Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 13h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • agroécologie
  • oeuvre
  • phytopharmaceutique
  • Écophyto
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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L'audition débute à treize heures.

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Lors de la précédente législature, notre collègue, M. Dominique Potier, dispensé aujourd'hui de serment en tant que membre de notre commission d‘enquête, a été nommé député en mission par le Premier Ministre, afin de proposer une nouvelle version du plan Écophyto visant à réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Écophyto 2 est issu de cette mission. Aujourd'hui, nous en sommes à Écophyto 2+.

Quel jugement portez-vous sur la mise en œuvre de ces plans ? Quels en sont les résultats ? Comment ces résultats se comparent-ils aux objectifs initiaux d'Écophyto 2 et à nos obligations sur le plan communautaire ? Quelles sont les raisons qui expliquent les écarts constatés ? Quelles pistes d'amélioration pourriez-vous suggérer ?

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Avant d'être élu de la Nation, je suis porteur d'une expérience en tant qu'agriculteur engagé dans les réseaux des chambres d'agriculture et des groupements de développement, ainsi que dans une agriculture en transition dans une exploitation qui, voici vingt-cinq ans, a changé de système de production. J'ai donc eu un engagement dans le monde agricole, puis dans les collectivités locales où la question des produits phytopharmaceutiques a été très prégnante dans les débats de société et du territoire.

J'ai été élu en 2012 dans le cadre de cette expérience et de cette passion. Début 2013, le ministère de l'Agriculture m'a proposé de m'investir dans la co-présidence du comité de surveillance Écophyto qui est l'instance de partage, de régulation et d'orientation du plan Écophyto, telle que créée dans le Grenelle de l'Environnement. L'objectif était de diminuer de 50 %, à l'échelle de dix ans, l'impact de la phytopharmacie. En 2012-2013, au-delà des épisodes de sécheresse et des aléas survenus depuis la mise en œuvre du programme, il a été constaté que nous n'étions pas du tout sur cette trajectoire. Le dispositif ne fonctionnait pas à plein rendement.

Dès que j'ai eu pour mission de représenter l'Assemblée Nationale dans l'instance d'orientation du plan Écophyto, j'ai pris l'attache de l'ensemble des parties prenantes, à savoir le monde agricole avec la représentation consulaire, les syndicats et les instituts, mais également le secteur associatif, les représentants du monde de l'écologie et différents services de l'État. Sur mon temps de député et avec les moyens du bord, j'ai pris le temps de passer une heure à une heure trente d'audition pour toutes les parties prenantes du comité, afin de tenter de comprendre les points de blocage et les pistes qui pourraient nous rassembler. À l'issue de ce travail, que j'ai présenté en comité, j'ai observé que nous pouvions aboutir à un consensus sur le diagnostic relatif aux blocages et identifier quelques pistes de travail en commun.

Sur la base de ce travail volontaire, le ministère de l'Agriculture a suggéré à M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, de me nommer parlementaire en mission afin de réaliser le rapport qui sera intitulé « Pesticides et agroécologie, les champs du possible » et qui dessine le futur plan Écophyto 2. J'ai remis ce rapport à M. Manuel Valls, suite au changement de gouvernement intervenu entre temps.

Cette mission d'information a représenté une formidable opportunité d'être accompagné par des ingénieurs et des personnes expérimentées des ministères de l'Environnement, des Finances et de l'Agriculture. Avec une équipe de cinq personnes, pendant six mois, j'ai pu circuler sur l'ensemble du territoire français, y compris en Outre-mer et je me suis déplacé à La Réunion avec le directeur de l'alimentation de l'époque et la pilote du plan Écophyto. J'ai effectué une dizaine de déplacements sur le territoire national dans les différents systèmes de production, j'y ai rencontré les acteurs, réalisé plus de quatre-vingts auditions et effectué un travail construit, solide et très documenté sur le sujet.

À l'issue de cette mission, à la fin de 2014, nous avons établi, par le dialogue et au travers d'un travail très fin d'analyse et de propositions, ce qui constitue un socle qui, à défaut de consensus, est capable de rassembler une voie nouvelle pour toutes les parties prenantes. Ce rapport a été officiellement rendu en présence de Mme Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, et du ministre de l'Agriculture au cours d'un rendez-vous à l'Hôtel Matignon, en présence de M. Manuel Valls avec une très grande espérance de mise en œuvre du plan Écophyto.

