L'audition débute à dix-sept heures.
M. Pierre Souvet, médecin cardiologue dans les Bouches-du-Rhône, est président et cofondateur de l'Association santé environnement France (ASEF). Celle-ci est exclusivement composée de professionnels de santé. Elle a été fondée en 2008 pour les informer, ainsi que les patients et les entreprises, sur l'impact des polluants pour la santé. L'association dispose d'antennes locales, notamment dans le Grand Est, le Grand Ouest, le Sud-Ouest et la Martinique. Nous sommes intéressés par l'appréciation de l'ASEF quant à la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et les priorités qui doivent les animer.
(M. Pierre Souvet prête serment.)
L'ASEF a été créée autour de l'Étang de Berre. Tous les matins, lorsque j'arrivais, je voyais cette nappe de pollution dans ce secteur extrêmement industriel qui compte 24 usines Seveso. Cela m'a sensibilisé au problème qui était alors pourtant nié par la population, les élus et les personnes qui surveillaient la santé dans le secteur. Avec quelques amis médecins, un soir, nous avons pensé qu'il était temps d'essayer d'agir. Le territoire de l'Étang de Berre a « bougé » avec la création de l'association Provence.
Lorsqu'une étude a montré que les poissons du Rhône étaient imprégnés de polychlorobiphényles (PCB), leur consommation a été interdite, mais personne ne s'intéressait aux gens qui mangeaient ces poissons. Avec l'aide et le financement du World wide fund for nature (WWF), nous avons alors dosé les PCB chez 60 plus ou moins gros mangeurs de poissons du Rhône et un groupe témoin. Nous nous étions basés sur une étude de la contamination du lac Michigan aux États-Unis. Nous avons effectivement trouvé que les gros consommateurs de poissons étaient plus imprégnés de PCB. Ces PCB sont extrêmement toxiques et cancérogènes. La première frustration a alors été qu'il ne s'est rien passé pour les populations. Elles n'ont pas été plus surveillées. Quelques recommandations ont simplement été émises, par exemple de ne pas manger les anguilles, les gros poissons prédateurs des rivières, notamment du Rhône. Cela s'est arrêté là.
Nous avions déjà une première vision de l'impact sur la santé, de ce lien intime. Nous sommes alliés avec France nature environnement (FNE), Humanité et biodiversité et la Fédération des syndicats vétérinaires pour avoir cette vision globale de la santé.
Dans le futur plan national santé-environnement (PNSE 4) doit être créé un groupe de santé « One Health », plutôt que d'avoir, dans chaque item du PNSE 4, quelques actions dispersées, une sur les zoonoses, une sur les biocides… Tout est regroupé : ces sujets sont éminemment complémentaires et nécessitent une vision globale.
Notre association milite pour une vision globale de l'individu et nous avons commencé par informer les gens sur les risques environnementaux. Il existait des publications dans les pays anglo-saxons mais très peu en France. Il fallait faire l'effort d'aller chercher dans les publications internationales, beaucoup aux États-Unis, en Chine également et dans les pays anglo-saxons, pour montrer que l'environnement est important pour notre santé et fait partie de la santé publique.
Notre association comporte des professionnels de terrain, parfois retraités, tels que médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes. Nous connaissons bien les facteurs de risques tels que tabac, alcool et nutrition sur lesquels sont basés les plans de santé actuels, mais nous sommes dans le flou le plus total en ce qui concerne les autres facteurs de risques environnementaux, puisqu'aucune formation digne de ce nom n'est dispensée, alors que nous sommes tous contaminés.
Selon les chiffres de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), la France est dix-huitième pour la prévention avec un budget de 1 à 2 %, insuffisant pour faire de la prévention en ce qui concerne les problèmes de santé qui nous oppressent. Nous sommes donc très bons pour le soin, très bons pour le cholestérol, mais très mauvais pour les facteurs environnementaux.
L'enjeu est sanitaire et financier. L'impact est estimé à 100 000 décès par an avec une épidémie de maladies chroniques comme le dit le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport de 2019. Nous avons 20 millions de cas de maladies chroniques. Il ne faut pas confondre les 10 millions d'affections de longue durée (ALD) et les maladies chroniques. Elles ont des conséquences pour le patient et la société tout au long de la pathologie. Les moyens que nous avons pour lutter ne sont pas adaptés à ces enjeux énormes.
