Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • ANR
  • INSERM
  • chercheur
  • laboratoire
  • toxicologie
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La réunion

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L'audition débute à neuf heures trente.

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Nous accueillons M. le professeur Robert Barouki, professeur des universités et praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris.

Professeur, vous dirigez l'unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) intitulée « Toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire ». Vous dirigez également le programme européen Health Environment Research Agenda (HERA) chargé de proposer à la Commission européenne des priorités de recherche sur l'environnement et la santé pour les années 2020-2030. Vous avez assuré le pilotage du groupe de travail de l'INSERM qui a réfléchi à une préfiguration du volet recherche du prochain plan national santé-environnement (PNSE). Votre audition à titre d'expert et de scientifique est très précieuse pour notre commission, d'autant plus que vous êtes spécialisé dans les questions de perturbateurs endocriniens.

Dans le rapport de préfiguration de l'INSERM, vous soulignez que « la connaissance des expositions, de leurs effets et des mécanismes sous-jacents n'en est encore qu'à ses débuts et ne permet donc pas encore de faire une analyse suffisamment approfondie et pertinente des contributions de tous les facteurs environnementaux, ni de les hiérarchiser en termes de risque sanitaire ». Comment avancer dans cette connaissance ?

(M. Robert Barouki prête serment.)

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je parlerai surtout de recherche, mais je pense que la santé environnementale est un domaine où l'interface entre la recherche et la décision publique est particulièrement importante et délicate. Nous sommes souvent dans une situation d'incertitude et il est parfois difficile de savoir à quel niveau d'incertitude nous sommes. Cela entraîne des controverses.

La période est assez propice sur le plan politique. Le programme européen Green Deal et les programmes qui l'accompagnent, comme la stratégie chimique pour une durabilité Chemicals – strategy for sustainability, qui sera publiée dans une semaine, ou le programme de la fourche à la fourchette, Farm to fork strategy, constituent une opportunité politique. Même si la pandémie est un évènement malheureux, le plan de relance donne également une opportunité de revisiter nos attitudes et nos stratégies. Nous en sommes donc, dans ce domaine, à un instant « charnière ».

Comment la recherche peut-elle s'inscrire dans ce processus et où en sommes-nous ? En France, nous avons des approches assez positives sur certains plans et négatives sur d'autres. Pour détailler, je pense que, dans le domaine de l'interaction entre la science et la décision publique, nous avons des outils utiles, mais qui ne fonctionnent pas à 100 %.

Ainsi, le groupe santé-environnement (GSE) que vous connaissez très bien, madame la présidente, est une interface entre les scientifiques, les représentants de la société civile, les ministères, les parlementaires, les organisations non gouvernementales (ONG) et les entreprises. Ce GSE est assez unique en Europe ; c'est un lieu de dialogue utile et nous retrouvons cette approche dans les différents plans et les différentes stratégies. Ce point est positif et je pense que c'est très bien en termes de délibération.

En revanche, nous pêchons sur l'aspect plus exécutif et la traduction pratique des plans. De grands principes sont énoncés par la recherche, mais leur application et la coordination de cette application sont absentes ou, en tout cas, insuffisantes. L'outil global existe donc, c'est une sorte du parlement du système, mais il nous manque l'exécution pratique.

De plus, nous sommes gouvernés, en France – dans le domaine santé-environnement – par des plans, dont le plus important est le plan national santé environnement (PNSE). Toutefois, de nombreuses stratégies l'entourent, comme la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, la santé au travail, la chlordécone… D'autres pays nous jalousent de disposer d'une telle stratégie, en termes de recherche et de décision publique, mais, à nouveau, la traduction pratique est insuffisante. Le morcellement des plans n'est pas utile et je pense que nous devons, lors de notre réflexion sur le PNSE4, le concevoir comme une sorte de bateau amiral avec une vision globale à laquelle nous rattacherons les plans annexes pour avoir une cohérence de la politique publique.

Pour revenir à l'aspect purement recherche, la recherche dans le domaine santé-environnement est présente en France dans de nombreuses institutions différentes et cela est normal. En tant que tel, cela ne pose pas de problème. Il est normal que l'INSERM, l'institut de la recherche agronomique (INRA), le centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)… fassent de la recherche dans ce domaine.

Le financement de cette recherche est lui aussi morcelé. Une partie du financement provient de l'agence nationale de la recherche (ANR) dans des programmes génériques auxquels peuvent candidater ceux qui font de la recherche dans le domaine santé-environnement. Ce domaine fait partie des axes de recherche de l'ANR, mais celle-ci ne le sépare pas des autres programmes et aucun financement spécifique de cet axe n'est garanti. L'ANR a pris cette décision depuis longtemps et elle est soutenue par de nombreux scientifiques qui ne souhaitent pas une ANR découpée en différentes spécialités. Ils préfèrent qu'elle garde un programme Blanc très large. Cela permet à ceux qui ont des projets dans différents domaines de venir concourir et, ensuite, l'ANR classe les projets en fonction de leur qualité. C'est la stratégie actuelle, mais cela n'a pas toujours été le cas.

J'ai moi-même dirigé, voici plus de dix ans, une commission de l'ANR sur un programme très spécifique qui s'appelait « Contaminants, écosystèmes, santé, adaptation » (CESA). Nous faisions alors un appel à projets spécifique sur les problématiques de toxicologie, d'écotoxicologie, d'épidémiologie environnementale. Nous disposions d'une enveloppe à peu près sûre. La stratégie change. L'ANR continue à soutenir des projets, mais sans garantie en termes de fonds globaux.

L'ANSES a également son plan, le plan national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNR EST). Des plans sur les perturbateurs endocriniens ont été prévus tous les deux ou trois ans. L'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) finance également la recherche.

La multiplicité de financeurs de la santé environnementale ne me pose a priori pas de problème, parce que les objectifs sont différents. Il est normal qu'une agence sanitaire ait des problématiques propres et lance un appel à projets pour régler celles-ci. Toutefois, d'un point de vue global, il serait intéressant d'avoir plus de coordination entre ces différents appels, même s'ils ont des finalités distinctes.

