L'ASEF a été créée autour de l'Étang de Berre. Tous les matins, lorsque j'arrivais, je voyais cette nappe de pollution dans ce secteur extrêmement industriel qui compte 24 usines Seveso. Cela m'a sensibilisé au problème qui était alors pourtant nié par la population, les élus et les personnes qui surveillaient la santé dans le secteur. Avec quelques amis médecins, un soir, nous avons pensé qu'il était temps d'essayer d'agir. Le territoire de l'Étang de Berre a « bougé » avec la création de l'association Provence.
Lorsqu'une étude a montré que les poissons du Rhône étaient imprégnés de polychlorobiphényles (PCB), leur consommation a été interdite, mais personne ne s'intéressait aux gens qui mangeaient ces poissons. Avec l'aide et le financement du World wide fund for nature (WWF), nous avons alors dosé les PCB chez 60 plus ou moins gros mangeurs de poissons du Rhône et un groupe témoin. Nous nous étions basés sur une étude de la contamination du lac Michigan aux États-Unis. Nous avons effectivement trouvé que les gros consommateurs de poissons étaient plus imprégnés de PCB. Ces PCB sont extrêmement toxiques et cancérogènes. La première frustration a alors été qu'il ne s'est rien passé pour les populations. Elles n'ont pas été plus surveillées. Quelques recommandations ont simplement été émises, par exemple de ne pas manger les anguilles, les gros poissons prédateurs des rivières, notamment du Rhône. Cela s'est arrêté là.
Nous avions déjà une première vision de l'impact sur la santé, de ce lien intime. Nous sommes alliés avec France nature environnement (FNE), Humanité et biodiversité et la Fédération des syndicats vétérinaires pour avoir cette vision globale de la santé.
Dans le futur plan national santé-environnement (PNSE 4) doit être créé un groupe de santé « One Health », plutôt que d'avoir, dans chaque item du PNSE 4, quelques actions dispersées, une sur les zoonoses, une sur les biocides… Tout est regroupé : ces sujets sont éminemment complémentaires et nécessitent une vision globale.
Notre association milite pour une vision globale de l'individu et nous avons commencé par informer les gens sur les risques environnementaux. Il existait des publications dans les pays anglo-saxons mais très peu en France. Il fallait faire l'effort d'aller chercher dans les publications internationales, beaucoup aux États-Unis, en Chine également et dans les pays anglo-saxons, pour montrer que l'environnement est important pour notre santé et fait partie de la santé publique.
Notre association comporte des professionnels de terrain, parfois retraités, tels que médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes. Nous connaissons bien les facteurs de risques tels que tabac, alcool et nutrition sur lesquels sont basés les plans de santé actuels, mais nous sommes dans le flou le plus total en ce qui concerne les autres facteurs de risques environnementaux, puisqu'aucune formation digne de ce nom n'est dispensée, alors que nous sommes tous contaminés.
Selon les chiffres de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), la France est dix-huitième pour la prévention avec un budget de 1 à 2 %, insuffisant pour faire de la prévention en ce qui concerne les problèmes de santé qui nous oppressent. Nous sommes donc très bons pour le soin, très bons pour le cholestérol, mais très mauvais pour les facteurs environnementaux.
L'enjeu est sanitaire et financier. L'impact est estimé à 100 000 décès par an avec une épidémie de maladies chroniques comme le dit le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport de 2019. Nous avons 20 millions de cas de maladies chroniques. Il ne faut pas confondre les 10 millions d'affections de longue durée (ALD) et les maladies chroniques. Elles ont des conséquences pour le patient et la société tout au long de la pathologie. Les moyens que nous avons pour lutter ne sont pas adaptés à ces enjeux énormes.
Une projection de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour 2023 prévoit que le nombre de maladies chroniques augmente de 500 000. De 2012 à 2018, nous sommes passés de 123 milliards d'euros de dépenses à 142 milliards d'euros sachant que le prix des médicaments a baissé entre-temps. L'avenir financier de notre sécurité sociale est donc en danger. Il est prévu que les maladies cardio-neuro-vasculaires continueront à augmenter : 638 000 nouveaux cas entre 2018 et 2023. La CNAM prévoit 232 000 nouveaux cancers. Le facteur démographique intervient bien entendu, mais il ne suffit pas à expliquer ce bond extrêmement important.
Quelques pathologies devraient diminuer mais je ne sais pas si cette prévision restera valable après la crise du covid. Les traitements psychotropes devraient diminuer mais, vu notre état et celui de la patientèle, je ne sais pas si cette projection sera vérifiée. Les frais de maternité devraient diminuer mais il est de plus en plus difficile d'avoir des enfants. La quantité de sperme baisse de 1,9 % par an et les spermatozoïdes sont de moins en moins vigoureux. Une grosse étude suisse a démontré qu'un tiers seulement des spermatozoïdes sont en bonne forme. L'enjeu humain et financier est considérable.
D'après un rapport du Sénat de 2015, la pollution de l'air coûte 100 milliards, dont 20 milliards pour la pollution de l'air intérieur. Nous avions décidé dans les groupes de travail du PNSE que l'air intérieur était un élément majeur, dans une vision globale de la santé, puisque l'air extérieur participe pour près de 50 % à la charge de maladies dues à l'air intérieur, notamment avec les particules fines. Nous ne pouvons pas séparer les deux. Il faut avoir une vision globale et la crise du covid le montre encore plus.
Le journal d'endocrinologie Journal of clinical endocrinology & metabolism estime à 157 milliards d'euros le coût au niveau européen des perturbateurs endocriniens. L'OMS estime que les démences coûtent, au niveau mondial, 604 milliards. Nous comptons actuellement en France 900 000 cas de maladie d'Alzheimer, avec 225 000 nouveaux cas tous les ans. Le nombre de maladies d'Alzheimer devrait doubler en vingt ans. Les personnes âgées ne sont pas les seules concernées puisque 65 000 personnes de moins de 65 ans sont malades. L'enjeu neurologique est donc considérable.
En ce qui concerne les données, nous avons dans certains départements des registres cancer. Nous avons envoyé en 2019 à Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé, une lettre commune avec le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) pour réclamer des registres généralisés et territoriaux. Elle répond que « l'Institut national du cancer (INCa) n'utilise pas ces données aux fins de surveillance, entendue comme processus de collecte systématique des données, de leur analyse, de leur interprétation, et à des fins d'action. Il est à noter que les registres, de par leur nature, ne sont pas des outils d'alerte ; les registres ne sont pas organisés pour cela et encore moins pour s'intégrer dans un dispositif de surveillance ou de veille sanitaire. » Ce sont donc des photographies qui ne servent ni à alerter ni à agir.