L'audition débute à neuf heures trente-cinq.
Nous recevons M. Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Mme Nelly Le Corre-Gabens, cheffe du service environnement à la FNSEA.
Vous êtes agriculteur, éleveur de porcs dans la Marne. Vous avez fondé et présidez l'association « Symbiose, pour les paysages de biodiversité » dont l'objet est de promouvoir des projets de territoire en faveur de la biodiversité. Le choix du modèle d'agriculture est un marqueur important des préoccupations de santé environnementale pour tous nos concitoyens, au premier rang desquels les agriculteurs eux-mêmes bien sûr.
Comment et à quelles conditions une plus grande préoccupation portée aux questions de santé environnementale, de maintien de la biodiversité et plus largement de performance environnementale peut-elle constituer un élément de la compétitivité d'exploitations à dimension humaine ?
(M. Hervé Lapie prête serment.)
Les questions de santé environnementale sont très larges. Elles concernent l'alimentation, l'air, l'eau, le sol, la biodiversité, le stockage du carbone dans le sol, la réduction des gaz à effet de serre, mais aussi la santé au travail et la lutte contre le changement climatique.
Nous sommes pleinement conscients des liens entre santé humaine, santé animale, santé végétale, alimentation, qualité de l'environnement et santé au travail. Pour un agriculteur, cela signifie produire des animaux et des végétaux en bonne santé, dans un environnement sain, en préservant les ressources naturelles et environnementales telles que l'eau, le sol, la faune, la flore, la biodiversité, les pollinisateurs, les ressources naturelles environnantes, dans le respect de notre entourage et nos concitoyens.
Le métier d'agriculteur est au cœur des métiers du vivant. Il dépend des aléas climatiques, des aléas sanitaires et il doit donc s'adapter en permanence pour assurer le suivi de l'ensemble des cultures et des animaux. De plus, l'agriculture est prise, depuis plusieurs années, dans une mondialisation galopante.
De très nombreux facteurs influent fortement sur l'agriculture : la mondialisation des échanges, le réchauffement climatique, la réduction des surfaces cultivables liée à la rapide artificialisation des sols, l'augmentation des populations, le développement de nouveaux modes de consommation dont la restauration hors domicile, l'apparition de nouveaux besoins de production agricole, par exemple pour la production d'énergies renouvelables, la nécessité de faire en sorte que l'agriculture participe à la réduction des gaz à effet de serre grâce à la photosynthèse des plantes et en stockant le carbone dans le sol.
La FNSEA est un réseau d'agriculteurs organisé depuis les années 1950 par fédérations départementales dans les 96 départements et par fédérations régionales dans les 13 régions. Nous avons également plus de 31 associations spécialisées dans les différentes productions végétales et animales qui travaillent à accompagner l'ensemble des agriculteurs. Le conseil d'administration, très pluriel, représente l'ensemble de l'agriculture française en élevage, en polyculture-élevage, en productions spécialisées, en agriculture biologique, en circuits courts et en producteurs d'énergie.
La profession est présente dans de nombreuses instances contribuant aux différents plans d'action liés à la santé environnementale dont le programme national nutrition santé (PNNS), le programme national pour l'alimentation (PNAN), le plan ÉcoAntibio, le plan Écophyto 2+, les mises en œuvre des différentes directives « nitrates », le plan national de réduction des émissions de pollutions atmosphériques, le plan Biodiversité, les dispositifs de lutte contre l'artificialisation du foncier, le plan protéines, le plan santé au travail (PST), la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et le plan national santé-environnement (PNSE).
Notre objectif dans de nombreux groupes de travail est de mettre à disposition de nos agriculteurs les meilleures techniques disponibles. Nous informons nos adhérents de toutes les pratiques, aussi bien en ce qui concerne l'évolution du matériel que la recherche et l'innovation. L'idée est d'anticiper, de prévoir. Dans le cadre du plan Écophyto, la FNSEA a créé voici cinq ans une association nommée « Autour du contrat de solutions ». Plus de quarante partenaires sont réunis pour identifier les solutions afin de réduire l'utilisation des produits de santé végétale, favoriser les solutions sur le terrain et accélérer la recherche de nouvelles solutions.
Nous insistons beaucoup sur ce volet recherche et innovation pour accompagner les transitions en agriculture. Nous savons très bien que nous sommes dans une période de transition. Il nous avait été demandé dans les années 1950-1960 d'assurer l'autonomie alimentaire de nos 500 millions de concitoyens européens. Nous sommes aujourd'hui dans une nouvelle phase : les enjeux autour de l'alimentation sont toujours aussi importants, mais portent aussi sur la protection des ressources et la contribution de l'agriculture à de nouvelles solutions, notamment autour du réchauffement climatique et des énergies fossiles. Nous ne sommes pas la solution mais une partie de la solution et il nous faut travailler en partenariat avec l'ensemble des ministères.
L'idée de ce contrat de solutions est d'apporter une aide à la décision. Par exemple, la maladie aujourd'hui la plus importante de la pomme de terre est le mildiou. Les outils d'aide à la décision nous permettent d'intervenir au moment opportun, lorsque la plante est sous pression climatique et qu'il nous faut protéger nos plants de pommes de terre par un traitement anti-mildiou.
