Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DRAAF
  • PRSE
  • oeuvre
  • phytosanitaires
  • régional
  • Écophyto
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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L'audition débute à 15 heures.

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Nous recevons M. Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) du Grand Est. Parmi les compétences des DRAAF, services déconcentrés du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, figurent le contrôle de la distribution et de l'utilisation des produits phytosanitaires, des matières fertilisantes et des supports de culture, ainsi que de la diffusion des bonnes pratiques de protection des végétaux.

Monsieur Joulin, que pouvez-vous nous dire de la mise en œuvre des plans Écophyto dans le Grand Est ? Comment intervient la DRAAF dans l'élaboration et la mise en œuvre du plan régional de santé-environnement (PRSE) ?

(M. Arnaud Joulin prête serment.)

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Permettez-moi de me présenter rapidement, afin que vous compreniez mon implication sur ces sujets. Je suis ingénieur agronome de formation, initialement spécialisé en protection des cultures. Depuis 1997, je traite des questions relatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et à leur comportement dans l'environnement. Je participe à ce titre à l'amélioration de la connaissance de leurs pratiques d'utilisation, la mise en place d'expérimentations, la promotion de pratiques alternatives à leurs usages et l'animation de groupes techniques ou d'expertises au niveau régional et national. Dans un premier temps, j'ai occupé ces fonctions au travers de ce que l'on appelait, à l'époque, les « groupes régionaux phyto », constitués au début des années 1990. Ensuite, de 2009 à 2015, j'ai assuré la fonction de chef de projet Écophyto, chargé de la mise en œuvre de ce plan pour la région Lorraine, avec l'ensemble des parties prenantes. Enfin, à la suite de la réorganisation territoriale de 2015, je me suis vu confier la mission « agroécologie et innovation » à l'échelle de la région Grand-Est, rattachée à la direction de la DRAAF. Dans ce cadre, j'interviens en appui auprès des services métier de la DRAAF, afin d'apporter une expertise agronomique ou de traiter de thématiques transversales à dimensions techniques.

En ce qui concerne plus spécifiquement le plan régional santé-environnement (PRSE), j'ai eu l'occasion d'être associé à l'élaboration des deux premiers plans régionaux pour la région Lorraine, en apportant mon expertise sur les sujets liés aux pesticides. J'ai également été associé, de manière beaucoup plus étroite, tout au long de la démarche d'élaboration du PRSE 3 de la région Grand Est. J'y porte la responsabilité d'un objectif opérationnel sur le sujet des pesticides, que je vais vous présenter.

Je voudrais revenir un instant sur les compétences de la DRAAF en matière de santé environnementale, qui peuvent être divisées en deux grandes catégories. En premier lieu, ces compétences se présentent sous la forme d'un apport d'expertise sur les sujets liés aux techniques agricoles, et en particulier sur les usages des produits phytopharmaceutiques. En second lieu, ces compétences s'exercent à travers la conduite de certaines politiques publiques, que la DRAAF est chargée de mettre en œuvre et qui peuvent avoir une incidence sur la santé environnementale.

Pour illustrer mon premier point concernant l'apport d'expertise, je vais d'abord vous présenter l'implication de la DRAAF concernant le PRSE. Dès la deuxième génération des PRSE, une articulation claire avec le plan Écophyto a été établie, qui a été renouvelée et approfondie à l'occasion de l'élaboration de l'actuel PRSE. Là où le plan Écophyto s'occupe de la promotion des pratiques alternatives pour la réduction des usages des produits phytosanitaires, le PRSE, quant à lui, approfondit les questions relatives à l'exposition à certaines catégories de produits.

Dans l'actuel plan a ainsi été mis en place un objectif opérationnel, dont je suis responsable : consolider et améliorer la diffusion des connaissances liées à l'exposition de produits phytopharmaceutiques. Cet objectif opérationnel regroupe trois actions. La première est la déclinaison de l'objectif national concernant les mesures de produits phytopharmaceutiques dans l'air. C'est une action pilotée par l'association agréée de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) régionale, ATMO Grand Est. Cette action s'inscrit dans le prolongement d'actions innovantes déjà lancées sur ce thème dans le Grand Est dans le cadre du précédent PRSE. Certaines de ces actions ont été lancées en coordination avec la profession agricole, voire même par son impulsion.

