est organisée autour de plusieurs programmes dédiés. Depuis 2005, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a financé, à hauteur de 150 millions d'euros, 386 programmes. Les thèmes étudiés sont très variés et portent sur la qualité de l'air, l'adaptation des pathogènes aux changements environnementaux ou les nanomatériaux. D'autres agences, plus spécialisées, financent la recherche en France. C'est le cas de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) qui, contrairement à l'ANR, n'est pas financée par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), mais par les ministères de l'agriculture et du travail. Ils financent, par exemple, le programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST) de l'Anses qui, depuis 2006, poursuit des recherches plus dirigées, où l'on demande aux chercheurs de s'attaquer aux impacts de catégories de molécules précises sur la santé humaine. L'Agence de la transition écologique (Ademe) dispose de plusieurs programmes : Aqacia intervient sur l'amélioration de la qualité de l'air, Impacts sur l'impact de molécules très ciblées en cocktail et GESIPOL sur la gestion des sols pollués. Les outils et les types de recherche varient donc en fonction des agences et de l'origine de leurs financements.

Au niveau européen, il existe quelques appels ciblés, en particulier au titre des initiatives de programmation conjointe (IPC) entre États. De telles initiatives permettent, par exemple, d'étudier l'écotoxicité des nanoplastiques dans l'océan. Il existe également des initiatives de plus grande ampleur. L'une d'entre elles rassemble des agences des différents États membres en mesure d'effectuer un suivi de la contamination des êtres humains par certaines molécules. Dans ce contexte, afin d'obtenir une cartographie précise et globale à l'échelle européenne, des molécules précises sont recherchées dans le sang et dans d'autres tissus. Il existe des programmes plus globaux. ERA est un consortium qui regroupe les États membres et définit un agenda stratégique de recherche pour l'environnement, le climat et la santé. Nos préoccupations ont leur place au niveau européen, ce qui est une bonne chose.

Grâce à ces différents outils, la recherche a pu avancer. Nous avons compris que nous sommes exposés, dans l'environnement, à des substances que nous ne pensions pas retrouver : c'est le grand progrès réalisé par la science ces quinze dernières années. En effet, quand on asperge d'un pesticide une parcelle agricole, on ne s'attend pas à le retrouver dans d'autres compartiments de l'environnement. Nous avons donc compris que la recherche de cette seule substance active n'était pas suffisante, mais qu'il fallait également rechercher ses dérivés, ses métabolites, parfois plus actifs que les molécules mères. Nous avons également compris que certaines pratiques apparemment anodines, en ce qu'elles n'étaient pas destinées à tuer un parasite ou un germe, pouvaient avoir des conséquences toxiques. C'est le cas des isolants ou de certains tissus synthétiques. C'est une révolution dans notre façon de penser l'environnement. Nous savons également que la présence d'une molécule n'implique pas sa toxicité, encore faut-il qu'elle soit biodisponible. Pendant longtemps, l'incompréhension de la notion de biodisponibilité nous a empêchés de tirer des conclusions : la molécule était présente, sans produire d'effets, parce qu'elle n'était pas biodisponible.

La communauté scientifique a aussi mis en évidence des modes d'action particuliers, notamment ceux des perturbateurs endocriniens, qui sont la grande affaire de ces quinze dernières années. Il s'agit de modes d'action singuliers, correspondant à des fenêtres de vulnérabilité spécifiques, notamment pendant la grossesse et le développement embryonnaire. Cela a permis de formuler des recommandations et de faire évoluer la réglementation désormais fondée sur le danger et non plus exclusivement sur le risque.

Nous avons mis en évidence des effets cascades. Dans l'environnement, par exemple, un animal peut devenir très vulnérable à son parasite qui, lui, prospère dans la mesure où son prédateur est attaqué par un pesticide. Une telle chaîne de causalité est complexe à démêler. Cela nous apprend à chercher le coup de billard à trois bandes et non pas uniquement un effet direct. Nous connaissons également le coût de l'adaptation : un individu qui a survécu à un épisode de canicule exceptionnel sera plus fragile vis-à-vis d'autres pathologies. La pollution de l'air est un domaine dans lequel des progrès significatifs ont été réalisés cette dernière décade, ce qui a conduit à une évolution concrète des réglementations.