La génétique est également d'une aide fondamentale. C'est le cas par exemple pour la betterave sucrière ; la filière a beaucoup investi dans la recherche génétique, notamment pour la résistance à la cercosporiose. En une dizaine d'années, des variétés résistantes ont permis de réduire de 50 % les traitements.
Concernant la santé-environnement, nous nous préoccupons aussi de la protection des utilisateurs. C'est un levier important et nous avons développé une politique de protection individuelle des agriculteurs. Nous sommes les premiers concernés ; nous faisons des campagnes de promotion et d'accompagnement de la protection individuelle auprès de nos agriculteurs.
S'agissant du carbone et de la biodiversité, nous avons créé une marque qui deviendra une association, Épiterre. Nous savons très bien devoir aménager nos territoires en prenant en compte les trames vertes, les trames bleues. L'idée d'Épiterre est d'accompagner un projet auprès des agriculteurs et de « refaire du lien » avec les entreprises françaises. Nous souhaitons qu'elles puissent investir par le biais de leur responsabilité sociale et environnementale dans des pratiques environnementales et que le réceptacle en soit les agriculteurs pour que nous mettions en place ces aménagements : haies, jachères mellifères, bandes enherbées pour favoriser la nidification et la protection de la biodiversité.
Nous avons également développé un outil, Systera, sur les risques pour nos salariés. Il s'agit d'un document unique d'évaluation des risques en santé au travail.
En ce qui concerne le changement climatique, nous avons réfléchi depuis deux ans à un rapport d'orientation pour les prochaines années. Comment l'agriculture peut-elle contribuer à atténuer ce réchauffement climatique ? L'une des solutions est de se passer des énergies fossiles, en France et en Europe, grâce à ce levier important de photosynthèse que sont l'agriculture et la forêt.
Pour la troisième année, la France est reconnue pour apporter une alimentation saine et durable à ses citoyens. Ces résultats sont encourageants pour les politiques mises en place mais aussi pour les agriculteurs qui doivent retrouver une certaine fierté de leur métier en contribuant à la protection des ressources naturelles.
Les résultats du plan ÉcoAntibio sont bons : ce plan a permis une réduction assez drastique de plus de 40 % en dix ans de la consommation d'antibiotiques dans les élevages. Ce sont des efforts considérables, accompagnés au quotidien par nos vétérinaires.
En ce qui concerne le plan Écophyto, la profession a pour objectif d'utiliser le moins possible les produits de santé végétale, notamment les produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR). Entre 2016 et 2019, nous avons diminué la consommation de 15 % pour les CMR de catégorie 1 et de 9 % pour les CMR de catégorie 2. L'objectif est de se passer des produits les plus dangereux, lorsqu'il existe une alternative pour ne pas laisser les agriculteurs dans une impasse. Nous travaillons aussi au développement des produits de biocontrôle qui sont actuellement en pleine explosion en France et c'est plutôt une bonne nouvelle.
Les analyses de résidus dans les denrées alimentaires sont très sévères en France et peu de produits ne respectent pas les normes. C'est une satisfaction pour les agriculteurs, tout en sachant que les produits de santé végétale sont destinés à protéger les plantes. Nous sommes très attentifs à toutes les maladies qui pourraient se développer sans protection. Je pense notamment aux mycotoxines. En tant que céréalier et éleveur de porcs, je sais très bien qu'une plante mal soignée peut avoir des conséquences très néfastes sur mon élevage. Si les animaux consomment une céréale contenant de la vomitoxine, une mycotoxine, ils sont très mal et se comportent de manière irrationnelle. Il faut que nous apportions une alimentation saine à nos animaux.
Globalement, l'agriculture est une activité économique qui a des impacts sur l'environnement. Nous devons les minimiser mais, comme pour tout secteur économique de production, il faut évaluer les bénéfices, les risques et continuer à évoluer grâce à la recherche et à l'innovation.
La santé environnementale est l'affaire de tous, pas uniquement des agriculteurs. Elle concerne les territoires, l'activité économique. Nous proposons souvent d'éviter de travailler en « silos ». Il faut travailler avec les collectivités, les intercommunalités, les départements, les régions, l'État pour mieux comprendre, mesurer, savoir surveiller ce que nous faisons sur nos territoires. Il faut agir à différents niveaux, de l'international aux citoyens et nous avons tous des exemples concrets.
Il faut former nos agriculteurs et j'insiste sur l'animation, un sujet essentiel pour l'accompagnement de la transition vers les meilleures pratiques disponibles. Il faut mettre en place tous les outils pour être dans l'action.
La France est inscrite dans la politique agricole commune européenne. C'est l'Europe qui a fait la force de son agriculture. Nous souhaitons une harmonisation européenne sur tous ces enjeux de santé-environnement. Nous demandons d'être attentifs à avoir une même pratique pour une alimentation accessible à l'ensemble de nos concitoyens et qui respecte les mêmes normes. Par exemple, le glyphosate n'est pas utilisé sur des cultures en place en France mais peut l'être aux États-Unis ou au Canada, même huit ou dix jours avant la récolte. Des produits d'importation, notamment des lentilles, sont consommés par nos concitoyens. Il faut informer les citoyens, valoriser l'agriculture française et faire en sorte qu'elle soit mieux reconnue de nos concitoyens pour éviter de grever notre compétitivité.