La deuxième action concerne la mobilisation des données existantes sur les produits phytosanitaires afin d'évaluer l'exposition de la santé humaine à ces produits. Cette action, pilotée par l'observatoire régional de la santé (ORS) du Grand Est, prolonge le diagnostic initial du PRSE et vise à apporter les éléments d'évaluation des expositions des populations ou, au moins, à identifier les secteurs potentiellement les plus concernés par la présence de produits phytosanitaires.

La troisième action porte sur l'amélioration de la diffusion des données sur l'exposition aux produits phytosanitaires. Cette action est co-pilotée par l'agence régionale de santé (ARS) et la chambre régionale d'agriculture du Grand Est. Je vous ai transmis quelques éléments, produits dans le cadre d'un groupe technique au sein d'Écophyto qui a pris en compte des thématiques de santé-environnement en matière d'indicateurs. Un de ces documents a été largement diffusé dans la presse agricole du Grand Est, auprès de presque tous les agriculteurs de la région.

C'est en raison de la capacité d'expertise développée par la DRAAF que celle-ci a été invitée à s'associer au comité de pilotage du PRSE Grand Est, aux côtés des chefs de file que sont la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et l'ARS, auxquels il convient d'ajouter le conseil régional, très impliqué dans le plan dans notre région. De façon analogue, et ce depuis les groupes régionaux phytos, les services sanitaires de l'ARS – et avant cela de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) – sont étroitement associés à la mise en œuvre du plan Écophyto en région. À ce titre, ils participent activement aux différents groupes de travail susceptibles de les concerner, ainsi qu'à l'élaboration de la feuille de route régionale. Depuis la dernière instruction technique, l'ARS est maintenant directement associée au pilotage du plan Écophyto en région.

La DRAAF apporte sa compétence et son expertise sur l'usage des pesticides à travers un appui à l'élaboration des listes des substances phytosanitaires à suivre dans les analyses réalisées pour le contrôle sanitaire des eaux distribuées, opéré par l'ARS. Ce sujet est peut-être un peu spécifique au Grand Est. Bien que le nombre de substances actives phytosanitaires ait considérablement diminué depuis les années 2000, en passant de plus de 900 à moins de 400 aujourd'hui, une analyse complète représente un coût très important à la charge des collectivités. C'est pourquoi, au moment du renouvellement de la passation des marchés, environ tous les cinq ans, nous mobilisons toutes les données disponibles, les outils de traitement spécifique et nos expertises réciproques afin d'affiner ces listes au mieux, en recherchant le meilleur compromis entre une surveillance optimale et des coûts d'analyse maîtrisés à la charge des collectivités. À partir de l'expérience acquise dans cette collaboration de longue durée, nous avons pu écrire une méthodologie, qui a été soumise, cette année, à la direction générale de la santé (DGS), dans la perspective d'établir un protocole partagé entre les régions.

Le plan Écophyto fait partie des politiques publiques portées par la DRAAF qui entrent dans le champ de la santé-environnement. Je ferai valoir à ce sujet que, parmi les objectifs du plan Écophyto 2+ publié en 2018, est visée non plus seulement une réduction des usages des produits phytosanitaires, et par là de la dépendance des systèmes de production vis-à-vis de ces produits, mais aussi une réduction des risques qu'ils induisent sur la santé et l'environnement. Un objectif jusque-là implicite est donc maintenant explicite, ce qui implique de disposer d'indicateurs conçus expressément pour évaluer son degré de réalisation.

En dehors des produits phytosanitaires, mais toujours au sein du plan Écophyto, il existe une action centrale : le dispositif d'épidémiosurveillance végétale. Il vise au premier chef à surveiller l'état des cultures afin d'optimiser au maximum les applications et les traitements qui seront opérés. La chambre régionale d'agriculture, qui pilote ce dispositif, a répondu favorablement à une demande du réseau Pollin'air, qui demandait la transmission des données de floraison des graminées à son système d'alerte. Ce réseau, qui œuvre principalement à destination des personnes allergiques au pollen, opère également le suivi de l'ambroisie, qui est une plante très allergène.

