Permettez-moi de rebondir sur cette dernière phrase. Je suis chimiste de formation et j'ai une très haute idée des chimistes. J'ai donc un conflit d'intérêts. Je pense que l'industrie chimique doit se refonder sur un autre modèle. Le modèle de l'après-guerre est dépassé. Nous voyons bien à quoi il a mené.
L'interdiction du perchloréthylène dans les pressings que nous avons obtenue en 2012 a mis fin à quarante années d'utilisation du perchloréthylène. Vous avez remarqué que nous continuons pourtant à nettoyer les vêtements. Savez-vous par quel solvant a été remplacé le perchloréthylène ? Nous l'avons remplacé par un excellent solvant, vieux comme le monde : l'eau. Nous supprimons ainsi un risque de cancer bien avéré pour les travailleurs des pressings ainsi que la contamination de l'eau par le perchloréthylène.
Lorsque nous avons discuté la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, j'avais demandé et obtenu que soit créé un volet « innovation et santé ». Je pense que l'enjeu est là et il faut également repenser nos institutions par rapport à cet enjeu, notamment les centres techniques professionnels. Ces centres sont des créations de l'après-guerre. Ce volet d'innovation devrait faire partie de leurs missions et je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. L'innovation doit être conjuguée avec la santé, car nous ne pouvons pas concevoir une innovation qui se traduise par un impact sanitaire négatif.
Vous évoquez les incertitudes scientifiques. Elles existeront toujours. L'enjeu de recherche est considérable. Nous ne sommes pas armés – mais peu de pays le sont – pour répondre à cet enjeu de la compréhension du lien entre santé et environnement. J'ai par exemple évoqué les disparités en matière de cancer du sein. Il n'existe aucun programme de recherche international sur la question. Il serait tout de même intéressant de comprendre pourquoi le Japon et la France ont une différence très nette alors que ces deux pays ont le même niveau de développement, le Japon étant même encore plus urbain que la France. Quant au Bhoutan, n'en parlons pas ! Pourtant, il faudrait analyser la situation au Bhoutan car un rapport de 1 à 20 n'est vraiment pas négligeable.
Nous plaidons pour la création d'un groupe d'experts type « GIEC » de la santé environnementale. Je pense que la France devrait prendre l'initiative de coordonner les efforts au niveau international pour faire le point sur l'état des connaissances à un moment donné. Qu'avons-nous fait sur le changement climatique ? Nous sommes loin d'avoir tout compris. Nous n'avons pas non plus tout compris sur la biodiversité. Il faut un effort international pour établir un constat faisant consensus de façon très large. Sur le climat, cela a permis de marginaliser les climatosceptiques. Il restera toujours des incertitudes, mais l'existence des incertitudes ne nous condamne pas à ne pas agir. C'est cette logique qui a conduit à l'épidémie mondiale de maladies chroniques. La maison brûle et nous regardons ailleurs actuellement.