Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à neuf heures trente

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Nous accueillons aujourd'hui Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l'institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement (IRSTEA), institut qui vient de fusionner avec l'institut national de la recherche agronomique. En tant qu'expert et scientifique, vous êtes à même de nous dresser un état des recherches et de leurs résultats actuels, qu'il s'agisse de certitudes ou d'interrogations. Votre audition est donc précieuse pour notre commission, puisqu'un tel état des recherches et résultats constitue le socle à partir duquel des choix pertinents peuvent être mis en œuvre dans les politiques publiques de santé environnementale. Elle nous permettra d'être plus efficaces dans nos conclusions et nos préconisations.

(Mme Jeanne Garric prête serment.)

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Merci Mme la présidente. Je commencerai par préciser le périmètre de mon expertise. Je suis effectivement directrice de recherche. J'ai mené l'ensemble de ma carrière en éco-toxicologie, ce qui couvre l'ensemble des problématiques ayant trait à la présence de produits chimiques dans l'environnement. Je me suis intéressée plus récemment aux questions ayant trait aux liens entre cette pollution de l'environnement et la santé, puisque j'ai notamment eu l'occasion de suivre le groupe « Recherche » du plan national santé-environnement (PNSE3), pendant un certain temps.

J'ai donc prévu de vous dresser un état des lieux des savoirs dans le domaine de l'environnement, mais j'aborderai peu les questions de santé, qui ne relèvent pas de mon expertise scientifique. Je parlerai d'abord de ce que la recherche a permis de savoir, puis des sources actuelles d'incertitudes, et enfin du futur.

La recherche nous a permis de savoir que, depuis de nombreuses années, l'activité humaine a provoqué des modifications du système Terre à l'échelle planétaire, avec de très nombreux impacts sur l'atmosphère, le cycle des nutriments, l'eau, etc. Il est nécessaire de le rappeler, car cela entraîne aujourd'hui des conséquences en termes de biodiversité, mais aussi de santé, par l'intermédiaire notamment du changement climatique et de la circulation atmosphérique et océanique. Un document de présentation vous a été transmis sous forme papier. J'y ai inclus des illustrations rappelant que même la lumière et le changement d'usage des terres constituent aujourd'hui des pollutions.

Depuis les années 1960, et le livre Silent Spring de Rachel Carson notamment, de nombreuses observations ont permis de constater le déclin des oiseaux, des insectes, etc. Tout ceci est bien documenté grâce à la recherche.

On sait aussi aujourd'hui que les impacts liés à la pollution, à la dégradation de l'environnement et de l'habitat, etc. n'affectent pas seulement quelques individus, mais l'ensemble des populations et des écosystèmes, jusqu'au fonctionnement de notre Terre à travers les cycles des nutriments. C'est vrai dans le règne animal, mais aussi humain : ces impacts affectent la dynamique de résilience des populations animales comme humaines. À nouveau, ces liens dans le temps et dans l'espace ont été démontrés par la recherche.

L'exemple le plus simple à cet égard est celui des pesticides. Leurs effets sur les individus sont aujourd'hui clairs et bien connus. Il est possible de tuer des animaux en leur faisant ingérer des pesticides, des rodenticides, etc. Toutefois, nous savons tout aussi clairement aujourd'hui que ces produits, non seulement tuent des individus, mais produisent des effets à plus ou moins long terme sur les populations, qu'il s'agisse de batraciens, d'insectes (d'abeilles notamment), etc. Des quantités considérables de données démontrent aujourd'hui ces liens, même si les impacts précis restent soumis à quelques incertitudes : toutes les populations ne sont pas également affectées, car elles sont plus ou moins sensibles, mais les communautés mêmes semblent bien affectées.

Des « effets boomerang », qu'il était difficile de prévoir de prime abord, ont également été révélés par la recherche. Certains pesticides chlorés très rémanents comme les DDT se sont accumulés dans les sols, de sorte que, malgré leur interdiction depuis les années 1970, ils se retrouvent par exemple aujourd'hui dans le lac de Savoie, suite à l'érosion des sols entraînée depuis par l'usage de désherbants. Des effets inattendus apparaissent ainsi dans le temps.

Des impacts systémiques existent également. Les néonicotinoïdes, par exemple, qui sont présents dans les semences, s'accumulent dans les sols, avant de rejoindre les rivières en suivant les eaux interstitielles des sols. Ils affectent également les racines des plantations situées autour des champs traités. Très toxiques pour les insectes, ils en réduisent finalement les populations, ce qui affecte également les populations d'oiseaux, qui ne trouvent plus d'insectes. En croyant traiter un problème restreint, on engendre ainsi des effets marginaux sur l'ensemble des écosystèmes, y compris au niveau de l'échelle trophique, etc.