Le plan Écophyto repose, pour l'essentiel, sur des moyens incitatifs qui visent à convaincre les utilisateurs de produits phytosanitaires de changer leurs pratiques et, à terme, de faire évoluer leur système de production. La DRAAF, en particulier à travers le service régional de l'alimentation, a cependant aussi des actions régaliennes de contrôle qui peuvent participer à la santé environnementale. Ainsi, dans le cadre du contrôle de la conditionnalité des aides attribuées au titre de la politique agricole commune (PAC), des contrôles sont effectués sur le respect des conditions d'utilisation des produits phytosanitaires, en vue, notamment, d'assurer le respect des limites maximales de résidus dans les denrées. Fait également l'objet de contrôles la réglementation dite du « paquet hygiène », qui comprend l'enregistrement de toutes les opérations phytosanitaires réalisées sur les cultures en vue de réévaluer, si nécessaire, les produits détectés.

Dans un tout autre domaine, la DRAAF est également l'autorité académique en matière d'enseignement agricole. Dans ce cadre, elle supervise les dispositifs de formation au Certiphyto, certificat d'aptitude professionnel permettant d'acheter et d'utiliser des produits phytosanitaires de la gamme professionnelle. Cela implique que les formations agricoles qui permettent l'obtention de ce certificat intègrent les bonnes pratiques et les connaissances des techniques alternatives à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. La DRAAF conduit aussi dans ce cadre des actions pour la sensibilisation des apprenants. Ainsi, dans le Grand Est, un « Agro-Écologie Tour » a été instauré par le service régional de formation et développement, en lien avec l'ensemble des établissements d'enseignement publics et privés. Cet Agro-Écologie Tour est une opération visant à sensibiliser les apprenants sur un thème donné, dont une édition a porté sur Écophyto, une autre sur l'alimentation durable, et la prochaine du changement climatique.

Pour conclure, la DRAAF porte en région, et auprès des autres acteurs agricoles régionaux, la politique de transition agroécologique de l'agriculture. Cette transition vise, suivant les termes de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, à promouvoir les systèmes de production agroécologiques – au nombre desquels le mode de production biologique –, qui combinent performances économiques, sociales, environnementales et sanitaires. Cette politique traduit une approche « une seule santé » et s'inscrit donc dans une politique plus large de promotion de la santé-environnement. Elle est déployée dans le cadre de la participation de la DRAAF aux différentes discussions stratégiques auxquelles elle est associée sur les leviers de développement en zone intermédiaire, la stratégie nationale relative aux protéines ou sur les éléments régionaux qui participeront au diagnostic du projet stratégique national de la prochaine PAC.

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L'activité intense de la DRAAF du Grand Est que vous décrivez pourrait constituer un modèle de la gestion Écophyto. Vous montrez une volonté de partager les informations, de les faire remonter aux administrations centrales, et aussi de diffuser, au niveau local, les bonnes pratiques en matière d'agroécologie.

Rencontrez-vous dans votre région des problématiques particulières de santé environnementale ? Avez-vous rencontré dans la mise en œuvre des politiques que vous avez décrites des difficultés particulières qui pourraient être communes à d'autres régions, et sur lesquelles vous pourriez avoir des propositions à faire d'amélioration de la gouvernance ? Je parle particulièrement de la mise en œuvre des plans Écophyto, puisque vous êtes reconnu comme un grand spécialiste de la gestion d'Écophyto 2. Vous avez souligné que nous sommes passés d'une approche focalisée sur les usages à une approche de gestion des risques sur la santé environnementale. Quelles sont les expériences que vous tirez de cette gestion, qui pourraient être partageables avec d'autres régions, et nous éclairer sur les améliorations à apporter à la gouvernance ?

Sur un sujet plus précis, j'ai regardé les documents que vous nous avez apportés, et je voudrais savoir si vous êtes en mesure d'obtenir des données sur le recours aux produits phytopharmaceutiques par parcelles agricoles. Les Américains peuvent les obtenir d'une façon très précise, et je me demande pourquoi nous n'y arrivons pas en France.