Le monde de la production a instrumentalisé la crise de l'élevage de 2015 pour remettre en cause le plan Écophyto. Le lien entre celle-ci et le plan est difficile à établir, mais certains compartiments de la production, notamment dans le domaine de la production végétale, ont demandé la remise en cause du déploiement du plan Écophyto 2 dans sa forme actuelle.

Le deuxième frein a consisté en un recours devant le Conseil d'État engagé par le monde du commerce de la phytopharmacie sur la question des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). Ces certificats font partie des propositions du rapport. Ils ont été prévus dans la loi sur l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (loi EGalim) et repris, après une censure technique, dans une proposition de loi que j'ai portée plus tard. Les CEPP sont mis en cause pour un défaut technique en termes d'étude d'impact et de consultation du public.

Cette résistance du monde de la production végétale et ce recours devant le Conseil d'État, de la part d'opérateurs économiques de la phytopharmacie, ont fait perdre plus d'un an en tergiversations et hésitations. Fin 2016, alors que se profilait l'élection présidentielle, nous n'étions plus dans le temps de la mise en œuvre d'un programme : celui-ci, conçu en 2015, a été bloqué, certaines de ses perspectives annoncées, sans que le gouvernement ait eu le temps de le mettre en œuvre.

En 2017, après l'alternance, la décision a été prise de tenir les États généraux de l'alimentation, soit entre six et neuf mois de grands débats. Sur invitation de MM. Nicolas Hulot et Stéphane Travert, j'ai présidé l'atelier 11 qui visait à établir les conditions d'une agriculture susceptible de produire une alimentation de qualité pour tous. Le thème « De la fourche à la fourchette » consistait à s'interroger sur la façon de produire une alimentation durable pour tous et sur les conditions de sa production.

Dans cet atelier, comme dans d'autres, où je dialoguais avec des personnalités aussi importantes que des responsables d'Agreenium et des personnalités appartenant à la sphère syndicale, à la recherche et au monde coopératif, l'idée d'une confirmation du plan Écophyto 2 ne faisait pas débat. Il était même question d'un renforcement et d'un besoin d'accélérer sa mise en œuvre. Dans trois ateliers des États généraux de l'alimentation où les débats traitaient de la question d'une moindre dépendance à la phytopharmacie, a été constatée une sorte de confirmation « grand angle » du besoin de remettre en œuvre le plan Écophyto 2.

En 2018, le choix du gouvernement a consisté à établir un plan dit « Écophyto 2+ », avec un plus que je peine à discerner, puisque j'y vois plutôt du moins. En affichage, quelques points peuvent sembler positifs. Dans le rapport, je plaide pour l'association systémique du ministère de la Santé à tous les champs des décisions et à l'élaboration du plan, ce qui a été satisfait. S'y sont ajoutés l'enseignement et la recherche. Il faut saluer une forme de collégialité et de dimension interministérielle. Cependant, il n'existait pas d'action publique volontariste dans les faits. En 2016, avec la loi visant à la suppression totale des néonicotinoïdes, après quelques années de dérogations, aucune action majeure n'a été engagée au titre du plan Écophyto pour anticiper la période et préparer des solutions alternatives pour faire face aux crises sanitaires, notamment pour les planteurs de betteraves.

Le plan est peu réactivé. Néanmoins, la recherche se poursuit. Certains territoires et certaines filières continuent à innover. Certaines molécules les plus toxiques sont retirées, mais nous sommes loin de l'élan suscité par le rapport que j'ai remis au Premier ministre et le plan Écophyto 2. L'un des principaux leviers, à savoir les certificats d'économie de produits phytosanitaires, est supprimé par la loi Egalim.

Entre le rapport remis au Premier ministre en 2015 et aujourd'hui, il ne s'est pas passé grand-chose. Il s'agit de l'exemple même d'une forme d'incurie publique par absence de volonté politique ou incapacité publique à mettre en œuvre une politique. La mission elle-même, qui associe toutes les parties prenantes et recherche les consensus, et les États généraux de l'alimentation, qui relèvent d'un processus démocratique d'élaboration de solutions partagées, ne se traduisent pas par des changements dans les politiques publiques pesant sur l'économie réelle et qui produiraient des résultats à la hauteur de la trajectoire définie pendant le Grenelle de l'Environnement.