La recherche des alternatives aux produits de santé végétale doit être développée. Nous ne sommes pas réfractaires au sujet, nous avons besoin de recherches. Il faut aussi mettre en place des indicateurs de suivi pour valoriser les progrès faits par les différentes filières.
Nous sommes dans une période de transition où il faut accompagner l'agriculture. Dans le milieu du vivant, il faut investir à moyen ou à long terme. Nous avons créé l'association Symbiose en Champagne-Ardenne en 2012. Depuis huit ans, nous faisons de l'animation sur le terrain. Nous nous rendons compte que, pour faire évoluer les pratiques des agriculteurs, il nous faut trois ans d'animation sur chaque territoire que nous investissons. Il faut trois ans d'expérimentations scientifiques, techniques, économiques et sociétales pour que les agriculteurs disposent des connaissances utiles. Il nous faut donc trois ans pour faire évoluer les pratiques tout en respectant le travail des agriculteurs et en les remettant en confiance.
Dans ma région, la mise en place des trames vertes ne pose pas de problème parce qu'elle est bien comprise. Nous assurons l'interface avec les maires, les élus, les apiculteurs, les chasseurs. Nous sommes dans un dialogue permanent, en faisant chacun un pas vers les autres plutôt que de faire des pas les uns contre les autres. Nous essayons de nous rassembler pour trouver des solutions et, en tant que responsable agricole, j'en retiens l'enseignement que le dialogue et la concertation sont importants face à ces enjeux. Il s'agit d'accompagner les agriculteurs et l'agriculture dans cette période de transition, de leur donner une visibilité, un projet et surtout l'envie d'entreprendre dans une France reconnue pour la qualité et la diversité de ses produits alimentaires.
L'agriculture est de plus capable d'accueillir des touristes dans l'ensemble des territoires français, en entretenant le territoire de manière assez exceptionnelle. Nous pouvons créer des passerelles entre le monde agricole et l'ensemble de nos concitoyens même si nous ne représentons plus que 2 % de la population active. Nous avons un projet commun à partager avec l'ensemble de la population.
Quelle est la définition même que vous donnez à la santé environnementale ? Chacun en parle sans vraiment en définir le périmètre.
Vous avez dit que la santé environnementale est l'affaire de tous et non seulement des agriculteurs. Vous paraissiez avoir l'impression d'être au cœur de la problématique alors que, effectivement, vous n'êtes qu'une partie aussi bien du problème que de la solution.
Vous n'êtes certes que 2 % de la population mais cette petite partie de la population est extrêmement déterminante pour la qualité de vie des Français. Vous avez énoncé le nombre de groupes de travail, le nombre de plans auxquels vous avez participé, parlé rapidement de la stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens et du plan national santé-environnement. Je sais que vous siégez dans le groupe santé environnement (GSE). Je voudrais que vous me disiez comment vous voyez la santé environnementale en France, au-delà de la place et de l'action de la FNSEA, et comment vous vous situez. Que proposez-vous concrètement dans ce domaine ?
Dans ces groupes de travail, nous proposons d'identifier les freins, qui peuvent parfois être économiques, et surtout les leviers pour accompagner cette transition agricole.
Par exemple, les éleveurs de porcs ont des effluents à épandre. Ces effluents peuvent avoir une action sur la pollution atmosphérique lorsque le lisier est épandu avec une buse palette. L'idée est donc de réfléchir aux meilleures techniques disponibles pour éviter la diffusion de l'ammoniac dans la nature. Nous pouvons équiper nos appareils d'une rampe ou d'un enfouisseur pour injecter directement la matière fertilisante dans le sol et éviter l'évaporation dans l'air.
L'idée est d'identifier l'ensemble des leviers utilisables pour chaque technique, de les vulgariser auprès de nos agriculteurs mais aussi de les accompagner financièrement car cela nécessite des investissements, parfois conséquents, dans les exploitations agricoles. Nous travaillons donc sur le levier de la santé, le levier de l'environnement et aussi sur le levier économique pour apporter des solutions pour cette fameuse transition. Elle mérite un accompagnement financier de nos exploitations agricoles.
Dans le cas du plan Écophyto, nous accompagnons la mise en place des groupes Dephy. Plus de 30 000 agriculteurs font aujourd'hui partie de ces groupes Dephy avec des plans de réduction des produits de santé végétale de 30 à 50 %. Lorsque nos techniciens accompagnent ces agriculteurs, que ce soit par le biais des chambres d'agriculture ou de nos organisations économiques telles que les coopératives et les négoces, notre but est de vulgariser la connaissance que certains agriculteurs ont acquise par l'expérimentation et de savoir si cela est accessible à tous. Les agriculteurs sont aussi des expérimentateurs et il faut que nous puissions vulgariser auprès de l'ensemble de la profession agricole ce que les pionniers mettent place.
Lorsque nous avons les solutions, l'information est importante pour les diffuser à plus grande échelle. En matière de santé environnementale, il semble aussi important de partager avec les différents ministères. Outre son ministère, l'agriculture travaille aujourd'hui avec le ministère de l'environnement, le ministère de la santé et le ministère de l'économie. Nous sommes souvent en relation avec ces quatre ministères pour accompagner la transition car nous ne pouvons pas cloisonner le sujet au seul ministère de l'environnement et de la transition écologique. Notre secteur d'activité est beaucoup plus pluriel.