Puisque nous avons une agence de la recherche, il est normal que ce soit au niveau de cette agence que la stratégie de recherche soit financée, cette stratégie étant définie par des alliances de recherche qui ont d'ailleurs, dans l'ensemble, une politique assez favorable à la santé environnementale. Tout ceci manque de coordination et d'une volonté forte d'aller dans ce sens. Le terme « volonté » n'est peut-être pas excellent, car il existe bien une volonté, mais il faut qu'elle se traduise en pratique.

Par exemple, les plans d'investissement d'avenir ont apporté beaucoup de moyens à nombre de chercheurs. Il faut le reconnaître et c'est très bien. Mais il n'a jamais existé de véritable plan dans le champ santé-environnement. Lors de nos candidatures, nous nous sommes toujours trouvés plus ou moins « sous la barre », parce qu'il fallait un équilibre entre les différents champs disciplinaires, entre biologie, médecine, chimie, physique… La santé environnementale n'a pas le même prestige que d'autres disciplines, comme la neurologie ou la génétique. Connaissant bien la toxicologie, je vois effectivement que les publications en toxicologie, en génétique ou en immunologie ne sont pas au même niveau. Cela n'empêche pas d'avoir une véritable volonté de développer les disciplines et de les amener à un plus haut niveau. Je serais ravi d'y participer : j'ai beaucoup réfléchi à ces questions dans le passé.

Nous avons eu quelques succès au plan européen, par exemple dans la coordination du programme HERA. Ce n'est pas par hasard si quelqu'un de l'INSERM coordonne un programme européen dont le but est tout de même très ambitieux. Il s'agit de proposer un agenda de recherche à la Commission pour les dix ou vingt ans à venir, à un moment charnière comme aujourd'hui. Nous avons ainsi pu gagner des programmes européens qui sont pilotés par la France.

Je ne dis pas que la France n'était auparavant pas présente dans des projets européens, mais j'ai personnellement beaucoup œuvré pour que nous prenions l'initiative de piloter des projets, d'être leaders. Je dois avouer que ce domaine de la santé environnementale a traditionnellement été beaucoup plus dominé, à l'échelle européenne, par les pays du Nord. Les Hollandais et les Anglais ont été très forts et les Scandinaves extrêmement forts.

Par exemple, neuf projets sur l'exposome ont été financés l'année dernière. Parmi eux, huit projets sont hollandais, anglais ou scandinaves et un projet est belge. Je parle de direction et non de participation : d'autres pays participent évidemment à ces projets. Un seul projet est dirigé par la France et aucun par les pays du Sud. De même, pour les perturbateurs endocriniens, une personne de mon laboratoire a obtenu de coordonner un projet, il y a un an et demi, et nous sommes les coordonnateurs les plus au Sud. Les autres viennent de Hollande, de Scandinavie, d'Angleterre.

La bonne nouvelle est que mes collègues suédois m'ont dit : « Voici dix ans, nous ne voyions pas la France dans le radar. Nous voyions quelques équipes françaises qui pouvaient participer et elles participaient. Maintenant, vous êtes complètement dans le radar de l'Europe. »

Ainsi, il existe un grand programme européen de biosurveillance nommé HBM4EU pour Human biomonitoring, c'est-à-dire le dosage et la surveillance des contaminants qui concernent l'être humain. Ce plan regroupe une trentaine de pays européens et est coordonné par l'Allemagne, qui a historiquement le programme de biosurveillance le plus développé. Santé publique France a certes un très bon programme, mais l'Allemagne le pratique depuis beaucoup plus longtemps. À l'INSERM, je coordonne le pilier recherche du programme HBM4EU, c'est-à-dire non seulement la plateforme pour faire ces dosages mais aussi la façon d'exploiter ces dosages. Il s'agit de savoir ce que signifie, en termes de santé, la présence de tel ou tel pesticide dans le sang et d'où cela vient. Nous avons beaucoup insisté pour essayer de mieux comprendre ces points et c'est l'INSERM qui coordonne cette partie du programme, avec le CNRS, l'INRA, l'ANSES, Santé publique France et d'autres.

Les huit institutions françaises concernées travaillent très bien ensemble, à tel point que ce programme aura une suite. Il s'agira d'un grand partenariat sur la biosurveillance et la toxicologie. Ce grand partenariat qui devait, par la volonté de l'Europe, être dirigé par une agence sanitaire, pour avoir une orientation très appliquée aux besoins des agences nationales et européennes, sera dirigé par l'ANSES. C'est une excellente nouvelle. Si nous avions été mauvais dans HBM4EU, nous ne l'aurions pas obtenu. Nous avons donc « gagné des points » sur le plan européen. Des institutions de recherche et des agences nous ont soutenus, les départements spécialisés dans les ministères nous ont aussi beaucoup aidés. Je pense que nous avons ainsi l'opportunité de développer également ces travaux dans notre pays.

Je suis donc très favorable à ce que, dans le cadre du PNSE4 et sous la houlette du GSE, nous fassions un grand effort national sur la recherche en santé environnementale. Comme nous l'avons signalé dans le rapport de l'INSERM, nous sommes loin d'avoir une vision suffisante. Par exemple, nous avons des connaissances, en gros, sur quelques centaines de produits chimiques alors que des dizaines de milliers de produits sont enregistrés dans le système Registration, evaluation and authorization of chemicals (REACH). Pour de très nombreux produits, nous n'avons que peu d'informations ou seulement l'information fournie par l'industriel qui a proposé la substance.

De plus, nous ne savons pas gérer le problème des mélanges de substances qui est pourtant une grave question, même en termes de santé publique. Nous continuons à faire comme si la question se posait substance par substance. Les organismes de recherche s'intéressent au problème des mélanges, mais nous n'avons pas suffisamment de connaissances. Par ailleurs, nous ne mettons pas vraiment en évidence les substances qui émergent. Il faut que nous développions des outils pour le faire.

