Intervention de William Dab

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé :

Merci, Mme la présidente, pour cette convocation. J'y ai répondu volontiers, d'abord parce qu'on ne peut pas s'y soustraire, ensuite parce qu'il est important que la représentation nationale se penche sur cette question.

En premier lieu, la culture de l'évaluation des politiques publiques doit être développée en France, non pour critiquer ou sanctionner davantage, mais pour s'inscrire dans une logique d'amélioration continue.

En deuxième lieu, l'étude des rapports entre l'environnement et la santé est relativement récente en France. La création du ministère de l'environnement date de la présidence de Georges Pompidou, dans les années 1970, mais son objet portait initialement sur la préservation des paysages, des sols, de la faune et de la flore. Cette mission était parfaitement respectable, mais, à travers différentes crises successives, une préoccupation de santé en lien avec l'environnement a émergé et s'est renforcée. Lorsque la grande loi de sécurité sanitaire a été votée en 1998, nous étions un certain nombre à plaider pour la création d'une agence susceptible d'aider les pouvoirs publics dans le domaine de la santé-environnement. Nous n'avions pas alors été écoutés. Il a fallu la marée noire de l'Erika, en 2000, pour que l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement soit créée. Elle est depuis devenue l'Agence française de l'environnement et du travail, puis l'ANSES : l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Ce chemin est donc assez récent, et encore en cours de construction.

En troisième lieu, ce secteur présente la difficulté intrinsèque d'être éminemment interministériel. De fait, il n'y existe pas de leader. Le ministère de la santé, qui serait le candidat naturel à cette fonction, n'a en réalité la main que sur l'eau, qui, seule, relève du code de la santé publique, en termes de sécurité sanitaire. Tous les autres domaines de la santé-environnement sont partagés entre d'autres ministères : l'environnement, l'agriculture, l'industrie, les transports, etc. Or, dans le fonctionnement « en silos » de notre organisation administrative, cela constitue une difficulté. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), une direction du ministère des Finances, ne doit pas être oubliée dans cette énumération, car elle joue un rôle très important.

Le secteur est globalement peu doté. Grâce à l'action des agences, des universitaires et des chercheurs, notre expertise est assez bonne et peut se comparer à celle des pays similaires. Notre faiblesse vient de notre capacité sur le terrain. Dans les agences régionales de santé (ARS), le secteur environnement est faible, et principalement orienté vers les contrôles d'eau (potable et de baignade). Le secteur des installations classées reste relativement faible. La ministre a annoncé, lors du premier anniversaire de l'accident de Lubrizol, qu'il serait renforcé. Sur le terrain, nous ne sommes pas équipés à la hauteur des enjeux, même si nous ne sommes pas totalement démunis. Ce décalage trop grand entre les ambitions affichées dans les différents plans et notre capacité à les réaliser suscite un problème de confiance du public.

Lorsque les citoyens se posent des questions en santé-environnement, parce qu'ils pensent que leur santé peut être altérée, d'une manière ou d'une autre, ils n'ont pas d'interlocuteur. Depuis longtemps, je parle de l'existence d'un besoin social à cet égard. Il n'existe pas d'interlocuteur unique pour la population. Lorsqu'on dispose d'une entrée par pathologie, c'est alors le médecin, le ministère de la santé et les ARS qui seront consultés. La plupart du temps, ce n'est cependant pas le cas : il n'existe pas de malade, mais des expositions, qui inquiètent les gens – faut-il s'attendre, à court, moyen ou long terme, à un effet de ces expositions, pour nous ou nos enfants ? Il n'y a alors pas d'interlocuteur, car selon l'exposition concernée, il faudra s'adresser à différents départements ministériels ou services déconcentrés gérés par les préfets. Ce « maquis », dans lequel le citoyen ne se reconnaît pas, a une conséquence. Devant cette complexité, le réflexe est de créer une association et d'alerter les médias, de sorte que l'entrée habituelle des questions de santé-environnement est la dénonciation, l'inquiétude et l'alarmisme. C'est en effet la seule manière de se faire entendre. Il faut donc que vous y réfléchissiez.

Pour préparer cette audition, j'ai examiné les priorités de la stratégie nationale de santé, du plan national santé-environnement (PNSE) et du plan national santé-travail (PNST), car l'environnement de travail fait partie de l'environnement. Je n'ai pas examiné les priorités des plans sectoriels (phytosanitaires, perturbateurs endocriniens, etc.). Or, les priorités ne sont pas les mêmes selon les plans, et elles sont au total une trentaine. Cela signifie en réalité qu'il n'existe pas de priorités. On touche ici à la difficulté ministérielle de la création des plans.