De nombreuses questions demeurent cependant. C'est le cas de la multi‑exposition, le fameux « cocktail », aussi bien dans le temps que dans les molécules. L'exposition à différentes substances modifie nos organismes par des processus d'épigénétique, l'adaptation génétique étant sans doute plus rapide que ce que nous imaginions. Pour l'instant, nous ne savons pas très bien comprendre les conséquences de ces phénomènes. Nous avons également des difficultés avec le changement d'échelle. Nous savons observer et comprendre des choses dans des modèles expérimentaux et des expériences en laboratoire sur des cellules, mais il demeure difficile d'extrapoler et d'envisager la réponse d'un organisme dans toute sa complexité. La détection des effets précoces est également importante. Heureusement, notre environnement n'est pas infecté par des doses létales de contaminants. Ce sont donc des effets subtils, des petites modifications des comportements que nous cherchons à détecter.

À présent, je souhaiterais évoquer avec vous la façon dont les scientifiques abordent l'exposome, qu'il soit humain ou environnemental. Il s'agit d'une vision complète. Elle permet de considérer l'ensemble des perturbations et des agresseurs auxquels des personnes ont été exposées dans le temps. On va donc considérer l'histoire de vie des individus depuis leur gestation, ce qui nous conduit à mobiliser des disciplines très différentes, avec un renforcement en sciences humaines et sociales. Cela implique de mettre en perspective les niveaux d'exposition avec les contextes de vie, de santé, dans un esprit de médecine personnalisée, en considérant les spécificités de chaque personne. Nous partageons les grandes lignes de notre génome, mais nous savons aujourd'hui que chaque personne réagit différemment. Pour parvenir à cette vision complète de l'exposition, nous devrons fortement interagir avec tous les acteurs de la surveillance humaine ou environnementale et avec les agences.

Concernant les perspectives, le secrétariat général pour les investissements d'avenir finance la recherche grâce à des programmes prioritaires de recherche (PPR). Il s'agit de programmes très ambitieux, dans lesquels l'État investit environ 30 millions d'euros pour chacun d'entre eux, pour une durée de cinq à dix ans, sur des sujets de société majeurs. Actuellement, il existe un programme prioritaire de recherche sur le thème « Cultiver et protéger autrement ». Ce programme vise à construire une agronomie sans pesticide. Il existe également un programme prioritaire de recherche sur l'antibiorésistance ; un autre sur l'exposome démarrera dans les prochaines années. Certains sujets de recherche seront soutenus par le plan de relance du Gouvernement. Cela concerne plusieurs thématiques : l'alimentation saine et durable, où sera traitée la question de la réponse du microbiome intestinal, mais aussi les agroéquipements pour la transition écologique, vers une agriculture utilisant moins de pesticides.

Enfin, je voudrais élargir la notion de santé environnementale, en allant jusqu'à l'idée de la contribution de la nature aux populations. Ce concept, qui est apparu dans le contexte de négociations onusiennes, permet d'évaluer l'état de biodiversité et de la nature, comme nous le faisons pour le climat avec le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Je parle ici de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Ces contributions de la nature sont décrites très précisément. Certaines sont matérielles, comme la nourriture, l'énergie, les matériaux ou des remèdes, quand d'autres sont immatérielles. Ainsi, l'inspiration, le biomimétisme, ce que nous comprenons des êtres vivants ou encore l'apaisement procuré par un paysage sont des contributions immatérielles de la nature qui favorisent la santé mentale. Or il est établi que certains polluants altèrent directement notre santé, mais aussi celle de la nature et de ses contributions aux populations. Il y a donc un double effet : si la nature nous fournit une nourriture contaminée, si elle régule moins bien les effets du changement climatique, cela a des répercussions sur notre santé. L'IPBES, grâce à un groupe de travail international, a par exemple établi que la recrudescence des maladies infectieuses avait sa source dans les activités humaines, comme l'agriculture intensive, ou la perte de biodiversité.