Ce n'est pas seulement un problème de coordination. C'est réellement un problème de moyens. Il faut évidemment que les moyens soient bien utilisés et donc que nous ayons une coordination, mais nous manquons de moyens. Certains de mes collègues américains font remarquer que, en génétique, nous avons énormément de connaissances, nous séquençons tout notre génome, nous connaissons pratiquement toutes les variantes entre les différents humains, même si nous ne savons pas toujours les interpréter. Dans les problématiques environnementales, nous en sommes très loin. Nous ne connaissons que quelques centaines de produits chimiques alors que nous pourrions en connaître et en détecter beaucoup plus. De même que nous avons conçu un programme international pour étudier le génome humain, il faut sans doute concevoir un programme sur l'exposome, pas uniquement en termes de coordination, mais aussi avec des moyens pratiques.

La notion d'exposome regroupe l'ensemble des expositions. Il s'agit d'avoir une vision intégrée et non que chacun travaille dans son coin, sur les produits chimiques, sur le changement climatique ou sur les stress liés au bruit… L'objectif que l'INSERM a proposé au PNSE est d'avoir une vision intégrée, globale, car l'exposome ne concerne pas uniquement la recherche mais s'intègre aussi dans la décision publique. Il est d'ailleurs présent dans la loi. Nous proposons donc d'avoir un vrai programme « Exposome » pour avancer dans ce domaine, faire « diminuer les trous et même les gros trous présents dans la raquette » des connaissances, afin de pouvoir guider la décision publique.

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Vous décrivez finalement de multiples démarches de recherche très dispersées, portées par de nombreux laboratoires, avec une carence de financement notamment de l'ANR. Selon vous, l'ANR devrait être au cœur du dispositif, mais elle ne semble pas en avoir les moyens. Existe-t-il actuellement une cartographie de tous les programmes de recherche qui touchent de près ou de loin à la santé environnementale ? Quels sont leurs financements et combien d'argent y est injecté ? Ces programmes sont-ils rattachés à des agences, à des ministères ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je pense que l'ANR finance une quinzaine de projets dans le domaine de la santé environnementale chaque année, ce qui représente 7 ou 8 millions d'euros. L'ANR vous donnera sans doute des chiffres beaucoup plus précis. Les responsables de l'ANR organisent tous les projets qui leur sont soumis en petits comités d'étude et d'analyse. Ils savent donc très précisément ce qu'ils financent. En regroupant épidémiologie et toxicologie, je pense que l'ANR finance dix à quinze projets.

Cela dépend des années, l'ANR étant passé par une phase durant laquelle, dans tous les domaines, le pourcentage de réussite des dossiers soumis était ridiculement faible à 9 %. Les chercheurs passaient donc énormément de temps à concevoir de gros projets et très peu réussissaient. À cette époque, le financement de la santé environnementale a parfois été très faible. Il a augmenté ces dernières années, mais reste très en deçà des besoins. D'autres disciplines feront certes le même commentaire pour elles-mêmes mais, compte tenu des enjeux de la santé environnementale, je trouve que c'est insuffisant.

L'ANSES apporte un financement qui était d'environ 5 millions d'euros voici quelques années. Elle finance plus de projets mais des projets plus petits. Je crois que le financement de l'ANSES atteint désormais 7 ou 8 millions d'euros, parce que 2 millions d'euros ont été donnés pour l'étude des perturbateurs endocriniens depuis deux ans, mais je ne sais pas combien de temps cela durera et nous ne pouvons donc pas nous projeter dans l'avenir.

L'ANSES a réussi à obtenir ce volume de financement, parce qu'il agrège toute une série de demandes. Une partie du financement provient de l'Institut national du cancer (INCa) et doit aller vers des projets liés au cancer. Une autre partie du financement provient de programmes sur les ondes électromagnétiques et doit financer des projets liés à ce domaine. Il existe un financement plus générique sur les produits chimiques qui est plus ouvert. Même en atteignant 8 millions, ce financement est équivalent à celui d'un seul programme européen moyen.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Par exemple, le programme coordonné par mon laboratoire porte sur la façon dont les perturbateurs endocriniens affectent le métabolisme et l'obésité. Nous disposons d'un financement de 6 millions d'euros, une douzaine ou une quinzaine de partenaires en Europe. Le programme Exposome auquel j'ai participé il y a quelques années disposait d'un financement de 13 millions d'euros.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Il faut principalement payer des gens pour effectuer les travaux, payer des post-doctorants, des ingénieurs. Un post-doctorant d'un programme européen coûte 60 000 à 70 000 euros par an au total. Si le programme dure quatre ans, il faut multiplier par quatre. Vous voyez tout de suite la somme atteinte lorsqu'un laboratoire recrute deux post-doctorants. Je précise que, lorsque j'ai indiqué une somme de 6 millions d'euros pour le programme sur les perturbateurs endocriniens, il s'agit du total sur quatre ans alors que le chiffre que j'ai donné pour l'ANSES vaut pour un an.

Cela vous donne une idée du volume total dépensé. L'ANR et l'ANSES sont les plus gros financeurs. Il existe des programmes plus spécifiques. Je ne connais pas les chiffres de l'ADEME. Avant que le programme sur les perturbateurs endocriniens ne passe sous la responsabilité de l'ANSES, il disposait de 1,5 million d'euros environ tous les deux ou trois ans.

Aux États-Unis, un pays dans lequel les problématiques d'environnement et de santé ne sont pas les plus mises en avant par l'administration actuelle, il existe au National Institutes of Health (NIH) – qui est l'équivalent de l'INSERM – une section environnement-santé nommée National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) qui a un budget de 700 millions de dollars par an. Le NIEHS finance en intra-muros et finance aussi des projets extérieurs. Cela s'ajoute aux autres financements existant aux États-Unis, puisqu'un projet de santé-environnement peut être présenté au NIH global et non au NIEHS. À l'échelle française, cela correspondrait à 100 ou 120 millions d'euros.