Une projection de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour 2023 prévoit que le nombre de maladies chroniques augmente de 500 000. De 2012 à 2018, nous sommes passés de 123 milliards d'euros de dépenses à 142 milliards d'euros sachant que le prix des médicaments a baissé entre-temps. L'avenir financier de notre sécurité sociale est donc en danger. Il est prévu que les maladies cardio-neuro-vasculaires continueront à augmenter : 638 000 nouveaux cas entre 2018 et 2023. La CNAM prévoit 232 000 nouveaux cancers. Le facteur démographique intervient bien entendu, mais il ne suffit pas à expliquer ce bond extrêmement important.
Quelques pathologies devraient diminuer mais je ne sais pas si cette prévision restera valable après la crise du covid. Les traitements psychotropes devraient diminuer mais, vu notre état et celui de la patientèle, je ne sais pas si cette projection sera vérifiée. Les frais de maternité devraient diminuer mais il est de plus en plus difficile d'avoir des enfants. La quantité de sperme baisse de 1,9 % par an et les spermatozoïdes sont de moins en moins vigoureux. Une grosse étude suisse a démontré qu'un tiers seulement des spermatozoïdes sont en bonne forme. L'enjeu humain et financier est considérable.
D'après un rapport du Sénat de 2015, la pollution de l'air coûte 100 milliards, dont 20 milliards pour la pollution de l'air intérieur. Nous avions décidé dans les groupes de travail du PNSE que l'air intérieur était un élément majeur, dans une vision globale de la santé, puisque l'air extérieur participe pour près de 50 % à la charge de maladies dues à l'air intérieur, notamment avec les particules fines. Nous ne pouvons pas séparer les deux. Il faut avoir une vision globale et la crise du covid le montre encore plus.
Le journal d'endocrinologie Journal of clinical endocrinology & metabolism estime à 157 milliards d'euros le coût au niveau européen des perturbateurs endocriniens. L'OMS estime que les démences coûtent, au niveau mondial, 604 milliards. Nous comptons actuellement en France 900 000 cas de maladie d'Alzheimer, avec 225 000 nouveaux cas tous les ans. Le nombre de maladies d'Alzheimer devrait doubler en vingt ans. Les personnes âgées ne sont pas les seules concernées puisque 65 000 personnes de moins de 65 ans sont malades. L'enjeu neurologique est donc considérable.
En ce qui concerne les données, nous avons dans certains départements des registres cancer. Nous avons envoyé en 2019 à Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé, une lettre commune avec le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) pour réclamer des registres généralisés et territoriaux. Elle répond que « l'Institut national du cancer (INCa) n'utilise pas ces données aux fins de surveillance, entendue comme processus de collecte systématique des données, de leur analyse, de leur interprétation, et à des fins d'action. Il est à noter que les registres, de par leur nature, ne sont pas des outils d'alerte ; les registres ne sont pas organisés pour cela et encore moins pour s'intégrer dans un dispositif de surveillance ou de veille sanitaire. » Ce sont donc des photographies qui ne servent ni à alerter ni à agir.
Comment faire une politique publique ou de recherche sans données épidémiologiques territoriales ?
Sur 29 pays, 21 pays ont des registres complets et les huit qui n'en ont pas progressent, notamment le Portugal et les Pays-Bas. Il faut disposer de ces données pour réduire les inégalités de santé. Ces données ne doivent pas être seulement départementales, mais territoriales. Nous parlons beaucoup des régions et des départements pour les compétences mais le problème est différent entre la zone de l'Étang de Berre et la zone de La Ciotat. Il faut vraiment cibler les territoires qui ont des spécificités. Cela ne me gênerait pas que les départements des Basses-Alpes et des Hautes-Alpes aient le même registre puisqu'ils ont à peu près les mêmes caractéristiques. Il faut une vision territoriale qui tienne compte des spécificités des territoires. Toutefois, sans données, l'action n'est pas possible.
