La mission d'information que nous avons rapportée et dont nous avons remis le rapport le 4 décembre 2019 portait sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique à usage alimentaire, cosmétique ou pharmaceutique. Le rapport a été adopté à l'unanimité par les commissions du développement durable et de l'aménagement du territoire et des affaires sociales. Dès le lancement de nos travaux en février 2019, nous avons souhaité rencontrer l'ensemble des acteurs concernés par la problématique, de tous les secteurs, pour mieux en appréhender les enjeux. À cette fin, notre mission a réalisé au total 70 auditions et tables rondes auprès d'acteurs appartenant à des champs d'expertise très variés : médecins, scientifiques, chercheurs, associations, entreprises, fédérations professionnelles.
Ces sujets sont complexes et encore peu abordés dans leur globalité. La mission d'information s'est appuyée sur une revue bibliographique réalisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de notre Assemblée. L'OPECST a mené un travail particulièrement précieux pour notre mission d'information, qui nous a permis d'être éclairées sur les enjeux scientifiques attachés à nos travaux. Notre mission s'est également déplacée à Bruxelles puisque nous travaillions sur un sujet éminemment européen, et nous y avons rencontré les agences européennes compétentes. Nous nous sommes aussi rendues à Helsinki, au siège de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
La mission a abordé toutes les voies de perturbation endocrinienne liées aux contenants en plastique. Les travaux ont notamment porté sur les migrations des composants du plastique vers les aliments ou les produits présents dans les contenants, mais aussi sur leurs conséquences en matière de contamination de l'environnement pour l'homme et pour les animaux qu'il consomme – poissons, fruits de mer – via la pollution plastique. Nous avons également étudié les déchets collectés, recyclés ou abandonnés dans la nature et dans les eaux usées, l'impact de la dégradation et de la migration des composants du plastique dans l'environnement et dans l'écosystème. Nos travaux rejoignent en partie les travaux de la présente commission d'enquête et témoignent de l'acuité de la question. La pollution aux plastiques est omniprésente, et aucun milieu n'y échappe. Les impacts de la pollution sont liés à ce que nous ingérons, mais également à ce que nous inhalons et, même si la mission n'a pas examiné en détail la voie de contamination aérienne, qui n'était pas dans notre champ d'investigation, elle mérite toutefois la plus grande attention.
Le système endocrinien est essentiel pour le maintien des équilibres biologiques. Aux âges cruciaux de l'organogénèse et du développement – la vie fœtale, la petite enfance, l'adolescence –, les effets des perturbateurs endocriniens peuvent être irréversibles comme l'ont rappelé la plupart des acteurs que nous avons auditionnés. Les perturbateurs endocriniens peuvent parfois affecter plusieurs générations. Les modes d'action des perturbateurs endocriniens les rendent non seulement irréversibles, mais également redoutables. Ils peuvent avoir un impact à très faible dose, interagir les uns avec les autres dans le cadre d'un effet cocktail et produire leurs effets des années après l'exposition.
Nous avons souhaité sonder les besoins de la recherche, les lacunes de nos réglementations, le rôle stratégique de l'État, ainsi que les actions de communication et de sensibilisation à mettre en œuvre sans plus tarder pour que chacun puisse adopter les bons gestes, préserver sa santé et l'environnement et faire de ce sujet une véritable priorité sanitaire nationale. L'exposition aux perturbateurs endocriniens constitue un enjeu de santé publique majeur.
En ce qui concerne nos recommandations, j'insisterai sur plusieurs points. Il faut en premier lieu renforcer la réglementation européenne, qui nous apparaît trop lacunaire et très hétérogène selon les secteurs d'application. Compte tenu de la difficulté à atteindre un bon niveau de preuve en matière de perturbations endocriniennes, il est également impératif de distinguer au sein de la réglementation européenne trois catégories de perturbateurs, comme le fait l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) au niveau national : perturbateurs avérés, perturbateurs présumés, perturbateurs suspectés. Il convient également de prendre, sur la base du principe de précaution, des mesures dès lors qu'un perturbateur endocrinien est présumé, sans attendre la preuve formelle de sa nocivité, car il est alors déjà trop tard.
Nous préconisons également d'adopter une définition transversale des perturbateurs endocriniens et d'inscrire clairement le principe de précaution dans les textes. Nous insistons sur l'impératif de renforcer l'obligation des industriels dans le cadre du règlement Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques (REACH) du Parlement européen et du Conseil, adopté le 18 décembre 2005. C'est un point très important, car il s'est en quelque sorte opéré un renversement de la charge de la preuve : les industriels peuvent fournir des dossiers incomplets dont les agences et les scientifiques passent beaucoup de temps à démontrer les lacunes. Les industriels font une déclaration et il appartient aux agences de démontrer ensuite que le dossier est incomplet. Il faut donc accroître les objectifs de contrôle et renverser cette charge de la preuve. Un autre point très important sera de supprimer l'exemption d'enregistrement des polymères dans le cadre du règlement REACH.
Nous proposons de fixer également des règles plus protectrices pour les femmes enceintes, allaitantes, les nourrissons, les enfants en bas âge et les adolescents. Nous devons aller vers les contenants les plus inertes possible. Cela aura évidemment un impact lors de la consommation du produit, mais aussi lorsque le contenant devient un déchet. Devant l'urgence, pour assurer une protection efficace de la santé et de l'environnement, nous souhaitons introduire dans le droit européen la possibilité d'interdire à la fois une molécule et celles dont la structure est proche, sans attendre la multiplication des études scientifiques sur toutes les molécules alternatives de la même famille. Nous avons donc conclu que la circulation des informations sur les matériaux et leurs propriétés reste très perfectible, ainsi que la transparence sur les substances utilisées. Il faut intensifier le travail d'information tout au long de la chaîne de valeur.
Nous proposons par ailleurs d'accentuer fortement les efforts de recherche sur les perturbateurs endocriniens, sur les matières plastiques, sur lesquelles nous sommes encore très ignorants, en particulier en ce qui concerne leur mode de vieillissement, et sur les nanoplastiques. Il nous paraît indispensable d'accroître les moyens dévolus à la recherche, de regrouper et d'assurer la coordination des initiatives en la matière, d'élargir les projets de recherche à d'autres substances que les plus connues. Nous connaissons les bisphénols, les alkylphénols, les phtalates, mais il en existe d'autres, notamment les substituts à ces substances interdites, particulièrement au bisphénol. Nous proposons aussi d'accroître la recherche sur la dégradation des composants du plastique, aussi bien dans le corps humain que dans l'environnement, ainsi que sur les métabolites de ces substances chimiques qui peuvent être aussi dangereux, voire plus dangereux que le perturbateur endocrinien lui-même.
Nous alertons sur les nanoplastiques pour lesquels nous devons faire preuve d'une vigilance particulière dans la mesure où ils traversent toutes les barrières tissulaires. Il convient d'accroître la recherche et les efforts pour disposer de méthodes d'essai robustes. Il faut poursuivre des travaux très poussés sur ces perturbateurs et toutes les autres substances susceptibles de se trouver dans les contenus, en particulier les substances non intentionnellement ajoutées.