Merci Mme la présidente. Je commencerai par préciser le périmètre de mon expertise. Je suis effectivement directrice de recherche. J'ai mené l'ensemble de ma carrière en éco-toxicologie, ce qui couvre l'ensemble des problématiques ayant trait à la présence de produits chimiques dans l'environnement. Je me suis intéressée plus récemment aux questions ayant trait aux liens entre cette pollution de l'environnement et la santé, puisque j'ai notamment eu l'occasion de suivre le groupe « Recherche » du plan national santé-environnement (PNSE3), pendant un certain temps.
J'ai donc prévu de vous dresser un état des lieux des savoirs dans le domaine de l'environnement, mais j'aborderai peu les questions de santé, qui ne relèvent pas de mon expertise scientifique. Je parlerai d'abord de ce que la recherche a permis de savoir, puis des sources actuelles d'incertitudes, et enfin du futur.
La recherche nous a permis de savoir que, depuis de nombreuses années, l'activité humaine a provoqué des modifications du système Terre à l'échelle planétaire, avec de très nombreux impacts sur l'atmosphère, le cycle des nutriments, l'eau, etc. Il est nécessaire de le rappeler, car cela entraîne aujourd'hui des conséquences en termes de biodiversité, mais aussi de santé, par l'intermédiaire notamment du changement climatique et de la circulation atmosphérique et océanique. Un document de présentation vous a été transmis sous forme papier. J'y ai inclus des illustrations rappelant que même la lumière et le changement d'usage des terres constituent aujourd'hui des pollutions.
Depuis les années 1960, et le livre Silent Spring de Rachel Carson notamment, de nombreuses observations ont permis de constater le déclin des oiseaux, des insectes, etc. Tout ceci est bien documenté grâce à la recherche.
On sait aussi aujourd'hui que les impacts liés à la pollution, à la dégradation de l'environnement et de l'habitat, etc. n'affectent pas seulement quelques individus, mais l'ensemble des populations et des écosystèmes, jusqu'au fonctionnement de notre Terre à travers les cycles des nutriments. C'est vrai dans le règne animal, mais aussi humain : ces impacts affectent la dynamique de résilience des populations animales comme humaines. À nouveau, ces liens dans le temps et dans l'espace ont été démontrés par la recherche.
L'exemple le plus simple à cet égard est celui des pesticides. Leurs effets sur les individus sont aujourd'hui clairs et bien connus. Il est possible de tuer des animaux en leur faisant ingérer des pesticides, des rodenticides, etc. Toutefois, nous savons tout aussi clairement aujourd'hui que ces produits, non seulement tuent des individus, mais produisent des effets à plus ou moins long terme sur les populations, qu'il s'agisse de batraciens, d'insectes (d'abeilles notamment), etc. Des quantités considérables de données démontrent aujourd'hui ces liens, même si les impacts précis restent soumis à quelques incertitudes : toutes les populations ne sont pas également affectées, car elles sont plus ou moins sensibles, mais les communautés mêmes semblent bien affectées.
Des « effets boomerang », qu'il était difficile de prévoir de prime abord, ont également été révélés par la recherche. Certains pesticides chlorés très rémanents comme les DDT se sont accumulés dans les sols, de sorte que, malgré leur interdiction depuis les années 1970, ils se retrouvent par exemple aujourd'hui dans le lac de Savoie, suite à l'érosion des sols entraînée depuis par l'usage de désherbants. Des effets inattendus apparaissent ainsi dans le temps.
Des impacts systémiques existent également. Les néonicotinoïdes, par exemple, qui sont présents dans les semences, s'accumulent dans les sols, avant de rejoindre les rivières en suivant les eaux interstitielles des sols. Ils affectent également les racines des plantations situées autour des champs traités. Très toxiques pour les insectes, ils en réduisent finalement les populations, ce qui affecte également les populations d'oiseaux, qui ne trouvent plus d'insectes. En croyant traiter un problème restreint, on engendre ainsi des effets marginaux sur l'ensemble des écosystèmes, y compris au niveau de l'échelle trophique, etc.