La recherche a aussi montré que l'usage de ces substances accélérait ou provoquait des phénomènes d'adaptation, de résistance et d'évolution. Un grand nombre d'insectes deviennent ainsi résistants aux insecticides avec le temps, et finissent par se multiplier. Les molécules développées sont ainsi de moins en moins efficaces. Un parallèle peut être tracé à cet égard avec les antibiotiques, dont l'usage incontrôlé provoque aujourd'hui de fortes résistances de la part des bactéries, comme le montre à nouveau la recherche.

Dans les années 1990, l'existence d'intersexualités a été observée chez certains poissons dans les rivières anglaises : des ovocytes étaient présents dans les testicules de certains poissons mâles. En 1999, des observations similaires ont été effectuées dans la Seine, le Rhône, et dans certaines rivières françaises, où l'on trouvait les mêmes images anormales de poissons intersexués. La recherche nous a depuis appris que ces phénomènes venaient de substances mimétiques d'hormones. La pilule, l'œstradiol et toutes les hormones sexuelles femelles ont d'abord été incriminés, mais on sait aujourd'hui qu'elles ne sont pas seules en cause, et que les processus à l'origine de ces phénomènes ne consistent pas en chaînes causales linéaires : ils varient notamment en fonction des concentrations rencontrées, produisant des effets négatifs à très faible dose, puis des effets positifs pour des doses moyennes, et enfin à nouveau des effets négatifs à forte dose. La recherche a donc permis d'alerter sur ces phénomènes complexes, dont on sait aujourd'hui qu'ils affectent, non seulement les poissons, mais aussi l'homme.

Plus récemment, on a encore découvert la présence de substances pharmaceutiques dans l'eau ou dans les sols : des résidus de médicaments sont en fait présents partout. Une carte de la contamination mondiale par les substances pharmaceutiques, établie à partir des bases de données disponibles, est incluse au dossier qui vous a été transmis. La présence d'un certain nombre de ces substances n'était pas attendue dans le sol et dans l'eau. Une forte occurrence des antibiotiques est notamment observée, ce qui explique un certain nombre de phénomènes. De plus, ces substances se retrouvent, non seulement dans les milieux, mais aussi dans les poissons ou dans les invertébrés, ce qui crée une chaîne trophique potentielle. Cela signifie qu'elles peuvent remonter jusqu'à l'homme, entraînant ainsi la consommation non souhaitée de certaines substances qui, si elles ne sont pas létales, sont néanmoins fabriquées pour avoir une activité biologique. On peut donc s'attendre à ce qu'elles produisent des effets à long terme et préférer ne pas les rencontrer en l'absence de besoin.

La recherche a également traité l'impact de la biodiversité sur l'émergence et la transmission des maladies infectieuses. Ces problématiques sont plus ou moins importantes selon les continents, mais, de 1940 à 2005, certaines activités humaines (le changement d'usage des sols par exemple) peuvent être associées à l'émergence de certaines maladies infectieuses, qu'il serait ainsi possible de prévenir.

Naturellement il reste également de nombreuses sources d'incertitudes pour la recherche.

Parmi les questions qui se posent à elle, on peut citer celle de la vulnérabilité des individus et des populations. Pourquoi certaines populations, animales, humaines ou d'ailleurs végétales (il ne faut pas oublier l'importance de la santé des végétaux dans la santé générale de notre système) présentent-elles des sensibilités différentes, qu'elles soient génétiques, phénotypiques, ou qu'elles dépendent de l'âge, etc. ? Il reste du travail à effectuer à cet égard pour mieux prévenir les vulnérabilités occasionnées par l'état de l'habitat animal ou humain, l'état nutritionnel, les conditions économiques, etc.

Les interactions produites en cas de mélange constituent également un problème de plus en plus traité aujourd'hui. Les médecins savent bien qu'il ne faut pas mélanger les médicaments qu'ils prescrivent, mais les substances non prescrites provoquent aussi des interactions.

Les dynamiques d'exposition doivent également être examinées. Est-il plus grave d'être exposé jeune ou âgé ? Cumuler les expositions dans le temps rendra-t-il plus sensible ?

Enfin, les questions d'évolution et de co-évolution sous pression anthropique commencent également à se poser. Notre environnement impacte plus rapidement qu'on le pensait certaines espèces : les microbes et bactéries, notamment, mais aussi d'autres populations, qui évoluent ainsi avec nous et deviennent de plus en plus résistantes, ce qui peut provoquer l'émergence de nouvelles maladies.

De nouveaux concepts et des pistes de recherche et d'actions à long terme sont toutefois apparus également avec le temps, suscitant de nouveaux motifs d'espoir.

Tout le monde parle aujourd'hui du concept One Health, qui porte sur les interactions entre les mondes animal (notamment d'élevage) et humain, et qui doit être élargi au concept EcoHealth. Dans la déclaration d'Ostrava de 2017, les ministres européens de la santé et de l'environnement ont déclaré que l'environnement constituait un enjeu important, devant être traité à l'échelle européenne. J'ai également joint à votre dossier un schéma montrant qu'un certain nombre de concepts relevant de la santé animale, humaine et environnementale doivent être traités en commun, et de manière interdisciplinaire. Ces concepts sont récents et les moyens doivent être fournis à la recherche pour qu'elle puisse s'engager dans les perspectives qu'ils ouvrent.