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Quels points forts et quels points faibles observez-vous dans votre ministère en ce qui concerne la prise en compte des questions de santé environnementale ? Quelles propositions d'amélioration pourriez-vous faire, notamment en ce qui concerne le travail en transversalité ? La semaine dernière, une personne auditionnée nous a rapporté qu'une action du plan national santé-environnement 3 (PNSE 3) devait être pilotée par la DGRI. Or, lorsque les inspecteurs du ministère de la santé et ceux du ministère de l'environnement ont rencontré le directeur général de la recherche, il ignorait qu'une telle responsabilité lui avait été confiée. Cette lacune est-elle anecdotique ? Comment la programmation de vos projets parvient-elle à s'intégrer dans le plan national santé-environnement, outil de référence de la politique publique en matière de santé environnementale ? Pourriez-vous nous en dire davantage sur les collaborations et les interactions transversales entre les différentes agences, les laboratoires et les chercheurs ? Partagez-vous ce constat de difficultés et quelles améliorations envisagez-vous ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Les points forts de la DGRI et de notre système de recherche national en ce qui concerne le thème de la santé environnementale reposent sur la mobilisation de nos scientifiques, particulièrement compétents, et sur leur souhait de travailler ensemble. De nombreux comités français, comme la communauté française d'écotoxicologie, sont reconnus et mobilisés au niveau européen. Néanmoins – et c'est toute la difficulté –, il s'agit d'un thème transversal, qui implique par définition des collaborations. Cependant, les choses s'améliorent. La santé environnementale est désormais mentionnée dans les contrats d'objectifs et de performance (COP) de nos grands organismes. En 2019, pour la première fois, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a mentionné des défis sociétaux, dont la santé environnementale fait partie, dans son COP. Il s'agit d'une prise de conscience des scientifiques. Ils se mobilisent. Cela est également vrai pour l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Nous avons des communautés de chercheurs importantes, mais aussi une richesse d'acteurs et une politique de santé environnementale, qui permettent des collaborations importantes entre les organismes de recherche et les agences. Ces dernières années, les échanges sont devenus de plus en plus denses et intégrés. Le ministère de la recherche a une vue très large sur l'ensemble de la recherche, ce qui est intéressant en matière de pilotage. L'ANR, acteur pour le financement, est extrêmement ouvert en termes de thématiques et nous avons un spectre d'actions très large. Nous remplissons notre rôle en étant un conseil, un support des acteurs chargés des politiques de santé-environnement. Nous apportons des informations sur ce que la science connaît, mais aussi en précisant ce que la science peut aller chercher. Cela prend tout son sens lorsqu'il existe des volets recherche dans le plan. Par exemple, un groupe de recherche a été créé sur l'exposome, en vue de l'écriture du PNSE 4. Le ministère de la recherche intervient sur des sujets en lien avec l'environnement, mais aussi divers que la chlordécone ou les échouages de sargasses. Nous sommes polyvalents.

Concernant nos faiblesses, nous savons que nous devons effectuer un travail à long terme sur l'interdisciplinarité et les échanges entre les communautés. Depuis bien longtemps, l'importance des comportements humains est mentionnée dans l'exposition au risque. La prévention et l'information des citoyens pourraient aider à protéger l'environnement. Désiloter les communautés reste un réel challenge. Des ponts ont été créés, mais ils demeurent insuffisants dans certains secteurs. Nous sommes mobilisables, nous avons de nombreux outils et une communauté de chercheurs volontaires. Le politique, sur les sujets relatifs à la santé et à l'environnement, nous apporte un formidable soutien.

La Commission européenne s'est largement emparée de la thématique, qui constitue désormais un objet de recherche européen. La thématique santé-environnement est fortement montée en puissance et la Commission, au-delà des appels à projets simples, a mis en place des synergies. Entre 2018 et 2020, 150 millions d'euros ont été apportés à des projets santé-environnement, comme Eurion. La Commission a forcé les différents lauréats des projets à travailler ensemble pour que les communautés de chercheurs s'enrichissent mutuellement. Concernant la biosurveillance, nous interagissons beaucoup avec Santé publique France, mais l'efficacité serait décuplée si tous les pays d'Europe partageaient leurs outils et leurs mécanismes de surveillance. La communauté française est désormais très intégrée à cette dynamique lancée au niveau européen. Les réseaux européens nous conduisent à avoir des réunions de recherche régulières et à participer à de nombreux comités de pilotage lors des différents projets. Avec les autres ministères et interlocuteurs français, nous partageons la stratégie de tous ces instruments européens, dans un groupe miroir, au sein duquel se trouvent notamment l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), l'Anses, le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Santé publique France et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

Grâce au support de ces réseaux européens, qui engagent des montants financiers importants, nous arrivons à mettre en place un continuum entre les organismes de recherche et les agences, avec une supervision des ministères. Dans cette logique, nous attendons beaucoup du partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques. Ce projet représente un financement de 200 millions d'euros de la part de la Commission européenne et de plus de 400 millions d'euros de la part des États. Pour la France, cela représenterait un engagement de temps chercheur de plus de 20 millions d'euros. La logique de ce partenariat est de renseigner les différentes agences sur les moyens de se préparer au mieux – le risque et la population –, en aval de la recherche, dans une politique de protection des populations. Cette dynamique positive se répercute au niveau des différents plans. La DGRI est sollicitée dans différents groupes de travail et se trouve au comité de pilotage des grosses cohortes santé et environnement gérées par l'Institut national du cancer (INCa) et Santé publique France. S'il y a des échanges, le travail de désilotage de certaines communautés doit être poursuivi.