La recherche a aussi montré que l'usage de ces substances accélérait ou provoquait des phénomènes d'adaptation, de résistance et d'évolution. Un grand nombre d'insectes deviennent ainsi résistants aux insecticides avec le temps, et finissent par se multiplier. Les molécules développées sont ainsi de moins en moins efficaces. Un parallèle peut être tracé à cet égard avec les antibiotiques, dont l'usage incontrôlé provoque aujourd'hui de fortes résistances de la part des bactéries, comme le montre à nouveau la recherche.
Dans les années 1990, l'existence d'intersexualités a été observée chez certains poissons dans les rivières anglaises : des ovocytes étaient présents dans les testicules de certains poissons mâles. En 1999, des observations similaires ont été effectuées dans la Seine, le Rhône, et dans certaines rivières françaises, où l'on trouvait les mêmes images anormales de poissons intersexués. La recherche nous a depuis appris que ces phénomènes venaient de substances mimétiques d'hormones. La pilule, l'œstradiol et toutes les hormones sexuelles femelles ont d'abord été incriminés, mais on sait aujourd'hui qu'elles ne sont pas seules en cause, et que les processus à l'origine de ces phénomènes ne consistent pas en chaînes causales linéaires : ils varient notamment en fonction des concentrations rencontrées, produisant des effets négatifs à très faible dose, puis des effets positifs pour des doses moyennes, et enfin à nouveau des effets négatifs à forte dose. La recherche a donc permis d'alerter sur ces phénomènes complexes, dont on sait aujourd'hui qu'ils affectent, non seulement les poissons, mais aussi l'homme.
Plus récemment, on a encore découvert la présence de substances pharmaceutiques dans l'eau ou dans les sols : des résidus de médicaments sont en fait présents partout. Une carte de la contamination mondiale par les substances pharmaceutiques, établie à partir des bases de données disponibles, est incluse au dossier qui vous a été transmis. La présence d'un certain nombre de ces substances n'était pas attendue dans le sol et dans l'eau. Une forte occurrence des antibiotiques est notamment observée, ce qui explique un certain nombre de phénomènes. De plus, ces substances se retrouvent, non seulement dans les milieux, mais aussi dans les poissons ou dans les invertébrés, ce qui crée une chaîne trophique potentielle. Cela signifie qu'elles peuvent remonter jusqu'à l'homme, entraînant ainsi la consommation non souhaitée de certaines substances qui, si elles ne sont pas létales, sont néanmoins fabriquées pour avoir une activité biologique. On peut donc s'attendre à ce qu'elles produisent des effets à long terme et préférer ne pas les rencontrer en l'absence de besoin.
La recherche a également traité l'impact de la biodiversité sur l'émergence et la transmission des maladies infectieuses. Ces problématiques sont plus ou moins importantes selon les continents, mais, de 1940 à 2005, certaines activités humaines (le changement d'usage des sols par exemple) peuvent être associées à l'émergence de certaines maladies infectieuses, qu'il serait ainsi possible de prévenir.
Naturellement il reste également de nombreuses sources d'incertitudes pour la recherche.
Parmi les questions qui se posent à elle, on peut citer celle de la vulnérabilité des individus et des populations. Pourquoi certaines populations, animales, humaines ou d'ailleurs végétales (il ne faut pas oublier l'importance de la santé des végétaux dans la santé générale de notre système) présentent-elles des sensibilités différentes, qu'elles soient génétiques, phénotypiques, ou qu'elles dépendent de l'âge, etc. ? Il reste du travail à effectuer à cet égard pour mieux prévenir les vulnérabilités occasionnées par l'état de l'habitat animal ou humain, l'état nutritionnel, les conditions économiques, etc.
