Intervention de Hervé Lapie

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la FNSEA :

Les questions de santé environnementale sont très larges. Elles concernent l'alimentation, l'air, l'eau, le sol, la biodiversité, le stockage du carbone dans le sol, la réduction des gaz à effet de serre, mais aussi la santé au travail et la lutte contre le changement climatique.

Nous sommes pleinement conscients des liens entre santé humaine, santé animale, santé végétale, alimentation, qualité de l'environnement et santé au travail. Pour un agriculteur, cela signifie produire des animaux et des végétaux en bonne santé, dans un environnement sain, en préservant les ressources naturelles et environnementales telles que l'eau, le sol, la faune, la flore, la biodiversité, les pollinisateurs, les ressources naturelles environnantes, dans le respect de notre entourage et nos concitoyens.

Le métier d'agriculteur est au cœur des métiers du vivant. Il dépend des aléas climatiques, des aléas sanitaires et il doit donc s'adapter en permanence pour assurer le suivi de l'ensemble des cultures et des animaux. De plus, l'agriculture est prise, depuis plusieurs années, dans une mondialisation galopante.

De très nombreux facteurs influent fortement sur l'agriculture : la mondialisation des échanges, le réchauffement climatique, la réduction des surfaces cultivables liée à la rapide artificialisation des sols, l'augmentation des populations, le développement de nouveaux modes de consommation dont la restauration hors domicile, l'apparition de nouveaux besoins de production agricole, par exemple pour la production d'énergies renouvelables, la nécessité de faire en sorte que l'agriculture participe à la réduction des gaz à effet de serre grâce à la photosynthèse des plantes et en stockant le carbone dans le sol.

La FNSEA est un réseau d'agriculteurs organisé depuis les années 1950 par fédérations départementales dans les 96 départements et par fédérations régionales dans les 13 régions. Nous avons également plus de 31 associations spécialisées dans les différentes productions végétales et animales qui travaillent à accompagner l'ensemble des agriculteurs. Le conseil d'administration, très pluriel, représente l'ensemble de l'agriculture française en élevage, en polyculture-élevage, en productions spécialisées, en agriculture biologique, en circuits courts et en producteurs d'énergie.

La profession est présente dans de nombreuses instances contribuant aux différents plans d'action liés à la santé environnementale dont le programme national nutrition santé (PNNS), le programme national pour l'alimentation (PNAN), le plan ÉcoAntibio, le plan Écophyto 2+, les mises en œuvre des différentes directives « nitrates », le plan national de réduction des émissions de pollutions atmosphériques, le plan Biodiversité, les dispositifs de lutte contre l'artificialisation du foncier, le plan protéines, le plan santé au travail (PST), la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et le plan national santé-environnement (PNSE).

Notre objectif dans de nombreux groupes de travail est de mettre à disposition de nos agriculteurs les meilleures techniques disponibles. Nous informons nos adhérents de toutes les pratiques, aussi bien en ce qui concerne l'évolution du matériel que la recherche et l'innovation. L'idée est d'anticiper, de prévoir. Dans le cadre du plan Écophyto, la FNSEA a créé voici cinq ans une association nommée « Autour du contrat de solutions ». Plus de quarante partenaires sont réunis pour identifier les solutions afin de réduire l'utilisation des produits de santé végétale, favoriser les solutions sur le terrain et accélérer la recherche de nouvelles solutions.

Nous insistons beaucoup sur ce volet recherche et innovation pour accompagner les transitions en agriculture. Nous savons très bien que nous sommes dans une période de transition. Il nous avait été demandé dans les années 1950-1960 d'assurer l'autonomie alimentaire de nos 500 millions de concitoyens européens. Nous sommes aujourd'hui dans une nouvelle phase : les enjeux autour de l'alimentation sont toujours aussi importants, mais portent aussi sur la protection des ressources et la contribution de l'agriculture à de nouvelles solutions, notamment autour du réchauffement climatique et des énergies fossiles. Nous ne sommes pas la solution mais une partie de la solution et il nous faut travailler en partenariat avec l'ensemble des ministères.

