Intervention de Arnaud Joulin

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est :

Je vous l'ai dit, Écophyto est une politique incitative : la question est donc celle du déterminant de l'incitation. Quels sont les déterminants que nous pouvons activer pour provoquer les changements de pratiques que nous souhaitons voir aboutir ? Une exploitation agricole est, avant tout, une entité économique, même si je suis témoin qu'en vingt ans, la perception des agriculteurs et des conseillers agricoles a considérablement évolué par rapport aux produits phytosanitaires. Il n'empêche qu'ils sont des acteurs d'un système économique, et il leur faut une exploitation rentable. Par rapport à une entité économique, je ne vois que deux déterminants : la réglementation, sur laquelle repose une grande partie des actions environnementales, ou des déterminants fiscaux. Où est-il le plus pertinent d'activer ces leviers ? Un agriculteur produit des denrées qu'il doit vendre. Il faut donc que les acheteurs soient prêts à acheter ce qu'il vend : les consommateurs et les entités de distribution sont in fine ceux qui décident ce que peut produire l'agriculteur.

Un des grands leviers dans le cadre de la transition écologique est l'allongement de la rotation des cultures, c'est-à-dire la production de nouvelles cultures. Le problème est qu'il est nécessaire que des gens achètent, collectent et stockent ces cultures. Dans le Grand Est, où opèrent de très grands organismes stockeurs, coopératives et négoces, tout l'outil industriel est de grande dimension. Nous avons de très grands silos localisés à peu près sur tout le territoire. Dès lors que l'on veut initier une nouvelle filière ou une nouvelle production, la difficulté est de mettre en place un circuit de collecte qui fonctionne, qui ne soit pas trop cher et qui puisse remplir un grand silo. Il y a donc aussi un problème de transition de toute la filière, notamment de la collecte et du stockage, afin de favoriser des prises d'initiatives sur de nouvelles cultures, notamment l'allongement des rotations par l'introduction d'autres cultures alimentaires ou non alimentaires. Il faut avoir des outils qui permettent cette diversification et qui puissent créer un appel d'air sur de nouvelles productions.

Du point de vue de l'alimentation, le programme national nutrition santé (PNNS) contient un certain nombre de nouvelles préconisations pour une alimentation plus saine et plus durable. Si ces revendications parviennent jusqu'aux exploitations agricoles, cela signifiera que l'on aura créé une demande pour ces produits. Pour le bio, la situation est assez simple avec un cahier des charges cadré et une marque reconnue. Pour des produits intermédiaires, qui visent à une alimentation saine et durable sans être forcément bio, nous ne disposons pas d'identifiants qui permettent à la fois à des distributeurs de les mettre en avant de manière claire et reconnue et de solliciter, par la suite, la production auprès des agriculteurs. Il faut se demander où commencer le travail : je ne suis pas persuadé que l'échelon de l'exploitation soit le premier échelon.

Ce sont là, en tout état de cause, les résultats des analyses que nous avons conduites dans le cadre d'Écophyto. La première version du plan mettait à disposition des agriculteurs des outils qui devaient leur permettre de faire évoluer leurs pratiques, mais il y manquait le déclic déterminant pour les inciter à changer leur pratique afin de valoriser leur production. Le seul élément qui fonctionnait était de montrer une diminution des charges qui leur permettait d'aboutir à un résultat financier satisfaisant. Dans un contexte de production marqué par des productions et une rotation simplifiées, ce levier est compliqué à activer, même si des exploitations y sont parvenues. Cela est plus ou moins faisable en fonction des situations de sols, de climat, etc. Mais la capacité d'initiative serait démultipliée s'il y avait un déterminant clair en faveur de certaines méthodes de production ou de certaines natures de produits. Ces stratégies ont fonctionné vis-à-vis d'agriculteurs pionniers qui cherchaient à se lancer. La difficulté est d'atteindre ceux qui ont besoin d'être sûrs d'atteindre un résultat.

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