Je n'ai volontairement pas utilisé le terme « immunité ». L'immunité est un cas très particulier de réponse à la présence d'un pathogène. Je parlais plutôt de l'état de santé général mais c'est un peu la même idée. Il ne s'agit pas de dire que c'est suffisant et que nous pouvons donc faire n'importe quoi. C'est une façon d'aborder la question de la santé générale et c'est un peu la question que nous portons avec notre projet consistant à étudier comment les régimes alimentaires influent sur la santé de l'ensemble du système de production. Une partie des problèmes que nous voyons dans l'environnement tient au fait que certains régimes alimentaires induisent des demandes très fortes en tel type de protéines par exemple. Leur production a des impacts sur l'environnement.
Le régime alimentaire fait partie des éléments qui constituent l'exposome, avec l'environnement immédiat, avec le niveau social, avec le stress… Il contribue donc à construire ou non la bonne santé de l'organisme. C'est un levier sur lequel nous avons jusqu'à présent assez peu agi, parce que cela est compliqué, que tout le monde n'a pas les mêmes goûts, les mêmes moyens… Les états généraux de l'alimentation ont commencé à avancer dans cette direction mais nous ne sommes pas allés au bout de la démonstration.
Je n'affirme pas que c'est la panacée mais cela mérite de s'y arrêter. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place la cohorte NutriNet-Santé. Comme les données sont assez abondantes, nous commençons à avoir des présomptions. Par exemple, nous soupçonnons une relation entre consommation d'aliments ultra-transformés et cancer.
Ce ne sont que des présomptions. L'épidémiologie est toujours très difficile à moins d'avoir vraiment une manifestation clinique unique, ce qui est rare. Hormis le cas de l'intoxication au plomb et du saturnisme par exemple, il est très difficile d'affirmer que tel agent cause telle pathologie.
Malgré tout, avec de gros volumes de données bien renseignées, nous pouvons commencer à formuler des hypothèses qui poussent à aller plus loin dans la démonstration de la preuve. Nous ne savions pas le faire voici seulement dix ou vingt ans. Les réseaux sociaux et Internet nous permettent de le faire, en renseignant sur la base du volontariat. Il faut certes faire attention aux biais de sélection. Les épidémiologistes sont très prudents mais cela permet d'avancer.
J'ai évoqué les travaux que nous menons sur les microbiotes. Nous constatons, grâce à l'accumulation d'observations et d'expérimentations sur de « vraies gens » et non sur des cohortes numériques, que certains dysfonctionnements du microbiote intestinal sont très fortement associés à l'exposition à certaines substances qui provoquent des réactions et une inflammation intestinale chronique.
La recherche avance grâce à des outils de génétique moléculaire qui nous permettent de faire du séquençage massif et de sortir, à partir d'un seul échantillon, des milliers d'espèces de bactéries. Nous savons ainsi « qui est là ». Nous ne savons pas encore « qui fait quoi », mais nous constatons que certains syndromes sont associés à des anomalies de composition du microbiote dans le tube digestif. Dans certains cas, nous parvenons à remonter à l'exposition à des substances présentes dans l'alimentation, dans les céréales par exemple, avec les mycotoxines. Les intolérances alimentaires telles que l'intolérance au gluten ont-elles une base microbienne ? Nous en sommes de plus en plus persuadés. Ces intolérances alimentaires induisent un mal-être mais parfois aussi des maladies graves.
Nous recherchons donc les intermédiaires entre l'exposition et la réponse, notamment les microbes qui interviennent peut-être. Nous espérons mieux comprendre ces phénomènes et pouvoir les « piloter » par une alimentation adaptée. Je ne fais pas de la publicité pour les alicaments mais savoir restaurer un microbiote peut être un moyen de supprimer certaines pathologies, certaines manifestations indésirables.