Intervention de William Dab

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

William Dab, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur général de la santé :

Honnêtement et modestement, je ne suis pas sûr d'avoir la réponse à cette question.

Une expérience m'a beaucoup marqué. Peu après mon départ de la DGS, mon successeur Didier Houssin m'a demandé de réfléchir à un dispositif de débat sur les aspects de sécurité sanitaire des nanotechnologies. Il en a résulté une initiative qui s'est appelée le NanoForum du CNAM, dont les traces se retrouvent facilement sur Internet. Nous aurions pu aborder la question comme des universitaires chercheurs classiques : dresser une liste de thèmes et d'invités pour « porter la bonne parole », mais je commençais déjà à tirer les leçons de mon expérience des années précédentes, et à vouloir procéder autrement.

Pour ne pas émettre seul les propositions à cet égard, j'ai mis en place un comité de pilotage pluraliste, incluant la DGS, la direction générale de l'industrie, mais aussi Greenpeace, France Nature Environnement, différentes agences et des journalistes. Nous avons réalisé quelques séances de travail sur la manière de traiter cette question. Je refusais le modèle consistant à faire venir des experts pour nous dire ce qu'il faut penser, tandis que le public assisterait passivement aux séances, en croyant ou non les experts. Collectivement, nous avons ainsi construit le modèle suivant.

En premier lieu, chaque séance était préparée par un texte de problématique, qui ne prétendait pas affirmer la vérité, mais seulement indiquer les questions qui se posaient. La seule préparation d'un tel texte représente déjà énormément de travail. On ne prend pas suffisamment la peine d'élaborer les questions auxquelles on veut répondre. Lorsqu'on le fait, on s'aperçoit alors que, derrière les mêmes mots, les gens ne mettent pas les mêmes choses, et qu'une clarification est d'abord nécessaire à cet égard pour que le débat soit fructueux.

En deuxième lieu, une pluralité de points de vue était prévue à chaque séance du NanoForum : un point de vue scientifique, un point de vue industriel et éventuellement un point de vue associatif.

En troisième lieu, nous avions établi un protocole de bonne conduite. Les débats étaient ouverts, gratuits puisqu'ils avaient lieu au CNAM, mais, avant d'entrer dans la salle, les gens signaient un engagement de bonne conduite et de non-agression : on n'utilise pas l'insulte, on n'utilise pas l'invective, on s'écoute. À une occasion, en position d'animateur, j'ai dû suspendre les débats, parce que cette règle n'avait pas été respectée. J'ai rappelé que les participants avaient signé un engagement, et qu'ils étaient là pour s'écouter, non pour s'affronter ou s'insulter. La personne concernée s'est excusée, reconnaissant s'être laissée emporter. Dans ces conditions, j'ai laissé les débats reprendre. Même les industriels les plus mis en cause m'ont ensuite remercié pour le climat ainsi créé, parce qu'il changeait de la situation d'affrontement habituelle entre les « pour », les « contre », les « forts », les « faibles », etc. Ce protocole, qui devait être signé, a ainsi joué un rôle très important.

Enfin, tout ce qui était dit durant les séances du NanoForum était enregistré et retranscrit, de sorte que j'avertissais les participants qu'ils ne pourraient rien enlever aux propos qu'ils tiendraient. Ils devaient prendre la responsabilité de leurs propos. S'ils venaient à les regretter, une note pourrait être ajoutée en bas de page, mais ces propos ne seraient pas supprimés du compte rendu de la réunion. Je vous garantis que cela a un effet apaisant : les gens sont obligés de vraiment réfléchir à ce qu'ils disent. Ils savent que cela laissera une trace.

Je ne dis pas qu'il s'agit de la bonne méthode. C'est un modèle parmi d'autres.

Le NanoForum s'est arrêté à la demande des pouvoirs publics, qui le finançaient, à hauteur de quelques milliers d'euros. Nous n'avions pas besoin de grand-chose : organiser ce type d'événements relevait déjà de la mission du CNAM. Néanmoins, le gouvernement a fini par saisir la Commission nationale du débat public (CNDP), et nous a opposé qu'il ne pouvait exister deux instances de débat simultanées, ce que nous avons accepté. Nous avons alors écrit un testament du NanoForum, reprenant ce que nous y avions appris, mais surtout concernant les questions qui se posent à notre société pour gouverner le développement des nanotechnologies, dont tout le monde comprend l'importance. Ce débat est similaire à celui qui porte sur la 5G. Un pays sans nanotechnologie risque de devenir un « musée », mais au nom de cela, peut-on faire n'importe quoi en termes de sécurité sanitaire ? Non. Peut-on concilier un développement industriel et la protection de la santé ? Oui. Quel contenu donner au principe de précaution ? La France est imbattable en matière de principes : personne ne nous arrive à la cheville. Nous disposons ainsi d'un principe de précaution. Mais cela ne suffit évidemment pas. Il est d'ailleurs présent aussi dans les traités européens, et dans de très nombreuses lois, y compris à l'Organisation mondiale du commerce. L'important est de disposer d'une procédure de précaution. Le principe ne dit rien. Dans une situation d'incertitude, comment décide-t-on, en démocratie, de ce qu'on peut faire : avec l'aide de quelles mesures, de quels indicateurs d'alerte, de quelles procédures de suivi ? Des milliers d'heures de débat ont eu lieu sur la définition du principe de précaution, mais personne ne s'intéresse réellement à la procédure de précaution : comment décider sous incertitude dans une société comme la nôtre ?

La CNDP est repartie du modèle classique, avec des sachants qui parlent et un public qui écoute. Comme vous vous en rappelez peut-être, elle n'a pas pu terminer son travail, parce que les débats de la CNDP ont été sabotés par des associations radicales. Les dernières réunions de la CNDP se faisaient sous la protection des CRS. On ne peut pas concerter de cette manière.

Il est donc possible de faire évoluer le modèle. Dans le cadre du NanoForum du CNAM, j'avais contacté les associations radicales, notamment l'association Pièces et main d'œuvre, qui était très connue à l'époque, mais dont je n'ai plus entendu parler depuis longtemps. À la lecture de ses textes, il était évident que des scientifiques les avaient écrits, et qu'ils savaient de quoi ils parlaient. Je les ai invités au comité de pilotage : ils n'ont pas voulu y venir, indiquant qu'ils étaient radicalement opposés au fonctionnement de l'État en France. Pour autant, aucune des réunions du NanoForum n'a été sabotée. Je ne dis pas qu'il s'agit du modèle à suivre, mais c'en est un. Dès la conception du débat, il faut associer les parties prenantes. L'organisation même du débat ne doit pas être une production administrative ou politique. Le plus important dans un débat, dans une concertation, c'est la méthode d'élaboration des questions, et elle doit être partagée. Disposer d'un code de bonne conduite, qui a été discuté, a réellement un effet apaisant. Il est possible de dire aux participants qu'ils sont là pour s'écouter, et qu'ils peuvent réserver leurs affrontements pour les plateaux de télévision, qui ne manquent pas. Si on participe à ce débat, c'est pour apprendre de l'autre et pouvoir s'exprimer soi-même, le temps qu'il faut et de manière raisonnable, sans être jamais interrompu. Ces procédures produisent de la confiance et facilitent le débat. D'autres personnes (Michel Callon, Pierre Lascoumes, etc.) ont eu des expériences intéressantes de ce type. En réalisant un partage de ces expériences, il serait possible d'élaborer un protocole de construction d'un débat public qui produirait des situations moins stériles et stéréotypées que celles que vous évoquiez. Il faut à cette fin changer de paradigme dans la manière dont on discute avec la population.

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