Intervention de Hélène Soubelet

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Hélène Soubelet, directrice de la fondation pour la recherche sur la biodiversité :

Il peut s'agir de maladies émergentes ou d'anciennes maladies réactivées. Certaines maladies actuellement totalement inféodées à l'homme, comme la tuberculose, font encore 1,5 million de morts par an. Ces maladies étaient au départ des maladies de la faune sauvage et se sont adaptées à l'homme. J'espère que ce ne sera pas le cas du coronavirus mais cela a par exemple été le cas de la grippe.

Les mécanismes qui sous-tendent l'augmentation des zoonoses sont liés à trois facteurs qui accroissent le risque. Le premier facteur de risque est la présence du virus, quelque part dans l'environnement. Le deuxième facteur est le contact, l'exposition au danger. Le troisième facteur est la vulnérabilité de celui qui s'expose au danger.

Nous n'avons pas suffisamment de connaissances pour savoir si le danger a augmenté. Nous ne connaissons que 0,1 % des virus potentiellement présents sur Terre donc nous ne savons absolument pas à quoi nous faisons face. Il est certain que nous faisons face à des virus et à des bactéries. Leur biomasse est d'ailleurs plus grande que la nôtre. Ces organismes, y compris les champignons, sont extrêmement labiles et capables de s'adapter à un nouvel hôte s'ils en ont l'occasion.

L'exposition augmente parce que nous détruisons les espaces naturels. Nous rentrons donc plus fréquemment en contact avec les populations d'animaux. Ils sont porteurs de virus avec lesquels ils ont co-évolué et qui ne sont pas forcément pathogènes pour eux, comme dans le cas de la chauve-souris. Le contact des hommes avec ces animaux sauvages ou avec des écosystèmes dégradés facilite l'apparition des maladies.

Parmi les cas documentés de maladies liées à des changements environnementaux, nous pouvons citer le virus Hendra en Australie dû à un changement d'usage des terres tout comme le virus Nipah en Malaisie. Ce dernier virus a émergé du fait de la transformation des terres en plantations de palmiers à huile ce qui a provoqué le départ des populations de chauve-souris qui habitaient dans la forêt primitive. Elles sont allées chercher le gîte et le couvert dans des vergers sous lesquels paissaient des porcs ce qui a permis le transfert du virus Nipah de la chauve-souris au porc puis à l'homme. En trois épisodes successifs, la maladie a provoqué un certain nombre de morts en Asie du Sud-Est mais n'a pas entraîné de pandémie parce que la transmission interhumaine est en général impossible, un seul cas ayant été repéré.

Dans le cas du coronavirus, le transfert s'est probablement fait de la même façon à cause d'une destruction des habitats naturels ou d'une intrusion de l'homme dans des habitats qu'il ne fréquentait pas auparavant. Le virus s'est adapté de la chauve-souris ou d'un hôte intermédiaire à l'homme avant de se répandre grâce à la contagion interhumaine. Comme les hommes, les animaux vivants et les denrées circulent maintenant beaucoup, les virus sont transférés dans le monde entier.

Diverses publications indiquent que plus la biodiversité est élevée, plus le danger est fréquent mais que plus la biodiversité est élevée, moins le risque est élevé. En effet, des phénomènes de régulation se mettent en place dans les écosystèmes, en particulier l'effet de dilution : plus il existe d'animaux divers, moins un virus peut être adapté à l'ensemble des hôtes qu'il rencontre.

Dans les écosystèmes dégradés par l'homme, plus d'animaux sont eux-mêmes hôtes de pathogènes. Les hôtes sont donc plus nombreux à la fois en nombre d'espèces et en abondance dans la population. Les chercheurs ont constaté une augmentation de 45 % du nombre de chiroptères porteurs de virus, de 52 % du nombre de rongeurs porteurs de virus et une augmentation variant de 10 à 96 % selon les espèces du nombre d'oiseaux véhiculant des virus dans les écosystèmes dégradés.