Les États-Unis ont ainsi une avance importante. Cela leur permet d'avoir le journal le plus prestigieux dans le domaine santé-environnement et leur donne un certain pouvoir. Par ailleurs, leurs activités sont assez coordonnées par le NIEHS. De plus, il existe au NHS deux autres centres, le premier spécialisé dans le domaine santé-travail, le second – indépendant du NHS – travaillant sur les problèmes éco-toxicologiques et non sur la santé humaine.

En France, il faudrait faire le total des financements de l'ANR, de l'ANSES et de ce que nous obtenons des programmes européens. C'est la raison pour laquelle j'ai beaucoup insisté pour que nous dirigions des programmes européens. Cela permet d'avoir plus de budget et d'agréger des collègues français. Dans le programme HERA, nous sommes au total vingt-trois partenaires, parmi lesquels j'ai réussi à mettre quatre ou cinq partenaires français, tels que le CNRS, l'INSERM, l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l'ANSES. Trois ou quatre institutions françaises participent au programme Oberon sur les perturbateurs endocriniens. C'est bien, mais nous ne pouvons pas non plus être trop nombreux, sinon cela déséquilibrerait le programme.

Nous candidatons en fait à de nombreux programmes européens, mais nous n'en avons que peu. La compétition est très forte. De plus, il existe des réseaux constitués, qui sont très forts, qui ont déjà eu de l'argent européen et qui recandidatent. Ils ont de l'avance, ils peuvent montrer ce qu'ils ont déjà fait. Comme nous n'étions pas très présents il y a dix ans, nous sommes des challengers pratiquement sur tous les programmes. Nous y parvenons parfois, mais pas souvent. Il faut encourager la multiplicité des propositions. Je pense que nos chercheurs ont maintenant plus de volonté d'y aller. Il existait des barrages historiques, les chercheurs trouvaient plus facile de candidater à l'ANR, hésitaient à cause de l'anglais… Cela change. Si je souhaite coordonner un programme européen, j'ai maintenant tout de suite le soutien d'INSERM Transfert qui est une organisation dépendante de l'INSERM, mais privée, dont la mission est d'aider à soumissionner à un programme européen. C'est nécessaire, nous ne pouvons pas le faire seuls car c'est trop compliqué. Le fonctionnement est similaire à l'INRA et au CNRS.

Je ne veux donc surtout pas brosser un paysage trop noir. Avec des efforts, cela marche, mais je suis quand même surpris qu'il n'existe pas de soutien pour la santé environnementale dans le programme d'investissements d'avenir. Le programme a certes donné un financement à des études de cohortes, mais ce sont des cohortes génériques et non spécifiques au domaine de la santé et de l'environnement. Nous demandons depuis longtemps la création d'un programme prioritaire de recherches (PPR) faisant partie du programme des investissements d'avenir et orienté sur le domaine santé-environnement. Ce doit être un PPR, c'est-à-dire un programme très ouvert fonctionnant par appels à projets, organisé par objectifs. Cela peut être un bon moyen de centraliser, au sens de créer un corpus d'appels à projets orientés vers la santé et l'environnement, coordonnés avec l'ANR, l'ANSES…

Nous avons proposé, dans la vision INSERM, un outil de coordination à l'image de ce qui existe dans d'autres PPR ou d'autres thématiques comme l'antibiorésistance. Il existe dans ce domaine une gouvernance de la recherche qui fonctionne bien. Puisque cela existe et que cela fonctionne, il n'est pas utile de réinventer un autre système. L'antibiorésistance est certes un problème fondamental mais, comparativement, le domaine de la santé environnementale est énorme. C'est très bien qu'il existe des PPR sur l'antibiorésistance, sur la sortie des pesticides, mais c'est curieux qu'il n'existe rien sur la santé environnementale, sur l'impact des pesticides, des perturbateurs endocriniens, du bruit… sur la santé. Nous le demandons depuis longtemps, avec le soutien de nos organismes.

Nous pouvons trouver tous les modes de gouvernance possibles, mais si nous ne mettons pas de moyens, cela ne fonctionne pas. Il ne suffit pas de dire « Coordonnez-vous ! ». J'ai cité le programme de biosurveillance européen. Il comporte un nœud français regroupant presque tous les organismes impliqués, soit huit établissements. Nous avons des moyens, pas mal de Français en font partie et nous nous réunissons quatre fois par an. Nous discutons vraiment bien, les jeunes se connaissent maintenant et cela a créé une véritable dynamique. Cela a poussé à créer d'autres projets, notamment à monter une infrastructure française sur l'exposome chimique. Nous avons là aussi besoin de soutien ; le projet est au ministère.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Le projet est au ministère de la recherche. Sur le fond, les responsables sont plutôt d'accord. Cela concerne principalement les laboratoires de Rennes et de Nantes, un peu celui de Saclay. Ils ont monté une belle infrastructure capable de devenir leader en Europe. Nous partons d'un acquis déjà solide, avec l'INSERM, l'INRAE, l'école vétérinaire de Nantes, l'institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET), l'école des hautes études en santé publique (EHESP). Comme je vous l'ai déjà dit, nous ne connaissons que peu le sujet et cette plateforme pourra détecter des émergences, analyser à très grande échelle les substances auxquelles nous sommes exposés dans le sang humain. Elle travaillera avec des cohortes, pourra travailler avec la clinique qui est un aspect n'étant pas encore entré dans ce monde.

C'est actuellement mon sujet favori. À l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), nous avons réussi à créer un petit groupe qui s'occupe de santé-environnement. Il fonctionne bien et implique du personnel non nécessairement médical. Les sages-femmes sont très à la pointe et nous avons un programme « Éco-maternité » auquel plusieurs hôpitaux sont déjà inscrits, ce qui ralliera tous les autres hôpitaux. Nous aurons donc des « éco-maternités » un peu partout. Je suis très heureux d'y avoir un peu contribué et d'y contribuer encore en essayant de monter un programme sur l'exposome fœtal. J'ai la chance d'être à l'hôpital Necker dans une maternité qui traite beaucoup de problèmes fœtaux, qui est spécialisée dans les malformations et les problématiques fœtales. Dans les prélèvements de liquide amniotique, nous dosons jusqu'à maintenant très peu de substances. L'idée est, par la recherche d'abord, de voir si nous ne pouvons pas élargir ces dosages et étudier de plus près ce qu'il se passe. C'est bien que nous ayons un tel programme mais nous avons besoin d'infrastructures et de moyens. Nous avons une idée claire des infrastructures qu'il est nécessaire de développer.