L'idée de ce contrat de solutions est d'apporter une aide à la décision. Par exemple, la maladie aujourd'hui la plus importante de la pomme de terre est le mildiou. Les outils d'aide à la décision nous permettent d'intervenir au moment opportun, lorsque la plante est sous pression climatique et qu'il nous faut protéger nos plants de pommes de terre par un traitement anti-mildiou.

La génétique est également d'une aide fondamentale. C'est le cas par exemple pour la betterave sucrière ; la filière a beaucoup investi dans la recherche génétique, notamment pour la résistance à la cercosporiose. En une dizaine d'années, des variétés résistantes ont permis de réduire de 50 % les traitements.

Concernant la santé-environnement, nous nous préoccupons aussi de la protection des utilisateurs. C'est un levier important et nous avons développé une politique de protection individuelle des agriculteurs. Nous sommes les premiers concernés ; nous faisons des campagnes de promotion et d'accompagnement de la protection individuelle auprès de nos agriculteurs.

S'agissant du carbone et de la biodiversité, nous avons créé une marque qui deviendra une association, Épiterre. Nous savons très bien devoir aménager nos territoires en prenant en compte les trames vertes, les trames bleues. L'idée d'Épiterre est d'accompagner un projet auprès des agriculteurs et de « refaire du lien » avec les entreprises françaises. Nous souhaitons qu'elles puissent investir par le biais de leur responsabilité sociale et environnementale dans des pratiques environnementales et que le réceptacle en soit les agriculteurs pour que nous mettions en place ces aménagements : haies, jachères mellifères, bandes enherbées pour favoriser la nidification et la protection de la biodiversité.

Nous avons également développé un outil, Systera, sur les risques pour nos salariés. Il s'agit d'un document unique d'évaluation des risques en santé au travail.

En ce qui concerne le changement climatique, nous avons réfléchi depuis deux ans à un rapport d'orientation pour les prochaines années. Comment l'agriculture peut-elle contribuer à atténuer ce réchauffement climatique ? L'une des solutions est de se passer des énergies fossiles, en France et en Europe, grâce à ce levier important de photosynthèse que sont l'agriculture et la forêt.

Pour la troisième année, la France est reconnue pour apporter une alimentation saine et durable à ses citoyens. Ces résultats sont encourageants pour les politiques mises en place mais aussi pour les agriculteurs qui doivent retrouver une certaine fierté de leur métier en contribuant à la protection des ressources naturelles.

Les résultats du plan ÉcoAntibio sont bons : ce plan a permis une réduction assez drastique de plus de 40 % en dix ans de la consommation d'antibiotiques dans les élevages. Ce sont des efforts considérables, accompagnés au quotidien par nos vétérinaires.

En ce qui concerne le plan Écophyto, la profession a pour objectif d'utiliser le moins possible les produits de santé végétale, notamment les produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR). Entre 2016 et 2019, nous avons diminué la consommation de 15 % pour les CMR de catégorie 1 et de 9 % pour les CMR de catégorie 2. L'objectif est de se passer des produits les plus dangereux, lorsqu'il existe une alternative pour ne pas laisser les agriculteurs dans une impasse. Nous travaillons aussi au développement des produits de biocontrôle qui sont actuellement en pleine explosion en France et c'est plutôt une bonne nouvelle.

Les analyses de résidus dans les denrées alimentaires sont très sévères en France et peu de produits ne respectent pas les normes. C'est une satisfaction pour les agriculteurs, tout en sachant que les produits de santé végétale sont destinés à protéger les plantes. Nous sommes très attentifs à toutes les maladies qui pourraient se développer sans protection. Je pense notamment aux mycotoxines. En tant que céréalier et éleveur de porcs, je sais très bien qu'une plante mal soignée peut avoir des conséquences très néfastes sur mon élevage. Si les animaux consomment une céréale contenant de la vomitoxine, une mycotoxine, ils sont très mal et se comportent de manière irrationnelle. Il faut que nous apportions une alimentation saine à nos animaux.

