Intervention de Robert Barouki

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris :

Je parlerai surtout de recherche, mais je pense que la santé environnementale est un domaine où l'interface entre la recherche et la décision publique est particulièrement importante et délicate. Nous sommes souvent dans une situation d'incertitude et il est parfois difficile de savoir à quel niveau d'incertitude nous sommes. Cela entraîne des controverses.

La période est assez propice sur le plan politique. Le programme européen Green Deal et les programmes qui l'accompagnent, comme la stratégie chimique pour une durabilité Chemicals – strategy for sustainability, qui sera publiée dans une semaine, ou le programme de la fourche à la fourchette, Farm to fork strategy, constituent une opportunité politique. Même si la pandémie est un évènement malheureux, le plan de relance donne également une opportunité de revisiter nos attitudes et nos stratégies. Nous en sommes donc, dans ce domaine, à un instant « charnière ».

Comment la recherche peut-elle s'inscrire dans ce processus et où en sommes-nous ? En France, nous avons des approches assez positives sur certains plans et négatives sur d'autres. Pour détailler, je pense que, dans le domaine de l'interaction entre la science et la décision publique, nous avons des outils utiles, mais qui ne fonctionnent pas à 100 %.

Ainsi, le groupe santé-environnement (GSE) que vous connaissez très bien, madame la présidente, est une interface entre les scientifiques, les représentants de la société civile, les ministères, les parlementaires, les organisations non gouvernementales (ONG) et les entreprises. Ce GSE est assez unique en Europe ; c'est un lieu de dialogue utile et nous retrouvons cette approche dans les différents plans et les différentes stratégies. Ce point est positif et je pense que c'est très bien en termes de délibération.

En revanche, nous pêchons sur l'aspect plus exécutif et la traduction pratique des plans. De grands principes sont énoncés par la recherche, mais leur application et la coordination de cette application sont absentes ou, en tout cas, insuffisantes. L'outil global existe donc, c'est une sorte du parlement du système, mais il nous manque l'exécution pratique.

De plus, nous sommes gouvernés, en France – dans le domaine santé-environnement – par des plans, dont le plus important est le plan national santé environnement (PNSE). Toutefois, de nombreuses stratégies l'entourent, comme la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, la santé au travail, la chlordécone… D'autres pays nous jalousent de disposer d'une telle stratégie, en termes de recherche et de décision publique, mais, à nouveau, la traduction pratique est insuffisante. Le morcellement des plans n'est pas utile et je pense que nous devons, lors de notre réflexion sur le PNSE4, le concevoir comme une sorte de bateau amiral avec une vision globale à laquelle nous rattacherons les plans annexes pour avoir une cohérence de la politique publique.

Pour revenir à l'aspect purement recherche, la recherche dans le domaine santé-environnement est présente en France dans de nombreuses institutions différentes et cela est normal. En tant que tel, cela ne pose pas de problème. Il est normal que l'INSERM, l'institut de la recherche agronomique (INRA), le centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)… fassent de la recherche dans ce domaine.

Le financement de cette recherche est lui aussi morcelé. Une partie du financement provient de l'agence nationale de la recherche (ANR) dans des programmes génériques auxquels peuvent candidater ceux qui font de la recherche dans le domaine santé-environnement. Ce domaine fait partie des axes de recherche de l'ANR, mais celle-ci ne le sépare pas des autres programmes et aucun financement spécifique de cet axe n'est garanti. L'ANR a pris cette décision depuis longtemps et elle est soutenue par de nombreux scientifiques qui ne souhaitent pas une ANR découpée en différentes spécialités. Ils préfèrent qu'elle garde un programme Blanc très large. Cela permet à ceux qui ont des projets dans différents domaines de venir concourir et, ensuite, l'ANR classe les projets en fonction de leur qualité. C'est la stratégie actuelle, mais cela n'a pas toujours été le cas.

J'ai moi-même dirigé, voici plus de dix ans, une commission de l'ANR sur un programme très spécifique qui s'appelait « Contaminants, écosystèmes, santé, adaptation » (CESA). Nous faisions alors un appel à projets spécifique sur les problématiques de toxicologie, d'écotoxicologie, d'épidémiologie environnementale. Nous disposions d'une enveloppe à peu près sûre. La stratégie change. L'ANR continue à soutenir des projets, mais sans garantie en termes de fonds globaux.