Vous avez sans doute aussi entendu parler, depuis longtemps, du concept d'exposome, dont on espère qu'il nous permettra de comprendre et de prédire les conséquences pour l'homme de l'exposition aux mélanges dans le temps. Pour prévenir cette exposition, il faut toutefois aussi traiter l'éco-exposome, c'est-à-dire la présence dans l'environnement de l'ensemble de ces substances et leur impact. Certains agents sont notamment communs à l'ensemble de la vie, du fait qu'ils interviennent dans le fonctionnement cellulaire. Il est ainsi possible de prédire les conséquences des expositions humaines à partir des conséquences constatées sur l'animal et le végétal, à condition ici encore de réussir à travailler ensemble.

Je souhaiterais terminer mon propos en évoquant le temps nécessaire à la recherche et aux politiques publiques pour progresser. Les premières données disponibles sur les problématiques de pollution datent des années 1940, avec notamment les pollutions au cadmium au Japon, etc. On observe aussi une multiplication par quatre des zoonoses depuis les années 1980. Il serait possible de les lister. Pour autant, les évolutions réglementaires en matière de protection de l'environnement sont relativement récentes, avec en 1979 les premières législations sur l'acceptabilité environnementale des substances, le règlement REACH qui ne date que de 2007, la directive de l'Union européenne sur la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe qui ne date que de 2008, etc. Le délai entre les premières accumulations de connaissances et la mise en œuvre des régulations à l'échelle nationale ou internationale est donc important. Je n'ai par exemple pas trouvé de réglementation comme REACH concernant le problème des zoonoses. Aucun outil n'existe à cet égard, alors que ce problème se pose à l'échelle européenne, mais aussi internationale, de manière générale.

L'homme étant extrêmement créatif, les nouveaux sujets de recherche sur lesquels travailler ne manquent pas pour l'avenir : les nanoparticules ; les effets du recyclage ( « re-use ») des déchets sur les expositions de l'environnement et de l'homme ; le changement climatique et tous les processus qu'il entraîne dans l'écosystème avant d'atteindre l'homme ; les conséquences de ces processus sur la biodiversité ; les maladies chroniques et les zoonoses ; les solutions basées sur la nature, dont on espère aujourd'hui beaucoup, mais dont il faudra examiner les bénéfices comme les risques ; etc.

Merci de votre attention.

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Je vous remercie pour cette introduction, à la fois synthétique et détaillée, qui a bien posé les éléments du problème en nous faisant voyager du plus grand au plus petit, et en traitant notamment de la « cascade d'impacts le long de l'organisation du vivant » (pour reprendre le titre d'une des pages du document que vous nous avez transmis), à commencer par le niveau même de la cellule et des bactéries. Malheureusement l'être humain a tendance à oublier qu'il vient de là. Avec ses activités, il a remis en question la survie de son environnement et la sienne en conséquence. Vous avez brossé un vaste tableau de l'étendue des sujets concernés, et souligné à quel point les questions de santé environnementale ne pouvaient être approchées que de manière systémique.

Je devrai maintenant vous ramener à l'échelle humaine, car notre objectif est de trouver un angle d'approche pour améliorer la prise en charge de ces questions dans les politiques publiques. C'est du niveau humain que les problèmes sont nés, et c'est à ce niveau que nous pourrons, j'espère, trouver la source des solutions.

En vous appuyant sur les connaissances scientifiques relevant de votre domaine de spécialité, vous nous avez présenté d'une façon très affirmative un tableau de l'ensemble des interactions au sein de la chaîne du vivant, et des dégâts causés aux écosystèmes : aux mondes animal, végétal et des bactéries. De quelles certitudes disposons-nous aujourd'hui concernant les impacts de la dégradation de l'environnement sur la santé humaine ? Sur quels documents pouvez-vous vous adosser pour indiquer avec certitude quels dégâts sont ainsi causés pour la santé humaine ? Certains lobbys nous opposent précisément la complexité des systèmes concernés pour objecter l'absence de preuve possible d'un lien causal entre la dégradation de l'environnement et la santé humaine. Même si elle prend du temps, la recherche a-t-elle aujourd'hui permis de produire des documents permettant d'établir de tels liens avec certitude ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Pour de nombreuses raisons, les lobbys tendent en effet à émettre de telles objections. Ma spécialité n'étant pas la santé humaine, je n'ai pas aujourd'hui une liste de documents à vous fournir à ce propos. Des études ont cependant été réalisées, par exemple par l'ANSES, sur l'impact de substances chimiques prises une à une, sur des modèles représentant la santé humaine. Sans entrer dans toute la problématique des liens entre les pesticides et le cancer, et sans parler notamment des liens entre le chlordécone et le cancer de la prostate, certains liens ont aujourd'hui été reconnus à cet égard, et font l'objet de documents. Il en va de même pour les liens entre les perturbateurs endocriniens et le cancer, même si les travaux se poursuivent à ce sujet.