Globalement, l'agriculture est une activité économique qui a des impacts sur l'environnement. Nous devons les minimiser mais, comme pour tout secteur économique de production, il faut évaluer les bénéfices, les risques et continuer à évoluer grâce à la recherche et à l'innovation.

La santé environnementale est l'affaire de tous, pas uniquement des agriculteurs. Elle concerne les territoires, l'activité économique. Nous proposons souvent d'éviter de travailler en « silos ». Il faut travailler avec les collectivités, les intercommunalités, les départements, les régions, l'État pour mieux comprendre, mesurer, savoir surveiller ce que nous faisons sur nos territoires. Il faut agir à différents niveaux, de l'international aux citoyens et nous avons tous des exemples concrets.

Il faut former nos agriculteurs et j'insiste sur l'animation, un sujet essentiel pour l'accompagnement de la transition vers les meilleures pratiques disponibles. Il faut mettre en place tous les outils pour être dans l'action.

La France est inscrite dans la politique agricole commune européenne. C'est l'Europe qui a fait la force de son agriculture. Nous souhaitons une harmonisation européenne sur tous ces enjeux de santé-environnement. Nous demandons d'être attentifs à avoir une même pratique pour une alimentation accessible à l'ensemble de nos concitoyens et qui respecte les mêmes normes. Par exemple, le glyphosate n'est pas utilisé sur des cultures en place en France mais peut l'être aux États-Unis ou au Canada, même huit ou dix jours avant la récolte. Des produits d'importation, notamment des lentilles, sont consommés par nos concitoyens. Il faut informer les citoyens, valoriser l'agriculture française et faire en sorte qu'elle soit mieux reconnue de nos concitoyens pour éviter de grever notre compétitivité.

La recherche des alternatives aux produits de santé végétale doit être développée. Nous ne sommes pas réfractaires au sujet, nous avons besoin de recherches. Il faut aussi mettre en place des indicateurs de suivi pour valoriser les progrès faits par les différentes filières.

Nous sommes dans une période de transition où il faut accompagner l'agriculture. Dans le milieu du vivant, il faut investir à moyen ou à long terme. Nous avons créé l'association Symbiose en Champagne-Ardenne en 2012. Depuis huit ans, nous faisons de l'animation sur le terrain. Nous nous rendons compte que, pour faire évoluer les pratiques des agriculteurs, il nous faut trois ans d'animation sur chaque territoire que nous investissons. Il faut trois ans d'expérimentations scientifiques, techniques, économiques et sociétales pour que les agriculteurs disposent des connaissances utiles. Il nous faut donc trois ans pour faire évoluer les pratiques tout en respectant le travail des agriculteurs et en les remettant en confiance.

Dans ma région, la mise en place des trames vertes ne pose pas de problème parce qu'elle est bien comprise. Nous assurons l'interface avec les maires, les élus, les apiculteurs, les chasseurs. Nous sommes dans un dialogue permanent, en faisant chacun un pas vers les autres plutôt que de faire des pas les uns contre les autres. Nous essayons de nous rassembler pour trouver des solutions et, en tant que responsable agricole, j'en retiens l'enseignement que le dialogue et la concertation sont importants face à ces enjeux. Il s'agit d'accompagner les agriculteurs et l'agriculture dans cette période de transition, de leur donner une visibilité, un projet et surtout l'envie d'entreprendre dans une France reconnue pour la qualité et la diversité de ses produits alimentaires.

L'agriculture est de plus capable d'accueillir des touristes dans l'ensemble des territoires français, en entretenant le territoire de manière assez exceptionnelle. Nous pouvons créer des passerelles entre le monde agricole et l'ensemble de nos concitoyens même si nous ne représentons plus que 2 % de la population active. Nous avons un projet commun à partager avec l'ensemble de la population.

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