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Je concentrerai mon propos sur les produits phytosanitaires. Le plan est basé sur un objectif de résultats : nous nous sommes fixé un objectif de réduction de 50 % des usages à l'horizon 2025. À partir du moment où nous nous fixons un objectif de ce type, nous devons nous donner les moyens de le mesurer. Trouver quel indicateur serait utilisé pour mesurer cet objectif de réduction a même été le premier élément travaillé dans le cadre d'Écophyto. À cet effet, nous avons saisi l'opportunité de la création de la base nationale de données des ventes (BNDV), qui récupère les données de vente de l'ensemble des produits phytosanitaires. Nous avons souhaité l'utiliser au niveau régional. Dans un premier temps, cela n'a pas été possible car les données de vente étaient agrégées au niveau des sièges des distributeurs et nous obtenions des artefacts de distribution qui posaient de vrais problèmes. Par exemple, pour un grand distributeur opérant sur plusieurs régions, les ventes étaient comptabilisées pour un seul site, de telle sorte que nous étions amenés à enregistrer un excès de ventes dans une région et un déficit dans la région limitrophe. Nous avons pu corriger ce problème de distribution géographique à partir du moment où nous avons intégré la récupération du code postal des vendeurs en 2014, ce qui a rendu possible la réalisation des travaux que je vous ai transmis.

Il n'empêche que la BNDV n'a pas été prévue pour faire cette évaluation et ce suivi. Il s'agit d'un outil fiscal créé pour le recouvrement de la redevance pour pollutions diffuses. Nous l'utilisons pour fabriquer des indicateurs, mais ce n'est pas son objectif premier, et il en résulte qu'il faut travailler la base de données avant de pouvoir en tirer des indicateurs de données. Nous n'utilisons pas tous les éléments de cette base car celle-ci enregistre à la fois des produits dont nous cherchons plutôt à développer l'usage – les produits de biocontrôle à faible impact – ainsi que ceux dont nous souhaitons diminuer l'usage. Il faut donc segmenter pour savoir ce que nous devons rechercher.

Maintenant que nous disposons de ces données, l'enjeu est d'élaborer un outil de pilotage à l'échelle régionale. Il s'agissait au départ d'une étude de faisabilité, conduite dans le Grand Est, notamment en utilisant un indicateur national, le nombre de doses unités (NODU). Nous utilisons le NODU plutôt que l'indicateur agro-environnemental des quantités de substances actives (QSA) car il est plus pertinent pour représenter les utilisations de produits phytosanitaires, qui peuvent représenter entre dix grammes et dix kilos par hectare. Le traitement de comparaison à l'aide des QSA aboutit au mélange de données de nature hétérogène. Nous pouvons constater une augmentation d'utilisation en termes de nombre de traitements et une diminution des quantités car nous avons substitué des produits qui s'utilisent à des très forts grammages par hectare par des produits qui s'utilisent à plus faibles grammages. C'est pour cela que nous avons cherché à promouvoir le NODU, qui nous permet également d'analyser les pratiques des agriculteurs de manière assez fine. Cet indicateur est assez proche d'un indicateur que les agriculteurs connaissent déjà : l'indicateur de fréquence des traitements (IFT). Il nous permet d'avoir une analyse au niveau des substances et de susciter une discussion technique sur ces éléments.

Vous me demandez si nous pouvons obtenir des informations à l'échelle de la parcelle, ce qui est possible en théorie. En raison du « paquet hygiène », tous les agriculteurs doivent enregistrer leurs pratiques phytosanitaires à l'échelle des parcelles. En revanche, ils n'ont pas l'obligation de nous les transmettre, et nous n'y accédons que si nous avons besoin d'y accéder. Les seules données pour lesquelles un accès est prévu, notamment par l'autorité publique, sont les données de banque, que nous pouvons récupérer au niveau de la BNDV.

La spatialisation des usages est une question importante, qui se pose si nous voulons travailler des questions de santé-environnement. Nous essayerons de travailler sur cette question avec l'observatoire régional de santé. Nous avons déjà essayé de produire une carte : cette dernière est à prendre avec précaution car il ne s'agit pas d'une carte d'utilisations mais d'achats de produits, donc sa précision est limitée. Les achats peuvent être faits au sein d'un code postal donné et l'utilisation peut être réalisée sur les codes postaux environnants. Un travail au niveau national est également en cours à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement agronomique (INRAE) afin d'essayer de reconstituer cette localisation des usages à l'échelle de parcelles ou de groupes de parcelles.

