Nous nous intéressons à cette question et avons eu l'occasion d'en parler lors de plusieurs colloques. Trois phénomènes sont en jeu.
Le premier est l'amnésie environnementale, mais elle a lieu presque de bonne foi puisque les personnes concernées n'ont pas connu la biodiversité que nous voudrions retrouver ou défendre. C'est de plus en plus vrai chez les jeunes qui vivent de plus en plus dans un milieu où la biodiversité est dégradée.
Le deuxième est l'opposition. Le rapport de l'IPBES proposait de partir sur des trajectoires de changement dites « transformatives », c'est-à-dire consistant à transformer nos sociétés, nos modes de consommation. Ceci défavorisera forcément certaines catégories d'acteurs qui bénéficient actuellement du système mondialisé tel qu'il est et s'y opposeront donc fortement.
Le troisième aspect est le déni : face à une mise en accusation, par exemple du monde agricole, un certain nombre d'acteurs refusent d'entendre qu'ils sont responsables. Nous pourrions considérer qu'ils sont de bonne foi parce qu'ils n'ont pas construit seuls ce modèle agricole et tout n'est pas de leur responsabilité. Ils en sont souvent plus les victimes que les coupables.
Que faire ? Il s'agit de concilier la préservation de la biodiversité et les activités humaines. Nous sommes persuadés que nous parviendrons à agir par la formation et l'information. C'est la raison pour laquelle nous avons fortement développé le service communication de la FRB. Je pense que le monde de la recherche est de plus en plus allant pour participer à la transmission d'informations. De plus en plus de chercheurs s'expriment dans les médias et communiquent sur les résultats de leur recherche, notamment parmi les chercheurs en écologie.
Cela génère malheureusement parfois aussi un certain désespoir, même de notre part, parce que nous avons l'impression de crier dans le vide bien souvent. Nous avons aussi parfois de très bonnes nouvelles. Nous sentons que la jeune génération se soucie réellement de la biodiversité ce qui est très positif. Ils y sont, je pense, beaucoup plus sensibles que ma génération par exemple, au même âge. Certains acteurs veulent résolument changer comme nous l'avons vu de la part d'entreprises et du monde agricole aussi. Une partie du monde agricole change résolument de trajectoire et veut montrer que c'est possible. C'est précisément en montrant que c'est possible que nous y parviendrons.
L'action de l'État pourrait consister à mettre en œuvre ces exemples d'actions possibles sur un territoire et à leur faire largement de la publicité pour que d'autres territoires voient ce qu'il est possible de faire à coût égal, avec des bénéfices bien supérieurs pour la biodiversité et la qualité de vie.
Un autre aspect de la question est de savoir comment mesurer la réussite. Nous l'avons beaucoup étudié via notre conseil scientifique, avec notamment Harold Levrel qui est économiste. Connaître les bons indicateurs pour mesurer la réussite est une question cruciale, soulevée également par l'IPBES qui préconise de changer d'indicateurs. Il s'agirait de se baser sur la qualité de vie plutôt que le PIB.
En gagnant beaucoup d'argent, je peux habiter dans un bel appartement mais sans voir beaucoup de nature et je serai peut-être moins heureux qu'en habitant une maison plus humble mais en ayant tous les jours accès à la nature. J'aurai peut-être moins de maladies mentales. L'une des études que nous avons menées dans le groupe de travail démontre que l'accès à des espaces verts et des espaces bleus permet une meilleure santé mentale.
Nous constatons une inégalité dans l'accès à l'environnement et les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, sont celles qui ont le moins accès aux espaces verts, aux espaces de nature. C'est en partie pour des raisons d'argent puisque les plus riches peuvent aller à l'autre bout du monde, dans la forêt tropicale par exemple, mais c'est également vrai sur le territoire. L'organisation urbaine est telle que, dans les villes, les grands parcs ne sont pas à côté des HLM mais plutôt dans les beaux quartiers et c'est ce qui fait le prix des beaux quartiers. Les villes dans lesquelles les habitants des logements sociaux ont accès à un espace de nature sont très rares.
Il faut réfléchir de façon globale, systématiser les problèmes et essayer de remonter au niveau supérieur. Nous avons certes un problème de logement social à résoudre mais le résoudre en construisant des immeubles sur un parc en ville n'est pas forcément la solution. C'est pourtant parfois ce qui est choisi. Un parc est certes une surface libre mais il faut une réflexion globale pour savoir à quel espace de nature auront accès les habitants en cas de suppression du parc et essayer de trouver une autre solution. Je pense que, à chaque fois que les acteurs se sont mis autour d'une table et ont cherché une solution, ils y sont parvenus. Ce travail fait partie de l'évaluation.