Intervention de Sophie Gaudeul

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Sophie Gaudeul, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), en charge des objectifs de développement durable, membre du Conseil national de la transition écologique et du Conseil national de l'air :

La CFDT s'est engagée dans les travaux relatifs au quatrième plan national santé-environnement (PNSE 4), de façon un peu précipitée, en raison de la crise sanitaire. Néanmoins, nous avons pris le temps d'aborder l'ensemble des sujets qui tenaient à cœur à notre organisation. Nous sommes notamment intervenus lors des discussions qui visaient à tirer les enseignements de la crise sanitaire, pour convaincre qu'il convenait de ne pas écarter les sujets plus anciens encore non résolus.

Face à la crise sanitaire, nous avons posé le constat d'une nécessaire réactivité et d'une forte mobilisation des instances existantes. Les problèmes liés à la Covid-19 sont similaires à ceux que posent d'autres maladies, zoonoses et épizooties, qui se développent au niveau mondial, depuis de nombreuses années. Elles concernent parfois d'autres pays que le nôtre. Chikungunya, Ebola, etc. se développent en Afrique souvent en lien avec des trafics d'espèces animales sauvages ou encore avec une déforestation excessive qui conduit certains animaux (les chauves-souris, par exemple) à migrer vers des terres cultivées par les hommes, à se nourrir des mêmes aliments que les hommes, et cette nourriture partagée (arbres fruitiers, notamment) deviendra une source de contamination d'autres espèces.

Selon nous, il convient de poursuivre la vigilance quant aux modes de transports, née de la crise sanitaire. Il est également nécessaire d'être attentif aux importations d'animaux exotiques et à l'arrivée de parasites et d'insectes via les transports. Ce sujet est important et il concerne également les douanes auxquelles il est nécessaire de donner les moyens d'exercer cette vigilance.

Ces problématiques majeures de santé publique risquent d'augmenter avec le réchauffement climatique. La déforestation constitue également un point de forte préoccupation.

Si la réactivité est indispensable, il n'en reste pas moins que l'administration rencontre parfois des difficultés en regard de la rapidité des évènements, qu'il s'agisse des agences régionales de santé (ARS), des services de l'agriculture, etc. Il conviendrait probablement de réinventer une logique de gestion de crise sanitaire, en identifiant des relais, en élaborant des modes opératoires et en dédiant des ressources spécifiques. Il est nécessaire d'approfondir la réflexion à ce sujet.

La prévention des maladies vectorielles et des contaminations par les animaux fait l'objet de contrôles vétérinaires qui nécessitent des moyens. Des procédures existent et elles fonctionnent. Il serait néanmoins nécessaire de renforcer ces axes de vigilance. À titre d'exemple, les élevages géants et la concentration des animaux représentent un risque d'exposition et de diffusion qu'il conviendrait d'étudier.

L'arrivée du moustique Tigre, très présent dans nos zones humides, constitue un autre axe qui soulève des enjeux de prévention et d'assainissement qu'il convient de prendre au sérieux dans le contexte du réchauffement climatique. Bien sûr, nous ne préconisons pas de supprimer les zones humides, utiles à la biodiversité, mais nous appelons à la vigilance, notamment quant aux modes de transmission. Dans ce cadre, il serait probablement utile également de capitaliser l'expérience acquise dans les territoires d'outre-mer ou en Afrique, grâce au concours des spécialistes, des experts, des services médicaux, des associations, etc. qui interviennent dans la prévention dans ces pays.

S'agissant de prévention, il convient de former les professionnels et le public du milieu scolaire, notamment pour ce qui concerne le moustique Tigre et les risques sanitaires que ses piqûres engendrent. Il appartient aux territoires d'identifier des relais. Certaines missions communales mettent en exergue l'évaluation des risques sur leur territoire et pourraient diffuser des bilans d'actions. Ces bilans pourraient également être dressés à l'échelle intercommunale. Quoi qu'il en soit, il est important que les territoires mettent en place des dispositifs permettant d'aborder ces sujets liés aux risques de maladies émergentes. Ils doivent mettre en place des indicateurs sentinelles, dans une logique de veille. Ce suivi existe pour la grippe, mais il pourrait être étendu aux risques émergents. Cependant, il est possible que la CFDT n'ait pas cartographié l'ensemble des dispositifs en vigueur. Quoi qu'il en soit, il nous semble nécessaire d'affiner le suivi des prévalences et de procéder à une logique générale. Il ne s'agit pas de se contenter d'organiser des groupes de travail et de réflexion, mais de s'attacher à identifier des modalités de mise en œuvre d'une évaluation permanente, les structures sanitaires et administratives dédiées à cette surveillance du territoire, l'organisation de la recherche, etc. Cette réflexion pourrait être conduite en collaboration avec des universités ou avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et, bien sûr l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Il importe également d'opérer des campagnes d'information et de définir des procédures de mobilisation en cas de crise, en tirant des enseignements de la crise de la Covid-19.