Au sujet de la gouvernance, il me semble que, dès lors que nous sommes sur une politique d'objectifs avec une obligation de résultats, il est indispensable de disposer d'un outil de suivi d'évaluation, et donc d'indicateurs correspondants, à l'échelle à laquelle nous déclinons le plan. Sur ce sujet, la direction régionale a toujours été allante quant au partage et au travail de l'information en commun avec les parties prenantes. Ce travail, que je vous ai transmis, a été élaboré dans le cadre d'un groupe indicateur qui réunit les acteurs de l'administration (la DREAL, l'ARS et la DRAAF) mais aussi les coopératives agricoles, la chambre régionale d'agriculture, le négoce agricole et les agences de l'eau. Cela permet d'avoir une vision partagée. Le travail qui en résulte est factuel, car l'intérêt de la BNVD est de s'appuyer sur des données factuelles, qui ne sont pas discutables. Cela nous donne une base de discussion commune, sur laquelle nous pouvons commencer à avancer.

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Quel serait, selon vous, notre levier d'action principal pour pallier l'érosion alarmante de la biodiversité et la dégradation des ressources ? Et comment pourrait-on lier une agriculture durable et un effort économique viable pour inciter les populations à adopter une meilleure alimentation, c'est-à-dire une alimentation durable, en lieu et place de notre alimentation actuelle, trop riche et déséquilibrée ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Je vous l'ai dit, Écophyto est une politique incitative : la question est donc celle du déterminant de l'incitation. Quels sont les déterminants que nous pouvons activer pour provoquer les changements de pratiques que nous souhaitons voir aboutir ? Une exploitation agricole est, avant tout, une entité économique, même si je suis témoin qu'en vingt ans, la perception des agriculteurs et des conseillers agricoles a considérablement évolué par rapport aux produits phytosanitaires. Il n'empêche qu'ils sont des acteurs d'un système économique, et il leur faut une exploitation rentable. Par rapport à une entité économique, je ne vois que deux déterminants : la réglementation, sur laquelle repose une grande partie des actions environnementales, ou des déterminants fiscaux. Où est-il le plus pertinent d'activer ces leviers ? Un agriculteur produit des denrées qu'il doit vendre. Il faut donc que les acheteurs soient prêts à acheter ce qu'il vend : les consommateurs et les entités de distribution sont in fine ceux qui décident ce que peut produire l'agriculteur.

Un des grands leviers dans le cadre de la transition écologique est l'allongement de la rotation des cultures, c'est-à-dire la production de nouvelles cultures. Le problème est qu'il est nécessaire que des gens achètent, collectent et stockent ces cultures. Dans le Grand Est, où opèrent de très grands organismes stockeurs, coopératives et négoces, tout l'outil industriel est de grande dimension. Nous avons de très grands silos localisés à peu près sur tout le territoire. Dès lors que l'on veut initier une nouvelle filière ou une nouvelle production, la difficulté est de mettre en place un circuit de collecte qui fonctionne, qui ne soit pas trop cher et qui puisse remplir un grand silo. Il y a donc aussi un problème de transition de toute la filière, notamment de la collecte et du stockage, afin de favoriser des prises d'initiatives sur de nouvelles cultures, notamment l'allongement des rotations par l'introduction d'autres cultures alimentaires ou non alimentaires. Il faut avoir des outils qui permettent cette diversification et qui puissent créer un appel d'air sur de nouvelles productions.

Du point de vue de l'alimentation, le programme national nutrition santé (PNNS) contient un certain nombre de nouvelles préconisations pour une alimentation plus saine et plus durable. Si ces revendications parviennent jusqu'aux exploitations agricoles, cela signifiera que l'on aura créé une demande pour ces produits. Pour le bio, la situation est assez simple avec un cahier des charges cadré et une marque reconnue. Pour des produits intermédiaires, qui visent à une alimentation saine et durable sans être forcément bio, nous ne disposons pas d'identifiants qui permettent à la fois à des distributeurs de les mettre en avant de manière claire et reconnue et de solliciter, par la suite, la production auprès des agriculteurs. Il faut se demander où commencer le travail : je ne suis pas persuadé que l'échelon de l'exploitation soit le premier échelon.