Cette transformation des espaces est, à 50 %, provoquée par l'agriculture, avec un phénomène complémentaire dans le cas de l'agriculture : les animaux domestiques constituent actuellement le plus gros compartiment de biomasse d'animaux terrestres. Non seulement ces animaux domestiquent vivent dans des conditions qui ne correspondent pas toujours à leurs conditions de vie naturelles donc peuvent être plus stressés que des animaux sauvages, mais en plus ils sont sélectionnés. La perte de diversité génétique dans les élevages intensifs diminue l'aptitude de ces animaux domestiques à se défendre face aux divers pathogènes. De plus, lorsqu'un pathogène parvient à contaminer l'un de ces animaux, il parviendra à contaminer tous les autres qui sont génétiquement très semblables.

D'autre part, les échanges mondiaux, actuellement très intenses, permettent la diffusion très rapide d'une maladie d'un animal à un autre, voire à l'homme, dans diverses parties du monde.

Nous avons le même problème avec le changement d'usage des terres à vocation agricole. Ainsi, une publication de 2019 fait le lien entre le paludisme et la modification de l'usage des terres, notamment pour planter de l'huile de palme. La séroprévalence du paludisme est supérieure dans les zones agricoles irriguées, dans les zones de plantation forestière ou dans les zones de plantation d'huile de palme. Nous avons un lien clair entre monoculture et pandémie.

Il existe également un lien avec la manipulation ou la chasse ou la détention d'animaux sauvages et leur consommation. Le lien a été démontré scientifiquement entre la consommation d'animaux sauvages, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique, et l'émergence de maladies infectieuses. Ce n'est pas réellement la consommation qui est visée mais plutôt la phase de contact avec l'animal sauvage, lors de la chasse ou lors de la détention sur les marchés aux animaux vivants par exemple ou lors de l'abattage. L'homme sensible est alors en contact avec un animal porteur potentiel de virus, de bactéries ou de champignons.

Une étude récente sur le coronavirus par Hopson et alii montre que les dommages économiques liés au coronavirus s'élèvent potentiellement à 5 000 ou 6 000 milliards de dollars en termes de perte de PIB. Ces coûts sont très au-delà des coûts de prévention actuellement consentis mondialement pour gérer les maladies infectieuses qui sont plutôt de l'ordre de 20 milliards de dollars.

Des études s'intéressent aux stratégies possibles, curatives ou préventives. Nous sommes dans un système qui, en général, essaie de stopper la pandémie lorsqu'elle est déjà présente alors que nous pourrions essayer de gérer les pandémies avant qu'elles n'arrivent, en nous ancrant résolument dans une stratégie de prévention. Selon les scientifiques, les pandémies coûteraient actuellement, au niveau mondial, de l'ordre de 10 000 milliards de dollars et les politiques de prévention, mises en œuvre au moment opportun, coûteraient moins et permettraient d'économiser 350 milliards de dollars durant les cent prochaines années. En fait, la prévention coûte cher au début puis il se produit un effet de bascule et elle coûte moins cher ensuite.

Toutes les grandes instances internationales se préoccupent maintenant des relations entre la biodiversité et l'émergence des maladies infectieuses. L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a publié en septembre un rapport sur la covid. Il propose des mesures de maintien en bon état des écosystèmes. Il faudrait protéger environ 30 % de l'espace terrestre et marin pour y laisser la libre évolution aux animaux sauvages. Cela peut être sous forme d'aires protégées ou avec d'autres instruments.

L'OCDE a également recommandé – c'est une première de sa part – la mise en place et le renforcement de l'approche « Une seule santé » One Health.

Je considère personnellement que le One Health ne fonctionne pas très bien actuellement. Il se heurte à des intérêts financiers importants. L'OCDE a ainsi estimé que plus de la moitié de l'effort financier mondial finançait des activités dommageables pour la biodiversité. L'économie actuelle est donc basée sur la destruction de la biodiversité pour générer du profit. Par exemple, pour le détenteur d'une forêt, il est plus rentable de la couper à ras pour exploiter le bois que de la laisser prospérer. La laisser prospérer coûte même de l'argent étant donné que la fiscalité sur ces espaces naturels n'est pas forcément adaptée aux services rendus par ces espaces.

