Intervention de Hélène Soubelet

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Hélène Soubelet, directrice de la fondation pour la recherche sur la biodiversité :

Je vous expliquerai pourquoi la biodiversité est importante à prendre en compte dans les politiques publiques, notamment les politiques de santé-environnement, avant de vous présenter les conclusions du groupe de travail « Santé, biodiversité » du PNSE3 que je présidais avec Thierry Galibert. Nous avons fait des propositions pour intégrer la biodiversité dans le PNSE4.

Nous étudions les publications scientifiques les plus récentes sur la biodiversité et sur les liens entre la biodiversité et certains enjeux pour nos sociétés. Je me base sur ces publications scientifiques et sur le rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en anglais Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services ). En 2019, elle a fait une évaluation mondiale qui établissait déjà que l'érosion de la biodiversité concourait à l'augmentation des risques sanitaires, notamment parce que l'empreinte humaine sur la Terre est très importante.

En 2018, 77 % des terres et 87 % des océans ont été modifiés durablement, de manière parfois irréversible, par les activités humaines ce qui a des effets directs sur les services que la biodiversité nous rend. Les principales causes de dégradation sont la culture des terres pour 12 % de la dégradation, les pâturages pour 37 % de la dégradation et les forêts gérées ou les plantations d'arbres pour 22 % de la dégradation.

De 1999 à 2019, la démographie humaine a augmenté de 30 % et le produit intérieur brut (PIB) mondial de 70 %. Il existe donc un découplage entre la démographie humaine et les impacts qui sont largement dus au PIB et à la consommation par tête.

L'érosion de la biodiversité concourt à l'augmentation des risques sanitaires parce que l'effondrement des populations animales déséquilibre les écosystèmes. Depuis 100 000 ans se produit un effondrement total de la biomasse des mammifères sauvages terrestres et marins. Par exemple, la biomasse des mammifères sauvages terrestres est passée de 40 millions de tonnes à 7 millions de tonnes et la biomasse des animaux marins est passée de 200 millions de tonnes à 4 millions de tonnes. C'est l'impact de l'humain, dont les moyens technologiques ont augmenté au cours du temps.

La biomasse végétale aurait diminué de 50 %. Nous avons actuellement 450 gigatonnes de carbone de biomasse alors que le total aurait avoisiné 900 gigatonnes de carbone avant l'apparition de l'homme moderne.

Cet effondrement de la biodiversité fait s'effondrer les services écosystémiques, c'est-à-dire les fonctions des écosystèmes qui permettent à l'homme d'en tirer des bénéfices. Trois services augmentent encore, parce que nous y consacrons beaucoup d'énergie et de finances : les services qui produisent de l'énergie, de la nourriture ou des matériaux tels que le bois, le coton… Tous les autres services diminuent, en particulier les services de régulation comme les services de régulation de la qualité de l'air. La biodiversité est en effet capable de capter des polluants et de réguler la qualité de l'air. Les services de régulation de la qualité de l'eau diminuent aussi, ainsi que les services de régulation du changement climatique ce qui a des incidences sur la santé. La pollinisation diminue également ce qui risque de provoquer un problème sur le service de production agricole, une majorité des aliments que nous consommons étant dépendants des pollinisateurs, sauvages ou non. La fertilité des sols diminue aussi.

L'IPBES a bien mis en évidence que tous les autres services diminuent et, même si nous parvenons à maintenir encore les services de production, nous constatons déjà une baisse des rendements mondiaux de 10 % sur les productions agricoles. Si la trajectoire continue, nous arriverions à une baisse de 50 % du rendement des productions agricoles. C'est donc à prendre en compte.

Le service de production agricole atteint un pic optimal lorsque le degré de nature, c'est-à-dire la proportion d'espaces sauvages, est de 30 % : lorsque les espaces sauvages autour des terres agricoles représentent 30 %, la production agricole est optimale. Augmenter encore le degré de nature réduit évidemment les terres agricoles et le service de production diminue. Augmenter la proportion de terres agricoles réduit aussi le service de production car les espèces adventices, les fleurs sauvages, les lisières avec la forêt soutiennent cette production agricole et le sol lui-même a besoin d'une certaine biodiversité sauvage. Artificialiser des espaces pour avoir plus de terres agricoles donne l'illusion de pouvoir produire plus de nourriture mais c'est faux : les rendements diminuent comme nous le constatons aujourd'hui.

Les travaux par exemple de Victor Cazalis et Michel Loreau, chercheurs du CNRS qui ont publié en 2018 des évolutions de la population humaine à l'échéance 2250, montrent que quatre trajectoires sont possibles. Deux d'entre elles amènent à l'extinction de l'espèce humaine, soit parce que nous aurons trop transformé les espaces sauvages en terres agricoles ce qui diminuera les services de régulation, augmentera trop la pollution et le changement climatique, soit inversement parce que nous n'aurons pas assez de terres agricoles ce qui provoquera une famine et le déclin de l'espèce humaine, avec une mortalité supérieure à la natalité. Les deux autres trajectoires permettent une durabilité mais l'une des deux, dans laquelle nous transformons trop d'espaces naturels en espaces agricoles, entraîne une famine chronique.

D'après un travail de compilation scientifique fait à la FRB, nous avons depuis cinquante ans une augmentation des maladies, que ce soit dans les compartiments des humains, des animaux ou des végétaux. Dans le cas des hommes, ces maladies sont à 70 % des zoonoses. Dans le cas des animaux, ces maladies sont principalement dues à l'intensification de l'élevage et à la perte de diversité génétique. Dans le cas des plantes, il s'agit de problèmes d'augmentation de la résistance des insectes aux pesticides, d'augmentation des maladies fongiques et de maladies dues au changement climatique. Depuis soixante ans, nous comptons entre 300 et 400 nouvelles maladies – 2 à 5 par an – et la courbe est croissante.

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