Prenons l'exemple de la qualité de l'air. D'après Santé publique France, les particules fines causent 48 000 morts et ce sont maintenant les ultrafines qui poseront problème car elles pénètrent encore plus, sont encore plus inflammatoires et touchent notamment le cerveau. Il existe d'ailleurs un lien entre la pollution de l'air et la maladie d'Alzheimer. D'après la Société européenne de cardiologie, la qualité de l'air est liée à 67 000 morts.
Le débat porte aussi sur les normes. Cela ne me gêne pas de faire des normes, en les élargissant à certains hydrocarbures aromatiques. La valeur réglementaire sur les particules fines inférieures à 2,5 micromètres en France est actuellement de 25 microgrammes par mètre cube. Aux États-Unis, la norme est depuis un certain temps à 12 microgrammes par mètre cube et au Canada, la norme est à 10 microgrammes avec un objectif à 8,8 microgrammes. La valeur de qualité retenue par l'OMS est 10 microgrammes par mètre cube.
Nous disons 25 microgrammes en France parce que nous ne sommes pas capables de faire plus. C'est le même phénomène que lors de la création des « métabolites non pertinents » dans l'eau potable. Voici un an et demi, il a été décidé de créer des métabolites non pertinents, qui sont en effet moins agressifs que les métabolites pertinents puisqu'ils ne gardent qu'une activité pesticide inférieure à 50 % de celle de la molécule mère. L'industrie voulait multiplier par 90 le taux autorisé dans l'eau potable de ces métabolites non pertinents. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a répondu qu'ils sont en effet moins pesticides mais que nous ne pouvons pas répondre sur l'effet perturbateur endocrinien et « l'effet cocktail » par manque d'études. Le Gouvernement a alors, par l'intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), multiplié par 9 le taux autorisé dans l'eau potable de ces métabolites, en plus des métabolites classiques. J'en ai compris la raison : avec le changement climatique, les captages risquent d'être insuffisants et la concentration de pesticides et de métabolites de pesticides risque d'être trop élevée.
Il faut lutter contre ces idées qui nous ont paru assez incroyables. Nous ne sommes que des bénévoles et perdre autant d'énergie avec de telles décisions de prospective est difficile pour nous.
Est-il possible de réduire la pollution en agissant ? À Tokyo, le diesel a été interdit en ville en 2000. Cette interdiction diminue le nombre de particules. Il faut toutefois une vision globale car le problème ne concerne pas que le trafic mais aussi les feux de cheminée, les épandages agricoles. La création de particules fines secondaires peut être fortement réduite en épandant au bon moment. Nous avons vu pendant le covid que la réduction des particules fines n'a pas été extrêmement importante du fait des particules secondaires liées aux épandages. Il faut aussi savoir que la composition des particules joue. Celles issues du trafic sont extrêmement toxiques et classées cancérogènes à cause des hydrocarbures aromatiques.
Tokyo a interdit le diesel en 2000 et Osaka en 2006. Tokyo a ainsi diminué les particules fines de 44 %. Les oxydes d'azote n'ont pas beaucoup baissé. Les chiffres de mortalité sont incroyables. La mortalité toutes causes confondues a diminué de 6 %, la mortalité cardiovasculaire de 11 %, la mortalité par infarctus de 10 %, la mortalité par accident vasculaire cérébral de 6,2 %, la mortalité par maladie pulmonaire de 22 %, la mortalité par cancer du poumon de 4,9 %. Ces chiffres ne comptent que les morts et nous constatons donc une diminution colossale en termes d'évènements. Ainsi, agir fermement marche ! En ce qui concerne le covid, nous savons maintenant qu'il existe un lien entre la mortalité et la pollution de l'air.
De nombreuses substances sont susceptibles de favoriser l'obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, en particulier en modifiant la lipogenèse. L'expérience a été faite avec des souris qui, dès le cinquième jour après la naissance, ont été nourries toutes de la même façon, ont fait la même quantité d'exercice physique mais certaines ont reçu du distilbène qui est une molécule très proche du bisphénol A. Ces souris sont devenues obèses car la maturation des adipocytes a été différente. Dans cette étude, il a aussi été testé de faire des injections prénatales de distilbène et le résultat a été le même. Pour vous faire comprendre la complexité du problème, il faut savoir que les souris qui subissaient en prénatal l'injection d'une grosse dose naissaient plus maigres que les autres et devenaient obèses ensuite. Celles qui recevaient une petite dose pendant la grossesse naissaient plus grosses et devenaient plus grosses. L'influence des perturbateurs endocriniens est frappante dans cet exemple.