L'ANSES a également son plan, le plan national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST). Des plans sur les perturbateurs endocriniens ont été prévus tous les deux ou trois ans. L'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) finance également la recherche.

La multiplicité de financeurs de la santé environnementale ne me pose a priori pas de problème, parce que les objectifs sont différents. Il est normal qu'une agence sanitaire ait des problématiques propres et lance un appel à projets pour régler celles-ci. Toutefois, d'un point de vue global, il serait intéressant d'avoir plus de coordination entre ces différents appels, même s'ils ont des finalités distinctes.

Puisque nous avons une agence de la recherche, il est normal que ce soit au niveau de cette agence que la stratégie de recherche soit financée, cette stratégie étant définie par des alliances de recherche qui ont d'ailleurs, dans l'ensemble, une politique assez favorable à la santé environnementale. Tout ceci manque de coordination et d'une volonté forte d'aller dans ce sens. Le terme « volonté » n'est peut-être pas excellent, car il existe bien une volonté, mais il faut qu'elle se traduise en pratique.

Par exemple, les plans d'investissement d'avenir ont apporté beaucoup de moyens à nombre de chercheurs. Il faut le reconnaître et c'est très bien. Mais il n'a jamais existé de véritable plan dans le champ santé-environnement. Lors de nos candidatures, nous nous sommes toujours trouvés plus ou moins « sous la barre », parce qu'il fallait un équilibre entre les différents champs disciplinaires, entre biologie, médecine, chimie, physique… La santé environnementale n'a pas le même prestige que d'autres disciplines, comme la neurologie ou la génétique. Connaissant bien la toxicologie, je vois effectivement que les publications en toxicologie, en génétique ou en immunologie ne sont pas au même niveau. Cela n'empêche pas d'avoir une véritable volonté de développer les disciplines et de les amener à un plus haut niveau. Je serais ravi d'y participer : j'ai beaucoup réfléchi à ces questions dans le passé.

Nous avons eu quelques succès au plan européen, par exemple dans la coordination du programme HERA. Ce n'est pas par hasard si quelqu'un de l'INSERM coordonne un programme européen dont le but est tout de même très ambitieux. Il s'agit de proposer un agenda de recherche à la Commission pour les dix ou vingt ans à venir, à un moment charnière comme aujourd'hui. Nous avons ainsi pu gagner des programmes européens qui sont pilotés par la France.

Je ne dis pas que la France n'était auparavant pas présente dans des projets européens, mais j'ai personnellement beaucoup œuvré pour que nous prenions l'initiative de piloter des projets, d'être leaders. Je dois avouer que ce domaine de la santé environnementale a traditionnellement été beaucoup plus dominé, à l'échelle européenne, par les pays du Nord. Les Hollandais et les Anglais ont été très forts et les Scandinaves extrêmement forts.

Par exemple, neuf projets sur l'exposome ont été financés l'année dernière. Parmi eux, huit projets sont hollandais, anglais ou scandinaves et un projet est belge. Je parle de direction et non de participation : d'autres pays participent évidemment à ces projets. Un seul projet est dirigé par la France et aucun par les pays du Sud. De même, pour les perturbateurs endocriniens, une personne de mon laboratoire a obtenu de coordonner un projet, il y a un an et demi, et nous sommes les coordonnateurs les plus au Sud. Les autres viennent de Hollande, de Scandinavie, d'Angleterre.