Si aucun lien de cause à effet direct ne peut être établi, molécule par molécule, du fait que nous sommes tous exposés à un nombre extrêmement élevé de substances, la notion d'exposome permet de renoncer à une telle approche. On affirme aujourd'hui que c'est un environnement perturbé qui engendrera un certain nombre de problématiques.

Je suis donc désolée : je ne peux malheureusement pas, en réponse à votre question, citer un certain nombre de documents. Il serait possible de citer les cas du distilbène ou de l'amiante, mais ce serait revenir sur des exemples très connus. Il a chaque fois fallu du temps pour établir des relations de cause à effet précises. On fait aujourd'hui le pari que la notion d'exposome pourra nous aider à cet égard, mais il me semble qu'il faudra en conséquence renoncer à la notion d'une relation de cause à effet.

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Je suis désolée d'avoir pu vous donner le sentiment de vous mettre en difficulté. J'avais conscience que cette question était d'une complexité totale. Je voulais seulement avoir la certitude que, si nous disposons de démonstrations de liens de causalité avec le règne animal et le règne végétal, établir des extrapolations avec le règne humain apparaît beaucoup plus difficile.

Je souhaitais revenir sur cette notion d'exposome, dont on parle beaucoup actuellement. C'est une donnée qui semble désormais bien partagée, et qui a d'ailleurs été officialisée dans certains documents de santé publique. Quelle définition donnez-vous de « l'éco-exposome » par rapport à l'exposome ? Par ailleurs, à partir de quel moment pourrons-nous considérer que nous connaissons réellement l'éco-exposome et l'exposome ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'une priorité des prochains programmes de recherche ? À quoi ressemblent l'exposome ou l'éco-exposome : s'agit-il de séries de chiffres ? Quelles données nous permettent de qualifier cette notion, qui est aujourd'hui plus qu'un concept ?

Vous avez souligné le temps nécessaire pour que la recherche parvienne à des certitudes démontrées, mais le temps des politiques publiques est beaucoup plus court. Je m'interroge en effet sur ce décalage dans le temps entre les procédures scientifiques de recherche, qui exigent beaucoup de temps et de prudence, et la nécessité d'agir vite, car les dégradations dont vous nous avez établi la longue démonstration existent d'ores et déjà. Comment arriver plus rapidement à des conclusions pragmatiques permettant de définir des politiques publiques ? Je n'attends pas nécessairement une réponse très précise ou définitive, mais seulement une discussion avec vous à ce sujet. Sur quels thèmes prioritaires nos politiques publiques pourraient-elles selon vous s'engager sans attendre de certitudes scientifiques ? Les dégâts sur la santé humaine sont d'ores et déjà observables.

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

L'éco-exposome correspond à l'extension de la notion d'exposome à un éco-système, au sein duquel il s'agit d'examiner quelles sont les molécules, les métabolites, etc. L'exposome constitue en effet la description des molécules chimiques et métaboliques auxquelles nous sommes exposés, et qu'on retrouvera dans le sang, dans la bile, dans les urines, etc., mais aussi des biomolécules qui sont formées dans notre corps en réaction à notre exposition : nous produisons un certain nombre de protéines, etc. La recherche est déjà bien engagée, au moins au niveau humain, en ce qui concerne ces problématiques. Nous disposons des outils (analytiques, informatiques, etc.) à cette fin. Comme vous l'avez dit, il s'agit de dresser de grands tableaux d'informations permettant d'indiquer que nous avons été exposés à un certain nombre de molécules, et que nous avons réagi de telles manières, pour chercher à établir des liens avec les pathologies qui pourraient en résulter en aval, et pour mieux comprendre, en amont, les substances auxquelles on a pu être exposé et à quelle concentration, dans le but de prévenir cette exposition ou de la réduire.

Nous nous engageons dans ces recherches, car nous disposons aujourd'hui des moyens de le faire, alors que ce n'était pas le cas il y a vingt ans : nous devions procéder à un examen molécule par molécule.

Dans quelle direction s'engager en priorité ? Les informations dont nous disposons permettraient déjà de prévenir un certain nombre de problèmes. On sait que les sources majeures d'exposition humaine sont l'air et l'alimentation : on sait qu'il faut y réduire la présence d'un certain nombre de substances. L'eau pose moins problème, même s'il s'agit d'un vecteur qui rejoint l'alimentation. Il faudrait donc au moins considérer l'eau et l'alimentation ensemble. Ces points constituent des problèmes importants, sur lesquels concentrer le travail, pour s'assurer que ce que nous respirons et ingérons est le plus libre possible de contaminations.