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Votre présentation me semble soulever deux points importants. Concernant les programmes prioritaires de recherche, vous avez évoqué des délais de sept à dix ans. S'agit-il d'une échéance à laquelle vous avez une exigence de résultat ou des points d'étape sont-ils prévus ? Pour les perspectives agronomes sans pesticide, êtes-vous en mesure d'apporter rapidement d'autres solutions aux agriculteurs ? Dans ce domaine, nous avons régulièrement l'impression que la recherche piétine ou que l'on ne cherche pas réellement à sortir des pesticides avant leur interdiction. Les faits sont comparables pour l'antibiorésistance et pour l'exposome, où la vision complexe et l'approche transversale de la santé environnementale ont beaucoup manqué jusqu'à présent. Auriez-vous des exemples où l'anticipation des conséquences sur l'environnement aurait permis de réorienter certaines pratiques ? On propose souvent des moratoires car, lorsque les conséquences sont mesurées, il est souvent compliqué de réagir. C'est le cas de la 5G ou des néonicotinoïdes, où les conséquences des autres solutions proposées ne sont pas encore mesurables. De votre côté, faites-vous des propositions pour arrêter la machine, se poser, regarder les effets avant de se lancer vers une autre voie ? Les moratoires font-ils partie de vos recommandations ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Les programmes prioritaires de recherche sont dotés d'une gouvernance et d'un comité de pilotage, lequel rassemble, autour des services du Premier ministre, les ministères les plus concernés. Ces comités de pilotage se réunissent au minimum une fois par an et bénéficient d'un suivi très régulier. Chaque plan de prévention des risques a ses spécificités. Il ne s'agit toutefois pas d'un programme de développement auquel on assignerait un objectif technologique. Ce ne sont pas non plus des revues de projets au sens où l'on irait vérifier que l'objectif technologique attendu est bien atteint au bout d'un certain nombre d'années. Par essence, ce sont des programmes de recherche, souvent très ambitieuse, parfois très fondamentale, qu'il est impossible de programmer ainsi.

Le PPR « Cultiver et protéger autrement » ne permet pas d'anticiper à court terme les résultats de ces études. L'un des axes majeurs de ce programme est d'étudier le microbiome des plantes afin de trouver des pistes qui permettraient de se passer des pesticides. En schématisant, cela revient à trouver l'Actimel du microbiome du blé ! Ce PPR ne s'inscrit pas dans une logique de continuité comme cela est le cas du programme Écophyto, pour lequel il existe des développements technologiques et des laboratoires partagés. Nous sommes au contraire dans une logique de rupture et faisons le pari de changer de regard. Les sciences qui permettent de se passer de pesticides ne sont pas celles qui permettent d'optimiser l'usage des pesticides. Ce sont des concepts différents. On part sur autre chose et on s'attaque à l'Everest ! Je ne suis pas en mesure d'assigner des jalons à ce type de recherche, mais en revanche, nous avons un comité de pilotage qui se réunit très régulièrement. Cela nous permet de réorienter les choses si besoin. Si l'Everest est trop difficile à attaquer par une face, nous fermons cette voie et envisageons l'ascension différemment.

Nous représentons le ministère la recherche et la voix que je porte est celle des scientifiques. Ce n'est pas le politique qui décide à partir des connaissances. Notre rôle est de l'éclairer avec les meilleures connaissances contemporaines possible et grâce aux enseignements que nous avons pu tirer des historiques. Nous constatons les effets a posteriori. Si l'on n'entend plus les oiseaux au printemps, c'est parce qu'il y a eu du DDT plusieurs saisons auparavant et que sa présence a fragilisé les coquilles. C'est ainsi que l'on tire le fil et que l'on parvient à comprendre. Malheureusement, je n'ai pas d'exemple simple à vous communiquer. Je crois que l'histoire de l'humanité a conduit l'espèce humaine à avoir cette emprise extraordinaire sur l'environnement, ce succès évolutif phénoménal que nulle autre espèce n'a égalé. C'est peut-être sa chance – ou sa tragédie – d'être capable de décrypter les effets de son emprise sur les contributions de la nature.

En revanche, le corpus de connaissances acquis par l'écotoxicologie et par la santé a permis à l'Europe de se doter du règlement REACH. Désormais, pour mettre une nouvelle molécule sur le marché, on doit avoir établi, à l'issue d'une évaluation des risques, son innocuité ou une altération réduite des espèces. Ensuite, politiquement et collégialement, on peut décider d'accepter ce risque et de mettre la substance sur le marché. Le règlement REACH a permis de concrétiser cette approche où nous connaissons le risque et allons vérifier si nous n'avons pas minimisé les effets induits.

