Intervention de Hervé Lapie

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Hervé Lapie, secrétaire général adjoint de la FNSEA :

Tout le monde a tendance à dire qu'Écophyto est un échec, mais je ne suis pas de cet avis. Lorsque nous développons des groupes Dephy, nous accompagnons des agriculteurs dans cette transition. Les indicateurs ne sont pas toujours très pertinents. Ils portent sur les quantités de matière active utilisée. Lorsque nous supprimons certaines matières actives pour les remplacer par d'autres, ce ne sont pas toujours les mêmes dosages et donc les indicateurs évoluent.

Il faudrait plutôt, comme nos collègues danois, remplacer les produits dangereux par des produits beaucoup moins dangereux, qui ont un meilleur rapport bénéfices/risques pour le domaine santé-environnement. L'indicateur « quantité » n'est pas toujours pertinent et le bon indicateur porterait plutôt sur la santé et l'environnement. Nos collègues danois ont demandé d'interdire les produits les plus dangereux et je crois que nous y sommes tous favorables lorsque des solutions de substitution existent.

L'année prochaine, certains domaines connaîtront une hausse des indicateurs. Sans vouloir réactiver la polémique sur le traitement des betteraves aux néonicotinoïdes, nous avions un traitement des semences efficace contre la jaunisse, qui évitait que le puceron injecte ce virus dans la betterave. Personnellement, j'ai dû faire trois traitements insecticides de la végétation sur mes parcelles de betteraves cette année, aux mois de mai et juin, à une période où la biodiversité a besoin de protection. Je n'avais jamais fait auparavant de traitement insecticide sur les parcelles de betterave et je n'avais pas de problème avec les pollinisateurs. Chez moi, ils ne vont pas sur la betterave parce que nous avons développé de la ressource mellifère dans la région pour apporter le bol alimentaire nécessaire aux abeilles.

Nous allons donc voir les indicateurs du plan Écophyto augmenter à cause des indicateurs de fréquence de traitement phytosanitaire (IFT) que nous utilisons pour les betteraves et nous allons avoir l'effet inverse sur le développement de la biodiversité autour de nos parcelles de betteraves dans les territoires.

L'agriculture travaille dans le milieu du vivant qui n'est pas toujours simple. Nous sommes complètement dépendants des aléas climatiques, des aléas de pression sanitaire qui sont complètement différents d'une année sur l'autre. Par exemple, en 2016, nous avons eu un climat catastrophique avec notamment beaucoup de maladies comme la septoriose sur les céréales. J'ai utilisé quatre fongicides pour protéger mes céréales de cette maladie, sinon elles auraient été impropres à la consommation humaine. En 2020, au contraire, je n'ai traité qu'une seule fois ces mêmes céréales parce que je ne subissais pas de pression de maladies.

Il faut comprendre que l'agriculture travaille avec les aléas du vivant et du climat, avec l'évolution liée au changement climatique, l'évolution de certaines maladies, de certains insectes. Les indicateurs d'Écophyto ne sont pas toujours adaptés car il faut aussi intégrer tous ces changements. Selon ces indicateurs, Ecophyto ne fonctionne pas alors qu'il ne faut surtout pas l'abandonner. Nous pourrions proposer, dans une future politique agricole commune, des mesures environnementales qui accompagnent la transition des agriculteurs, sur le plan de l'animation, de la réduction des produits de santé végétale. Il faut un nouveau projet pour l'agriculture avec des mesures pertinentes.

Lorsque nous parlons d'agroécologie, nous parlons de diversité de nos assolements. Lorsque certaines cultures sont dans des impasses techniques parce que nous n'avons plus de produit de santé végétale pour protéger nos cultures, cela réduit le champ de l'agroécologie. Il faut y être très attentif.

Je suis exploitant dans la Marne, dans une région qui ne va pas trop mal en termes de diversité des cultures. J'ai neuf cultures différentes sur mon exploitation : de la betterave, des pois, des graminées porte-graines, du blé, de l'orge, du colza, de la luzerne mais j'ai des cultures qui sont dans des impasses techniques. Je fais de la graminée porte-graines pour la multiplication de semences, pour les graines qui servent à semer des pelouses ou des prairies. Cette culture, mineure en France, se trouve dans une impasse réglementaire. Si nous n'y faisons pas attention, elle disparaîtra de France et partira dans les pays de l'Est. Si je supprime cette culture de mon assolement, c'est une perte agroécologique pour mon exploitation agricole et c'est une perte pour la vie du sol. Cette graminée porte-graine a un effet bénéfique sur la matière organique, sur la vie du sol et, surtout, sur l'enjeu important qu'est la présence de vers de terre dans nos sols agricoles. L'indicateur Écophyto devrait tenir compte de la vie des sols et cet indicateur « vers de terre » est un élément fondamental pour la santé des sols. Lorsque les sols sont vivants, en bonne santé, nous pouvons produire plus et répondre au défi alimentaire.

Écophyto n'est pas un échec. Il faut le réexpliquer à tous. Il s'agit d'argent prélevé chez les agriculteurs par une redevance pour pollution diffuse, donc des taxes. Cet argent prélevé sur les agriculteurs doit être investi pour l'agriculture, pour accompagner les agriculteurs dans cette période de transition.

L'agriculture demande un temps long. Il aura fallu vingt ans pour aller vers l'autosuffisance alimentaire après la Seconde Guerre mondiale. Je ne dis pas qu'il nous faudra vingt ans pour faire cette transition. Nous avons bien entendu qu'il faut aller plus vite et nous l'entendons tous les jours.

Toutefois, cette transition agricole dépend aussi beaucoup du niveau des revenus dans les exploitations et de la capacité financière des agriculteurs à l'effectuer. Si vous trouvez qu'il existe un décalage entre les propositions de la FNSEA et la réalité, il faut voir que nous savons très bien où nous devons aller mais que la capacité des agriculteurs à effectuer cette transition est économiquement très limitée dans de nombreuses exploitations.

Nous souhaitons que les états généraux de l'alimentation se mettent en place de manière vraiment concrète. La loi de modernisation de l'économie a donné depuis quarante ans les pleins pouvoirs à la grande distribution et aux centrales d'achat. Elles ont pressé les agriculteurs sur la question du prix. Si les agriculteurs retrouvent de meilleurs prix grâce aux états généraux de l'alimentation, ils retrouveront aussi une capacité d'investissement permettant d'assumer cette transition. Le sujet économique est essentiel pour ces enjeux de santé environnementale.

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