L'OCDE a également estimé que l'allocation financière mondiale pour la protection de la biodiversité se situe entre 78 et 91 milliards de dollars et que, sans stratégie préventive, des pandémies continueront à émerger. Il faut se poser la question non pas du gain économique à court terme que procure la destruction de la biodiversité mais du gain économique à long terme que procure la préservation de la biodiversité. La Fondation est d'ailleurs convaincue que nous pouvons faire les deux, c'est-à-dire avoir des activités humaines tout en préservant la biodiversité. Nous le voyons avec le développement d'une agriculture beaucoup plus durable.

L'approche One Health est censée avoir trois pieds : la santé des hommes, la santé des animaux et la santé de l'environnement. Néanmoins, actuellement, le dialogue entre la santé humaine et la santé animale, c'est-à-dire entre médecins et vétérinaires, fonctionne très bien dans One Health alors qu'il manque une vision plus systémique pour intégrer la santé environnementale dans ce dialogue. C'est vrai dans les deux sens. Ainsi, lors d'une restauration écologique, les problématiques de santé publique qui pourraient en découler, telles que la présence d'espèces allergènes par exemple, ne sont pas forcément prises en compte. Inversement, en santé publique, les effets de la destruction des écosystèmes et des politiques de prévention ne sont pas pris en compte.

Les grands perdants de cette approche One Health, au niveau mondial, sont les autres acteurs socioéconomiques, ceux qui n'interviennent pas dans la santé ou la restauration écologique. Le groupe de travail « Santé, biodiversité » avait pourtant réussi à le faire dans le PNSE3 puisque nous avions dans le groupe de travail environ 80 membres, de toutes obédiences. Cette instance ressemblait aux instances « grenelliennes » avec des organisations non gouvernementales (ONG), des porteurs de politiques publiques, des acteurs privés dont des aménageurs du territoire, des juristes, des écologues, des agriculteurs, des vétérinaires, des médecins… Ce groupe avait travaillé sur le sujet voici dix-huit mois et réfléchissait déjà à un niveau systémique assez élevé. Il avait proposé d'inclure un axe « Une seule santé » dans le PNSE4 en conservant quatre sous-axes.

– l'une sur les liens entre certaines maladies et les écosystèmes pour rechercher les éléments de nature qui ont un impact positif sur la prévalence d'une maladie humaine, qui permettraient de réduire la prévalence des maladies humaines ;

– l'autre sur les types de nature et les composantes naturelles qui influent sur le bien-être et la santé mentale des hommes, sujet sur lequel il existe des travaux récents et innovants qui mériteraient d'être poursuivis ;

1.2. acquisition de connaissances nouvelles sur la santé des écosystèmes puisque nous ne disposons que très peu d'études qui s'intéressent à cette problématique :

– réaliser une étude bibliographique ou une revue systématique sur le concept de santé des écosystèmes, les facteurs qui influencent cette santé, comment préserver une bonne santé et comment, dans un contexte de changement climatique, avoir tout de même des écosystèmes fonctionnels, qui rendent ce service de protection de la santé humaine ;

– s'intéresser aux indicateurs de santé des écosystèmes. Cette notion fait encore débat dans la communauté scientifique. Il faut savoir ce qu'est un écosystème en bonne santé et ce dans les différents secteurs de l'environnement : l'eau, le sol, l'air… Nous proposons de réaliser une revue systématique pour déterminer les indicateurs existants et de les évaluer pour connaître leur pertinence ;

– accompagner et soutenir des recherches sur les liens entre biodiversité et maladies infectieuses. Il reste de nombreuses lacunes dans nos connaissances dans ce domaine. La FRB a produit une synthèse qui reprend les différentes questions qui se posent, les publications actuellement disponibles – en mai dernier – et les lacunes encore présentes. Dans le PNSE4, nous pourrions favoriser les recherches sur ces lacunes.

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