Le plan sur la biodiversité est un autre exemple. Je suis administrateur à l'office français pour la biodiversité (OFB). J'y représente la FNSEA. L'OFB a une fonction de police environnementale, de sanction. Nous essayons de ne pas avoir ce seul rôle régalien de police, mais aussi un rôle de formation et d'accompagnement. Ces sujets de biodiversité sont importants pour les dix à quinze ans à venir et nous considérons les agriculteurs comme les principaux défenseurs de ce patrimoine naturel. Il faut lutter contre l'artificialisation des sols mais aussi aider les agriculteurs à mieux connaître et mieux comprendre comment fonctionne la biodiversité dans nos territoires.
Ce sont des sujets nouveaux que je n'ai jamais appris à l'école : je suis sorti de l'école dans les années 1990, je me suis installé comme agriculteur en 1992. Il faut que nous soyons accompagnés par des experts scientifiques, techniques pour avoir la connaissance et mettre en place dans les territoires des actions simples et efficaces.
Vous répondez à ma question de façon indirecte. J'entends le fait que la FNSEA est particulièrement consciente des enjeux de la santé environnementale et de la place que les agriculteurs occupent dans le dispositif.
Vous insistez sur cette phase de transition qu'il faut accompagner et cela semble signifier que tous les agriculteurs ont pris conscience de la place qu'ils occupent dans notre problématique planétaire, aussi bien en ce qui concerne le réchauffement climatique que les pollutions en tous genres, notamment l'exposition à la chimie.
Votre discours est assez réconfortant et vous semblez vraiment engagé dans cette dynamique. Pourtant, des dissonances et des décalages énormes existent entre ce que vous portez comme objectif et ce que nous observons sur le terrain, c'est-à-dire des pratiques qui continuent à être polluantes, qui mettent en péril notamment les riverains.
Il existe sur le terrain des conflits entre la population et les agriculteurs. Ils font certes l'objet d'une concentration de toute l'agressivité et des inquiétudes de la population. Lorsque les agriculteurs sortent en tenue de cosmonaute pour arroser leurs champs, les gens ne peuvent que s'interroger sur les risques qu'ils leur font prendre. J'observe, sur le terrain, un véritable décalage entre le discours, le ressenti et les témoignages d'une certaine inquiétude générale.
Je suis parfaitement d'accord sur le fait que l'agriculture française a dû faire un bond technique, notamment par le recours aux produits phytosanitaires, pour répondre à la demande après la guerre. Tout le monde est coresponsable de ce recours systématique à la chimie pour augmenter la productivité, cela nous a évité la famine et il faut répondre aux besoins alimentaires.
Le souci est que cela donne l'impression que nous avons un peu joué aux apprentis sorciers et que nous avons été dépassés par les outils. Il faudrait revenir maintenant à une sobriété chimique. Je ne parle pas d'une disparition complète mais d'une sobriété. Nous risquons sinon de tous nous mettre en péril, aussi bien les agriculteurs que la population française.
Comment gérer ce décalage entre les objectifs et la réalité du terrain ? Notamment, au-delà de ce que vous nous avez présenté qui prouve la prise de conscience au plus haut niveau des confédérations paysannes, vous êtes-vous donné des objectifs quantifiés, par région par exemple ? J'ai essayé d'avoir quelques informations sur les pratiques culturales dans ma circonscription mais il n'existe aucun document. Nous n'avons pas de cartographie. Nous ne savons pas qui consomme des produits phytosanitaires et lesquels. Nous ne savons pas où se trouvent les problèmes.
Nous savons par grande filière quelles sont les difficultés techniques rencontrées mais j'ai l'impression que votre stratégie est incomplète. Vous parlez d'Écophyto dont tout le monde s'accorde malheureusement à dire que c'est un échec. Pourquoi cet outil conçu pour vous aider à accomplir cette transition écologique n'a-t-il pas fonctionné ?
Vous dites qu'il faut trois ans pour convaincre un agriculteur mais depuis combien de temps avez-vous lancé cette démarche ? Pourquoi n'est-ce toujours pas efficace ? Vous êtes-vous donné des objectifs quant aux surfaces cultivées par des techniques traditionnelles, selon la région, la filière ? Avez-vous un tableau de bord qui confirme ce que vous venez de nous dire ? Avez-vous une cartographie des pratiques agricoles ? Avez-vous évalué ce qui est nécessaire financièrement ?
Nous sommes bien conscients que les agriculteurs doivent vivre de leur pratique mais nous sentons la présence de freins. Est-ce une question de formation initiale ? Est-ce une réserve d'autodéfense de la part des agriculteurs ? Comment arriver à les faire évoluer dans leur prise de conscience pour avoir un véritable effet et ne pas gaspiller de l'argent comme dans le plan Écophyto qui n'a en définitive pas été efficace ?
Lorsqu'un tel décalage est perçu, le projet n'a pas été compris. Concrètement, par exemple, vous avez parlé des conflits entre les agriculteurs et leurs voisins, autour notamment des zones de non-traitement. Il a été expliqué au début qu'il fallait, lors de l'utilisation de produits de santé végétale, une zone de retrait de 150 ou 200 mètres par rapport aux habitations. Nous aurions été collectivement plus intelligents en discutant de ces zones de non-traitement entre agriculteurs et collectivités. Ces zones sont aujourd'hui à cinq ou dix mètres, avec des chartes entre agriculteurs et départements. Nous aurions dû réfléchir au projet que nous mettrions en place entre agriculteurs, riverains et collectivités si un jour l'Anses se prononçait sur la question.