Les normes réglementaires ne sont plus adaptées du tout. Cela ne me gêne pas que des normes existent sur l'air mais c'est beaucoup plus compliqué avec les produits chimiques. Je vous ai déjà parlé des effets en fonction de la dose mais nous ne mangeons pas que du bisphénol. Nous absorbons des centaines de produits chimiques et nous sommes tous contaminés comme le montre l'étude Esteban en France.
Ne jetons malgré tout pas toutes les normes et voyons la qualité de l'air intérieur avec les étiquettes A+ des produits. Nous prenons en compte en France environ 10 composés organiques volatils (COV) tandis que la Belgique en prend en compte plus de 200. Il faut donc élargir notre liste et, pour l'air extérieur, il faut même élargir notre norme aux hydrocarbures. L'étiquetage des émissions des produits dans l'air intérieur doit être plus solide : aucun contrôle n'est fait de la véracité des déclarations des industriels sur l'étiquetage. Ceci favorise les tricheurs et défavorise les vertueux, ce qui est tout de même un comble ! Il faut faire des contrôles comme c'est le cas en Belgique avec des contrôles inopinés, indépendants. Une étude de l'Institut national de la consommation avait montré que, sur 20 peintures à l'eau étiquetées A+, trois dépassaient la valeur A+ après trois jours dont une de plus de 8 fois et 6 peintures sur 20 ne valaient pas A+ après 28 jours.
Nous en avons beaucoup parlé dans les groupes de travail du PNSE 4 et nous avons dit qu'il fallait contrôler. Cette demande a disparu dans la dernière version du PNSE 4 rendue publique voici un mois. Il faut des moyens de contrôle et des sanctions évidemment.
Je fais la même remarque pour les nanoparticules. Aux États généraux de l'alimentation, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait dix-huit contrôles pour savoir si l'affichage nano obligatoire sur les produits cosmétiques était correct. Dix-sept produits sur dix-huit contenaient des nanoparticules mais ne l'affichaient pas. Le cadre réglementaire a donc son utilité mais nous pouvons être plus « agressifs » pour la protection de la santé.
S'agissant de la formation, j'ai repris les actions des PNSE 1, 2, 3 et 4. Dans le PNSE 1, il était prévu d'intégrer la dimension santé-environnement dans la formation initiale. Dans le PNSE 2, il est dit que le développement d'une formation initiale et la formation continue permettront de former les spécialistes. Dans le PNSE 3, il n'est plus prévu de former, mais d'analyser les programmes de formation. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont bien montré que les formations restent tout à fait sporadiques, avec par exemple à Strasbourg une excellente formation pour 25 étudiants. Dans le PNSE 4, il est écrit que les universités et écoles seront incitées à organiser des formations. Comment voulez-vous informer et former la population si les premiers relais ne sont pas eux-mêmes formés ? Il faut former les personnels de santé et tous les acteurs locaux, tels que les aménageurs, les architectes, les urbanistes.
Depuis le premier PNSE en 2004, il ne s'est quasiment rien passé, à part quelques actions de personnes particulièrement engagées qui ont essayé de faire connaître le problème, comme notre association avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) par exemple.
Ainsi, j'ai fait une formation à 21 internes et je leur ai demandé à la fin s'ils avaient trouvé cette soirée intéressante. Ils ont tous répondu affirmativement. Sur les 21 internes, 15 avaient déjà été sensibilisés aux perturbateurs endocriniens par les journaux en particulier, mais un seul a jugé suffisante sa formation initiale sur le sujet. Seuls trois se jugeaient capables de conseiller correctement leurs patients sur les perturbateurs endocriniens.
L'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) et l'Intersyndicale des internes en médecine générale (INSNAR-IMG) nous ont demandé de les sensibiliser au sujet. Il est tout de même incroyable que les étudiants s'adressent à une association qui a peu de moyens pour les sensibiliser. C'est dire le manque criant de formation. Il faut arriver à créer des modules de formation à l'université.
