Intervention de William Dab

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé :

Je suis d'accord, même si le cancer regroupe des centaines de maladies. La nutrition est également un champ très vaste, car la relation entre notre mode d'alimentation et la santé touche l'ensemble des pathologies organiques, et parfois même les pathologies mentales. Plus que monothématiques, ces plans sont surtout « monopilotes ». Un comité de pilotage « chapeau » est nécessaire, avec une présence réelle des directeurs d'administration centrale concernés, et non de leurs bureaux. L'impulsion doit venir des directeurs ou directrices. Ensuite, il faut répartir équitablement le pilotage de chaque partie des plans pour qu'un pilote soit clairement repéré pour chacune d'elles. Cela ne signifie pas que les autres acteurs ne feront rien. S'agissant des métaux lourds, par exemple, le ministère de l'environnement pourra prendre le leadership, puisque les sources d'exposition aux métaux lourds viendront principalement du sol ou des aliments. Cela ne veut pas dire que la DGS ou la DGAL n'apporteront pas une contribution, mais dans un cadre clair de pilotage. Le pilote doit alors disposer d'une enveloppe de moyens, au niveau national comme régional, et construire une stratégie en la concertant, y compris avec la population, les élus et les collectivités. Il doit être accompagné d'une expertise, lui fournissant les indicateurs à suivre pertinents, avec un système d'enquête afférent. S'agissant des métaux lourds, il faudra, par exemple, réaliser des prélèvements d'urine sur des échantillons représentatifs de la population, ou, pour le mercure, prélever des mèches de cheveux afin d'effectuer des mesures d'imprégnation. L'ANSES ou Santé publique France savent parfaitement le faire, mais il s'agit de coordonner l'ensemble de ces actions. Surtout, il faut se donner des objectifs quantifiés, non par fascination des chiffres, mais parce qu'il faut se doter d'un tableau de bord. Si les objectifs ne sont pas atteints, ce n'est pas une catastrophe. Cela ne signifie pas que l'on a mal travaillé. C'est que, peut-être, des erreurs ont été commises dans la conception du plan ; peut-être les moyens n'étaient-ils pas suffisants ; peut-être n'ont-ils pas été déployés à bon escient, etc. L'important est qu'on apprend de ses erreurs. Il n'est pas possible de faire bien du premier coup.

Enfin, il ne faut pas changer de priorité trop souvent. En réalité, le véritable problème auquel nous sommes confrontés est que nous n'avons pas de politique de sécurité sanitaire. Dans un domaine aussi important, nous ne disposons pas d'une politique générale dans laquelle l'environnement, l'alimentation et le travail seraient correctement intégrés. C'est ce qui, fondamentalement, fait défaut. Nous disposons d'institutions de sécurité sanitaire (d'agences, d'administrations, etc. ). Dans notre pays, on pense que, face un problème, il faut créer une institution, et que cela suffira à le résoudre. C'est utile, mais ce n'est pas suffisant. Nous n'avons pas de doctrine de sécurité sanitaire. Nous sommes ballottés par l'actualité, par la pression des événements. En prenant un peu de recul (ce qu'un universitaire sait faire), on s'aperçoit des différences très importantes d'allocations de ressources qui existent entre les différents secteurs de la sécurité sanitaire, précisément parce que nous n'avons pas de doctrine partagée.

Pour définir une politique de sécurité sanitaire, la question qui se pose à notre société, et dont nous devrions débattre collectivement, est la suivante : comment gouverne‑t‑on l'incertitude dans une société comme la nôtre ? L'exemple du prion auquel j'ai été confronté (mais je pourrais en prendre d'autres) m'apporte la réponse suivante : il est possible de parler d'incertitude à la population. Il n'est pas nécessaire de faire croire qu'on sait, alors qu'on ne sait pas. La France est un pays où, malgré des inégalités énormes, la population est relativement éduquée. Même si cela commence à dater, j'ai passé dix ans de ma vie dans les services de recherche médicale d'EDF, à un moment où une réelle interrogation portait sur le caractère cancérigène ou non des champs électromagnétiques, de 50 hertz, produits par l'électricité. Cette interrogation n'a pas totalement disparu, même si nous y voyons désormais beaucoup plus clair. J'ai mené des dizaines de débats publics à l'époque, non pas pour porter la parole d'EDF (qui n'avait d'ailleurs pas de conviction à ce sujet : les directeurs et présidents successifs disaient que leur conviction serait celle de la science), mais pour expliquer les programmes de recherche mis en place par EDF pour répondre à cette question. En même temps, lorsqu'on me demandait de rassurer la population, je m'y refusais. J'étais en train d'expliquer que des centaines de millions de francs de l'époque étaient investis dans un programme de recherche : il n'aurait pas été crédible de nier qu'ils répondaient à une préoccupation. J'assumais donc le fait de dire qu'on ne savait pas. Je reconnaissais qu'il était possible que l'électricité soit cancérigène : j'indiquais que nous le reconnaissions, et que nous travaillions dessus. J'ai tenu le même discours lorsque nous avons ouvert la ligne qui a permis de mettre en service la centrale de Civaux (qui est la dernière à avoir été construite en France). Même au fin fond du Poitou-Charentes, un tel discours est compris. Les gens vous remercient de ne pas essayer de les convaincre, mais de leur présenter les arguments favorables, les arguments plutôt rassurants, et les travaux que mène une entreprise comme EDF pour essayer de répondre à ces interrogations. C'est ce type de débats qui doit aboutir à l'élaboration d'une politique de sécurité sanitaire, qui soit partagée avec le pays et entre tous les ministères, et qui soit portée (au regard de l'importance du sujet) par le Premier ministre.

À mon sens, l'enjeu justifie la mise en place d'un véritable ministère du risque. Le ministère de la santé pourrait ainsi rester le ministère des soins : la tâche est suffisamment vaste. Le risque est aujourd'hui un objet de politique publique tellement dilué qu'il est rare de faire ce qu'il faut, au moment où il le faut, avec les moyens qu'il faut. En effet, nous sommes purement réactifs dans ce domaine. Nous ne sommes pas proactifs. Or, nous avons les moyens de l'être aujourd'hui. Mais il faudrait une réforme de l'organisation des pouvoirs publics et de l'État pour éviter que les plans présentés se réduisent à des effets d'annonce. De tels effets d'annonce, qui ne sont pas suivis d'effets réels, effondrent la confiance de la population. Et il est impossible de gérer du risque sans avoir la confiance de la population, car gérer du risque, c'est gérer de l'incertitude. En l'absence de confiance des parties prenantes, il est normal qu'elles demandent un surdimensionnement des moyens permettant d'assurer leur protection.

Grâce à la psychosociologie, à l'épidémiologie, à l'expologie, et au savoir-faire dont nous disposons en matière d'élaboration de politiques publiques, avec les modèles que j'ai évoqués, nous disposons aujourd'hui des moyens de faire bien mieux, sans que cela coûte plus cher. Cela coûterait même peut-être moins cher, mais se pose un vrai problème de gouvernance, de choix de priorités et de relation avec la population, les élus, les corps intermédiaires, les associations, etc. Nous avons la chance en France de disposer de tous ces interlocuteurs. Discuter avec des membres de France Nature Environnement, ou de l'Association française des hémophiles, n'est jamais une perte de temps. Ils ne se complaisent pas dans une position d'accusation, comme certains membres d'associations radicales, qui existent certes aussi, et avec lesquels il est très difficile d'avoir un dialogue construit.

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