Les interactions produites en cas de mélange constituent également un problème de plus en plus traité aujourd'hui. Les médecins savent bien qu'il ne faut pas mélanger les médicaments qu'ils prescrivent, mais les substances non prescrites provoquent aussi des interactions.
Les dynamiques d'exposition doivent également être examinées. Est-il plus grave d'être exposé jeune ou âgé ? Cumuler les expositions dans le temps rendra-t-il plus sensible ?
Enfin, les questions d'évolution et de co-évolution sous pression anthropique commencent également à se poser. Notre environnement impacte plus rapidement qu'on le pensait certaines espèces : les microbes et bactéries, notamment, mais aussi d'autres populations, qui évoluent ainsi avec nous et deviennent de plus en plus résistantes, ce qui peut provoquer l'émergence de nouvelles maladies.
De nouveaux concepts et des pistes de recherche et d'actions à long terme sont toutefois apparus également avec le temps, suscitant de nouveaux motifs d'espoir.
Tout le monde parle aujourd'hui du concept One Health, qui porte sur les interactions entre les mondes animal (notamment d'élevage) et humain, et qui doit être élargi au concept EcoHealth. Dans la déclaration d'Ostrava de 2017, les ministres européens de la santé et de l'environnement ont déclaré que l'environnement constituait un enjeu important, devant être traité à l'échelle européenne. J'ai également joint à votre dossier un schéma montrant qu'un certain nombre de concepts relevant de la santé animale, humaine et environnementale doivent être traités en commun, et de manière interdisciplinaire. Ces concepts sont récents et les moyens doivent être fournis à la recherche pour qu'elle puisse s'engager dans les perspectives qu'ils ouvrent.
Vous avez sans doute aussi entendu parler, depuis longtemps, du concept d'exposome, dont on espère qu'il nous permettra de comprendre et de prédire les conséquences pour l'homme de l'exposition aux mélanges dans le temps. Pour prévenir cette exposition, il faut toutefois aussi traiter l'éco-exposome, c'est-à-dire la présence dans l'environnement de l'ensemble de ces substances et leur impact. Certains agents sont notamment communs à l'ensemble de la vie, du fait qu'ils interviennent dans le fonctionnement cellulaire. Il est ainsi possible de prédire les conséquences des expositions humaines à partir des conséquences constatées sur l'animal et le végétal, à condition ici encore de réussir à travailler ensemble.
Je souhaiterais terminer mon propos en évoquant le temps nécessaire à la recherche et aux politiques publiques pour progresser. Les premières données disponibles sur les problématiques de pollution datent des années 1940, avec notamment les pollutions au cadmium au Japon, etc. On observe aussi une multiplication par quatre des zoonoses depuis les années 1980. Il serait possible de les lister. Pour autant, les évolutions réglementaires en matière de protection de l'environnement sont relativement récentes, avec en 1979 les premières législations sur l'acceptabilité environnementale des substances, le règlement REACH qui ne date que de 2007, la directive de l'Union européenne sur la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe qui ne date que de 2008, etc. Le délai entre les premières accumulations de connaissances et la mise en œuvre des régulations à l'échelle nationale ou internationale est donc important. Je n'ai par exemple pas trouvé de réglementation comme REACH concernant le problème des zoonoses. Aucun outil n'existe à cet égard, alors que ce problème se pose à l'échelle européenne, mais aussi internationale, de manière générale.
L'homme étant extrêmement créatif, les nouveaux sujets de recherche sur lesquels travailler ne manquent pas pour l'avenir : les nanoparticules ; les effets du recyclage ( « re-use ») des déchets sur les expositions de l'environnement et de l'homme ; le changement climatique et tous les processus qu'il entraîne dans l'écosystème avant d'atteindre l'homme ; les conséquences de ces processus sur la biodiversité ; les maladies chroniques et les zoonoses ; les solutions basées sur la nature, dont on espère aujourd'hui beaucoup, mais dont il faudra examiner les bénéfices comme les risques ; etc.
Merci de votre attention.