Nous nous sommes en fait heurtés à un conflit de voisinage. Ce conflit de voisinage a encore été aggravé par le fait que chacun connaît aujourd'hui l'existence de zones de non-traitement et les agriculteurs sont de ce fait encore plus stigmatisés en raison de leurs pratiques. Ils utilisent pourtant des produits ayant des autorisations de mise sur le marché (AMM) reconnues, validées par l'Anses, qui sont remises en cause par une réglementation française. Nous réfléchissons aujourd'hui à transformer ces zones de non-traitement en zones de développement de la biodiversité, en lien avec les apiculteurs, les chasseurs et les collectivités, pour protéger nos riverains mais répondre aussi à un enjeu de protection de la santé environnementale tout en développant la biodiversité.
Les agriculteurs ont été quasiment accusés alors que, par exemple, mon appareil à traiter est composé de buses antidérive. Lorsque j'interviens très tôt le matin avec une hygrométrie à 90 %, je sais que la dérive de mes produits de santé végétale ne dépasse pas 15 à 20 centimètres. Il était question au début de nous interdire de cultiver à moins de 150 mètres des habitations alors que nous perdons 60 000 hectares de foncier agricole tous les ans du fait de l'urbanisation et de l'extension du macadam.
Il nous manque en fait des espaces de dialogue dans lesquels agriculteurs et citoyens puissent réfléchir à un projet. Le décalage entre ce qui est négocié dans les ministères et ce qui est perçu provient du fait que nos agriculteurs ont le sentiment d'être montrés du doigt alors qu'ils utilisent des produits autorisés. Il faut expliquer tout ceci aux citoyens mais il faut aussi que l'État nous aide à accompagner ces transitions.
Je veux bien croire à la bonne volonté des agriculteurs sur cette question des zones de non-traitement mais la suppression de ces zonages est la première chose qu'ont demandée les agriculteurs lors de la covid. Ils ont demandé à avoir des dérogations pendant la covid pour pouvoir traiter. Comprenez donc les riverains qui sont suspicieux quant à la bonne volonté effective.
Vous parlez de dialogue. La loi Egalim prévoit la possibilité de travailler sur une charte de bonnes pratiques. Des chartes ont d'ailleurs émergé avec un consensus entre les acteurs.
Ce n'est qu'une remarque en passant, je ne souhaite pas que nous nous focalisions sur ce problème des zones de non-traitement autour des habitations. J'insistais simplement sur ce décalage pour la population entre les annonces faites et la réalité vécue sur le terrain.
Nous n'avons pas demandé de dérogation pendant la covid. Nous avons demandé de pouvoir travailler pour assurer l'approvisionnement de nos concitoyens. Je pense que les agriculteurs l'ont fait de manière remarquable durant le confinement. Tous ont travaillé, l'industrie agroalimentaire a travaillé pour assurer la continuité alimentaire fondamentale durant les trois mois de confinement. Je n'ai pas demandé de dérogation pour traiter.
Peut-être pas vous personnellement mais, à certains endroits, les dérogations ont été demandées et cela a détruit le climat de confiance créé grâce à ces chartes.
Tout le monde a tendance à dire qu'Écophyto est un échec, mais je ne suis pas de cet avis. Lorsque nous développons des groupes Dephy, nous accompagnons des agriculteurs dans cette transition. Les indicateurs ne sont pas toujours très pertinents. Ils portent sur les quantités de matière active utilisée. Lorsque nous supprimons certaines matières actives pour les remplacer par d'autres, ce ne sont pas toujours les mêmes dosages et donc les indicateurs évoluent.
Il faudrait plutôt, comme nos collègues danois, remplacer les produits dangereux par des produits beaucoup moins dangereux, qui ont un meilleur rapport bénéfices/risques pour le domaine santé-environnement. L'indicateur « quantité » n'est pas toujours pertinent et le bon indicateur porterait plutôt sur la santé et l'environnement. Nos collègues danois ont demandé d'interdire les produits les plus dangereux et je crois que nous y sommes tous favorables lorsque des solutions de substitution existent.
L'année prochaine, certains domaines connaîtront une hausse des indicateurs. Sans vouloir réactiver la polémique sur le traitement des betteraves aux néonicotinoïdes, nous avions un traitement des semences efficace contre la jaunisse, qui évitait que le puceron injecte ce virus dans la betterave. Personnellement, j'ai dû faire trois traitements insecticides de la végétation sur mes parcelles de betteraves cette année, aux mois de mai et juin, à une période où la biodiversité a besoin de protection. Je n'avais jamais fait auparavant de traitement insecticide sur les parcelles de betterave et je n'avais pas de problème avec les pollinisateurs. Chez moi, ils ne vont pas sur la betterave parce que nous avons développé de la ressource mellifère dans la région pour apporter le bol alimentaire nécessaire aux abeilles.
Nous allons donc voir les indicateurs du plan Écophyto augmenter à cause des indicateurs de fréquence de traitement phytosanitaire (IFT) que nous utilisons pour les betteraves et nous allons avoir l'effet inverse sur le développement de la biodiversité autour de nos parcelles de betteraves dans les territoires.