Le gros défaut du PNSE 4 est l'absence d'agenda pour les outils. Nous sommes prêts à concevoir le référentiel avec les autorités savantes compétentes et à créer les outils pour que ces modules de formation puissent être introduits dès la rentrée 2022 pour tous les professionnels de santé.
La gouvernance est un problème majeur, particulièrement pour moi qui paie mon transport pour Paris à chaque Groupe santé-environnement (GSE). Je ne sais même pas, Mme la présidente, si vos frais de transport sont pris en charge, puisque ces frais n'existent pas !
Grâce à notre alliance avec les vétérinaires, nous avons eu un entretien avec les conseillers du ministre de l'Agriculture. Le ministère de l'Agriculture doit évidemment faire partie de la gouvernance car tout est transversal en santé-environnement. Il faut institutionnaliser cette transversalité, peut-être par un Parlement santé-environnement.
Personnellement, je changerais le nom du PNSE et je l'appellerais le plan stratégique national santé-environnement. Il faudrait être capable, grâce à ce Parlement, de vérifier tous les plans sectoriels. Il est incroyable que le PNSE 4 ne contienne rien sur les pesticides, sur les perturbateurs endocriniens. Ce plan stratégique et ce Parlement doivent permettre de vérifier que tout est cohérent dans les plans sectoriels. Il existe souvent des redites, des manques de complémentarité.
Nous voulions une action massive chez les environ 800 000 familles qui, chaque année, ont un enfant, ce qui concerne donc environ 3 millions de personnes, afin que soit organisée une sensibilisation à la santé-environnement pendant la grossesse. Le PNSE 4 propose des visites d'une sage-femme après la grossesse. Cela existe déjà avec une visite d'environ 45 minutes pendant laquelle la sage-femme regarde si des moisissures sont présentes dans le logement, interroge sur l'alimentation du bébé, l'allaitement… Cette visite est payée 45 euros, avec 5 à 10 euros de frais de déplacement. Je pense qu'il serait mieux d'avoir une visite plus tôt, en pré-conceptionnel ou pendant la grossesse.
Il existe une consultation de prévention des sages-femmes, d'environ 45 minutes, payée 30 euros. Pour introduire l'aspect santé-environnement, pour lequel les sages-femmes sont très motivées, il devient compliqué de tout aborder en 45 minutes et de ne pas mieux valoriser. Il faut donc élargir cette consultation, la rendre obligatoire, car nombre de personnes, notamment celles en difficulté sociale, soit n'acceptent pas que la sage-femme vienne chez eux après l'accouchement, soit ne se présentent pas à cette consultation de prévention. Il faut donc que les sages-femmes soient mieux formées, que la consultation soit obligatoire et revalorisée et que cet aspect santé environnement soit introduit.
Il faut des indicateurs ce qui est compliqué car, sur beaucoup de sujets comme l'obésité ou le cancer, il faut travailler à long terme. Remarquez toutefois que la pollution de l'air peut être étudiée à court terme. Il n'a fallu que six ans à Tokyo pour réduire drastiquement la mortalité.
Il faut une évaluation annuelle. Pourquoi attendre que l'IGAS et le CGEDD soient missionnés quatre ans après ? Tous les ans, ce Parlement peut se saisir de la question et étudier où nous en sommes. Le ministère de l'Agriculture ne savait par exemple même pas qu'il était pilote de l'une des actions du PNSE 3 ! Ce Parlement aurait pour mission de voir ce qui a été fait, d'inciter ceux qui ne bougent pas à le faire et de coordonner les actions.
S'agissant de la gouvernance territoriale, il faut prendre des territoires qui ont suffisamment de poids pour agir. Il faut qu'ils aient des données, des indicateurs sanitaires, environnementaux et sociaux. Il ne faut pas oublier le social car ces problèmes se cumulent en général. Enfin, si la compétence est aux territoires, il faut qu'ils soient obligés d'agir et ne se défaussent pas sur l'ARS.
En attendant que vous fassiez changer la loi, les contrats locaux de santé existent et il faut introduire les diagnostics et les plans dedans. En donnant une formation et des données à ceux qui connaissent le terrain, ils peuvent agir ce qui apporte des bénéfices sanitaires, environnementaux, financiers et d'attractivité des territoires. Ce dernier point fera extrêmement plaisir aux responsables des territoires.