La bonne nouvelle est que mes collègues suédois m'ont dit : « Voici dix ans, nous ne voyions pas la France dans le radar. Nous voyions quelques équipes françaises qui pouvaient participer et elles participaient. Maintenant, vous êtes complètement dans le radar de l'Europe. »

Ainsi, il existe un grand programme européen de biosurveillance nommé HBM4EU pour Human biomonitoring, c'est-à-dire le dosage et la surveillance des contaminants qui concernent l'être humain. Ce plan regroupe une trentaine de pays européens et est coordonné par l'Allemagne, qui a historiquement le programme de biosurveillance le plus développé. Santé publique France a certes un très bon programme, mais l'Allemagne le pratique depuis beaucoup plus longtemps. À l'INSERM, je coordonne le pilier recherche du programme HBM4EU, c'est-à-dire non seulement la plateforme pour faire ces dosages mais aussi la façon d'exploiter ces dosages. Il s'agit de savoir ce que signifie, en termes de santé, la présence de tel ou tel pesticide dans le sang et d'où cela vient. Nous avons beaucoup insisté pour essayer de mieux comprendre ces points et c'est l'INSERM qui coordonne cette partie du programme, avec le CNRS, l'INRA, l'ANSES, Santé publique France et d'autres.

Les huit institutions françaises concernées travaillent très bien ensemble, à tel point que ce programme aura une suite. Il s'agira d'un grand partenariat sur la biosurveillance et la toxicologie. Ce grand partenariat qui devait, par la volonté de l'Europe, être dirigé par une agence sanitaire, pour avoir une orientation très appliquée aux besoins des agences nationales et européennes, sera dirigé par l'ANSES. C'est une excellente nouvelle. Si nous avions été mauvais dans HBM4EU, nous ne l'aurions pas obtenu. Nous avons donc « gagné des points » sur le plan européen. Des institutions de recherche et des agences nous ont soutenus, les départements spécialisés dans les ministères nous ont aussi beaucoup aidés. Je pense que nous avons ainsi l'opportunité de développer également ces travaux dans notre pays.

Je suis donc très favorable à ce que, dans le cadre du PNSE4 et sous la houlette du GSE, nous fassions un grand effort national sur la recherche en santé environnementale. Comme nous l'avons signalé dans le rapport de l'INSERM, nous sommes loin d'avoir une vision suffisante. Par exemple, nous avons des connaissances, en gros, sur quelques centaines de produits chimiques alors que des dizaines de milliers de produits sont enregistrés dans le système Registration, evaluation and authorization of chemicals (REACH). Pour de très nombreux produits, nous n'avons que peu d'informations ou seulement l'information fournie par l'industriel qui a proposé la substance.

De plus, nous ne savons pas gérer le problème des mélanges de substances qui est pourtant une grave question, même en termes de santé publique. Nous continuons à faire comme si la question se posait substance par substance. Les organismes de recherche s'intéressent au problème des mélanges, mais nous n'avons pas suffisamment de connaissances. Par ailleurs, nous ne mettons pas vraiment en évidence les substances qui émergent. Il faut que nous développions des outils pour le faire.

Ce n'est pas seulement un problème de coordination. C'est réellement un problème de moyens. Il faut évidemment que les moyens soient bien utilisés et donc que nous ayons une coordination, mais nous manquons de moyens. Certains de mes collègues américains font remarquer que, en génétique, nous avons énormément de connaissances, nous séquençons tout notre génome, nous connaissons pratiquement toutes les variantes entre les différents humains, même si nous ne savons pas toujours les interpréter. Dans les problématiques environnementales, nous en sommes très loin. Nous ne connaissons que quelques centaines de produits chimiques alors que nous pourrions en connaître et en détecter beaucoup plus. De même que nous avons conçu un programme international pour étudier le génome humain, il faut sans doute concevoir un programme sur l'exposome, pas uniquement en termes de coordination, mais aussi avec des moyens pratiques.

La notion d'exposome regroupe l'ensemble des expositions. Il s'agit d'avoir une vision intégrée et non que chacun travaille dans son coin, sur les produits chimiques, sur le changement climatique ou sur les stress liés au bruit… L'objectif que l'INSERM a proposé au PNSE est d'avoir une vision intégrée, globale, car l'exposome ne concerne pas uniquement la recherche mais s'intègre aussi dans la décision publique. Il est d'ailleurs présent dans la loi. Nous proposons donc d'avoir un vrai programme « Exposome » pour avancer dans ce domaine, faire « diminuer les trous et même les gros trous présents dans la raquette » des connaissances, afin de pouvoir guider la décision publique.

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