Autour d'Écophyto 2, nous avons l'exemple même d'une volonté qui a été réaffirmée en 2008-2009, au cours des années de législation post-Grenelle, mais également par la Gauche au pouvoir entre 2013 et 2015, avec les politiques d'agroécologie, dont le plan Écoantibio, qui sera un succès, et un plan Écophyto qui sera formidablement dessiné, mais non mis en œuvre. La période d'alternance avec la majorité du Président Emmanuel Macron a intellectuellement confirmé les attendus du plan Écophyto, mais tarde à les mettre en œuvre, voire supprime les CEPP qui constituent l'un des leviers les plus puissants de cette mise en œuvre.

Pourquoi la volonté politique peine-t-elle à s'accorder ? Il me semble que la démarche passe parfois ailleurs que dans les grands débats démocratiques à l'Assemblée nationale. Elle passe par des groupes de pression qui portent des plaidoyers visant à retarder la mise en œuvre et à argumenter sur des risques de pertes économiques et de compétitivité, notamment dans les filières végétales, et qui demandent davantage de temps pour se réformer et se mettre en œuvre. Ils tendent à surévaluer les mouvements déjà opérés dans le bon sens et à demander un délai évitant tout ce qui peut être coercitif en termes d'interdits, de retrait de molécules et de taxation de la phytopharmacie, toutes voies pouvant être utilisées par la puissance publique. En dehors du déploiement d'un système de recherche et de vulgarisation, les instruments de la loi sont l'interdit, l'obligation et la taxation. Des groupes de pression militent en permanence, de manière apparemment efficace, pour retarder la mise en œuvre de ces politiques publiques quand bien même elles ont été décidées dans des cadres démocratiques participatifs, avec une mission d'information associant toutes les parties prenantes et/ou un comité d'animation du plan Écophyto, qui est notre instance de type participative, ainsi que des États généraux de l'alimentation.

Cette mission m'a permis de découvrir à quel point les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement peinent à agir en phase et à échanger entre différents services, comme la direction générale de l'alimentation et la direction en charge de la production, sur la base d'un référentiel et d'un horizon d'orientation communs. La question posée est celle de l'autorité du ministre sur ses services et d'une autorité gouvernementale qui affirme sa volonté.

J'avais formulé une proposition symbolique sous forme d'appel au secours invitant à désigner un délégué interministériel en tant que pilote. Il faut une politique gouvernementale cohérente de la santé à l'agriculture en passant par l'environnement, qui vise le même objectif et se dote de moyens publics à la hauteur des enjeux.

Recomposer un budget Écophyto synthétique constitue une véritable gageure pour un député, y compris expérimenté. Nous avons, d'une part, les agences de l'eau, qui sont placées sous la tutelle du ministère de l'Environnement, qui ont leur propre règlement et leur logique ; d'autre part, l'action déployée par les régions, mais également les actions mises en œuvre par le ministère de l'Agriculture en propre, et ce qui relève de telle ou telle direction. L'action n'est pas unifiée du point de vue géographique dans les régions, les territoires et au niveau national, et est trop peu incarnée.

Parmi les soixante-huit propositions formulées dans ce rapport de mission, qui ont toutes leur importance, je retiens deux ou trois dispositifs majeurs qui n'ont pas été mis en œuvre. Le premier était un contrat de résultats proposé aux chambres d'agriculture, qui pouvaient apparaître comme un contre-pouvoir aux firmes privées, quel que soit leur relais, pour être des prescripteurs de solutions agro-écologiques de moindre dépendance à la phytopharmacie. Dans certains secteurs, j'ai pu observer que le travail des départements était formidablement effectué. Dans d'autres, il était mal exécuté et il n'existait pas de conditionnalité de moyens publics ad hoc à des résultats à obtenir sur le terrain. Nous avions proposé de doter l'appareil consulaire d'une mission de pilotage de l'agroécologie, avec une obligation de résultats qui conditionnerait les moyens publics ad hoc. Dans le dialogue que j'ai avec le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), cette idée ne choque pas. Du point de vue de l'État, conditionner l'aide à l'obtention de résultats vaut mieux que de s'en remettre à l'écosystème politico-syndical local.