Ce sont là, en tout état de cause, les résultats des analyses que nous avons conduites dans le cadre d'Écophyto. La première version du plan mettait à disposition des agriculteurs des outils qui devaient leur permettre de faire évoluer leurs pratiques, mais il y manquait le déclic déterminant pour les inciter à changer leur pratique afin de valoriser leur production. Le seul élément qui fonctionnait était de montrer une diminution des charges qui leur permettait d'aboutir à un résultat financier satisfaisant. Dans un contexte de production marqué par des productions et une rotation simplifiées, ce levier est compliqué à activer, même si des exploitations y sont parvenues. Cela est plus ou moins faisable en fonction des situations de sols, de climat, etc. Mais la capacité d'initiative serait démultipliée s'il y avait un déterminant clair en faveur de certaines méthodes de production ou de certaines natures de produits. Ces stratégies ont fonctionné vis-à-vis d'agriculteurs pionniers qui cherchaient à se lancer. La difficulté est d'atteindre ceux qui ont besoin d'être sûrs d'atteindre un résultat.

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Cela est d'autant plus vrai que l'agriculture bio représente actuellement 8 à 9 % de la production agricole.

Pour revenir sur le plan Écophyto, nous avons entendu des analyses très différentes au cours des auditions. Nous avons entendu une personne auditionnée nous dire qu'Écophyto est un échec, et un représentant de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) nous a dit qu'il s'agit peut-être plutôt d'une semi-réussite que d'un échec complet. Vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes au milieu du gué. Que faudrait-il pour renforcer le plan Écophyto ? Les sommes engagées sont considérables. Par rapport à votre pratique dans le Grand Est, que pourriez-vous proposer à l'échelle nationale pour que ce plan soit plus performant ?

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Je voudrais préciser que les sommes engagées dans le plan Écophyto dépendent de la façon dont on les comptabilise. Si nous comptons uniquement les fonds consacrés au ministère de l'agriculture, nous nous situons vers 70 millions d'euros. Si nous ajoutons ceux des agences de l'eau, les sommes sont beaucoup plus importantes. Il s'agit d'une question de reconstitution des crédits alloués par les différents ministères.

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Pour répondre à votre question, Madame la Présidente, nous revenons à la question des déterminants. Comment inciter les agriculteurs à changer de pratiques ? Il faut créer un marché répondant à l'objectif de réduction des usages et des risques liés à l'utilisation de produits phytosanitaires, la difficulté consistant à créer une nouvelle niche de produits qui répondent à ces préoccupations. La loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) a introduit certaines obligations réglementaires, à travers l'incorporation de produits issus de l'agriculture biologique ou de systèmes de production durables.

La politique agricole commune (PAC) est également un déterminant majeur de ces évolutions : quels outils la PAC fournira-t-elle dans cette visée ? La stratégie « De la fourche à la fourchette » publiée le 20 mai 2020 par la Commission européenne reprend, dans ces grandes lignes, les objectifs du plan Écophyto et une partie des objectifs de la loi Égalim, et elle est donc cohérente avec nos textes. La question est de savoir si, à l'issue des négociations autour de la PAC, il y aura des outils disponibles pour articuler ces éléments de manière forte et volontariste, sachant que toutes les études internationales intégrant la question du changement climatique à l'horizon 2050 soulignent qu'il nous faut changer notre système alimentaire.

Au niveau régional, la situation doit s'analyser en tenant compte des particularités locales. Dans le Grand Est, il y a d'une part la production des fourrages pour l'important troupeau bovin laitier, situé notamment en Lorraine et dans la zone intermédiaire. Par ailleurs, il existe également des zones de production de grandes cultures presque spécifiques dans la Champagne crayeuse et dans l'Alsace. Ni les contraintes ni les enjeux ne sont pas les mêmes – et je ne parle même pas des régions viticoles.

Vous me demandez quel levier activer au niveau national – il est surtout question de réussir à créer un déclic. Au niveau national, il faut avoir un objectif fort et le tenir dans le temps. J'ai suivi pendant plus de vingt ans les différentes politiques de réduction ou d'action ministérielle et interministérielle sur les produits phytosanitaires : nous avons eu tendance à osciller entre des périodes volontaristes et des périodes d'inertie. Écophyto, qui a traversé trois majorités et s'inscrit dans la durée, s'est retrouvé dans cette position, avec une période flottante où nous ne savions pas vraiment quelles étaient les consignes et les volontés de conduite de ce plan.