L'agriculture travaille dans le milieu du vivant qui n'est pas toujours simple. Nous sommes complètement dépendants des aléas climatiques, des aléas de pression sanitaire qui sont complètement différents d'une année sur l'autre. Par exemple, en 2016, nous avons eu un climat catastrophique avec notamment beaucoup de maladies comme la septoriose sur les céréales. J'ai utilisé quatre fongicides pour protéger mes céréales de cette maladie, sinon elles auraient été impropres à la consommation humaine. En 2020, au contraire, je n'ai traité qu'une seule fois ces mêmes céréales parce que je ne subissais pas de pression de maladies.
Il faut comprendre que l'agriculture travaille avec les aléas du vivant et du climat, avec l'évolution liée au changement climatique, l'évolution de certaines maladies, de certains insectes. Les indicateurs d'Écophyto ne sont pas toujours adaptés car il faut aussi intégrer tous ces changements. Selon ces indicateurs, Ecophyto ne fonctionne pas alors qu'il ne faut surtout pas l'abandonner. Nous pourrions proposer, dans une future politique agricole commune, des mesures environnementales qui accompagnent la transition des agriculteurs, sur le plan de l'animation, de la réduction des produits de santé végétale. Il faut un nouveau projet pour l'agriculture avec des mesures pertinentes.
Lorsque nous parlons d'agroécologie, nous parlons de diversité de nos assolements. Lorsque certaines cultures sont dans des impasses techniques parce que nous n'avons plus de produit de santé végétale pour protéger nos cultures, cela réduit le champ de l'agroécologie. Il faut y être très attentif.
Je suis exploitant dans la Marne, dans une région qui ne va pas trop mal en termes de diversité des cultures. J'ai neuf cultures différentes sur mon exploitation : de la betterave, des pois, des graminées porte-graines, du blé, de l'orge, du colza, de la luzerne mais j'ai des cultures qui sont dans des impasses techniques. Je fais de la graminée porte-graines pour la multiplication de semences, pour les graines qui servent à semer des pelouses ou des prairies. Cette culture, mineure en France, se trouve dans une impasse réglementaire. Si nous n'y faisons pas attention, elle disparaîtra de France et partira dans les pays de l'Est. Si je supprime cette culture de mon assolement, c'est une perte agroécologique pour mon exploitation agricole et c'est une perte pour la vie du sol. Cette graminée porte-graine a un effet bénéfique sur la matière organique, sur la vie du sol et, surtout, sur l'enjeu important qu'est la présence de vers de terre dans nos sols agricoles. L'indicateur Écophyto devrait tenir compte de la vie des sols et cet indicateur « vers de terre » est un élément fondamental pour la santé des sols. Lorsque les sols sont vivants, en bonne santé, nous pouvons produire plus et répondre au défi alimentaire.
Écophyto n'est pas un échec. Il faut le réexpliquer à tous. Il s'agit d'argent prélevé chez les agriculteurs par une redevance pour pollution diffuse, donc des taxes. Cet argent prélevé sur les agriculteurs doit être investi pour l'agriculture, pour accompagner les agriculteurs dans cette période de transition.
L'agriculture demande un temps long. Il aura fallu vingt ans pour aller vers l'autosuffisance alimentaire après la Seconde Guerre mondiale. Je ne dis pas qu'il nous faudra vingt ans pour faire cette transition. Nous avons bien entendu qu'il faut aller plus vite et nous l'entendons tous les jours.
Toutefois, cette transition agricole dépend aussi beaucoup du niveau des revenus dans les exploitations et de la capacité financière des agriculteurs à l'effectuer. Si vous trouvez qu'il existe un décalage entre les propositions de la FNSEA et la réalité, il faut voir que nous savons très bien où nous devons aller mais que la capacité des agriculteurs à effectuer cette transition est économiquement très limitée dans de nombreuses exploitations.
Nous souhaitons que les états généraux de l'alimentation se mettent en place de manière vraiment concrète. La loi de modernisation de l'économie a donné depuis quarante ans les pleins pouvoirs à la grande distribution et aux centrales d'achat. Elles ont pressé les agriculteurs sur la question du prix. Si les agriculteurs retrouvent de meilleurs prix grâce aux états généraux de l'alimentation, ils retrouveront aussi une capacité d'investissement permettant d'assumer cette transition. Le sujet économique est essentiel pour ces enjeux de santé environnementale.
Ainsi, pour vous, Écophyto n'est pas un échec. Effectivement, nous y avons mis énormément d'argent et cela poserait vraiment problème si nous arrêtions du jour au lendemain.
Votre remarque sur les indicateurs me paraît intéressante. Ils ne doivent pas être que quantitatifs mais il faut tenir compte du caractère multifactoriel de la vie agricole. Vous proposez en fait une étude d'impact en santé environnementale par substance. Il s'agirait de connaître l'impact de chaque produit phytopharmaceutique sur la santé des agriculteurs, de tous les Français et de l'environnement. Cela me semble être une proposition intéressante.