Le deuxième levier faisait appel à l'intelligence entrepreneuriale des filières et des territoires. En s'inspirant des certificats d'économie d'énergie, un rapport de mission remis aux ministères concernés proposait d'instituer des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. Il s'agissait de créer une obligation, à destination des distributeurs de phytopharmacie, de vendre ou de promouvoir des solutions alternatives comme le désherbage mécanique, le biocontrôle, les variétés adaptées, les nouveaux marchés d'un produit végétal permettant d'allonger les rotations, etc.

Sur la sole du colza, une recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a été remise d'actualité par les coopératives de l'Ouest de la France, consistait à jouer sur des variétés différenciées, pour les altises, et, pour les méligèthes, à avoir un couvert végétal au sol composé de légumineuses, ce qui permettait d'obtenir des résultats assez stupéfiants avec un insecticide en moins, un demi-herbicide et un bénéfice de quarante unités d'azote. Pour qui la mettait en œuvre, cette seule solution appliquée à l'ensemble des colzas permettait de bénéficier de X points de certificats d'économie de phytopharmacie. Appliquée à la sole du colza telle qu'elle était dans les années 2015, elle permettait d'atteindre 10 % des objectifs d'Écophyto. Sur une seule culture, cette solution, qui pouvait faire consensus, n'a pas été mise en œuvre faute d'obligation. Elle reste disponible et est appliquée de façon marginale, mais représente 10 % de la solution que nous recherchons ensemble.

Il existe des solutions dans la recherche et le développement qui ne demandent qu'à être vulgarisées. Pour ce faire, il convient que les donneurs d'ordres, les entreprises privées, mais également l'appareil consulaire, déploient ces solutions, mi par obligation, mi par volontarisme d'une politique publique, ce qui a fait défaut. Pour ne pas donner le sentiment d'un jugement de ce quinquennat, je dirai que, depuis 2016, pour des raisons diverses, le plan Écophyto est en panne, ce que nous payons très cher en termes de pollutions, d'atteintes à la santé et de controverses stériles qui ruinent notre République.

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Je vous remercie de cette présentation offrant un regard historique sur ce qui a été tenté pour limiter le recours aux produits phytopharmaceutiques. Le Grenelle de l'Environnement a conduit à une volonté politique affichée de se lancer dans ce genre de démarche. Vous avez bien expliqué les hauts et les bas de la démarche Écophyto 2 et le constat d'échec qui est, semble-t-il, partagé par nombre d'acteurs du domaine de l'agriculture, notamment ceux qui souhaiteraient aller plus vite et plus loin dans la démarche d'agroécologie.

La dimension sanitaire semble absente. Dans votre mission et les conclusions de votre rapport, avez-vous évoqué les impacts en matière de santé publique du recours aux produits phytopharmaceutiques ? Il est question de l'évolution des pratiques, mais avez-vous envisagé cette dimension ? Que pourriez-vous proposer pour redémarrer la dynamique ?

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L'élément-clé, dans l'introduction du rapport Écophyto, est l'expertise collective de l'Inserm. Ce document date de 2013. En tant, alors, que nouveau député m'inscrivant dans le combat pour une maîtrise des pesticides et l'agroécologie, je considère ce rapport comme une étape absolument décisive.

La corrélation entre les pesticides et la santé a émergé dans les années 60-70 et a été renseignée très tardivement sur le plan scientifique. Cette étude collective de l'Inserm apparaît comme un point de référence car il s'agit de la synthèse de multiples approches scientifiques à l'échelle nationale et internationale permettant d'établir un lien avec certaines maladies. Ce rapport ne définit pas seulement le lien entre telle molécule et telle maladie, mais évoque un risque à bas bruit de « cocktails de molécules » produisant, de façon certaine, mais parfois indifférenciée, des troubles neurologiques dramatiques ou des troubles hormonaux tragiques comme des pubertés précoces qui nous bouleversent car ils touchent à l'intime et à l'identité des personnes. Ce rapport fait date et j'amorce ma démarche sur cette question.