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Finalement, les laboratoires ou les équipes de recherche développent de véritables stratégies sur le long terme pour décrocher des financements. Elles se démènent pour les obtenir, soit à l'échelle nationale où les montants proposés sont faibles, soit à l'échelle européenne où il existe plus de financements.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Il existe des financements à l'échelle européenne et l'important est d'entrer dans les réseaux existants ou de créer son réseau, ce qui est plus facile. Il faut se lancer, « prendre des baffes » et y aller !

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Le réseau a l'intérêt d'apporter la force de frappe, la puissance du groupe mais le défaut de ce système est que ce sont toujours les mêmes qui bénéficient des fonds, comme vous l'avez souligné.

De jeunes chercheurs qui n'appartiennent à aucun réseau se plaignent du fait que ce sont toujours les mêmes anciens qui bénéficient des faibles sommes disponibles sur le marché français. Ils ont donc des difficultés à se faire entendre, à se faire reconnaître. Ils expriment une certaine démotivation et même une certaine amertume par rapport au milieu de la recherche « officielle », reconnue et visible grâce à ces réseaux.

Je m'interroge sur la formation initiale des jeunes chercheurs. Nous avons eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises, notamment avec des représentants de l'ANR. La recherche française était au départ très monodisciplinaire, très spécialisée, à l'image du monde scientifique français très cartésien et très concentré sur un pan de connaissances sans regarder à droite et à gauche. La dynamique interdisciplinaire actuelle est-elle réelle ? Est-ce pris en compte dans les programmes de formation ? Cette interdisciplinarité s'amorce-t-elle à peine ou est-elle réellement installée, non seulement en ce qui concerne la formation des scientifiques, notamment des jeunes, mais aussi la formation permanente de ceux qui sont déjà en place ? Comment cela se passe-t-il entre institutions ? Qu'en voyez-vous à l'échelle interministérielle ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je suis un fervent soutien d'une démarche interdisciplinaire. Toutefois, les disciplines deviennent de plus en plus complexes et approfondies. Une personne ne peut donc pas être à la fois un généticien de très haute volée et un grand spécialiste de l'influence de l'environnement. Chacun doit garder sa compétence disciplinaire de base et même l'approfondir car la biologie est devenue vraiment compliquée.

En revanche, il est important d'avoir une ouverture, un minimum de formation générale, pour travailler en bonne intelligence avec d'autres disciplines. Notre système français, qui historiquement spécialisait très rapidement les étudiants, n'a effectivement pas très bien fonctionné sur ce point.

Il se trouve que j'ai grandi au Liban et la première université dans laquelle je suis entré est une université américaine. Le système américain du college dans lequel un étudiant choisit des majeures et des mineures est très ouvert. Même en s'orientant vers les mathématiques ou la médecine, il est possible de prendre par exemple une mineure de philosophie et cela ouvre l'esprit. Ce système n'est pas évident à organiser et ce sera d'autant plus difficile que l'université est pauvre, mais il est très bien.

Sur ce plan, notre système français évolue dans la bonne direction. En médecine et dans les professions de santé en général, il devient possible d'avoir une orientation « médecine » tout en gardant une mineure dans un autre domaine en cas d'échec ou, pour les étudiants des autres domaines, d'avoir une mineure « santé » qui leur permet de revenir éventuellement un jour vers la médecine. De telles réformes vont dans le bon sens.

Ensuite, comment un jeune chercheur obligé de creuser son sillon dans sa propre discipline peut-il garder les yeux et les oreilles ouverts sur un autre domaine ? Cela peut être encouragé par des appels à projets.

Toutefois, lorsque je dirigeais une commission à l'ANR, j'ai vu des gens présenter un projet qu'ils disaient multidisciplinaire, mais multidisciplinaire ne signifie pas interdisciplinaire ou transdisciplinaire. Cela signifie qu'un toxicologue humain se trouve à côté d'un écotoxicologue spécialisé sur les poissons, qu'ils font chacun son projet et que l'ensemble devient multidisciplinaire. Non, il faut que le projet démontre que la multidisciplinarité entraîne une valeur ajoutée finale. Il existe beaucoup plus de projets qui mettent côte à côte des chercheurs de différentes disciplines que de projets qui profitent réellement de l'interdisciplinarité. La question est finalement de savoir comment le chercheur qui travaille sur le poisson aidera celui qui s'intéresse à l'homme à mieux avancer.

Il ne faut pas non plus exiger une interdisciplinarité en oubliant que certaines disciplines doivent continuer leur travail. Elle doit simplement être encouragée par les appels à projets.

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Justement, quelle est la logique d'attribution de ces financements ? Comment sont faits les choix ? Qui oriente la recherche en santé environnementale en France ? Qui, à travers les projets de recherche, décide que telle ou telle thématique est prioritaire ?

Par ailleurs, quel sujet vous paraît absolument prioritaire en matière de recherche ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

L'appel à projets de l'ANR est très générique. Il a certes une section plutôt orientée vers la santé environnementale, mais il est très ouvert. En pratique, l'ANR réunit des représentants des alliances, des ministères. J'ai récemment fait partie de telles réunions et le texte dont nous disposons me paraît très bien, très ouvert. Il appelle à une certaine multidisciplinarité. Sur le fond, le principe est bon.

Ensuite, lorsque nous recevons le projet, notre règle est de le faire expertiser par des spécialistes anonymes extérieurs, en général européens.