Enfin, nous avons édité des guides sur la façon de protéger les patients de la contamination chimique et des perturbateurs endocriniens.
Nous avons avec cette excellente présentation fait le tour de tous les problèmes.
Je reviens au fonctionnement de votre association. Où trouvez-vous votre expertise ? Quels types d'experts sont réunis au sein de l'ASEF ? Comment travaillez-vous avec les autres acteurs de la société civile ? Comment vous coordonnez-vous au niveau des plans régionaux santé-environnement (PRSE) avec les actions locales ? Comment vous intégrez-vous dans la dynamique territoriale ?
Comment faire en sorte que la société civile soit représentée, qu'elle puisse donner son avis et participer ? Quel est votre jugement sur les agences ? Travaillez-vous avec les agences, avec les ARS, avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ? Quels sont les territoires qui ont assez de poids pour faire de la santé environnement ?
Comment votre association parvient-elle à s'imposer, avec son expertise, dans la discussion territoriale et la gouvernance territoriale ?
Nous ne nous qualifions pas comme experts. Nous sommes des médecins, des praticiens et nous essayons de donner des conseils de prévention à nos patients. Ce que nous préconisons résulte de la lecture d'études internationales avec toujours un esprit critique. Nous avons par exemple conçu un petit livret Les gestes écoresponsables du covid sorti au mois de juillet en reprenant les gestes barrières et en disant d'aérer le plus possible. Le problème étant vraiment dans les lieux clos, j'aimerais beaucoup que l'aération soit plus mise en valeur dans les campagnes d'information du public comme les autres gestes barrières. Nous ne sommes pas des experts mais de simples lecteurs. Nous avons fait quelques études, en particulier sur l'air dans les crèches avec l'École des Mines de Douai. Nous avions trouvé des contaminations dans l'air des crèches qui avaient conduit le Gouvernement de l'époque à faire des préconisations sur le ciblage des lieux qui reçoivent un public sensible.
La difficulté de l'articulation avec les PRSE est que nous sommes une petite association. Nous avons peu de financements, une seule employée actuellement. Il faut aller fouiller dans les actions des PRSE pour trouver celles dans lesquelles nous pouvons nous intégrer. Ce n'est pas facile. Nous avons fait une action avec l'ARS Grand Est portant sur des formations pour les professionnels de santé sur la pollution de l'air. L'ARS nous a financés et nous avons conçu des formations en ligne ouvertes à tous (massive open online course MOOC) en ce qui concerne la pollution de l'air. Elles seront diffusées en formation continue ainsi que sur le site, en étant accessibles à tous. Ce procédé permet de résoudre un problème classique en formation continue : le médecin formateur est certes indemnisé ce qui est très bien mais, souvent, trop peu de personnes sont présentes au cours. La difficulté pratique pour notre association est donc d'aller fouiller dans tous les PRSE et de faire des projets parce que nous ne sommes pas assez puissants.
L'ARS Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) est extrêmement active, mais ce n'est pas le cas de toutes les agences. Nous avons proposé à l'ARS de la région de Nantes de diffuser notre petit guide conçu avec l'ARS et l'URPS dans le cluster de Sainte-Pazanne. L'ARS a refusé en invoquant sa liberté d'agir à sa manière sans se préoccuper l'ARS PACA. Il faut donc certes une territorialisation mais il faut aussi une boîte à outils pour que chacun ne refasse pas ce qu'un autre a déjà fait, dès lors que le travail est de qualité. L'intérêt de chaque ARS pour la santé environnementale dépend beaucoup des personnes qui sont sur place et des moyens. Je crois qu'en PACA, vingt personnes se consacraient à la santé-environnement, mais ils ne sont plus que sept. Les moyens ne sont pas corrélés aux enjeux.
Votre association a publié un livret extrêmement simple, lisible par n'importe qui, sur les gestes à faire ou à éviter pour la prévention, face aux perturbateurs endocriniens, pendant la période de la maternité. Vous nous aviez déjà présenté ce livret très bien fait et il vient compléter le site « Agir pour bébé » de Santé publique France. Avez-vous pu contacter des personnes de Santé publique France pour valoriser cette démarche et faire en sorte qu'elle soit diffusée nationalement ?