Nous avions des lanceurs d'alerte. Nous disposons désormais de rapports scientifiques, qui sont synthétisés grâce aux travaux de l'Inserm et qui continuent à faire référence. Les thèses synthétisées n'ont été que confirmées depuis, ce qui donne du poids à ce rapport. Dans le même temps, avec nos collègues sénateurs, je travaille à un fonds d'indemnisation à destination des victimes de la phytopharmacie. Au cours de cette même décennie, s'est développé un mouvement associatif, syndical, de défense, de réparation et de prévention appelé Phyto-Victimes, association d'aide aux professionnels victimes des pesticides. Nous savons que de nombreuses personnes sont atteintes. Nous ferons les premiers pas au cours de ce quinquennat, puisque la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 le permet. Il a été nécessaire d'interpeller à deux reprises les ministères pour que les décrets soient publiés, ce qui est désormais le cas. Depuis quelques semaines, nous disposons des décrets qui prennent en compte une décision prise voici presque un an dans l'hémicycle et qui constituent un premier pas pour la réparation concernant des victimes qui n'étaient pas indemnisées pour des questions de statut. Nous pouvons penser aux aides familiales dans les exploitations agricoles qui ne bénéficiaient pas de l'assurance maladie et accident du travail. Par ailleurs, les enfants contaminés in utero dans une famille d'agriculteurs sont désormais pris en compte, ce qui constitue une juste réparation qui n'est que partielle car elle s'inscrit dans une logique d'accident du travail-assurance maladie (AT-AM), mais il s'agit d'une première étape qu'il convient de saluer.

Par manque de vigilance ou parce qu'elles n'étaient pas encore visibles, nous sommes alors totalement passés à côté des questions de voisinage qui ont enflammé la France quelques mois après. Je continue à penser que cette approche présente un très fort « effet lampadaire ». Il convient de préférer une démarche globale de diminution des pesticides à un combat fratricide dans notre société sur les distances d'épandage. Écophyto 2 tel que nous le proposions aurait certainement résolu de nombreux problèmes de voisinage, mais ce rapport n'envisage pas de solution de cohabitation entre les riverains des champs traités et les pulvérisations.

Nous sommes passés à côté de la question du voisinage et d'un concept qui aurait pu être une sorte de fil conducteur. En revanche, la question de la santé était au cœur du dispositif. Si j'établissais le rapport aujourd'hui, je le baptiserais « Une seule santé », à savoir la santé de la terre et des hommes. Le concept «  One Heath  », qui est né de l'épidémiologie, peut devenir un récit politique et scientifique. Je suis heureux de l'avoir fait inscrire dans le rapport annexe de la loi de programmation de la recherche.

Actuellement, dix-huit instituts travaillent à l'échelle européenne autour de l'INRAE sur la sortie des pesticides, la mosaïque paysagère et des questions d'agroécologie. Ils œuvrent sur des solutions d'affranchissement systémique et ont baptisé leur programme «  One Health  ». Se battre pour sortir des pesticides est se battre pour la santé des hommes et de la terre.

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Comment évaluez-vous la mise en œuvre des plans Écophyto depuis leur création ? Quels ont été les impacts sur les territoires ? En tirez-vous des leçons applicables aux autres plans nationaux intervenant en matière de santé environnementale, parfois pour des déclinaisons régionales ? Avez-vous pris connaissance du PNSE4 qui est actuellement soumis à la consultation publique et qu'en pensez-vous ?

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Je n'ai pas eu le rapport en consultation car je suis sur une autre mission d'information sur le partage de la valeur qui me prend beaucoup de temps et sur de nombreux combats, mais vous me donnez envie de le faire et d'apporter ma contribution.

Lorsque nous avons dressé le bilan du plan Écophyto en 2012, il s'agissait de ne pas « jeter le bébé avec l'eau du bain ». En 2008, le législateur a fixé l'ambition d'atteindre une diminution de 50 % de la phytopharmacie en 2018. Nous sommes à plus 5 % ou plus 10 %, ce qui laisse présager que nous ne prenons pas la bonne direction. En l'absence de politique globale, nous n'avons pas pesé sur les facteurs « macro », à savoir l'effacement de l'élevage, la destruction des prairies permanentes et l'augmentation de la surface de production végétale, qui sont des phénomènes » macro » liés à des phénomènes sociologiques comme la moindre attractivité des métiers d'élevage, la plus grande profitabilité des cultures végétales à l'unité de main-d'œuvre, les cours mondiaux, etc. Les facteurs PAC et marchés, qui sont des indicateurs puissants, font que l'on peut utiliser moins de produits phytopharmaceutiques à l'hectare de blé, mais l'accroissement des superficies engendre une présence plus élevée de ces produits dans « la ferme France ».