Il est également important de porter le message d'Écophyto au niveau national, car on en entend peu parler, d'autres sujets ayant focalisé davantage l'attention. L'approche d'Écophyto présente l'intérêt d'être globale, mais elle mériterait d'être toilettée. D'autres questions, concernant notamment le changement climatique et la santé environnementale, ont en effet acquis une plus grande importance depuis le lancement du plan, et méritent d'être mieux articulées et traitées dans le plan. L'important est d'avoir une approche stable dans le temps : les changements au niveau des filières et des exploitations ne peuvent pas se produire du jour au lendemain. Un agriculteur n'investira pas le tiers de son exploitation dans une nouvelle culture d'un seul coup : il commencera, au contraire, par une petite parcelle, et si cela fonctionne, il poursuivra sur une autre. Il y a un temps d'adaptation et d'acculturation pour apprendre les pratiques. Il faut également que les filières se structurent. Nous avons besoin d'un effort et d'un soutien continu.

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Quelles sont les pathologies en lien avec l'alimentation les plus présentes sur votre territoire et quelles actions déployez-vous pour les prévenir ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

D'après ce que je sais du diagnostic conduit dans le cadre du PRSE, le Grand Est se caractérise par une surmorbidité en termes de diabètes et de maladies pouvant être rattachées à des questions alimentaires. Les déterminants sont peut-être un peu complexes à expliquer – c'est une question de spécialiste sur laquelle je ne m'aventurerai pas. Dans le cadre des actions du ministère, un pôle d'accompagnement du plan national pour alimentation (PNA) porte des initiatives, et c'est surtout par le biais du PNA qu'intervient la DRAAF. Il existe des liens avec Écophyto et la santé environnementale, et avec la mise en œuvre des dispositions de la loi Égalim.

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Est-ce que vous menez des actions spécifiques, par exemple sur la sensibilisation aux bonnes habitudes alimentaires, notamment auprès des enfants ou d'autres populations ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Au titre du PNA, des contacts sont établis avec l'Éducation nationale, mais, de ce que j'en sais, l'insertion du projet dans les établissements a été difficile. Le PNA fonctionne par appels à projets, et nous répondons aussi à des projets proposés par des associations, en général sur des questions d'amélioration des pratiques ou bien d'informations sur les pratiques. Ce sujet a été exclu dans le cadre du PRSE 3, alors que les actions du PNA avaient été intégrées dans le PRSE 2. La raison est que, dans le cadre du PRSE 3, nous voulions nous limiter aux actions pour lesquelles les gens ne pouvaient pas agir, or les bonnes habitudes alimentaires relèvent de choix individuels, ne résultant pas d'une pression de l'environnement sur l'individu.

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Monsieur Joulin, vous avez pointé très justement l'absence d'impulsion politique comme facteur de lacunes qu'à mon sens, nous payons très cher. Quand il n'y a pas de pilotage politique, les évolutions s'arrêtent.

J'ai été rapporteur d'une mission sur Écophyto et co-pilote du dispositif auprès du ministre M. Stéphane Le Foll pendant plusieurs années. Madame la Présidente, j'aurais de nombreux éléments à vous communiquer si j'étais auditionné par votre mission, ce qui m'honorerait beaucoup.

Monsieur Joulin, le Grand Est compte dix départements. Pourriez-vous estimer l'intensité de l'engagement des différentes chambres d'agriculture ? Peut-on estimer les nuances des écarts d'engagement ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Les chambres d'agriculture, qui interviennent à plusieurs titres dans la mise en œuvre d'Écophyto, ont généralement très bien répondu au plan. Comme nous, la difficulté qu'elles ont rencontrée a été le choc des cultures au moment de la réorganisation territoriale. Il existait un grand contraste entre ce que faisaient les uns et les autres dans leurs régions respectives, et il a donc fallu trouver une position commune.

