Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 13h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle :

Avant d'être élu de la Nation, je suis porteur d'une expérience en tant qu'agriculteur engagé dans les réseaux des chambres d'agriculture et des groupements de développement, ainsi que dans une agriculture en transition dans une exploitation qui, voici vingt-cinq ans, a changé de système de production. J'ai donc eu un engagement dans le monde agricole, puis dans les collectivités locales où la question des produits phytopharmaceutiques a été très prégnante dans les débats de société et du territoire.

J'ai été élu en 2012 dans le cadre de cette expérience et de cette passion. Début 2013, le ministère de l'Agriculture m'a proposé de m'investir dans la co-présidence du comité de surveillance Écophyto qui est l'instance de partage, de régulation et d'orientation du plan Écophyto, telle que créée dans le Grenelle de l'Environnement. L'objectif était de diminuer de 50 %, à l'échelle de dix ans, l'impact de la phytopharmacie. En 2012-2013, au-delà des épisodes de sécheresse et des aléas survenus depuis la mise en œuvre du programme, il a été constaté que nous n'étions pas du tout sur cette trajectoire. Le dispositif ne fonctionnait pas à plein rendement.

Dès que j'ai eu pour mission de représenter l'Assemblée Nationale dans l'instance d'orientation du plan Écophyto, j'ai pris l'attache de l'ensemble des parties prenantes, à savoir le monde agricole avec la représentation consulaire, les syndicats et les instituts, mais également le secteur associatif, les représentants du monde de l'écologie et différents services de l'État. Sur mon temps de député et avec les moyens du bord, j'ai pris le temps de passer une heure à une heure trente d'audition pour toutes les parties prenantes du comité, afin de tenter de comprendre les points de blocage et les pistes qui pourraient nous rassembler. À l'issue de ce travail, que j'ai présenté en comité, j'ai observé que nous pouvions aboutir à un consensus sur le diagnostic relatif aux blocages et identifier quelques pistes de travail en commun.

Sur la base de ce travail volontaire, le ministère de l'Agriculture a suggéré à M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, de me nommer parlementaire en mission afin de réaliser le rapport qui sera intitulé « Pesticides et agroécologie, les champs du possible » et qui dessine le futur plan Écophyto 2. J'ai remis ce rapport à M. Manuel Valls, suite au changement de gouvernement intervenu entre temps.

Cette mission d'information a représenté une formidable opportunité d'être accompagné par des ingénieurs et des personnes expérimentées des ministères de l'Environnement, des Finances et de l'Agriculture. Avec une équipe de cinq personnes, pendant six mois, j'ai pu circuler sur l'ensemble du territoire français, y compris en Outre-mer et je me suis déplacé à La Réunion avec le directeur de l'alimentation de l'époque et la pilote du plan Écophyto. J'ai effectué une dizaine de déplacements sur le territoire national dans les différents systèmes de production, j'y ai rencontré les acteurs, réalisé plus de quatre-vingts auditions et effectué un travail construit, solide et très documenté sur le sujet.

À l'issue de cette mission, à la fin de 2014, nous avons établi, par le dialogue et au travers d'un travail très fin d'analyse et de propositions, ce qui constitue un socle qui, à défaut de consensus, est capable de rassembler une voie nouvelle pour toutes les parties prenantes. Ce rapport a été officiellement rendu en présence de Mme Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, et du ministre de l'Agriculture au cours d'un rendez-vous à l'Hôtel Matignon, en présence de M. Manuel Valls avec une très grande espérance de mise en œuvre du plan Écophyto.

Le monde de la production a instrumentalisé la crise de l'élevage de 2015 pour remettre en cause le plan Écophyto. Le lien entre celle-ci et le plan est difficile à établir, mais certains compartiments de la production, notamment dans le domaine de la production végétale, ont demandé la remise en cause du déploiement du plan Écophyto 2 dans sa forme actuelle.

Le deuxième frein a consisté en un recours devant le Conseil d'État engagé par le monde du commerce de la phytopharmacie sur la question des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). Ces certificats font partie des propositions du rapport. Ils ont été prévus dans la loi sur l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (loi EGalim) et repris, après une censure technique, dans une proposition de loi que j'ai portée plus tard. Les CEPP sont mis en cause pour un défaut technique en termes d'étude d'impact et de consultation du public.

Cette résistance du monde de la production végétale et ce recours devant le Conseil d'État, de la part d'opérateurs économiques de la phytopharmacie, ont fait perdre plus d'un an en tergiversations et hésitations. Fin 2016, alors que se profilait l'élection présidentielle, nous n'étions plus dans le temps de la mise en œuvre d'un programme : celui-ci, conçu en 2015, a été bloqué, certaines de ses perspectives annoncées, sans que le gouvernement ait eu le temps de le mettre en œuvre.