Néanmoins, deux bénéfices peuvent être retirés. Le premier consiste dans la mise en place, dans les formations initiales et continues, du Certiphyto qui a permis, sur la durée, à des centaines de milliers de paysans d'appréhender le minimum de précautions permettant d'éviter une pollution directe sur les mains et par inhalation, et de protéger l'environnement dont ils ont la charge, celui de la ferme et des champs. Ce très important effort de formation a porté ses fruits, notamment en accidentologie pour les agriculteurs eux-mêmes. Par ailleurs, nous avons assisté à une révolution culturelle. La question des pesticides est devenue un acquis. Elle est parfois mal traitée dans l'opinion et peut donner lieu à de l' agribashing, mais le lien entre le modèle agricole-pesticides et pesticides-santé devient un acquis de notre pensée commune. Nous disposons d'un socle culturel et d'un système de prévention des accidents du travail.

Par ailleurs, nous avons conduit des expériences pilotes avec les fermes Écophyto et les fermes Dephy qui sont apparus dans les années 2010. Elles étaient au nombre de 2 000 en France. Dans le rapport, je propose de passer à 3 000 et que chacune rayonne sur 10 autres fermes en conversion agroécologique. Avec 30 000 fermes, nous sommes à 1/7ème des exploitations concernées par les produits phytopharmaceutiques avec une échelle de développement permettant d'atteindre les objectifs que nous souhaitons. Ces fermes Dephy sont une sorte de laboratoire de la mise en œuvre du plan Écophyto et démontrent que nous pouvons diminuer en quelques années de 20 %, 30 %, 40 %, 50 %, voire 60 % l'usage des produits phytopharmaceutiques et même donner envie de s'en passer complètement. Elles constituent un terrain favorable comme les fermes des lycées agricoles pour le passage à l'agriculture biologique ou à des formes d'agroécologie pertinentes.

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Quels leviers d'amélioration visant à réduire l'usage récurrent des phytopharmaceutiques sont à privilégier ? Lors du premier confinement, nous avons constaté des épandages de pesticides plus conséquents appuyés par des arrêtés préfectoraux. Avez-vous émis des alertes de surveillance accrue dans ces périodes ? Comment jugez-vous cette situation ? Le plan Écophyto prévoit-il l'évaluation des « effets cocktail » de pesticides ? Existe-t-il une équivalence européenne du plan Écophyto ?

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Vous faites référence à un travail sur lequel j'ai été mis « hors-jeu » depuis quelques années. Il existe désormais un comité glyphosate et nous aurons prochainement un comité néonicotinoïdes. Le comité Écophyto n'est plus réuni depuis douze à dix-huit mois. Il ne fait plus l'objet d'animation, y compris politique. Par conséquent, je vous invite à ne pas me demander des informations de première main sur des dossiers dont les députés ont été exclus.

Il existe très certainement une évaluation européenne des résultats de la France. Une commission environnement et/ou santé a dû se pencher sur les différents plans nationaux et les qualifier, mais je n'ai pas eu accès à ces documents. Par conséquent, je ne peux répondre à votre question.

La poursuite des recherches sur les « effets cocktail » est l'une des questions médicales et scientifiques majeures. L'approche consistant en la combinaison des facteurs dans le déclenchement et la prévalence de maladies, et l'explication de sources multiples progresse. De plus en plus d'informations sur ces sujets confirment « l'effet cocktail ».

Durant la période de confinement, certains de nos concitoyens ont probablement mieux observé les pulvérisations, mais je ne conçois pas de raison objective à une augmentation des traitements, en dehors d'un effet climatique qui ne serait pas lié au confinement.

La première proposition que j'ai formulée pour le plan Écophyto consiste en une politique de renouvellement des générations avec le partage de la terre et une nouvelle régulation du marché foncier, laquelle fait l'objet d'une dérive libérale qui permet l'accaparement et la concentration des terres. Sans régulation foncière, il n'y aura pas d'installations. Or un paysan sur deux prendra sa retraite dans les dix ans à venir. Si les fermes s'agrandissent en simplifiant leurs moyens de production, le territoire français s'appauvrira socialement et économiquement, mais également sur le plan de la biodiversité, de sa mosaïque paysagère et de sa diversité.