D'autres sujets préoccupent la CFDT, notamment les problèmes liés à la contamination de l'air par les pesticides. Dans ce cadre, les travaux de très bonne qualité réalisés par l'Anses, présentés au Conseil national de l'air, méritent des approfondissements. Ils ont révélé la présence de pesticides dans l'air à bonne distance des parcelles agricoles et il conviendrait de mener des études à leur proximité. Les études montrent que, même à distance des parcelles agricoles, l'air contient des substances cancérogènes interdites telles que le lindane. Ce constat prouve qu'il importe de maintenir une vigilance scientifique et de procéder à des évaluations pour identifier les causes de la présence de ces substances dans l'air (rémanences ou transgressions). La CFDT considère qu'il est important de prolonger ces analyses « en champ proche » (moins de deux cents mètres).

Via sa fédération générale de l'agroalimentaire, la CFDT a soutenu des contentieux visant à protéger et défendre les droits à indemnisation de travailleurs non agricoles exposés à des pesticides à proximité de parcelles agricoles. En effet, les travailleurs riverains sont exposés à des substances dangereuses. Il nous paraît important de maintenir une vigilance pour protéger l'ensemble de la population. Nous nous sommes exprimés en ce sens, lors des travaux relatifs au projet de loi sur la sécurité sociale, quant à la nécessité d'indemniser l'ensemble des victimes, au-delà des professionnels et des agriculteurs et de leur conjoint, ainsi que le prévoient les textes en vigueur. L'ensemble des professionnels qui exercent sur une parcelle agricole, notamment les conseillers agricoles, hommes et femmes, sont exposés, tout comme les riverains (les écoles, les enfants, les voisins). Il nous paraît donc indispensable d'approfondir les travaux de l'Anses, de prolonger la réflexion relative à l'indemnisation des victimes pour la rendre socialement plus juste.

Nous sommes également très préoccupés par l'exposition de nombreux travailleurs, à leur insu, aux substances nanotechnologiques, désormais très présentes sur le marché, et contenues dans de nombreuses applications et productions, y compris alimentaires. Nous avons formulé des propositions à plusieurs reprises, notamment pour le PNSE 4.

Les expositions aux substances nanotechnologiques nécessitent des études plus approfondies et des recherches pour évaluer leur présence dans l'air à l'intérieur des sites dans lesquels elles sont utilisées et manipulées. La traçabilité de l'exposition à ces substances est complexe. Nous ne disposons pas de connaissances exhaustives en la matière. En outre, la CFDT considère qu'il n'est pas suffisant d'analyser uniquement les sites de production, mais qu'il convient d'étendre les études aux sites dans lesquels ces substances sont utilisées, consommées et manipulées. Nous avons formulé des propositions qui permettraient d'atteindre cet objectif. À titre d'exemple, nous suggérons d'inclure progressivement des produits finis contenant des substances nanotechnologiques au sein du dispositif « Air-nano ». En outre, de nombreux experts soulignent un défaut de définitions des nanomatériaux manufacturés qui devraient être harmonisées au niveau européen et la France pourrait porter cette démarche. Il serait également nécessaire d'établir des seuils au-delà desquels l'utilisation de substances nanotechnologiques devrait être justifiée.

La CFDT estime qu'il importe de s'appuyer sur les recherches menées par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles (INRS) qui posent notamment des questions quant à la métrologie. L'INRS souligne un défaut de consensus quant aux critères de mesure, l'inadéquation des instruments et des stratégies de mesure. Il a également identifié quatre axes de recherche interdépendants :

– le développement de nanoaérosols d'essai ;

– la métrologie des aérosols ;

– l'exposition au poste de travail ;

– la caractérisation des nanomatériaux.

Il est essentiel que l'INRS soit consulté et impliqué dans la réflexion relative à la protection des travailleurs exposés aux substances nanotechnologiques. Nous souhaitons par ailleurs la mise en place de dispositions qui garantissent la traçabilité, depuis les entreprises productrices jusqu'aux entreprises utilisatrices. Ce domaine constitue actuellement un thème central des préoccupations syndicales. Je porte ces sujets de santé environnementale au sein du Conseil national de la transition écologique depuis plusieurs années, dans des conférences environnementales.

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