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Pour revenir sur votre demande d'exemples, il a toujours existé des médicaments comportant des effets indésirables. En revanche, personne ne parle des médicaments qui n'ont jamais été lancés sur le marché. Votre question comporte donc un biais, puisque l'on ne voit que les incidents qui sont passés à travers les mailles du filet, que les réglementations comme REACH tentent de rendre aussi efficaces que possible. Nous interagissons avec les autres ministères pour l'innovation, notamment lorsque les appels à projet de BPI France contiennent des innovations ou lorsque la recherche commence à donner des résultats et que l'on peut envisager de mettre certains points en application. Nous travaillons également en interministériel avec le ministère des solidarités et de la santé (MSS) et la direction générale des entreprises (DGE) à l'innovation, pour le financement de projets plus matures que la recherche, mais encore loin de la commercialisation. Systématiquement, il y a des discussions sur les effets indésirables.

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Concernant les effets cocktail, on le sait, il faut éviter de prendre un médicament avec un autre, car cela peut augmenter ou annuler l'effet désiré. Disposons-nous d'informations concernant les augmentations ou les diminutions des effets des substances chimiques entre elles, ainsi que les additions éventuelles d'effets entre substances chimiques ?

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Aujourd'hui, nous rencontrons des difficultés pour modéliser la présence de cocktails. Sur ce point, la recherche évolue. On est en train de mettre au point la technologie qui permet, à partir d'un fluide biologique, de retracer un historique non biaisé. Sans faire de recherche spécifique, on va pouvoir décrire tout un tas de molécules exogènes, ainsi que certains biomarqueurs, qui permettront de mettre en évidence certaines voies métaboliques perturbées, ce qui pourrait être la signature d'une exposition antérieure. C'est un réel challenge pour la recherche. Il existe également des considérations plus prégnantes et immédiates. Je pense à la qualité de l'environnement, à la présence de contaminants environnementaux et de stress liés au réchauffement climatique. On commence à connaître les déterminants des stress environnementaux. Par exemple, on identifie que le changement climatique va impliquer des périodes de canicule. Le défi va être de gérer la canicule et la pollution environnementale, soit deux difficultés respiratoires cumulées. Le réseau ERA travaille sur ce sujet important pour la recherche. Nous savons que des risques importants vont survenir et nous cherchons à répondre à la difficulté.

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Très concrètement, il existe des kilomètres de bibliographies sur les effets du cadmium et du cuivre ou sur les effets du cadmium et du mercure. Ce qui est ambitieux, c'est d'en extraire de la généricité, c'est-à-dire d'être capable de prévoir les effets additifs. C'est toute l'histoire des sciences : on décrit d'abord des choses concrètes, puis on essaie d'en extraire des grands principes. Nous n'en sommes pas encore là. C'est extrêmement ambitieux, et j'espère que les prochaines générations scientifiques y parviendront. Pour l'instant, nous avons testé beaucoup de choses et disposons de nombreuses informations, mais nous ne savons pas énoncer le principe de l'effet cocktail.

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

La notion d' adverse outcome pathway rejoint ce sujet. On sait que des familles de contaminants agissent toutes sur des voies métaboliques qui se ressemblent. Si nous parvenons à qualifier non pas des molécules, mais les familles de molécules, on va pouvoir se méfier de certaines combinaisons. Cela me paraît favoriser un travail très international. C'est le côté positif des choses, car le débit de connaissances est actuellement très intéressant.

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Je vous remercie pour votre réponse humble et sincère. On sent qu'il existe une réelle mobilisation et que ces questions redoutablement complexes sont abordées.

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Avez-vous des équipes qui travaillent spécifiquement sur les déterminants environnementaux de la santé humaine ? Quelles actions de recherche menées par la DGRI ont porté ces dernières années sur des problèmes de santé-environnement et quelles sont vos relations avec les autres agences actives en matière de santé-environnement telles que l'Anses et l'Ineris ? Comment évaluez-vous votre participation au PNSE 3 ? Enfin, quelles sont vos recommandations par rapport au PNSE 4 ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

La DGRI n'est pas organisée en bureaux. Elle comprend différents services, dont le service de la stratégie et de la recherche et de l'innovation. Celui-ci se décompose en secteurs scientifiques dont nous sommes ici deux représentants. Je dirige le secteur environnement, agronomie, écologie, sciences du système Terre et de l'univers et il existe également le secteur de biologie et santé dont Bertrand Schwartz est le directeur adjoint. Nous n'avons pas de bureau sur les déterminants de la santé environnementale. Cette thématique est traitée en synergie entre nos deux secteurs. La DGRI ne mène pas d'actions de recherche. La DGRI est tutelle de ses opérateurs. Cette tutelle est souvent partagée avec d'autres ministères. Par exemple, pour l'INRAE, nous partageons la tutelle avec le ministère de l'agriculture et pour l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) nous la partageons avec le ministère de la transition écologique (MTE).