Au Conservatoire national des arts et métiers, nous dispensons très peu de formation initiale, mais surtout de la formation tout au long de la vie. Nos étudiants travaillent en journée dans les entreprises et viennent en cours du soir. Ils réalisent en entreprise des mémoires d'hygiéniste, des mémoires de licence professionnelle ou d'ingénieur en prévention des risques. Nous disposons ainsi d'une assez bonne vision de ce qui se passe en entreprise. Je ne dis pas que le secteur public doit fonctionner comme une entreprise, mais certaines des pratiques en entreprise me paraissent intéressantes. Les entreprises très impliquées dans le domaine de la santé-environnement – les entreprises de l'énergie, de l'eau, des services aux collectivités, etc. – établissent des cartographies des risques. Elles identifient les sources de danger et d'exposition et établissent des cotations des niveaux de risque, qui ne sont pas nécessairement très élaborées, mais comportent du moins des indicateurs de fréquence et de gravité, même simples (allant de 1 à 4), et un indicateur d'urgence. Certaines expositions présentent en effet des risques à court terme : il faut alors agir de manière urgente. Certaines expositions sont cancérigènes et n'ont pas d'effet immédiat, mais seulement retardé : on dispose alors d'un peu de temps pour organiser l'action. À partir de ces cartographies des risques, les entreprises construisent des plans d'action, avec des moyens dédiés. C'est ce qui nous manque dans l'élaboration des politiques publiques. J'ai relu les trois plans que j'ai évoqués : stratégie nationale de santé, PNSE, PNST. Les arguments ayant amené leurs concepteurs à choisir des priorités ne sont pas fournis dans ces plans, du moins pas de manière systématique, telle qu'une cartographie des risques permet de le faire.

Je sais que l'exercice est difficile. J'ai eu à préparer le premier PNSE. J'ai collaboré au premier PNST, qui était naturellement dirigé par la direction générale du travail, mais en bonne intelligence avec la DGS. Je ne dis pas « y a qu'à, faut qu'on ». Cet exercice est difficile, mais il est nécessaire. Il est de plus facilité aujourd'hui par l'existence d'agences de qualité : l'ANSES, Santé publique France, l'INERIS, l'IRSN, l'INRA, certaines unités de l'INSERM, etc. garantissent de disposer du soutien scientifique nécessaire à l'organisation de ce travail.

Enfin, même si je sais que cela est difficile politiquement, il vaut mieux définir cinq priorités et y affecter des moyens et des plans d'action, avec un dispositif de suivi sérieux, que de se disperser, car on n'obtient alors que très peu de résultats tangibles. Il faut expliquer à la population qu'on ne peut pas résoudre tous les problèmes à la fois. Il est frappant de constater que les politiques publiques comportent aujourd'hui une trentaine d'énoncés de priorités, sans budget clairement affecté aux plans d'action.

Or, tout cela crée un état de défiance. Des études extrêmement sérieuses le montrent. Il ne s'agit pas seulement d'une opinion. L'excellent observatoire des risques de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire mène depuis vingt-cinq ans de véritables études, qui ne sont pas de simples sondages. Y participent des sociologues, des psychologues, des épidémiologistes, des statisticiens de très haut niveau. Les données qui en résultent sont très facilement accessibles en ligne. Sur de nombreuses questions, les Français estiment majoritairement qu'on ne leur dit pas la vérité. Deux facteurs structurent l'opinion face aux risques environnementaux. Le premier facteur est, logiquement, l'importance du risque perçu. On ne prend cependant pas suffisamment garde au deuxième facteur, qui est l'incertitude. Ce qui est incertain fait plus peur que ce qui est certain. Un certain discours rationaliste traite la population comme irrationnelle : je ne suis pas d'accord. Il suffit de réfléchir à nos comportements dans la vie quotidienne pour réaliser que, vis-à-vis de nous et surtout de nos enfants, nous faisons plus attention dans un environnement incertain que dans un environnement certain et familier. Il s'agit d'une caractéristique générale de la psychologie humaine. Ce qui est incertain fait peur, indépendamment du niveau de risque. C'est pourquoi il est essentiel de fournir à la population un interlocuteur unique, qui ne la laisse pas dans le brouillard et dans l'incertitude, car l'incertitude fabrique l'inquiétude. Même en tant qu'épidémiologiste, je ne recommanderais donc pas une approche conduisant à définir les priorités sur une base purement épidémiologique et rationnelle. Il faut croiser cette dimension épidémiologique avec ce que l'on sait de la perception sociale des risques, et notamment des secteurs qui suscitent le plus d'inquiétudes. À défaut de procéder ainsi, on ne peut pas comprendre pourquoi les OGM font si peur, alors qu'ils ne présentent aucun risque démontré. Ce n'est pas irrationnel : les gens savent qu'il existe des controverses sur les OGM, et qu'ils sont soutenus par de puissants intérêts industriels. Ils n'ont pas confiance.

La préoccupation est insuffisamment présente de savoir comment gouverner l'incertitude et créer la confiance. Je m'adresse aussi cette critique. Lorsque j'ai créé le premier PNSE, je n'ai pas tenu compte de ces facteurs. Avec l'expérience et le recul, je partirais toujours des grands problèmes de santé et d'environnement qui se posent à nous, mais en intégrant la manière dont la population vit ces problèmes, car la finalité d'une politique publique est de répondre aux besoins de la population. Même si ces besoins ne sont pas nécessairement formulés en termes épidémiologiques, c'est la population qui a raison. C'est la manière dont la population définit sa préoccupation qui doit constituer la préoccupation des décideurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.