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De nombreuses discussions portent actuellement sur la qualité ou la dimension sanitaire (« safe ») de l'alimentation. Il est notamment beaucoup question de la nécessité de diminuer la consommation de viande, en vue finalement d'un effet global. Toutefois, la presse et un certain nombre d'études scientifiques font beaucoup état, aussi, du fait que les solutions végétales alternatives sont trop préparées et comportent beaucoup d'additifs. En termes de santé, ne court-on pas aussi un risque à se tourner ainsi vers une alimentation ultra-préparée, même si elle se veut à très faible empreinte carbone ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Je ne suis pas la plus apte à vous répondre sur ce point, n'étant ni diététicienne ni médecin. On sait néanmoins que réduire l'alimentation carnée présente des bénéfices pour un certain nombre de raisons métaboliques. Quelle que soit la qualité de la viande, elle entraîne une forte oxydation, etc. Un certain nombre de connaissances sont établies à ce sujet.

Je m'étonne d'abord que vous associiez une alimentation végétale à une alimentation ultra-préparée : il est possible de cuisiner végétal sans recourir à ce type d'alimentation. En tant que mère de famille et cuisinière, je n'y ai moi-même pas recours : je prépare moi-même mon alimentation végétale.

Vous avez toutefois raison sur le fait qu'il faut éviter de se tourner vers des aliments ultra-préparés, dans lesquels de nombreux additifs seraient présents. Tous les additifs ne sont certes pas dangereux, même si certains ont été interdits, mais des problèmes se posent sur ces questions également. Certains instituts comme l'INRAE sont très engagés dans ces questions d'alimentation. La recherche s'y intéresse.

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Vous êtes membre du groupe Santé-environnement (GSE) en tant que personnalité qualifiée, et co-présidente du groupe de travail 2 du PNSE3. Pourriez-vous nous parler de ce GT2 ? Comment a-t-il fonctionné ? Quel bilan pouvez-vous dresser de son travail ? Avez-vous émis des recommandations pour le PNSE3 et avez-vous été sollicitée concernant le PNSE4 ?

J'en reviens à des questions très institutionnelles, car l'objectif de notre commission est de déterminer les points forts et faibles des politiques publiques actuelles, afin d'en améliorer le fonctionnement. Je souhaiterais donc avoir votre avis sur la manière dont a fonctionné le GSE comme outil de politique publique en santé-environnement. Auriez-vous des propositions pour l'améliorer ? Quel regard portez-vous également sur le fonctionnement des grandes agences publiques : Santé publique France, l'ANSES, etc., et toutes les parties prenantes du GSE, en incluant la société civile et les réseaux associatifs. Disposez-vous d'exemples convaincants de ce type de travaux et ont-ils été pris suffisamment au sérieux par les pouvoirs publics ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

J'ai en effet eu plaisir, et j'ai beaucoup appris, en tant que chercheur, à travailler dans le GT2 de suivi « recherche », qui couvrait l'ensemble des actions transversales de recherche, de formation, d'information, etc. Nous avons été très assidus. Nous avons pu bien travailler et avons beaucoup échangé au sein du groupe sur un certain nombre de ces actions, même si davantage de formalisme dans l'encadrement du suivi des actions de ce PNSE3 aurait été nécessaire. Les participants étaient des chercheurs (je m'étais notamment entourée d'un certain nombre de professeurs d'université), des médecins, pharmaciens, et spécialistes de l'environnement, ainsi que des personnes de la société civile, des membres de diverses associations intéressées aux problématiques liées à l'environnement ou à la santé. Je n'ai pas le compte exact des réunions que nous avons tenues, mais nous nous sommes vus au moins trois fois par an au titre de ce suivi, et avons rendu compte chaque fois au GSE.

En tant que chercheur, j'ai trouvé que le GSE constituait une instance d'échange très intéressante, mais dont il était difficile de savoir ce qui en sortait, dans quelle direction, et quelles orientations il pouvait en résulter. Je n'ai pas eu l'impression d'obtenir de retour sur les effets de ces échanges, sans doute par manque de formalisme, de cadrage ou d'objectifs. Par souci d'efficacité dans le suivi du PNSE à venir, il faudrait que les mandats des groupes de suivi et les objectifs des rendus, etc. soient mieux définis. Notre groupe a auditionné de nombreux acteurs, issus des ministères impliqués, de l'agence nationale de la recherche (ANR), de l'ANSES, etc. Nous avons pu échanger avec eux et voir comment les choses évoluaient. J'en ai tiré le ressenti que chacun faisait au mieux, mais que, probablement en raison de la manière dont le PNSE3 avait été construit, chacun finalement continuait à faire ce qu'il savait faire, comme d'habitude, sans objectif particulier affiché, sans indicateur, etc.

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Votre témoignage comme actrice d'un groupe de travail censé nourrir la réflexion des décideurs administratifs et politiques m'intéressait beaucoup. Je voulais savoir comment vous aviez vécu ces travaux de groupe. J'entends que vous avez apprécié l'ambiance de ces GT, mais que vous semblez y regretter un manque de cadre, ce qui se comprend puisque vous avez reçu une formation scientifique, et que toute politique publique doit être très cadrée : il faut savoir d'où l'on part et où on veut aller. J'entends donc bien cette demande d'une meilleure organisation et d'une clarification des mandats : vous ne saviez pas quelle était la réelle demande qui vous était faite.