La DGRI pilote la tutelle de ses opérateurs au moyen des contrats d'objectifs et de performance. Ils sont généralement négociés tous les cinq ans, après une évaluation de l'opérateur par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Cette instance indépendante nous communique son appréciation sur l'opérateur, et sur cette base, nous construisons un contrat d'objectifs et de performance. Cela nous permet de nous assurer que certaines thématiques particulièrement importantes à nos yeux figurent dans les missions de l'opérateur. Pour la première fois, en 2019 – et c'est un signal important – le CNRS s'est saisi de défis sociétaux parmi lesquels l'écologie de la santé et le lien entre la santé et l'environnement. C'est également le cas dans le COP de l'INRA. Je ne doute pas que cela sera aussi le cas pour l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) qui vient de fusionner avec lui.

La DGRI pilote également la tutelle de ses opérateurs en orientant les axes de recherches que finance son agence principale, l'ANR. Nous nous assurons que l'appel d'offres annuel de l'ANR permet le traitement des thématiques qui nous paraissent importantes. Nous veillons particulièrement à ce que le libellé des axes, grâce à des mots-clefs, fasse apparaître la notion. Actuellement, nous avons plusieurs axes, tels que santé-environnement, maladies infectieuses émergentes, santé publique par exemple. Cela marque l'intérêt de la tutelle pour ces sujets.

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

La relation avec les agences existe au travers des projets que nous portons en commun. C'est par exemple le cas d'un gros projet, PEPPER, piloté par l'Ineris, en charge de faciliter la caractérisation d'un produit en tant que perturbateur endocrinien. La DGRI est au comité d'opportunité de l'Ineris et nous avons intérêt à ce que nos communautés se mobilisent et soient actives pour répondre à ce besoin des agences de qualifier les produits et de détecter les dangers. Nous travaillons de concert sur un certain nombre de projets ou de cohortes. Nous collaborons avec Santé publique France autour de la préparation du futur plan national de biomonitoring. Le ministère de la recherche et les agences sont sollicités pour travailler ensemble.

De même, pour préparer le PNSE 4, dans les groupes de travail, nous avons travaillé avec les différentes agences, des représentants de la société civile et des scientifiques. Nous avons ainsi fait des tours d'horizon assez complets pour comprendre ce que chacun pouvait proposer et comment créer des synergies. Nous sommes donc une tutelle, mais nous avons aussi des interactions fonctionnelles avec les acteurs autour d'actions communes. Nous sommes également à l'écoute des différents instruments pour aller vers le but commun en matière de santé-environnement. Je pense notamment aux Laboratoires d'excellence (Labex) et aux Instituts Carnot.

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Le Mesri n'est pas tutelle de l'Anses. Néanmoins, tous les membres des comités d'experts sont des chercheurs des opérateurs du Mesri.

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Vous avez insisté sur l'acculturation du monde de la recherche aux questions de santé environnementale et sur son élargissement à la communauté scientifique française et européenne. Qu'en est-il de la formation des jeunes chercheurs ? Qu'est-ce qui est prévu dans le cursus de formation scientifique ? Est-il envisagé de former les jeunes avant leur entrée dans l'enseignement supérieur ou dans les grandes écoles, qui parfois formatent les esprits et oublient la dimension de santé environnementale ? Avez-vous travaillé sur ces questions et avez-vous un programme de réflexion ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Effectivement, une fois que la recherche a posé les jalons de la connaissance, il est important de la transmettre et de former. La formation des jeunes chercheurs se fait par le doctorat, soit dans les laboratoires qui traitent de ces questions, mais il faut également penser à la formation antérieure. À ma connaissance, dans l'enseignement supérieur, chacune des deux grandes filières concernées – l'environnement et la médecine – s'ouvre à l'autre partie. Désormais, les différentes formations en écotoxicologie traitent de la santé environnementale. Cela reste une option et ne figure pas dans le tronc commun de toutes les écoles d'ingénieurs, mais elle est proposée.

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

En ce qui concerne les formations médicales, j'ignore comment les médecins sont formés aux questions environnementales.

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Je crains que cela ne soit disparate. Il y a beaucoup à faire. En France, les modules de formation sont facultatifs et extrêmement variables d'une université à l'autre. Il s'agit donc de favoriser la formation des futurs médecins, mais aussi celle des médecins déjà installés en cabinet et des professions paramédicales grâce à la formation permanente. En France, les formations intellectuelles de haut niveau sont caractérisées par l'hyperspécialisation. Pour faire entrer cette notion de santé environnementale, essentiellement multidisciplinaire, il faut enclencher une véritable révolution culturelle et ouvrir l'interdisciplinarité.