En 2017, après l'alternance, la décision a été prise de tenir les États généraux de l'alimentation, soit entre six et neuf mois de grands débats. Sur invitation de MM. Nicolas Hulot et Stéphane Travert, j'ai présidé l'atelier 11 qui visait à établir les conditions d'une agriculture susceptible de produire une alimentation de qualité pour tous. Le thème « De la fourche à la fourchette » consistait à s'interroger sur la façon de produire une alimentation durable pour tous et sur les conditions de sa production.

Dans cet atelier, comme dans d'autres, où je dialoguais avec des personnalités aussi importantes que des responsables d'Agreenium et des personnalités appartenant à la sphère syndicale, à la recherche et au monde coopératif, l'idée d'une confirmation du plan Écophyto 2 ne faisait pas débat. Il était même question d'un renforcement et d'un besoin d'accélérer sa mise en œuvre. Dans trois ateliers des États généraux de l'alimentation où les débats traitaient de la question d'une moindre dépendance à la phytopharmacie, a été constatée une sorte de confirmation « grand angle » du besoin de remettre en œuvre le plan Écophyto 2.

En 2018, le choix du gouvernement a consisté à établir un plan dit « Écophyto 2+ », avec un plus que je peine à discerner, puisque j'y vois plutôt du moins. En affichage, quelques points peuvent sembler positifs. Dans le rapport, je plaide pour l'association systémique du ministère de la Santé à tous les champs des décisions et à l'élaboration du plan, ce qui a été satisfait. S'y sont ajoutés l'enseignement et la recherche. Il faut saluer une forme de collégialité et de dimension interministérielle. Cependant, il n'existait pas d'action publique volontariste dans les faits. En 2016, avec la loi visant à la suppression totale des néonicotinoïdes, après quelques années de dérogations, aucune action majeure n'a été engagée au titre du plan Écophyto pour anticiper la période et préparer des solutions alternatives pour faire face aux crises sanitaires, notamment pour les planteurs de betteraves.

Le plan est peu réactivé. Néanmoins, la recherche se poursuit. Certains territoires et certaines filières continuent à innover. Certaines molécules les plus toxiques sont retirées, mais nous sommes loin de l'élan suscité par le rapport que j'ai remis au Premier ministre et le plan Écophyto 2. L'un des principaux leviers, à savoir les certificats d'économie de produits phytosanitaires, est supprimé par la loi Egalim.

Entre le rapport remis au Premier ministre en 2015 et aujourd'hui, il ne s'est pas passé grand-chose. Il s'agit de l'exemple même d'une forme d'incurie publique par absence de volonté politique ou incapacité publique à mettre en œuvre une politique. La mission elle-même, qui associe toutes les parties prenantes et recherche les consensus, et les États généraux de l'alimentation, qui relèvent d'un processus démocratique d'élaboration de solutions partagées, ne se traduisent pas par des changements dans les politiques publiques pesant sur l'économie réelle et qui produiraient des résultats à la hauteur de la trajectoire définie pendant le Grenelle de l'Environnement.

Autour d'Écophyto 2, nous avons l'exemple même d'une volonté qui a été réaffirmée en 2008-2009, au cours des années de législation post-Grenelle, mais également par la Gauche au pouvoir entre 2013 et 2015, avec les politiques d'agroécologie, dont le plan Écoantibio, qui sera un succès, et un plan Écophyto qui sera formidablement dessiné, mais non mis en œuvre. La période d'alternance avec la majorité du Président Emmanuel Macron a intellectuellement confirmé les attendus du plan Écophyto, mais tarde à les mettre en œuvre, voire supprime les CEPP qui constituent l'un des leviers les plus puissants de cette mise en œuvre.

Pourquoi la volonté politique peine-t-elle à s'accorder ? Il me semble que la démarche passe parfois ailleurs que dans les grands débats démocratiques à l'Assemblée nationale. Elle passe par des groupes de pression qui portent des plaidoyers visant à retarder la mise en œuvre et à argumenter sur des risques de pertes économiques et de compétitivité, notamment dans les filières végétales, et qui demandent davantage de temps pour se réformer et se mettre en œuvre. Ils tendent à surévaluer les mouvements déjà opérés dans le bon sens et à demander un délai évitant tout ce qui peut être coercitif en termes d'interdits, de retrait de molécules et de taxation de la phytopharmacie, toutes voies pouvant être utilisées par la puissance publique. En dehors du déploiement d'un système de recherche et de vulgarisation, les instruments de la loi sont l'interdit, l'obligation et la taxation. Des groupes de pression militent en permanence, de manière apparemment efficace, pour retarder la mise en œuvre de ces politiques publiques quand bien même elles ont été décidées dans des cadres démocratiques participatifs, avec une mission d'information associant toutes les parties prenantes et/ou un comité d'animation du plan Écophyto, qui est notre instance de type participative, ainsi que des États généraux de l'alimentation.