En effet, ni l'ARS PACA ni l'URPS n'ont réussi à nouer des contacts avec Santé publique France pour que nous portions ensemble à la fois « Agir pour bébé » et le livret.
Le projet d'une application susceptible de renseigner les gens sur la pollution de l'air m'a été présenté car les responsables cherchaient des relais. J'ai répondu qu'il fallait impliquer les acteurs territoriaux, qu'il faut vraiment une association entre les pouvoirs publics et les gens de terrain. Il faut dépasser le principe du « chacun dans son coin », car le message passe avant tout. Il faut que les associations s'allient entre elles et avec les organismes d'État. Cela ne nous aurait pas gênés d'intervenir avec « Agir pour bébé » mais chacun reste dans son « silo », un peu comme les ministères, quitte à faire des redites.
Une conscience collective commence-t-elle à s'imprégner de l'importance de la prévention des maladies, par exemple dans la vie quotidienne ? La prise de conscience de la population est bien entamée mais quels progrès reste-t-il à faire ? Des efforts plus conséquents seraient-ils à fournir à destination de la société civile ou des politiques pour prendre conscience du concept « One Health » ? Il relie la santé humaine, animale et la santé des écosystèmes ce qui nous permettrait de mieux préparer les défis sanitaires de demain. Quel est votre rôle, en tant qu'association, dans cette transmission d'informations ?
Il paraît de plus en plus d'articles sur ces sujets et la population en prend donc conscience. Nous le voyons sur le terrain, d'autant plus que c'est un carnage en ce moment. Nous avons des questions du type : « Pourquoi ai-je eu un cancer ? », « Pourquoi j'ai eu ça ? ». Parfois, ils ne fument pas, mais ils ont d'autres facteurs de risque, notamment des facteurs environnementaux. La population commence à prendre conscience de ces questions.
C'est plus difficile dans les milieux défavorisés où beaucoup continuent à faire n'importe quoi. C'est pourquoi rendre obligatoire une consultation de prévention pendant la grossesse peut être un élément important pour les populations en difficulté.
Il faut des relais auprès de la société civile pour donner les bons conseils. Ces relais peuvent être les professionnels de santé, s'ils sont formés. Le service national sanitaire bute sur cette même nécessité de former les personnes. J'ai discuté avec l'URPS à propos des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont précisément conseillées par l'URPS. L'élément essentiel des CPTS est l'organisation de l'offre de soins, mais il existe aussi un aspect prévention. Chaque CPTS doit choisir, selon le type de population de son territoire, quelles actions privilégier. Si la population est plutôt jeune, elle peut privilégier les actions sur les perturbateurs endocriniens. Dans la région de Fos, elle privilégiera la pollution de l'air. Toutefois, la difficulté tient au constat que les cinq chargés de mission par département qui vont sensibiliser les médecins n'ont pas cette idée en tête. Il faut donc les former eux aussi, tout comme il faut former les acteurs territoriaux. Il existe toute une chaîne de dispensation des bonnes idées et il faut former tous les intervenants. Les professionnels de santé ont un rôle particulier parce qu'ils possèdent encore la confiance des gens. La CPTS est un bon outil parce que le patient voit plus le pharmacien et l'infirmière que le médecin. Ils doivent aussi être formés mais, tant que cette formation ne sera pas faite, les gens ne seront pas sensibilisés alors qu'ils posent de plus en plus de questions. Personne ne me croyait lorsque j'en parlais voici dix ans, maintenant ce sont les personnes elles-mêmes qui viennent me parler d'un rejet d'usine et me dire qu'ils ne vont pas bien.
Pour expliquer « One Health », je raconte l'histoire des vautours en Inde. Les vautours ont été décimés parce que du diclofénac a été prescrit à 10 % des vaches pour leurs rhumatismes, puisque les vaches sont soignées en Inde. Ce produit détruit les reins des vautours qui servaient à nettoyer les vaches mortes autour de la route. Du coup, les chiens errants ont proliféré, la rage a proliféré et nous avons maintenant 30 000 morts de la rage en Inde. Les conséquences financières et sanitaires sont importantes. Il a fallu vacciner les chiens, les gens, enlever les carcasses. De plus, les gens qui récupéraient les os bien nettoyés par les vautours pour les broyer et en faire du fertilisant ont perdu leur travail. Enfin, sur le plan culturel, le vautour représentait le lien avec le ciel et ils ont perdu ce lien culturel. Ce médicament a donc eu un énorme effet sanitaire en cascade.