S'agissant du financement, les personnes que nous avons auditionnées ont relevé le manque de moyens de la recherche, comme nous l'a confirmé le directeur général de l'Anses. Où est donc passé l'argent ? Vous nous dites qu'il y a beaucoup de financements, mais, si je comprends bien, l'argent provient essentiellement de l'Europe. Il est regrettable que les équipes françaises soient contraintes de se tourner vers l'Europe pour obtenir de l'argent. Quelle est votre approche et que pouvez-vous nous donner comme garantie quant à votre intention de faire pression sur l'ANR pour qu'il existe un volet santé environnementale suffisamment financé ? Je n'ai pas relevé la présence d'un volet santé environnementale dans le plan de programmation pluriannuel de la recherche. C'est pourtant le moment ou jamais. Je me demande quel est votre rôle et quels sont vos moyens de pression pour intervenir sur ces financements. Une fois que ce sera voté, nous ne pourrons pas revenir en arrière. Or toutes les recherches passionnantes dont vous parlez reposent aussi sur le financement. Pouvez-vous nous préciser le montant des masses d'argent en circulation et quelle en est la partie attribuée à la santé environnementale ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

La loi de programmation pour la recherche est actuellement débattue à l'Assemblée nationale. Elle apporte des financements significatifs qui vont par exemple permettre de multiplier par trois le budget de l'ANR, d'ici à 2027. La loi de programmation pour la recherche n'est pas thématique, mais ses outils peuvent l'être. Cette notion de programmes prioritaires de recherche figure dans le rapport annexé. Elle constitue un levier d'action de l'État dans son ensemble pour permettre aux chercheurs de s'attaquer à des enjeux de société pour lesquels il est important que la France avance significativement ces dix prochaines années. Aujourd'hui, il n'existe pas de moyen simple pour dire précisément quel budget est consacré à tel sujet, car le principe de l'Agence nationale de la recherche est fondé sur le financement des meilleurs projets dont l'évaluation est réalisée par les pairs. Toutefois, on répartit les masses budgétaires selon les départements. Ils sont tous différents et dépendent du nombre de projets.

Ensuite il y a les évaluations de projets, qui sont réalisées par les comités. C'est par exemple le comité Terre vivante qui va évaluer tous les projets relatifs à l'écologie et à la compréhension des écosystèmes. Chaque comité a une enveloppe dédiée, mais je ne suis pas en mesure de la flécher. Cela risque de vous choquer, mais je pense que c'est mieux ainsi. Aujourd'hui, le sujet santé-environnement est un thème majeur sur lequel il faut investir, mais si nous avons pu le comprendre c'est grâce à des chercheurs qui ont lancé l'alerte, il y a une dizaine d'années, en faisant une recherche qui n'était pas fléchée. Nous avons absolument besoin de permettre aujourd'hui les alertes de demain. C'est la raison pour laquelle nous devons financer une recherche qui ne soit pas fléchée. En quinze ans, 150 millions d'euros ont été attribués à des projets de recherche en santé-environnement. Le sujet est donc traité, mais il faut aussi laisser aux chercheurs la possibilité de travailler leurs sujets sans être complètement dirigés, fléchés par des politiques publiques. Un équilibre est nécessaire, car c'est aujourd'hui qu'il faut préparer l'alerte de demain.

Pour conclure sur les financements disponibles, le rapport annexé à la loi de programmation de la recherche (LPR) annonce un PPR par mois. Ce sont de grands programmes de recherche qui vont être élaborés et qui représentent plusieurs dizaines de millions d'euros. Le sujet de la santé environnementale sera assurément traité dans les années qui viennent et dans un format de sept à dix ans, adapté aux chercheurs.

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J'entends vos explications, mais j'entends aussi les critiques formulées par les chercheurs qui souhaiteraient bénéficier de davantage de transparence des règles d'attribution. Vous avez évoqué ces comités qui font des choix, mais leur composition prête à la critique. Il y a peut-être, parfois, une tendance à favoriser une famille de chercheurs et la répartition entre les laboratoires n'est pas toujours perçue clairement. Cela génère beaucoup de frustrations sur les montants. Le triplement du budget alloué à l'ANR peut permettre d'espérer qu'une partie bénéficiera à la santé environnementale. La santé environnementale prend des visages multiples et la répartition des crédits doit être sous contrôle si l'on veut être certain que tous les sous-sujets soient réellement traités. Je me permets de partager ces retours avec vous car certains chercheurs sont en grande difficulté et souffrent.