Sur la problématique des revenus agricoles, nous semblons penser que tous les agriculteurs sont très pauvres à chaque fois que nous entendons parler de cette question, qui est réelle. La cartographie des revenus des producteurs agricoles est éminemment variable. De gros producteurs céréaliers vivent extrêmement bien, ainsi que certains betteraviers. Il faut être clair : il y a agriculteur et agriculteur en France. Dans ma circonscription, quelques agriculteurs ont des superficies suffisamment importantes pour vivre largement alors que de petits maraîchers avec de très petites exploitations survivent tant bien que mal parce qu'ils font de l'élevage ou de la fabrication de produits dérivés.
Il ne faut pas faire un amalgame trop simplificateur en disant que les revenus des agriculteurs sont tous très problématiques. Ce discours rend un peu perplexe le regard porté sur les agriculteurs par le Français moyen.
De la même manière, les pratiques agricoles sont très variables. Il faut effectivement un certain temps mais depuis le temps que nous disons qu'il faut un certain temps pour passer du traditionnel au biologique ou à l'agriculture conservatrice des sols, nous ne pouvons plus attendre. Le constat de dégradation de l'environnement est tel que cela finit par être suicidaire.
Nous avons auditionné hier une scientifique de la fondation pour la biodiversité. Elle nous a fait une présentation complètement catastrophique de la situation, de la perte du vivant. Je n'insiste pas parce que vous êtes au cœur du problème mais vous y participez largement. Vous représentez 2 % de la population mais vous avez beaucoup d'impact. Ce que vous mettez ou ne mettez pas en place a en définitive un effet considérable sur la qualité de notre nourriture.
Vous avez raison, les agriculteurs ont magnifiquement tenu leur rôle durant la covid et c'est grâce à eux que nous nous nourrissons tous les jours. Je ne fais pas de l' agribashing mais j'ai tellement d'informations qui montrent l'urgence de la situation que je ne peux que réagir lorsque je vous entends dire qu'il faut donner du temps au temps.
Comment pourrions-nous accompagner cette révolution culturelle qui débouche sur des révolutions culturales ? Où sont les freins dans la perception des agriculteurs ? Où sont les freins financiers ? Écophyto prévoyait de l'argent et un effort collectif a été fait pour accompagner cette transition. Je veux bien entendre que ce n'est pas un échec mais ce n'est pas non plus un succès complet.
D'où viennent les blocages ? Comment faire en sorte qu'un agriculteur arrive à bien vivre sans polluer et mettre en danger sa santé, celle de la population et de l'environnement ? Enfin, comment assurer la relève et la formation des agriculteurs ?
Nous sommes des responsables agricoles et nous portons un projet, une vision. Nous accompagnons cette transition mais je ne suis pas dans l'idyllique. En tant que président de Symbiose, je mets en place chez moi du concret, de l'efficace, du très pragmatique en fait. Mettre en place ces pratiques agricoles ne demande parfois pas beaucoup d'investissement aux agriculteurs.
Symbiose a été créé en 2012 par huit responsables de différentes organisations, notamment les apiculteurs et les chasseurs. À l'époque, un agriculteur nous a prêté une parcelle de 30 ares et nous y avons mis en place tout un aménagement : de la jachère mellifère, de la jachère spontanée, de la haie, des buissons. Nous en avons fait une parcelle pédagogique. Nous invitons les agriculteurs, les viticulteurs – nous sommes en Champagne – à venir visiter la parcelle pour réfléchir au type d'aménagement qu'ils pourraient mettre en place. Nous travaillons avec l'éducation nationale et avec l'enseignement agricole. Des lycées viennent aussi voir cette parcelle.
Notre deuxième projet a concerné le développement des ressources mellifères. Nous avons travaillé avec les luzerniers, avec une coopération de production de luzerne, avec les apiculteurs et nous avons durant trois ans mené un protocole scientifique dans une commune, avec vingt agriculteurs. Nous avons pesé les ruches, le poids de miel produit chaque année, en comparant selon la pratique utilisée lors de la récolte de luzerne. En effet, les luzernes servent à produire des protéines. Elles sont récoltées avant de fleurir mais, sur notre sous-sol crayeux, lorsque nous laissons fleurir la luzerne, elle a un potentiel nectarifère énorme. Nous avons donc demandé aux agriculteurs de laisser une bande de trois mètres non récoltée qui permette d'apporter une ressource mellifère aux abeilles pendant la période de disette alimentaire, lorsqu'elles ne trouvent plus de fleurs dans la plaine. Cette expérimentation a été extrêmement efficace et, en 2021, l'ensemble des coopératives de luzerne proposeront à tous les agriculteurs de Champagne-Ardenne de mettre en place ces trames vertes. Nous constituerons plus de 1 750 kilomètres de trames vertes.
Nous avons créé Symbiose en 2012 et nous sommes en 2020. Certes, le temps est long mais nous sommes dans des projets concrets. Nous réfléchissons aujourd'hui à l'échelle d'une commune, Tilloy-et-Bellay dans la Marne. Cette commune est traversée par l'autoroute A4 et la ligne LGV. Le territoire a été détruit. Les agriculteurs sont au cœur du territoire. Nous essayons de travailler avec Réseau ferré de France (RFF) et la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF) pour diminuer l'impact environnemental de ces grandes infrastructures dont les agriculteurs ont plutôt facilité la mise en place. Nous essayons de restaurer ce qui a été détruit à l'époque de leur construction, lorsque nous ne prônions pas autant ces sujets de santé-environnement. Nous faisons de cette commune une commune expérimentale. Cela concerne 4 000 hectares, vingt agriculteurs. Le maire, qui n'est pas agriculteur, participe à nos travaux.
