Je n'ai pas la prétention de faire la politique de l'établissement à la place de notre président-directeur général.
Il est exact que l'existence de trois directions scientifiques, face aux défis actuels, est une vision « à l'ancienne » de la structuration d'un organisme de recherche.
Je ne suis pas pour autant en train de me saborder. Nous avons hérité d'une structure à cinq ou six directions scientifiques et nous avons simplifié le dispositif au fil du temps, notamment sous l'action de Mme Marion Guillou, pour arriver à ce tripode. Nous sommes partis du principe que ce n'est pas très stable avec deux pieds et un peu bancal avec quatre donc trois paraissait être le nombre d'or.
Il est clair que nous ne travaillons pas en « silos ». Cela tient en partie aux personnes et je suis en interaction permanente avec mes deux collègues, M. Christian Huyghe et Mme Monique Axelos, ne serait-ce que parce que nous siégeons tous au collège de direction de l'INRAE. Nous nous partageons beaucoup de dossiers. Par exemple, les directions scientifiques « agriculture » et « environnement » collaborent sur le chantier de l'agroécologie. Le premier chantier en agroécologie a été piloté par M. Jean-François Soussana qui était à l'époque directeur scientifique « environnement » avec l'appui des divisions de la direction scientifique « agriculture » et j'ai repris ce chantier en collaboration très étroite avec M. Christian Huyghe. Je ne dirais pas que nous sommes interchangeables, mais nous sommes « sur la même longueur d'onde », nous portons le même message et nous partageons les dossiers.
Une façon de travailler différemment, valable également pour les politiques publiques, serait de ne pas aborder les questions par grand thème, par grand secteur : c'est opérant à court terme, mais sclérosant à moyen et long terme. Nous sommes plutôt dans la logique de faire disparaître les cloisons comme vous le verrez dans notre document d'orientation 2020-2030. Nous travaillons de plus en plus sur des nexus. Ils vont d'un nexus « alimentation-santé-environnement » à un nexus « énergie-eau-biodiversité ». Il est possible que, à l'échéance de quelques mois ou années, ces directions scientifiques (DS) « agriculture », « environnement », « alimentation et bioéconomie » soient obsolètes parce que nous ne raisonnons plus ainsi et ne concevons plus les solutions ainsi.
Ces affichages existent mais le fait que cela ne corresponde pas à la réalité du travail fait consensus au sein du collège de direction de l'INRAE. Nous avons des réunions entre directions scientifiques et nos adjoints se voient au moins une fois par mois. Lorsque nous discutons avec des partenaires – ADEME, Anses… –, nous participons tous à la discussion, même si ensuite un chef de file porte le dossier.
La question de l'éthique et des liens d'intérêts est un sujet auquel nous sommes tous très sensibles. Je fais partie de comités Anses et nous sommes effectivement tout de suite suspects aux yeux de certaines personnes. Inversement, d'ailleurs, un chercheur peut aussi avoir des positions personnelles qui le font mettre à l'index d'une partie de la communauté scientifique.
À l'INRAE, nous faisons systématiquement une déclaration non de conflit, mais de liens d'intérêts. Je siège dans un comité pour l'expertise publique et, lorsque nous lançons des expertises scientifiques collectives pour lesquelles un collectif d'experts se réunit, nous demandons à nos collègues de fournir des déclarations de liens d'intérêts.
Il existe deux catégories de personnes : ceux qui le font de manière totalement naturelle et ceux qui s'y refusent un peu, en particulier des chercheurs qui n'ont jamais été confrontés à une telle demande. Ils partent du principe que l'éthique scientifique veut qu'un chercheur soit totalement indépendant dans sa prise de parole et son action.
Ces déclarations sont obligatoires pour tous nos partenaires, actualisées, consultables en ligne. Nous plaidons pour que chacun les remplisse convenablement.
Nous avons aussi une charte de déontologie et de l'expertise, ainsi qu'un comité d'éthique commun à plusieurs organismes. Il a été mis en place initialement par l'INRA. L'IRSTEA, l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) et le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) s'y sont joints. Nous travaillons avec les autres organismes sur notre charte de l'expertise.
Vous parliez de pressions. Cela existe effectivement et certains de nos collègues excluent désormais de siéger dans un comité d'experts parce que cela devient « intenable ». Je n'accuse personne, je constate simplement.
Il me semble que, pour progresser, nous pourrions avoir un outil commun à tous les organismes dépendant de l'État afin que cette déclaration de liens d'intérêts ne soit réalisée qu'une seule fois. Cela éviterait aux experts souvent sollicités de multiplier de telles déclarations. Cela paraît être du bon sens, mais nous n'y parvenons pas.
Par exemple, lors d'un examen de liens d'intérêts auquel nous avons procédé récemment, l'une de nos collègues nous a donné le lien électronique de sa déclaration faite pour l'Anses, mais nous ne pouvons pas, en tant qu'agent extérieur, accéder à celle-ci. Il faudrait que nous ayons une unique déclaration, remplie et actualisée en temps réel, ce qui permettrait à chacun de travailler plus sereinement.
Toutefois, cela ne changera malheureusement pas le regard que la société ou certaines personnes portent sur l'expertise. Le regard est, soit trop complaisant, soit trop à charge. Sur toutes les questions qui nous préoccupent, un énorme effort de formation et d'information doit être fait pour expliquer ce qu'est le métier d'expert, décrypter qui fait quoi dans la chaîne de décision.
Nous entendons souvent dire « l'INRA/INRAE a décidé d'interdire tel produit » alors que ce n'est pas la réalité. Beaucoup de personnes ignorent ou feignent d'ignorer la façon dont les rôles sont précisés dans la loi. Nous devons clarifier le rôle de l'expert, le rôle de l'institution et où chacun d'entre eux s'arrête.