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Est-ce l'ANR qui décide des grandes thématiques qui seront proposées aux chercheurs ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Oui et elle le fait en s'appuyant sur les alliances de recherche et les ministères.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

C'est un groupe constitué de représentants des alliances de recherche, des ministères au moins de la recherche, de la santé lorsqu'elle est impliquée et des personnels qui appartiennent à l'ANR elle-même. Ce groupe se réunit et choisit les orientations principales. J'ai participé à ce groupe en tant que représentant de l'alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Le groupe comporte aussi un représentant de l'alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), un représentant du CNRS. Chaque alliance, après avoir réfléchi de son côté, vient avec ses propositions et la rédaction finale du texte se fait par consensus.

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Vous parliez de l'effet de dissémination des programmes de recherche. Cette dissémination n'est-elle pas provoquée par la manière dont l'ANR est conseillée par les représentants de ces alliances ? Ils viennent, forcément, défendre leurs propres objectifs de recherche ou les spécialisations de leurs équipes de chercheurs.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Non, je ne pense pas qu'une alliance impose son projet. Ces alliances regroupent quasiment tous les chercheurs et les experts du domaine. Si vous ne faites pas appel à eux, à qui faire appel ? Évidemment, chacun peut avoir tendance à favoriser les thématiques développées à l'intérieur de son alliance mais, finalement, l'appel à projets contient bien les thèmes dont nous avons parlé. Il insiste sur le problème des mélanges, des perturbateurs endocriniens, il demande d'établir plus de liens entre les phénomènes dans les écosystèmes et la santé humaine, de mettre plus de sociologie, de sciences humaines dans le processus de recherche. Il pousse à une véritable multidisciplinarité entre sciences humaines et sociales et sciences plus « dures ». Je pense que la base est bien présente et qu'il est difficile de faire mieux.

Le problème est plutôt de savoir si suffisamment de chercheurs répondent, si suffisamment de moyens sont alloués. Nous ne sommes pas nombreux dans ce domaine. Par exemple, nous n'avons qu'un petit nombre de toxicologues.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Il m'est difficile de vous répondre. Des laboratoires de toxicologie sont présents dans toutes les facultés de pharmacie, mais ce laboratoire sera plutôt orienté vers les médicaments et parfois même plutôt en relation avec l'industrie. Seule une dizaine de grands laboratoires s'intéressent aux problèmes liés à la santé environnementale. L'INRAE a essayé de rationaliser son organisation et a mis pratiquement toute la toxicologie à Toulouse, dans une grande unité. Peut-être en ont-ils deux maintenant. L'INSERM dispose, en toxicologie, d'un centre à Rennes, de plusieurs laboratoires à Paris et d'une unité à Montpellier. Ce sont les seuls laboratoires qui ont une grande visibilité.

Il existe de petites activités de toxicologie, souvent dans des facultés de pharmacie pour enseigner la toxicologie, mais peu sont visibles à l'échelle européenne.

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Comment se fait la mise en commun des données ? Même si les chercheurs sont peu nombreux dans chaque domaine, avec, par exemple, une dizaine de laboratoires de toxicologie en France, comment mettez-vous en commun vos découvertes, vos difficultés, les blocages ? Comment est organisé le partage des données ? Comment faites-vous le lien avec la clinique lorsque vous avez identifié des pistes ou des résultats ? Comment faites-vous ensuite le lien avec les décideurs politiques ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Il n'existe pas de structuration. Ce sont les sociétés savantes qui interviennent et il existe une multitude de sociétés de toxicologie. La plus grande est la société française de toxicologie. Elle est peu orientée sur la toxicologie de l'environnement, surtout sur la toxicologie du médicament, avec une très forte présence du milieu industriel.

Nous avons dans le domaine de la santé environnementale la société de toxicologie cellulaire et moléculaire, historiquement très poussée par Francelyne Marano. C'est une petite société, un peu confidentielle. Lors des réunions, nous sommes 80 à 100, parfois 200 lorsque nous avons des invités pour de grands évènements.

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Vous vous êtes donc spontanément organisés parce qu'il n'existait pas d'initiative du ministère de la recherche. Ce sont de grandes familles finalement.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je ne crois pas que les chercheurs souhaitent une organisation par le ministère de la recherche. Les sociétés savantes sont indépendantes et c'est là que se fait la recherche.

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Cette organisation garantit une certaine objectivité dans les démarches.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Elle garantit une certaine indépendance vis-à-vis de tous.

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Quel est ensuite le lien avec le terrain, avec les décideurs politiques ? Avez-vous par exemple été associés au PNSE3 et au PNSE4 ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Oui, bien sûr, nous sommes quelques chercheurs qui avons beaucoup travaillé sur le PNSE3 et actuellement sur le PNSE4. L'INSERM avait été chargé de proposer une vision et, même si nous l'appelons « vision INSERM », nous avons invité de nombreuses personnes extérieures à l'INSERM. Nous sommes impliqués dans les PNSE, nous faisons partie des groupes de travail. Il existe en France des outils plutôt bien organisés qui permettent le contact avec des ONG, avec des entreprises et avec les pouvoirs publics. Je pense qu'il ne faut pas trop critiquer cet outil et le garder.

Toutefois, cela ne suffit pas. Il faut renforcer de manière claire la capacité du système à produire de la connaissance. Nous avons l'outil pour que cette connaissance se diffuse ensuite. Nous sommes l'un des premiers pays dans lesquels la notion d'exposome a été discutée entre chercheurs et politiques. La notion d'exposome est dans notre loi, alors que ce n'est pas le cas dans d'autres pays, mais c'est insuffisant sans une bonne stratégie de recherche sur l'exposome, à grande échelle. Par exemple, la Hollande n'a pas mis l'exposome dans sa loi ; en revanche, elle est extrêmement présente dans ce domaine au niveau européen et les chercheurs y ont des soutiens, ils sont excellents et très « gourmands ». Ce sont nos concurrents dans un sens, mais aussi des collaborateurs avec lesquels nous travaillons tous les jours.