Cette mission m'a permis de découvrir à quel point les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement peinent à agir en phase et à échanger entre différents services, comme la direction générale de l'alimentation et la direction en charge de la production, sur la base d'un référentiel et d'un horizon d'orientation communs. La question posée est celle de l'autorité du ministre sur ses services et d'une autorité gouvernementale qui affirme sa volonté.

J'avais formulé une proposition symbolique sous forme d'appel au secours invitant à désigner un délégué interministériel en tant que pilote. Il faut une politique gouvernementale cohérente de la santé à l'agriculture en passant par l'environnement, qui vise le même objectif et se dote de moyens publics à la hauteur des enjeux.

Recomposer un budget Écophyto synthétique constitue une véritable gageure pour un député, y compris expérimenté. Nous avons, d'une part, les agences de l'eau, qui sont placées sous la tutelle du ministère de l'Environnement, qui ont leur propre règlement et leur logique ; d'autre part, l'action déployée par les régions, mais également les actions mises en œuvre par le ministère de l'Agriculture en propre, et ce qui relève de telle ou telle direction. L'action n'est pas unifiée du point de vue géographique dans les régions, les territoires et au niveau national, et est trop peu incarnée.

Parmi les soixante-huit propositions formulées dans ce rapport de mission, qui ont toutes leur importance, je retiens deux ou trois dispositifs majeurs qui n'ont pas été mis en œuvre. Le premier était un contrat de résultats proposé aux chambres d'agriculture, qui pouvaient apparaître comme un contre-pouvoir aux firmes privées, quel que soit leur relais, pour être des prescripteurs de solutions agro-écologiques de moindre dépendance à la phytopharmacie. Dans certains secteurs, j'ai pu observer que le travail des départements était formidablement effectué. Dans d'autres, il était mal exécuté et il n'existait pas de conditionnalité de moyens publics ad hoc à des résultats à obtenir sur le terrain. Nous avions proposé de doter l'appareil consulaire d'une mission de pilotage de l'agroécologie, avec une obligation de résultats qui conditionnerait les moyens publics ad hoc. Dans le dialogue que j'ai avec le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), cette idée ne choque pas. Du point de vue de l'État, conditionner l'aide à l'obtention de résultats vaut mieux que de s'en remettre à l'écosystème politico-syndical local.

Le deuxième levier faisait appel à l'intelligence entrepreneuriale des filières et des territoires. En s'inspirant des certificats d'économie d'énergie, un rapport de mission remis aux ministères concernés proposait d'instituer des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. Il s'agissait de créer une obligation, à destination des distributeurs de phytopharmacie, de vendre ou de promouvoir des solutions alternatives comme le désherbage mécanique, le biocontrôle, les variétés adaptées, les nouveaux marchés d'un produit végétal permettant d'allonger les rotations, etc.

Sur la sole du colza, une recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a été remise d'actualité par les coopératives de l'Ouest de la France, consistait à jouer sur des variétés différenciées, pour les altises, et, pour les méligèthes, à avoir un couvert végétal au sol composé de légumineuses, ce qui permettait d'obtenir des résultats assez stupéfiants avec un insecticide en moins, un demi-herbicide et un bénéfice de quarante unités d'azote. Pour qui la mettait en œuvre, cette seule solution appliquée à l'ensemble des colzas permettait de bénéficier de X points de certificats d'économie de phytopharmacie. Appliquée à la sole du colza telle qu'elle était dans les années 2015, elle permettait d'atteindre 10 % des objectifs d'Écophyto. Sur une seule culture, cette solution, qui pouvait faire consensus, n'a pas été mise en œuvre faute d'obligation. Elle reste disponible et est appliquée de façon marginale, mais représente 10 % de la solution que nous recherchons ensemble.

Il existe des solutions dans la recherche et le développement qui ne demandent qu'à être vulgarisées. Pour ce faire, il convient que les donneurs d'ordres, les entreprises privées, mais également l'appareil consulaire, déploient ces solutions, mi par obligation, mi par volontarisme d'une politique publique, ce qui a fait défaut. Pour ne pas donner le sentiment d'un jugement de ce quinquennat, je dirai que, depuis 2016, pour des raisons diverses, le plan Écophyto est en panne, ce que nous payons très cher en termes de pollutions, d'atteintes à la santé et de controverses stériles qui ruinent notre République.

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