Ma dernière question porte sur le partage des données et des informations. Que pouvez-vous proposer ? Comment pensez-vous pouvoir faciliter le partage des données ? À plusieurs reprises, il a été dit que l'on avait, d'un côté, les données environnementales et, de l'autre, les données épidémiologiques, mais aussi qu'il était très difficile de faire des superpositions entre les deux bases de données. Santé publique France nous a parlé d'une grande plate-forme qui pourrait naître dans une dizaine d'années. Par ailleurs, sans beaucoup de moyens, certaines régions se sont déjà lancées dans cette superposition de données et ont déjà abouti à des recherches concluantes. Il n'est donc peut-être pas utile d'attendre dix ans avant d'être opérationnel. Comment, de votre côté, allez-vous être en mesure de créer cette dynamique de partage des données scientifiques ?

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Marie-Hélène Tusseau-Vuillemin, directrice scientifique environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Le ministère de la recherche s'est engagé dans une politique de données ouvertes destinée à faciliter les progrès de la connaissance au niveau international. Toute donnée de la recherche financée par de l'argent public est publique, selon des modalités qui permettent de protéger le travail du chercheur. Il est effectivement difficile d'apparier des données qui ont été collectées dans des contextes dissemblables et pour des objectifs différents. Ce thème n'est pas nouveau et heureusement les données restent partagées, d'un côté, dans le domaine de l'environnement et, de l'autre, dans le domaine de la santé. Depuis quelques années, nous avons cependant réussi à mettre en place une infrastructure de données : Data Terra. Elle rassemble toutes les données décrivant l'environnement en France, qu'elles soient issues de l'observation spatiale, de l'observation locale ou de simulations de modèles. Data Terra regroupe des données relatives à l'océan, à la terre, à l'atmosphère et aux données de la zone critique, c'est-à-dire cette zone superficielle de la terre où se déroulent les processus vivants. Cette base permet de croiser les données. Le graal serait de coupler cela avec des données de santé. C'est l'objectif du PPR Exposome. Nous souhaiterions également que ces données soient incluses aux cohortes.

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Une cohorte, c'est une fraction représentative de la population. Cela représente 23 millions d'euros par an de coûts d'infrastructures payés par le PIA. Cela n'inclut pas le coût des études réalisées pour répondre à de nouvelles questions qui impliquent d'aller chercher et d'interpréter des données. Une cohorte dure plusieurs années et a donc un coût non négligeable. Nous sommes tous favorables à la notion de science ouverte et il existe une réglementation. Les données sont actuellement en train de se structurer grâce au Health Data Hub, car nous disposons d'informations sur le suivi des individus. Ces données sont extrêmement sensibles et encadrées par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Le Health Data Hub facilite l'exploitation de ces données. Cet objectif a été largement évoqué dans le travail préparatoire au PNSE 4.

D'un côté, il nous faut les bases de données appropriées pour décrire l'environnement avec une structure qui pourrait s'appeler Green Data Hub. De l'autre côté, et c'est ce que nous aide à faire le Health Data Hub, nous devons essayer de déceler les signaux forts et les signaux faibles d'altération de la santé des populations liés à des qualités environnementales. Nous avons regardé toutes les données disponibles, notamment celles relatives à la qualité de l'eau, mais aussi des données sociales. Un travail remarquable a également été fait sur les descriptifs des villes avec des notions incluant les différents quartiers, la distance par rapport aux points de soins, les îlots de risques liés aux îlots de chaleur. Nous souhaitons encourager certains pilotes intéressants comme celui de la métropole de Lyon, présenté aux journées régionales. Des travaux réalisés par l'Ineris en Picardie sont aussi très intéressants.

Nous voulons favoriser ces projets et permettre à la communauté de recherche d'utiliser ces données. Il ne faut pas oublier qu'il existe des contraintes notamment de granulométrie de données. Par exemple, l'alimentation est une donnée extrêmement forte, mais elle échappe à ces cartographies. Il est possible de cartographier des lieux de résidence ou de travail mais pas l'alimentation. Un effort est donc fait en faveur de ces données. Il nous faut des cohortes solides. Ce travail d'agencement reste à faire et cela sera un des objectifs du PNSE 4.

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Avez-vous prévu de travailler avec le ministère de la santé à la création des registres ?

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Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

Le groupe recherche PNSE 4 travaille avec le ministère de la santé. La notion de registre a été évoquée et je laisserai le ministère de la santé s'exprimer sur ce qu'il compte faire exactement.

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Je vous remercie pour ces échanges très riches et votre collaboration.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 16 heures

Présents. – Mme Annie Chapelier, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Bénédicte Pételle, Mme Claire Pitollat, Mme Élisabeth Toutut-Picard, M. Pierre Venteau.

Excusés – M. Jean-Hugues Ratenon, M. Jean-Louis Touraine