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Comment expliquez-vous que l'Europe du Nord soit plus en avance ? Est-ce lié à une formation culturelle, intellectuelle ? Est-elle plus inquiète des problématiques environnementales, peut-être parce que la Hollande est plus menacée par le changement climatique ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

La problématique de la nature en général est assez présente dans ces pays, notamment en Scandinavie et en Hollande. Pourquoi un pays comme le Royaume-Uni a-t-il une recherche vraiment de très grande qualité ? Je pense que cela vient de la force historique de la recherche en santé publique au Royaume-Uni.

C'est assez étonnant mais il existe au Royaume-Uni des chercheurs qui s'intéressent à la santé planétaire et ils ont été parmi les premiers à faire de l'épidémiologie. Quand ils ont fait des études de cohortes, ils ont organisé de grandes cohortes. Même en ce qui concerne le covid, le programme anglais Recovery a beaucoup plus recruté que Discovery, dès le départ. Ils ont inclus tout de suite 12 000 personnes. C'est assez étonnant, car ce pays s'est par ailleurs beaucoup libéralisé sur d'autres plans. La tradition de la santé publique est très forte au Royaume-Uni et penser à l'impact de l'environnement était un pas relativement facile à franchir

La tradition des pays nordiques à s'ouvrir à la nature est également un élément important. Certaines universités ont pris des initiatives beaucoup plus tôt et ont mis ce sujet très haut dans leurs programmes.

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Vous pensez donc que les pays nordiques ont une conscience beaucoup plus aiguë de l'environnement et de ses enjeux, alors que nous en sommes moins conscients en France.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Regardez par exemple le nombre de personnes qui, dans ces pays, font très attention à ce qu'ils mangent. Les végétariens sont plus nombreux.

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je ne prétends pas bien connaître ces problèmes sociaux. Je ne les connais que de manière très superficielle.

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Vous avez dit que nous ne connaissions que quelques centaines de produits chimiques, au sens d'en connaître les effets sur la santé, alors qu'il existe en gros 100 000 produits chimiques sur le marché, auxquels nous sommes confrontés quasi quotidiennement d'une manière ou d'une autre. Une telle dangerosité potentielle donne le vertige. Je voudrais donc parler avec vous du principe de précaution et de la nécessaire sobriété chimique. Pensez-vous que, comme pour le génome, en génétique, nous pourrons un jour avoir une cartographie complète ? Combien de temps faudrait-il et combien de moyens ?

Vous disiez avoir beaucoup de relations avec l'industrie, notamment pour le financement et cela se comprend compte tenu de votre exposé des difficultés budgétaires rencontrées par les laboratoires. Il est normal qu'ils soient tentés pour survivre et pour exister de demander des financements dans l'industrie. Cela pose tout de même quelques problèmes d'éthique et d'indépendance intellectuelle. Êtes-vous force de proposition et d'évolution lors de vos échanges avec l'industrie pour faire progresser les produits vers des substances alternatives ? Pouvez-vous faire évoluer les process ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Nous discutons de l'évolution avec de nombreux collègues européens et américains. Nous avons des échanges et des réseaux en Europe, de fortes collaborations avec par exemple l'université Columbia, Morningside Heights… aux États-Unis.

Nous disposons maintenant de moyens technologiques pour améliorer notre connaissance de la présence ou de l'absence de ces substances et pour les caractériser. C'est déjà un point important. Parfois, auparavant, nous ne savions même pas les doser. Nous avons maintenant les moyens technologiques ; c'est la raison pour laquelle je veux monter cette infrastructure française et européenne dans ce domaine. J'y consacre beaucoup d'efforts alors que mon laboratoire n'y est pas impliqué, ce n'est pas du tout sa spécialisation.

L'impact sur la santé nécessite aussi beaucoup d'efforts et de moyens. Nous commençons à mieux le modéliser. Non seulement nous pouvons faire des expériences sur des cellules, pas sur des animaux, mais nous pouvons même accélérer le développement des connaissances grâce à des développements de bio-informatique et d'intelligence artificielle. Parfois, en effet, les connaissances existent mais ne sont pas exploitées car la littérature est énorme. Nous avons ainsi, dans mon laboratoire, développé un outil qui établit un lien entre une substance chimique et un impact sanitaire à partir des dizaines de millions d'abstracts de la littérature et des bases de données qui s'accumulent un peu partout sans que nous parvenions à les exploiter.

Faisons donc de grosses infrastructures, d'abord sur le plan analytique et le dosage d'une part, et d'autre part sur le plan des data, de leur exploitation et de la bio-informatique. Une autre infrastructure très importante pour les épidémiologistes concerne les cohortes.

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Comment de temps faudrait-il si nous avions des moyens ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Il faudrait sans doute plus de temps que pour le génome humain. L'ADN est finalement relativement simple par rapport à ces questions. Dans le cas du programme HERA, nous nous positionnons sur dix ans et nous pouvons déjà faire des progrès importants durant ce délai. Il est difficile de se projeter mais dix ans est un bon objectif.

En ce qui concerne les relations avec l'industrie, je travaille personnellement sur la dioxine et je n'ai pas beaucoup de rapports avec les industriels car cela ne les intéresse pas tellement. Je n'ai pas de problème à travailler avec eux mais certains chercheurs sont dans un état presque schizophrénique. Il leur est demandé de valoriser leurs travaux, c'est-à-dire de faire en sorte que la vie sociale et économique du pays bénéficie du résultat de leurs travaux, de breveter, de collaborer avec l'industrie pour favoriser son travail. C'est bien de dire à une industrie qu'elle travaille avec un produit potentiellement toxique, tout autant que de dire que le produit n'est pas toxique.

En même temps, lorsque nous collaborons, nous sommes en conflit d'intérêts. L'ANSES a du mal à trouver des experts qui n'aient pas, d'une manière ou d'une autre, un lien d'intérêt parce que, dans certains domaines, il existe peu de chercheurs et presque tous sont sollicités très fortement par l'industrie. L'État ne nous décourage pas, au contraire, il encourage les relations entre le public et le privé. Nous sommes donc dans une situation un peu compliquée, que nous essayons de gérer en graduant le niveau de liens d'intérêt avec l'industrie.