En vingt ans de pratiques dans cette région, j'ai pu observer une grande évolution dans les approches des conseillers agricoles sur ces questions. C'était aussi un des enjeux du réseau Dephy, qui est constitué de groupes de démonstration de changements en pratique. Les conseillers agricoles sont accompagnés par des ingénieurs réseaux, dont un grand nombre sont des techniciens des chambres d'agriculture ayant appris avec leur groupe d'exploitants de nouvelles manières de conduire des exploitations. C'est le principe d'une innovation ascendante : on part des idées de la base, on les reconceptualise, on les renforce techniquement, puis on est en mesure de les diffuser. Tout le principe de ces groupes de développement est là : imaginer des choses sur le terrain et voir comment on peut transposer ces éléments plus largement. D'une certaine manière, ces groupes Dephy ont permis de former des techniciens agricoles à d'autres pratiques. À mon sens, c'est un des grands intérêts de ce dispositif, parce qu'on a recréé une politique nationale du développement par ce biais. Mais ce développement se construisait à partir des techniques des agriculteurs et non à partir d'idées venues d'en haut.

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Vous nous avez dit que vous n'êtes pas spécialiste des questions sanitaires à proprement parler. En revanche, je m'interroge sur les recoupements entre les bases de données sanitaires et environnementales. Il me paraît difficilement compréhensible qu'on ne puisse pas le faire à l'échelle d'une région, notamment en matière d'épandages, sujet sur lequel la DRAAF est en première ligne. Il me paraît difficilement compréhensible qu'on ne puisse pas essayer d'identifier les liens entre ces modes de recours aux phytopharmaceutiques et leurs conséquences sanitaires. Même si vous n'êtes pas spécialiste, pouvez-vous tout de même nous dire quels sont les constats que vous avez pu faire ? Une démarche de rapprochement des bases de données est-elle mise en œuvre ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

C'est précisément ce que nous voulons faire dans le cadre de la deuxième action que j'ai mentionnée, sur l'objectif opérationnel que je porte. Le travail que conduira l'ORS vise à récupérer et à mobiliser toutes les données disponibles, y compris les données sanitaires, afin de les rapprocher des impacts sanitaires observés avec des historiques d'application. Le travail à effectuer est double : la localisation des applications de produits, pour laquelle nous développons une méthodologie, devrait aboutir peu ou prou. Dans un deuxième temps, nous verrons comment rattacher les données sanitaires à une exposition dans des lieux donnés, ce qui n'est pas toujours simple. Nous sommes donc sur ces questions dans une démarche exploratoire en termes de disponibilité, de précision et de qualité des bases de données. Nous déterminerons si les recoupements sont possibles, notamment en intégrant les éléments de toxicologie connus et sûrs sur les différentes substances utilisées, dont nous caractérisons bien les caractéristiques toxicologiques. Cela permettrait de voir si les risques exprimés dans les fiches descriptives correspondent à des pathologies observées sur le terrain.

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Quels sont les effectifs et les financements que vous déployez spécifiquement à destination des actions de santé-environnement ?

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Arnaud Joulin, chargé de mission agroécologie et innovation à la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt du Grand Est

Il s'agit d'une question compliquée, car cela dépend du mode de comptabilisation. Est-ce que l'on intègre dans le décompte, par exemple, tous les contrôles réalisés par le service régional de l'alimentation (SRAL) ? Le SRAL est un grand service de la DRAAF, qui mène plusieurs actions de contrôle. Il vérifie que les produits sont utilisés dans de bonnes conditions, et mène d'autres contrôles exigés par le « paquet hygiène ». Nous avons, par exemple, fait des prélèvements d'herbes sur la présence de dioxines dans des cas de proximité d'un incinérateur. Nous pouvons également nous intéresser à la qualité des eaux d'irrigation sur les légumes feuilles. Par ailleurs, une cheffe de projet Écophyto est chargée du travail stratégique, ainsi que moi-même, en lien avec le PRSE. Des personnes travaillent sur la promotion de l'agriculture biologique (AB), en appui au schéma régional. Définir un périmètre et des effectifs sans disposer d'un tableau précis demanderait une analyse particulière à l'échelle d'une direction, en ayant bien identifié ce que nous y intégrons.

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Je vous remercie pour cet éclairage très concret et pragmatique sur la situation agricole dans votre région et, au-delà, sur les problématiques d'accompagnement dans la mutation des pratiques culturales en France. Vous avez évoqué les contradictions entre les affichages et la réalité de la volonté politique, et ces questions sont devenues très sensibles pour la population – je pense aux riverains et aux épandages, mais également à la qualité de la nourriture. J'espère que nous parviendrons à nous mobiliser sur un plan « Écophyto 2++ » qui sera plus opérationnel.

L'audition s'achève à 15 heures 55.