Dès lors, plus les systèmes sont simplifiés et agrandis, qu'il s'agisse de la taille des parcelles ou des exploitations, plus la dépendance est grande aux solutions technologiques et agrochimiques. Si nous voulons réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques, il faut partager la valeur économique des biens dans les chaînes de production, et, en premier lieu, partager la terre pour une agriculture à taille humaine avec des hommes pratiquant l'agroécologie, faute de quoi la pression phytopharmaceutique ne décroîtra pas de manière significative.

Il faut que ces systèmes soient reconnus sur le marché. Ils sont aidés par la politique agricole commune (PAC) qui est une mesure environnementale globale. Plutôt que d'accorder des aides à l'environnement ponctuelles, il faut favoriser l'évolution des systèmes vers l'agroécologie. Il convient que les consommateurs et le marché reconnaissent la valeur agronomique des pratiques agricoles, ce qui est le cas, peu ou prou, pour l'agriculture biologique, qui mériterait une réforme de son cahier des charges intégrant les dimensions carbone, équitable et sociale. C'est potentiellement le cas de la haute valeur environnementale avec la certification de niveau III qui est enfin promue par le ministère de l'Agriculture. La semaine dernière, l'Assemblée Nationale a voté des aides directes. La voie de l'agroécologie est importante à promouvoir.

Les leviers importants pour le marché sont le label HVE et le bio, selon des cahiers des charges réformés, les aides de la PAC, la réforme foncière et un marché international qui ne soit pas constitué de traités bilatéraux nous mettant en compétition avec des agricultures moins-disantes et qui pourraient sacrifier nos écosystèmes les plus vertueux.

Pour ce qui est du « micro », il nous faut des plans alimentaires territoriaux, des filières innovantes, une modernisation de l'appareil public et la création d'un nouveau pacte pour l'agroécologie par les consulaires et les coopératives. Il faut lancer un plan Écophyto. Quelques-unes de mes soixante propositions ont été supprimées, comme les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, mais je n'en ai pas constaté de plus innovantes.

L'une des meilleures promesses pour diminuer l'usage des produits phytopharmaceutiques est le plan Protéines végétales. L'autonomie en protéines végétales permet de lutter contre les changements climatiques, en limitant la déforestation importée, et d'allonger les rotations. Nous disposons de nombreux outils dans le plan de relance et la politique actuelle dont nous devons nous saisir. Je crois à l'agriculture de groupe. La coopération autour de ces changements fonctionne. Comme il existe une compétition des prédateurs, nous pouvons créer une association des innovateurs dans l'agriculture de groupe, avec la capacité des communautés de communes à se fixer un objectif de dépollution de l'eau et d'attractivité du territoire. Il peut s'agir d'un contrat local de santé misant sur l'alimentation. Ces facteurs favorisent directement ou indirectement l'agroécologie, laquelle permet de diminuer l'usage des produits phytopharmaceutiques contrairement aux batailles molécule par molécule ou au remplacement d'une molécule par trois autres tout aussi cancérogènes.

Je déclare solennellement que l'on a menti au Parlement en ce sens que, pendant la loi EGalim, on a réformé les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques en affirmant qu'ils seraient renforcés. En réalité, ils ont été dévitalisés, par la suppression des pénalités financières ad hoc. J'évoquerai le mauvais choix du Gouvernement et du Président de la République, qui a néanmoins été fait dans un bon esprit, consistant à séparer la vente du conseil, ce qui affaiblit le dispositif de responsabilisation des vendeurs de produits phytopharmaceutiques. Il s'agit d'une mauvaise voie qui a pour conséquence de ruiner les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. En tant que parlementaire, lorsque j'ai alerté sur l'outil formidable qu'ils représentent, il m'a été répondu qu'il n'y avait pas de souci à se faire. Or, dans la réalité, ils sont dévitalisés.

J'ai présenté un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, qui n'a toujours pas statué. Il s'agit d'une manière d'alerter sur le dysfonctionnement de notre démocratie et de réaffirmer qu'il est temps de corriger le mauvais choix fait en 2017. Tels sont le pari que je fais et ma disponibilité dans cette commission d'enquête et vis-à-vis du Gouvernement et de tous mes collègues pour chercher des solutions ensemble, non pas dans la controverse, mais dans la concorde, afin de remettre un plan Écophyto sur les rails et nous diriger ensemble vers l'agroécologie.

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Nous vous remercions d'avoir exposé franchement votre point de vue.

L'audition s'achève à quatorze heures.