De même, plus la biodiversité est faible, plus l'incidence de la maladie de Lyme est élevée : c'est l'effet de la dilution. Les conséquences à long terme sont effroyables, même sur le cœur.
Il faut donc prendre en compte ce concept de « One Health ». Avec les vétérinaires, nous avons insisté sur les biocides. Comment le plan sur l'antibiorésistance peut-il ne pas intégrer les biocides qui participent à l'antibiorésistance ? Il existe des résistances croisées, puisque ce sont les mêmes mécanismes. Le PNSE 4 ne prévoit pas de réduction de l'usage des biocides, simplement de mieux les utiliser. Il faut écrire « réduction ». Que ce soit dans les milieux médicaux, vétérinaires, industriels, dans les élevages, il faut une éducation aux biocides. La stratégie du « plan chapeau » permettrait de remarquer qu'il manque tel item et d'articuler l'ensemble.
Ce concept de « One Health » prend ainsi toute sa signification et nous poussons dans ce sens. Nous avons écrit plusieurs lettres à cet égard aux ministres de la Transition écologique et de la Santé. Nous demandons de recréer ce groupe de travail au sein du PNSE.
Nous comprenons en vous écoutant l'importance de la formation des médecins. Vous faites de la pédagogie au cours de chacune de vos consultations avec vos patients. Non seulement vous les soignez, mais vous les informez et les éduquez également et vous en faites des écocitoyens responsables.
J'habite une ville de bord de mer où les gens mettent dans le caniveau des détergents et rincent en pensant que ces effluents vont être traités. Pourtant, sauf exception, les effluents partent directement vers un point bas, une zone humide ou la mer. Je pense important de sensibiliser en permanence les personnes en faisant remarquer que chaque acte a une conséquence et que les effluents ne s'épurent pas de façon magique.
Dans les documents de prospective élaborés à l'échelle des régions, des territoires ou des communes pour permettre un développement équilibré entre tous les enjeux, nous introduisons aujourd'hui à ma connaissance assez peu les données environnementales. Ces documents sont maintenant dans la « zéro artificialisation » : il faut préserver les espaces naturels et agricoles avec, en contrepartie, un renforcement des métropoles qui doivent être densifiées. Ceci favorise les contacts entre les personnes. Entre ces injonctions un peu contradictoires, existe-t-il à votre avis un bon équilibre à trouver ? Comment introduire dans ces documents le sujet de la santé ?
Les plans nationaux prévoyaient de sensibiliser les personnels de l'Éducation nationale et les élèves à la santé-environnement. À mon avis, cela n'a pas été fait et c'est pourtant un relais extrêmement important pour le futur. Il faudrait le remettre dans le PNSE. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a fait un excellent rapport intitulé Nature en ville – Comment accélérer le processus ? portant sur l'artificialisation. Je suis allé dans plusieurs villes pour faire des présentations mais, lorsque j'ai demandé aux responsables s'ils avaient lu ce rapport, ils n'étaient même pas au courant de son existence.
J'en avais entendu parler dans mes anciennes fonctions d'élue locale mais, même si nous savons que cela existe, le sujet est très peu traité et les collectivités territoriales ne bougent pas toujours.
Les gens n'ont probablement pas été sensibilisés et ne connaissent pas forcément l'existence de l'outil. Il faut créer une bibliothèque des bonnes idées et des mauvaises idées. Le doyen de l'université de Strasbourg veut créer un référent santé-environnement dans chaque faculté et il faudrait de même, dans les collectivités locales, créer un référent santé-environnement ou un élu santé-environnement chargé de faire remonter toutes les bonnes idées qui existent.
Je vous remercie pour votre présentation. Avec peu de moyens, votre association mène nombre d'actions intéressantes. Le livret m'avait, je dois le dire, un peu « épatée » et il est très complémentaire de la démarche nationale. Je regrette que la connexion ne se soit pas établie entre Paris et la région PACA.
L'audition s'achève à dix-huit heures.