Quelles seraient dès lors vos propositions pour améliorer l'organisation nationale (et parisienne) des plans nationaux santé-environnement qui suivront, et notamment du PNSE4, dont nous ne connaissons pas encore le contenu ? Il est extrêmement secret : même en tant que présidente du GSE, je ne parviens absolument pas à obtenir de retour sur le contenu du PNSE4, alors qu'il a été officiellement lancé en janvier 2019.

Par ailleurs, vous avez longuement expliqué que le champ d'investigation de l'IRSTEA se situait à l'échelle des territoires. Je serais donc intéressée de savoir ce que vous pourriez proposer en matière d'organisation territoriale. L'objet même de votre travail concerne ce qui se passe dans la nature, donc en dehors des grandes villes, dans les espaces naturels et les espaces de vie, mais surtout dans les territoires. Comment d'une manière générale pourrions-nous améliorer la gouvernance de cette dynamique, et optimiser le potentiel intellectuel énorme qui est à notre disposition dans les différents groupes de travail du GSE ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Des expertises, parfois de haut niveau, parfois de simple vécu, ont en effet été sollicitées dans ces groupes de travail, de la part de personnes qui se sont investies, qui y ont consacré du temps, etc., et il est dommage de ne pas s'en servir, en dressant un bilan annuel ou bisannuel des actions menées. Cela suppose toutefois de disposer de mandats clairs et d'indicateurs. Il serait alors possible de tirer la conclusion qu'il vaut mieux s'orienter dans telle direction que dans telle autre, parce que les connaissances ont pu évoluer et des nouveautés apparaître dans tel domaine, par exemple. Il faudrait ainsi que le plan ne soit pas figé, mais puisse évoluer dans le temps.

Par ailleurs, ce que vous dites est vrai : l'IRSTEA et l'INRAE travaillent aujourd'hui sur l'ensemble du territoire français, et même en outre-mer, et les problèmes ne sont pas les mêmes partout, de sorte que partir de moyennes n'est pas une bonne idée en matière de traitement des problématiques d'exposition ou de santé. Il faut partir de la réalité du terrain. Il faudrait à cet égard faire remonter des informations de chaque région. J'avais participé (rapidement, parce qu'on ne peut pas être partout) à des travaux régionaux en Rhône-Alpes : les problématiques n'y étaient pas les mêmes qu'en Artois-Picardie, par exemple. Bénéficier de telles remontées serait donc bien intéressant. Ce n'est pas le cas actuellement à ma connaissance.

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Je ne sais pas comment sera organisé le PNSE4, mais ne serait-il pas possible, dans les groupes de suivi, de nommer des référents censés remonter des informations des plans régionaux santé-environnement (PRSE). La recherche en santé ou en environnement n'est pas la même non plus, en Rhône-Alpes, en Île-de-France, ou en région bordelaise, etc. Même la prise en compte de ces différences est importante. Les moyens accordés par les régions à la recherche en santé-environnement sont par exemple différents selon les régions : comment serait-il possible de faire évoluer cette situation ? De quels outils faut-il se doter ? Que peut-on apprendre ? Je pense donc que de telles remontées seraient intéressantes.

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Cette approche de chercheuse est très intéressante.

Votre GT2 portait sur le suivi de la recherche, mais aussi sur les questions de formation et d'information. Pensez-vous que les professionnels de santé et les élus des collectivités territoriales sont suffisamment bien formés, et que pourriez-vous suggérer pour améliorer leur formation ? Quel pourrait par exemple être le contenu-type d'une formation en santé environnementale destinée aux élus, ou aux professionnels de santé ? Quelles thématiques de connaissance générale, mais aussi de formation opérationnelle, c'est-à-dire vraiment pragmatique, faudrait-il inclure dans ces formations, afin qu'elles aient un impact direct et rapide sur l'amélioration de la santé des habitants des territoires et sa protection ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Dans le document que je vous ai distribué figure une diapositive intitulée « Des besoins », que j'avais délibérément laissée de côté en vue des questions qui me seraient posées. Les besoins en formation y sont notés. Qu'il s'agisse de répondre à des questions de recherche (sur Eco-Health, One-Health, l'exposome, etc.) ou à des questions très concrètes et pragmatiques, nous avons un réel besoin de formation, mais de tous les acteurs : des médecins, des acteurs de la santé, de l'écologie, etc.

Toujours en région Rhône-Alpes, certains collègues du Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes (le CLARA) avaient construit une formation efficace à destination des élus des collectivités et des communes, etc. de la région. Elle semble avoir été très appréciée, et a même été étendue à d'autres régions.

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Elle a été mise en place par des chercheurs du CLARA, le centre anti-cancéreux de Lyon, qui constitue une association au sein du Centre Léon Bérard. Je ne me souviens plus exactement de leurs noms, mais je pourrai vous les transmettre si vous le souhaitez.