Nous discutons volontiers avec l'industrie, nous sommes ouverts à ce que l'industrie finance des recherches. Il faut être attentif aux exigences de l'industrie, lors d'un financement, en particulier en ce qui concerne la publication des résultats. Il faut que les chercheurs gardent leur indépendance et cela peut se faire par l'intermédiaire de fondations. Par exemple, une fondation universitaire peut récolter l'argent de l'industrie et, ensuite, le distribuer aux laboratoires en toute liberté, sans que la fondation exige que les résultats du laboratoire soient contrôlés par l'industriel. Il existe d'autres solutions : des fondations peuvent être financées par des taxes… pour qu'il existe un financement industriel.

Il n'est pas du tout anormal que les chercheurs aident les industries du pays, mais cela pose un problème sur des sujets très sensibles.

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L'État étant en défaut sur les financements, le privé vient à la rescousse mais, forcément, il ne vient pas avec une volonté altruiste. Il cherche aussi ses intérêts. Cette schizophrénie de fait que vous reconnaissez n'expliquerait-elle pas les prises de position souvent discordantes des chercheurs, pas uniquement à l'échelle nationale, mais même à l'échelle internationale ? Nous l'avons vu par exemple avec le glyphosate. Ces discours discordants laissent un peu pensifs les décideurs politiques qui ne savent plus à quel chercheur se vouer.

Vous avez manifesté votre honnêteté intellectuelle au début en disant que nous ne savons pas trop, que nous ne savons pas tout, que nous essayons de savoir. Toutefois, c'est très difficile pour un décideur politique, par exemple dans le cas du glyphosate ou des perturbateurs endocriniens, parce que nous avons l'impression d'un flottement scientifique dans lequel les lobbyistes s'engouffrent en disant que nous n'avons pas de démonstration du lien de causalité. Comment faire pour éclairer les politiques publiques, en s'inspirant du principe de précaution ? Jusqu'où aller ? Quelles sont les bases concrètes, réelles, indubitables de vos recherches qui permettraient aux décideurs politiques de se positionner ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Tout d'abord, je considère que dans le domaine de la santé et de l'environnement, c'est à l'État d'être le principal financeur. Je n'ai aucun problème à ce que le privé puisse financer une recherche qui évidemment l'intéresse, qui peut être relativement éthique, si le but est de faire en sorte que la France soit un pays dont l'industrie est propre et que ce soit son image de marque. Même si ce n'est pas ma spécialité, je pense que nous pouvons agir dans ce sens. L'État doit toutefois rester le plus gros financeur, j'y tiens beaucoup.

Dans le domaine des relations entre une substance et un effet toxique, nous sommes souvent dans le champ de l'incertitude. Il faut le reconnaître. Ce n'est pas parce que nous sommes mauvais, mais parce qu'il est difficile de faire ce lien. De multiples biais sont possibles. Nous ne proposons effectivement pas une solution simple aux décideurs, loin de là. D'un autre côté, nous devons présenter la situation telle qu'elle est, avec sa complexité. Si nous simplifions trop, nous pouvons cacher une partie de la réalité et ne pas aider les décideurs.

Toutefois, ce n'est pas parce que nous sommes dans une situation d'incertitude qu'il ne faut pas prendre de décision, bien au contraire. Je suis un fervent soutien du principe de précaution dont vous avez parlé, mais il doit être fondé sur la meilleure science possible. Nous ne ferons pas mieux qu'un groupe d'experts qui réfléchit à la question et qui propose une décision au vu de tous les éléments dont il dispose.

Vous me direz que les groupes d'experts donnent parfois des opinions divergentes et c'est souvent vrai dans les domaines un peu tangents, où les différentes études aboutissent à des résultats qui ne vont pas dans le même sens. Il faut essayer de comprendre et seul un groupe d'experts peut réfléchir à la question pour essayer d'aider.

Ensuite, nous sommes dans des nuances de gris et toute la question est de savoir où mettre le curseur. La science peut dire où nous en sommes dans les nuances de gris, si nous suspectons, si c'est possible, si nous sommes certains, mais la décision revient aux pouvoirs publics car elle ne tient pas seulement compte de la science. Ce n'est pas aux scientifiques de dire qu'il faut prendre telle décision. Ils peuvent dire qu'ils sont convaincus de la réalité de tel sujet, dire ce qu'ils savent, ce qu'ils suspectent et conclure que l'impact est possible ou probable. Il faut à mon avis séparer la décision de l'expertise, la décision devant ensuite revenir aux pouvoirs publics qui peuvent tenir compte d'autres critères.

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S'il faut séparer la décision de l'expertise, l'agence qui est la grande prêtresse de la décision n'est-elle pas comme tous vos chercheurs dans un état un peu schizophrénique ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je suis tout à fait d'accord : cela est compliqué. La séparation entre expertise et décision est tout de même très utile, parce que la décision peut être influencée par d'autres critères que l'expertise scientifique. Nos agences, notamment l'ANSES, font un travail très difficile. En comparaison avec les autres agences européennes, l'ANSES est une agence extrêmement ouverte sur la société et ses préoccupations. Je préférerais qu'elle reste agence d'expertise scientifique et que la décision reste plus politique.

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Je vous remercie pour votre opinion qui est tout à fait compréhensible, pour votre honnêteté intellectuelle et vos explications très claires sur le fonctionnement de la recherche. Je note quelques pistes d'amélioration, notamment cette nécessité absolue d'avoir suffisamment de fonds publics pour gagner en objectivité et en indépendance intellectuelle ainsi que la nécessité de la création de cette infrastructure de la recherche. Souhaitez-vous apporter un complément ?

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Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie à l'université de Paris

Je reste très pragmatique : pour obtenir un résultat, il faut des moyens. En revanche, si nous injectons de l'argent, il faut être exigeant sur la façon dont il est utilisé et l'organisation doit garantir une très bonne efficacité. Nous sommes responsables des crédits reçus. Ce ne sont pas des chiffres astronomiques et nous pouvons faire beaucoup avec quelques infrastructures et une coordination. Ce n'est pas très compliqué.

L'audition s'achève à dix heures quarante-cinq.