En 2021, nous mènerons un projet sur dix communes avec les maires, les présidents d'intercommunalités, les présidents d'associations foncières, les agriculteurs, pour réfléchir à l'aménagement de ce territoire. Cela prend du temps, c'est nécessaire pour la construction de projets.
Sur la question du revenu, je pense qu'il faut dépasser les clichés entre petits et gros agriculteurs. La tendance est de dire que la FNSEA regroupe les gros agriculteurs.
Non, ce n'est pas le cas. Nous représentons la diversité de l'agriculture française.
Moi-même, qui viens d'une région céréalière, j'ai 70 hectares. L'exploitation moyenne de la Marne est de 140 hectares et nous sommes encore 3 400 agriculteurs, donc très nombreux, avec des surfaces plutôt petites à l'échelle de notre environnement européen et mondial. L'objectif est de maintenir cette agriculture familiale, avec des capitaux familiaux, sur l'ensemble des territoires. Les clichés sont parfois malheureux.
Le revenu est un sujet important. Nous sommes complètement conscients qu'il ne faut pas pleurer tous les jours mais, aujourd'hui, que ce soit dans le monde animal ou végétal, se pose un problème de revenu. Même les céréaliers, depuis quatre ans, sont confrontés à des difficultés économiques assez importantes. Souvent, les aides de la politique agricole commune (PAC) sont supérieures au revenu lui-même dans les exploitations agricoles. Les aides compensatrices de la PAC représentent autour de 200 euros à l'hectare alors que, personnellement, sur mon exploitation, j'aurai un revenu d'environ 50 euros par hectare cette année. Vous voyez ce que font 50 euros par hectare quand vous avez 70 hectares.
Nous ne sommes pas là pour pleurer, nous sommes de petits chefs d'entreprise qui assumons nos responsabilités mais, de temps en temps, le revenu est un frein au développement de certaines initiatives.
Il faut être attentif à répondre à l'ensemble des marchés : le marché de l'agriculture biologique, le marché du circuit court, les marchés de l'agro-industrie et le marché de l'exportation. La force de l'agriculture provient de sa capacité à répondre à l'ensemble de ces marchés. Actuellement, 8 % des administrateurs de la FNSEA sont en agriculture biologique, plus de 25 % de nos agriculteurs sont en circuit court. Ces gens nous disent qu'il faut être très attentif à ne pas déstabiliser ces marchés. Il faut les développer mais ne pas les déstabiliser en les développant trop fortement.
L'agriculture française doit absolument répondre à des marchés, non à une demande sociétale réclamant par exemple 50 % d'agriculture biologique alors que les consommateurs font les courses en regardant les indicateurs fondamentaux que sont le prix et l'accessibilité de l'alimentation. Si l'alimentation monte en gamme, il faudra la payer plus cher. La demande existe mais il faudra accepter que les Français paient l'alimentation un peu plus cher pour rémunérer toute la filière.
L'agriculture française doit être aussi présente sur les marchés d'exportation que nous ne devons pas abandonner. Nous ne sommes pas là pour inonder le marché mais la France, sous son climat continental et un peu océanique, avec des terres partout, a la capacité de produire. Il faut garder cette capacité de production en France.
Les marchés sont pluriels et il faut répondre à tous mais il faut que l'agriculture biologique et l'agriculture raisonnée aient le même impact sur l'environnement. Ce n'est pas un droit à polluer pour l'agriculture raisonnée.
Vous semblez dire qu'il faut maintenir les quantités. Est-il possible d'obtenir la qualité environnementale tout en maintenant le même objectif quantitatif ? C'est le fond du problème.
L'objectif quantitatif n'est pas le plus pertinent.
Oui et s'il faut produire moins, nous produirons moins mais il faut que nous soyons rémunérés si nous produisons moins.
Le problème ne provient-il pas des filières de distribution ? La loi Egalim a essayé de faire en sorte que les agriculteurs soient rémunérés au juste prix en introduisant des négociations par filière pour que les distributeurs cessent d'abuser comme c'est parfois le cas. Vous parliez du prix d'achat et de ce que la ménagère est prête à sortir de son porte-monnaie mais la différence entre le prix à la production et le prix de vente final est telle que la problématique est peut-être dans les filières de distribution.
La problématique est dans les négociations. La loi Egalim prendra du temps pour se mettre en place, cela ne se fera pas du jour au lendemain et cette loi est un sujet franco-français. Je pense que nous avons beaucoup investi humainement pour représenter les agriculteurs de façon à ce que cette loi Egalim se mette en place. Nous continuerons. Nous travaillons pour que, effectivement, une partie de la valeur ajoutée revienne aux agriculteurs et que ce soit mieux réparti dans l'ensemble de la filière. Il ne s'agit pas spécialement d'une augmentation du prix pour le consommateur mais d'une meilleure répartition de la valeur au sein de la filière.
Je vous remercie pour vos propos francs et mesurés. Nous avons beaucoup appris et nous avons pu voir quelles sont les difficultés rencontrées et les pistes d'améliorations, avec quelques propositions intéressantes en matière de santé environnementale.
L'audition s'achève à dix heures cinquante.