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La difficulté est, d'une part, d'apporter une formation de culture générale. Vous avez expliqué les interactions entre toutes les dimensions du vivant. D'autre part, comment faire en sorte que des élus disposent, en ce qui concerne la base de cette culture générale commune, d'outils leur permettant de tirer des conclusions sur les actions qu'ils pourraient mener à leur échelle d'élus ? Il faut réussir à passer du monde des experts éclairés, qui connaissent énormément de choses, au monde plus restreint et pragmatique du terrain. Comment traduire cette masse d'informations et de connaissances dont les chercheurs et universitaires disposent pour la rendre abordable, sur le terrain, à des personnes censées conduire des actions très pragmatiques ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Je n'ai pas suivi la formation en question. Le problème qui se pose concerne les formateurs et les communicants. Nous savons par exemple que l'utilisation de certains biocides en trop grande quantité peut affecter le milieu ou les personnes, et nous connaissons les problèmes posés par l'usage de certaines substances dans les maisons, de certains pesticides, les sols contaminés, etc. De très nombreux moyens existent pour informer les élus que, par exemple, laisser tourner son moteur devant l'école nuit à la qualité de l'air et aux enfants, même dans un village. Je crois beaucoup à l'éducation, et en particulier à l'éducation des jeunes enfants. Il y a longtemps, lorsque mes enfants étaient en âge d'aller à l'école, j'avais fait un petit cours à l'école primaire, en expliquant aux enfants qu'une eau apparemment pure ne l'était pas en réalité, pour de nombreuses raisons : parce qu'ils mettent leurs mains sales dans le verre, parce que des substances y sont présentes, qu'on peut leur faire voir, etc. Il ne s'agit pas seulement de former les élus, mais aussi les enfants, dès l'école primaire. La santé-environnement passe par là. Lorsque mes enfants étaient jeunes, j'avais aussi le souci de leur montrer dans les rayons de supermarché toutes les molécules qu'il ne fallait pas acheter.

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Nous partageons cette préoccupation. Il faut commencer cette éducation très jeune, et de manière très pragmatique, afin de faire prendre conscience que nous vivons dans un monde qui n'est pas seulement habité par des êtres humains et quelques animaux de compagnie ou sauvages tels qu'on peut en voir à la télévision, mais aussi par tout un monde invisible, auquel il faut être particulièrement sensible. Il faut aussi éduquer au bon usage des produits nettoyants, dont l'efficacité réelle n'est pas toujours bien connue, pas plus que leurs impacts sur l'environnement et la santé.

Nous sommes partis de l'ensemble du vivant et des approches systémiques, avant de traiter des politiques publiques et de parler plus particulièrement des actions de formation. Je souhaiterais maintenant revenir à votre domaine d'expertise en tant que chercheuse, pour traiter de la Covid-19, qui est considérée par de nombreux chercheurs comme l'exemple type d'une zoonose, c'est-à-dire d'une trop grande proximité entre les humains et le monde animal. Vous disiez tout à l'heure vous inquiéter des conclusions qui ont pu en être tirées. Je souhaiterais connaître votre avis et vos suggestions éventuelles à cet égard. Dans le cadre du GSE, nous avions organisé une grande conférence sur cette thématique : comment intégrer le Covid-19 et les zoonoses au PNSE4 ? Je ne sais toujours pas quelles conclusions ont été tirées de cette conférence dans le PNSE4, mais je serais très curieuse de savoir comment vous chercheriez à intégrer ces questions dans une politique publique. Comment pourrions-nous nous prémunir d'autres attaques, sur la santé humaine, du monde animal, bactériologique et viral ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Il s'agit encore d'une question complexe. Je vous ai montré un petit schéma permettant de traiter ces questions. Avant la Covid-19, le SIDA, etc. ont fait connaître cette problématique des zoonoses. S'en prémunir passe d'abord par des politiques internationales. J'étais présente à la conférence organisée par le GSE dont vous parlez, qui était passionnante. Les zoonoses de ce type viennent de partout dans le monde, et il faut en prendre conscience au niveau international, en y dédiant des politiques internationales.

Par ailleurs, puisque la proximité entre le monde animal et humain est en cause, il faut réussir à la limiter, en mettant fin aux déforestations excessives, et en limitant l'utilisation des animaux sauvages. Ces problèmes échappent toutefois au contexte exclusivement national.

En revanche, il est possible d'éduquer la population en lui expliquant que ce type de situations et de pandémies arriveront à nouveau, et comment s'en prémunir. Le port du masque constitue à cet égard une solution extrêmement simple, à laquelle tous les professionnels de santé savent recourir depuis des années. Jusqu'à présent, comme nous disposions de tous les moyens nécessaires pour nous soigner, nous ignorions ce type de questions. Il faut maintenant faire passer ce sentiment dans la population, ce qui ramène la question des besoins organisationnels, que ce soit dans la recherche, afin de mettre en place un vrai dialogue et de vraies interdisciplinarités, ou au niveau des élus, qui doivent être formés également. Je ne dispose pas d'autres solutions à ce stade. Je parle surtout ici en tant que citoyenne.

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Vous regrettiez tout à l'heure une absence de réglementation sur les zoonoses, soulignant que la préoccupation publique en matière de protection environnementale est relativement récente, avec la loi de 1979 sur les substances, le cadre REACH qui ne date que de 2007, les décisions sur la qualité de l'air de 2008, etc. Lors de la conférence, nous avons vu la nécessité de s'organiser au niveau international. L'intervention de la représentante du ministère des affaires étrangères m'avait particulièrement intéressée à cet égard. Elle avait interrogé les manières dont il serait possible de s'organiser à l'échelle mondiale, évoquant précisément l'initiative du ministère des affaires étrangères dans le cadre de One Health (« une seule planète, une seule santé »).

Nous avons fait le tour de l'ensemble des risques et dangers. Il est de notre responsabilité d'alerter, d'informer et de nous mettre en ordre de marche pour faire face au danger « rampant », qui semble inéluctable, d'une destruction de toute la chaîne du vivant. Vous nous avez parlé longuement du terrain sur lequel vous travaillez. Je vous remercie pour le document extrêmement intéressant que vous nous avez fait parvenir et que nous annexerons au rapport de notre commission d'enquête.

Je souhaiterais conclure cette audition sur une note un peu plus optimiste, car il peut paraître décourageant de recevoir, impuissants, toutes les informations sur la destruction du monde du vivant. J'ai lu qu'après l'explosion de Tchernobyl, de la vie avait pu renaître sur le terrain irradié. Je serais à cet égard intéressée par vos observations sur la résilience du vivant. On parle d'une sixième extinction des espèces actuellement, et la biodiversité est manifestement très attaquée. Quelles capacités de résilience et à se prémunir des attaques humaines observez-vous de la part du vivant, et que pensez-vous de « l'anthropocène », comme cycle actuel du vivant sur la Terre ? De quels motifs d'espoir pourriez-vous nous faire part concernant un éventuel ralentissement du processus de destruction ? Cette question est encore très large, mais je souhaite recueillir votre avis personnel.

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

L'anthropocène existe : c'est maintenant clair. Les scientifiques qui travaillent sur la biodiversité et la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) observent des extinctions animales extrêmement rapides. Les espèces disparues ne seront pas retrouvées. Outre les disparitions, il existe aussi des adaptations : les organismes parviennent parfois à s'adapter. La question est alors de savoir s'ils disposeront ensuite des mêmes fonctionnalités : une abeille adaptée et devenue résistante sera-t-elle par exemple toujours aussi à même de remplir sa fonction pollinisatrice ?

Des politiques publiques ont été mises en place il y a déjà quelques années par le ministère de l'environnement, pour conserver les « continuités écologiques », à travers la Trame verte et bleue. Lorsque des recolonisations sont mises en œuvre, dans les rivières ou dans les haies, etc. de zones très abîmées, elles ont lieu et sont observées. Des politiques publiques de recolonisation par le vivant sont donc possibles, et constituent de vrais outils. Il faut seulement espérer que toutes les collectivités les respectent. Des motifs d'espoir existent donc bien. Une adaptation sera possible. Nos capacités de prévention à cet égard viendront des connaissances issues de la recherche, car le rapport bénéfice-risque de tels outils devra être bien compris. Les bonnes idées issues des observations des citoyens pourront également être utiles.

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Je retiens en effet cette suggestion d'associer les citoyens et la société civile, car c'est de leur survie qu'il est question avant tout. Souhaitez-vous conclure cette audition par une dernière suggestion ?

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Jeanne Garric, directrice de recherche émérite en toxicologie (Institut national de recherches en sciences et technologie pour l'environnement et l'agriculture - IRSTEA)

Il faut se donner en recherche les moyens d'un dialogue interdisciplinaire entre la santé et l'environnement. Ce dialogue passera par la formation des équipes et l'acculturation des décideurs, des évaluateurs, etc. Une réflexion est nécessaire dans ce domaine, si l'on considère que la recherche est utile, et qu'elle peut apporter des moyens de prévention.

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Cette nécessité d'organiser une pluridisciplinarité est vraiment ressortie des auditions précédentes, notamment des représentants du monde de la recherche. Cette dynamique me semble désormais bien lancée, alors qu'elle ne faisait pas partie de la culture des chercheurs, et en général des scientifiques, qui, notamment en France, ciblent leurs recherches sur des domaines ultraspécialisés. Depuis une génération ou deux de chercheurs, cette nécessité de travailler au-delà des spécialisations, pour disposer d'une idée complète du vivant, semble avoir été intégrée. En revanche, la compréhension de cette nécessaire transversalité n'est pas aussi rapide parmi les administrations et les ministères. Nous nous attacherons à ce qu'ils en acquièrent eux aussi la culture.

Je vous remercie pour ces échanges très intéressants.

L'audition s'achève à dix heures cinquante-cinq.